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La région de Thespies

Dans le document La Béotie et la mer (Page 90-94)

La possession d’un navire par un habitant d’Askra dont l’activité maritime ne serait que secondaire apparaît hautement improbable. Hésiode explique que le vaisseau doit être laissé sur la grève durant la mauvaise saison ce qui est en réalité inconcevable comme le fait de le ramener à l’intérieur de ses terres408. La possession même d’un navire semble futile pour un paysan d’Ascra

alors que plus tôt Hésiode présente les limites à la construction d’un charriot, bien plus utile à un paysan409 :

407 FOSSEY J. M., Topography and Population of Ancient Boiotia, p. 134. 408 EDWARDS A., Hesiod’s Ascra, p. 59-60.

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φησὶ δ’ ἀνὴρ φρένας ἀφνειὸς πήξασθαι ἄμαξαν· νήπιος, οὐδὲ τὸ οἶδ’· ἑκατὸν δέ τε δούρατ’ ἀμάξης, τῶν πρόσθεν μελέτην ἐχέμεν οἰκήια θέσθαι.

« L’homme riche d’illusions parle de construire un chariot. Le pauvre sot ! il ne sait pas qu’il y a cent pièces dans un chariot et qu’il faut d’abord prendre soin de les rassembler chez soi. »

Dans ce contexte, le plus plausible est que quelqu’un souhaitant exporter ses productions s’embarque dans le navire de quelqu’un résidant à Creusis et dont l’activité principale est maritime, que ce soit la pêche ou le commerce sur le golfe de Corinthe. Ce que décrit donc ici Hésiode ne s’applique donc pas à la réalité d’Ascra. Il a été débattu de savoir d’où Hésiode tire ses connaissances de la mer410, d’autant qu’il dit explicitement ne rien y connaître et n’avoir pris la mer qu’une fois,

pour aller d’Aulis à Chalcis411, mention qui n’est certainement pas dénuée d’une part d’ironie.

Hésiode explique tenir son savoir des Muses412 ce qui ne nous avance pas plus mais on voit ailleurs

qu’il prend clairement pour exemple son père « qui naviguait faute d’aisance »413, qui aurait donc

pris la mer poussé par la pauvreté dans laquelle il était414. C’est une situation critique qui s’oppose

à son idéal décrit plus tôt dans l’œuvre415 :

θάλλουσιν δ’ ἀγαθοῖσι διαμπερές· οὐδ’ ἐπὶ νηῶν νίσονται, καρπὸν δὲ φέρει ζείδωρος ἄρουρα.

« Ils s’épanouissent en prospérités, sans fin ; et ils ne partent point en mer, le sol fertile leur offrant ses moissons. »

Le cas de son père est donc une réalité bien distincte de celle qu’il présente dans ses conseils 410 ZURBACH J., Les hommes, la terre et la dette, vol. 1, p. 300.

411 V. 648-654. 412 V. 662. 413 V. 634.

414 ZURBACH J., Les hommes, la terre et la dette, vol. 1, p. 300. 415 V. 236-237.

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de navigation où l’on navigue quand on a un excédent de production et surtout où il s’agit d’un choix comme Hésiode l’introduit lui-même dans ce passage416 : « Est-ce la navigation périlleuse

dont le désir te possède ? ».

Ainsi le point de vue d’Hésiode sur la navigation apparaît contradictoire entre les conseils qu’il prodigue et l’exemple de son père qu’il enjoint de suivre. Il est également très flou dans sa faisabilité, comme sur la question de la possession des navires et Hésiode exprime de nombreuses réserves et conseille la prudence contre l’avidité de ceux qui naviguent au printemps. La question du choix volontaire de se lancer dans le commerce maritime apparaît cruciale dans ce tableau car on a ici l’impression qu’Hesiode développe sur ce sujet à contre-cœur alors que lui-même n’y connaît pas grand-chose. Il apparaît alors bien possible que ce passage soit une réponse à l’attitude de ses contemporains qu’il désapprouve, la qualifiant d’avide. Si l’on admet qu’Hésiode décrit une réalité entre le VIIIe et le VIIe siècle417, c’est alors précisément le temps des colonisations grecques

et du développement du commerce maritime qui allait de pair418. Le voyage du père d’Hésiode,

quittant l’Éolide pour la Béotie (elle-même une région éolienne), s’inscrit probablement dans ce contexte. Cette évolution des pratiques à laquelle assiste Hésiode s’accompagne de nombreuses opportunités de faire fortune à condition de prendre des risques importants. La mentalité conservatrice et traditionnelle d’Hésiode devait le pousser à s’opposer à ces nouvelles pratiques économiques qui touchèrent également la Béotie.

2) La Béotie dans la colonisation

Il est communément admis que la Béotie ne fut pas un moteur du mouvement de colonisation que connaît le monde grec. Celui-ci était porté par les Eubéens, les Corinthiens, ou les Mégariens, tous voisins de la Béotie. Néanmoins, les Béotiens semblent impliqués dans plusieurs fondations où ils sont associés aux Mégariens notamment, d’abord dans la Propontide. Les traces d’une participation béotienne sont ténues, se résumant souvent à des survivances d’une culture béotienne exportée.

Chalcédoine, sur la rive orientale du Bosphore, est fondée par les Mégariens419 certainement

416 V. 617.

417 HUNZINGER Chr., Hésiode, Les Travaux et les Jours, p. 8-9. 418 PERYSINAKIS I, « Hesiod’s treatment of wealth », p. 116. 419 Thuc., IV, 75, 2.

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au cours du VIIe siècle420. Une inscription de la cité remontant à la période hellénistique fait mention

d’une tribu civique nommée Ἀσωποδωρος421 du nom du fleuve Asopos passant à proximité de

plusieurs cités béotiennes telles que Thèbes ou Tanagra422. Le nom de cette tribu pourrait ainsi bien

avoir une origine béotienne bien que la mention soit légère423.

La fondation de Chalcédoine apparaît étroitement liée à celle de Byzance, cette dernière étant sur la rive opposée du Bosphore, et ayant été fondée quelques années après sa voisine424. Il

s’agit incontestablement d’une colonie mégarienne comme l’attestent l’alphabet, le dialecte, l’onomastique, les institutions, les cultes et le calendrier, tous d’origine mégarienne425. Si les sources

faisant mention des Mégariens sont nombreuses426, des auteurs leurs associent d’autres fondateurs.

C’est le cas de Justin427 qui dit que Byzance aurait été fondée par le roi de Sparte Pausanias, au Ve

siècle ou d’Ammien Marcelin qui présente la cité comme une fondation des Athéniens428. Ces

origines s’expliquent certainement par l’importance de ces deux cités à l’époque classique, les amenant à s’immiscer dans les affaires byzantines429. Milet est parfois évoquée comme fondatrice

de Byzance430 mais cela paraît peu concevable car cela supposerait une association avec Mégare

alors que les deux cités étaient rivales dans la colonisation431.

Constantin Porphyrogénète est le seul à évoquer le rôle des Béotiens qu’il associe aux Mégariens et aux Spartiates dans la fondation de Byzance432. L’empereur byzantin disposant de

sources nombreuses sur la question, on peut à priori le considérer comme bien informé sur l’histoire de sa cité433. D’autres éléments renforcent l’hypothèse d’une présence béotienne parmi les

colons de Byzance. Un passage de Diodore fait mention d’un collège de trente magistrats à Byzance 420 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 240-242.

421IK Kalchedon 7, l. 16.

422 Si l’Asopos est connu comme étant un fleuve béotien, il faut aussi noter qu’il en existe plusieurs

homonymes : un près de Sicyone, un autre près d’Héraclée Trachinienne et un dernier à Paros (voir Strabon, VIII, 6, 24).

423 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 109. 424 Hérodote, IV, 144 parle de 17 ans d’intervalle entre les deux. 425 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 254-255.

426 Voir toujours ROBU A., op. cit., p. 248-249 qui mentionne le Pseudo-Scymnos au IIe siècle et de nombreux

auteurs de l’époque impériale ou byzantine : Denys de Byzance, Philostrate, Jean le Lydien, Hésychios, Georgius Cedrenus, Syméon, Joseph Genesius ou dans une scholie à Démosthène.

427 IX, 1, 3.

428Histoires, XXII, 8, 8.

429 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 257-258. Pausanias n’a par exemple pas fondé Byzance,

qui lui est antérieure de plusieurs siècles, mais il l’a conquise en 478-477 ce qui put être assimilé à une refondation de la cité, car s’accompagnant du retour de nombreux exilés. Athènes est elle liée à Byzance par ses deux Ligues maritimes qui intégrait la cité du Bosphore.

430 Velleius Paterculus, II, 7, 7.

431 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 264. 432De Thematibus¸ II, p. 46, (éd. I. Bekker).

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appelés Βοιωτοί434. Le manuscrit est néanmoins considéré comme corrompu au sujet de ces

Béotiens dont on ne trouve aucune mention par ailleurs, et on remplace généralement ce terme par τοὺς Βυζαντίους435. Le philosophe byzantin Léon aurait composé des Histoires béotiennes dans la deuxième moitié du IVe siècle436 et il n’est pas exclu que son intérêt pour les Béotiens découle de

leur rôle dans la fondation de sa cité437. Au Ier siècle de notre ère, le médecin byzantin Aglaïas ou

Aglaïdas présente sa famille comme descendant d’Héraclès438 ce qui laisserait entendre que le héros

« béotien » joua un rôle dans la fondation de la cité439. Héraclès dispose d’un temple440 et d’un bois

sacré441(un ἄλσος) dans la cité et apparaît sur des monnaies impériales byzantines442.

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