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Les migrations béotiennes dans la colonisation grecque

Dans le document La Béotie et la mer (Page 102-106)

Ainsi les Béotiens auraient participé aux mouvements de colonisation qui touchèrent tant la mer Noire que la Grande Grèce, bien que dans une moindre mesure pour cette dernière. Aucune colonie n’apparaît comme une fondation purement béotienne et il est difficile de voir dans quelle mesure ils sont impliqués dans les débuts des colonies. On serait incliné à penser que les traces d’une présence béotienne en Italie sont si ténues que leur participation ne s’est résumée qu’à des migrations de populations en complément des Eubéens, voire après ceux-ci dans des vagues de migration secondaires. La seule exception serait Olbia, une fondation vraisemblablement Béotienne et Athénienne plus tardive. Dans l’autre sens, dans le Pont et la Propontide, les liens entre les colonies et la Béotie sont assez forts pour que l’on puisse penser à une implication forte des Béotiens avec les Mégariens, d’autant qu’il semble que ce soient les élites sociales béotiennes qui aient fait le voyage, notamment à Héraclée.

Il est également difficile de retrouver les causes de cette colonisation béotienne. Le

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commerce maritime grec s’est développé en même temps que la colonisation et il est bien possible que les Béotiens aient quitté leur contrée en recherche de métaux513. La sténochôria ne paraît pas avoir

été un problème majeur chez les Béotiens. Les sites béotiens ont continué à se développer en taille et en nombre au cours des siècles suivants514 et vu que la Béotie n’a jamais fondé seule un

établissement, il est bien possible qu’il n’y ait simplement pas eu assez d’habitants souhaitant partir515. Les associations que nouèrent les Béotiens avec les Eubéens sont probablement le fait de

leur proximité géographique mais également du dynamisme dont jouissait le canal d’Eubée. Pour ce qui est de l’association entre les Béotiens et les Mégariens, les causes sont plus floues. Un décret d’Aigosthènes du IIIe siècle516 donne aux habitants de Siphai « la proedria et le

droit de participer aux sacrifices communs à l’instar des citoyens, en vertu du “dévouement” (eunoia) et de la “concorde” (homonoia) qui existent, depuis les ancêtres (ek progonôn), entre les deux communautés »517. Adrian Robu envisage en conséquence que les liens d’amitiés ancestraux qui

unissent ces deux communautés remontent à l’époque de la colonisation car c’est bien la mer qui fait de ces deux cités des voisines directes dans le golfe Halcyonique518. Cela expliquerait ou

confirmerait la présence des habitants de Siphai dans la fondation d’Héraclée du Pont mais moins pour les autres cités béotiennes qui ne sont pas des voisines directes de Mégare.

Il est possible d’envisager une toute autre raison dans l’association des Mégariens et des Béotiens par le biais du sanctuaire de Delphes. Ce grand centre oraculaire apparaît à l’origine de la plupart des mouvements de colonisation519. Or, nous l’avons vu dans le cas du récit de la fondation

d’Astacos par Memnon520, il s’agit de l’Oracle qui aurait ordonné aux Mégariens de donner un nom

thébain à la colonie :

Τὴν Ἀστακὸν δὲ Μεγαρέων ᾤικισαν ἄποικοι, ὀλυμπιάδος ἱσταμένης ιζ′, Ἀστακὸν ἐπίκλην κατὰ χρησμὸν θέμενοι ἀπό τινος τῶν λεγομένων Σπαρτῶν καὶ γηγενῶν, ἀπογόνων τῶν ἐν Θήβαις. Ἀστακοῦ τὴν κλῆσιν, ἀνδρὸς γενναίου καὶ μεγαλόφρονος.

« Astacos avait été fondée par des colons mégariens au début de la dix- 513 FOSSEY J. M., « Boiotia and the Pontic Cities », p. 113.

514 FOSSEY J. M., Ibid.

515 FOSSEY J. M., Ibid., p. 107. 516IG VII 207.

517 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 295. 518 ROBU A., Ibid.

519 Voir KYRIADIKIS N., « Le sanctuaire d’Apollon Pythien à Delphes et les diasporas grecques », p. 77-93. 520 Memnon, 12, 2.

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septième olympiade ; ils l’appelèrent Astacos, sur l'ordre d'un oracle, du nom de ceux que l’on appelle les Spartes et les fils nés de la terre de Thèbes ; il s’appelait Astacos, c’était un héros noble et magnanime. »

Il faut se méfier de ce qu’avance ici Memnon, son histoire étant postérieure de près d’un millénaire à la fondation d’Astacos, il y a de fortes chances pour qu’il ait été corrompu par des traditions apocryphes. Néanmoins, les trois éléments de Delphes, Thèbes et Mégare sont présent dans ce récit, ce qui ne peut être un hasard. C’est peut-être cette même relation que l’on peut retrouver directement sur le site de Delphes où le trésor des Béotiens et celui des Mégariens, tous deux construits au VIe siècle, se trouvent à proximité l’un de l’autre521. Peut-être est-ce ainsi la

position des Béotiens sur la route de Delphes qui a fait naître cette association avec les Mégariens. Cela laisse surtout entendre que l’association entre les Mégariens et les Béotiens remonte à très tôt dans le projet de fondation. Il est peu probable que les Béotiens soient arrivés en Orient dans une deuxième vague de migration alors qu’ils apparaissent dès la consultation de l’oracle. Or, ces fondations mégariennes dans la Propontide semblent être perçues comme étant essentiellement mégariennes. Même Plutarque, qui est pourtant fier d’être Béotien et fin connaisseur de l’histoire de son pays, parle dans ses Étiologies grecques d’une guerre opposant les Mégariens aux Samiens, dans leur colonie de Périnthe522. Adrian Robu a montré que ces Mégariens n’étaient probablement pas

des citoyens de Mégare mais ceux des colonies de Propontide qui se sentaient menacés par la fondation de Périnthe vers 602, fondation qui servit alors de casus belli523. Cette guerre est donc

probablement menée par des colons de Périnthe, Selymbria et Byzance qui se trouvent désignés sous le nom de Mégariens.

Or ces fondations « mégariennes » semblent s’inscrire dans un « projet » cohérent qui, s’il n’a pas été planifié, suit une logique qui lui est propre524 : les cités de Chalcédoine, de Selymbria, de

Byzance et d’Astacos sont toutes situées à des emplacements stratégiques permettant de contrôler l’accès au Bosphore. Le but premier n’était pas nécessairement commercial — il est trop tôt pour l’envisager — mais probablement plus simplement de réussir à s’installer durablement face aux populations locales et aux autres cités colonisatrices telles que Samos525. Ces conflits entre cités

colonisatrices attestent néanmoins d’intérêts importants autour du contrôle du Bosphore ce qui rejoint la logique d’installation que l’on perçoit avec la création des colonies de Chalcédoine suivie

521 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 266. 522 Plutarque, Étiologiesgrecques, 57.

523 ROBU A. « Les établissements mégariens de la Propontide et du Pont-Euxin », p. 184-187. 524 ROBU A., Mégare et les établissements mégariens, p. 206-213.

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de Byzance, sur les deux rives du détroit.

On peut ainsi recouper plusieurs éléments pour caractériser la participation béotienne aux fondations mégariennes :

- Les Béotiens sont minoritaires face aux Mégariens en Propontide et dans le Pont. - À Héraclée, il est probable que ce soient des aristocrates béotiens qui aient migré. - Les fondations se sont faites à des endroits stratégiques.

Il apparaît donc bien plausible que dès les premières fondations de Propontide, les Béotiens qui y participèrent furent des membres de l’aristocratie, peut-être des fils second-nés ou des exilés à la suite d’une stasis. Face à ces problèmes sociaux, la participation aux fondations pouvait paraître comme une solution viable. Cette hypothèse ne repose sur rien de très concret mais reste crédible d’autant que l’on a des traces bien visibles d’un goût pour les choses maritimes chez les élites béotiennes de l’époque Archaïque.

3) Culture aristocratique de la mer

Les fibules constituent une source intéressante pour aborder les sociétés de l’époque archaïque. Il s’agit de sortes d’épingles permettant de maintenir en place les différentes parties d’un vêtement et dont l’usage se généralise à partir de l’époque géométrique en devenant une véritable pièce décorative. On dispose d’un nombre important de fibules trouvées en Béotie, la plupart du VIIIe/VIIe siècle, et les thèmes que l’on y trouve sont similaires à ceux de la céramique attique

contemporaine : figures géométriques, swastikas, oiseaux, poissons, chevaux, guerriers et, pour ce qui nous intéresse, des navires526.

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