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Les trajectoires d’affectation scolaire

1. L ES MODALITÉS D ’ ACCUEIL ET D ’ AFFECTATION

2.2. La non-scolarisation

2.2.2. Quelles réponses à la « scolarité discontinue » des EFIV ?

La compréhension de la scolarisation des EFIV dans l’académie de Montpellier, à l’instar d’autres territoires enquêtés, mérite de considérer trois inconnus, en lien direct avec le mode de vie des familles itinérantes : le calendrier (dates d’arrivée et de départ), le lieu d’arrivée, ainsi que le nombre d’enfants potentiellement scolarisables. Ces variables ont un effet sur la répartition des moyens alloués pour la scolarisation, comme le rappelle le référent institutionnel CASNAV en charge des EFIV de l’Hérault, puisqu’il est structurellement difficile, voire impossible d’anticiper les besoins : « C’est difficile de dépêcher des moyens sans savoir où il va y avoir, qui il va y avoir, s’il va en avoir, c’est vraiment le… le, le flou artistique et le… l’inconnu total ». Et selon les communes, une telle incertitude peut avoir des effets sur la capacité à scolariser : « S’il y a trente enfants scolarisés sur L., ça devient compliqué » (Idem). La scolarisation des EFIV est caractérisée dans l’académie par l’adaptation du CASNAV au public. La politique académique de l’éducation nationale vise à couvrir de dispositifs UPS les établissements scolaires situés à proximité des aires d’accueil et / ou grands passages. « Donc, le département de l’Hérault, donc la politique académique, c’est de mettre des moyens en fonction de là où il y a des aires d’accueil » (Idem), et aussi à s’adapter au lieu d’installation des familles en dehors des schémas départementaux. Reste la problématique des « terrains privés », comme le déplore à plusieurs reprises ce référent institutionnel CASNAV. Pour autant, la scolarisation sur une courte période d’un nombre élevé d’enfants reste la problématique de l’académie.

Comment dispenser un enseignement spécifique sur une courte période (deux à trois mois de l’année) comme le mentionne la référente institutionnelle en charge des EFIV sur l’académie de Montpellier ?

209 BERTIN M. (2017), « Des écoles alternatives pour les jeunes exilés refusés par l’Éducation nationale » [en ligne], Basta !, 30 octobre, <www.bastamag.net/A-Nantes-des-ecoles-alternatives-pour-les-jeunes-exiles-refuses-par-l-Éducation>, consulté en novembre 2017.

Comme le montre le tableau de l’enquête du CASNAV210, dans l’académie de Montpellier, les départements concernés sont marqués par des flux de familles itinérantes et d’enfants du voyage d’une très grande disparité d’un département à l’autre. Or, comme le confirment les propos des personnes interviewées, l’importance accordée à ce domaine est corrélée à ces chiffres. Globalement, la scolarisation est souvent présentée comme convenable dans le premier degré. Une scolarisation effective ne signifie toutefois pas que cela est suivi de résultats probants, comme le note le référent institutionnel CASNAV dans le Gard : « Il y a une scolarisation, avec quels résultats c’est autre chose. Ils sont scolarisés, y’a une forme d’assiduité pour certains, moins pour d’autres, mais en gros, les gamins sont scolarisés dans le premier degré ». Il existe une marge de progression encore existante, que cela soit en termes d’acculturation à la culture éducative scolaire (assiduité) et d’apprentissage, que corrobore la suite de l’échange : « mais avec au final des acquis scolaires limités en fin de cursus premier degré » (Idem). Enfin, observer les conditions de scolarisation des EFIV c’est aussi regarder au-delà des dispositifs UPS, car comme pour les EANA, certains EFIV en réussite scolaire sont invisibilisés car en dehors des dispositifs.

Par ailleurs, le référent institutionnel CASNAV des Pyrénées-Orientales indique que ce sont les niveaux méso (départemental) ou micro (commune) qui impulsent réellement la dynamique de la prise en charge des EFIV. Une des raisons, explique-t-il, est le cadrage institutionnel récent concernant les EFIV, qui n’a pas favorisé une véritable initiative au niveau macro. Toujours selon cet acteur, il faut attendre la circulaire de 2002 pour qu’un réel tournant dans la politique éducative concernant ce public soit enclenché en ce qu’elle marque concrètement un désir institutionnel de le prendre en main. Sur le département de l’Hérault, les blocages liés à la scolarisation des EFIV semblent en majeure partie liée à une

« non-volonté politique » de les « accueillir ».

Par ailleurs, les entretiens traduisent aussi un sentiment d’urgence à la scolarisation, de crainte que les familles repartent :

« Dans la précédente circulaire, il était inscrit que, les enfants du voyage devaient être inscrits dans les trois jours, je crois. Dans la circulaire de 2012, c’est pas écrit comme ça. Il y a écrit

“dans les plus brefs délais”. Ça ne nous arrange pas. Mais, bon. Donc c’est à moi, quand je suis au courant de ça, à passer derrière, de dire “Dites, dépêchez-vous, parce que quand même, on ne sait pas jusqu’à quand ils vont rester” (référent institutionnel CASNAV en charge des EFIV Hérault ».

Le référent institutionnel souligne la manière dont ces lourdeurs administratives peuvent, dans certains cas, décourager les familles qui spontanément souhaitaient scolariser leurs enfants. Il peut s’agir de « vaccins », de « dossier incomplet ».

Dans l’académie de Bordeaux (mais le constat est parfois partagé plus globalement, même si nos données sont lacunaires), une évolution positive de la scolarisation des EFIV en maternelle et en primaire ces dix dernières années est soulignée par l’ensemble des acteurs – et expliquée, par l’ADAV 33211, par la mobilisation de deux IEN en charge du dossier, très investis, ainsi que l’évolution des équipements des aires d’accueil avec élaboration de

210 Tableau 1 : « Données de scolarisation des EFIV pour le premier et second degré, académie de Montpellier, année scolaire 2015-2016 », présenté dans le chapitre 1, section 2.2., « Quels chiffres pour les élèves issus de familles itinérantes ? ». Source : Ministère de l’Éducation nationale (2016), CASNAV de l’académie de Montpellier, op. cit.

211 Association départementale des amis des Voyageurs de la Gironde.

projets sociaux. Toutefois, des bémols sont à apporter en ce qui concerne la scolarisation au collège d’une part, mais aussi le recours jugé important au CNED, de la part de familles sédentaires.

Il existe également des cas de déscolarisation récurrents chez des familles itinérantes, lorsqu’elles quittent leur école de rattachement (généralement au printemps), avant qu’elles ne réinscrivent leurs enfants dans une autre école (et, pour certaines, si elles le font). Les enseignants déplorent le fait de n’avoir aucune marge de manœuvre là-dessus. Ils sont demandeurs de solution visant à améliorer cette procédure, afin d’éviter que « les enfants échappent au système ».

L’absentéisme demeure un problème fréquemment soulevé dans la scolarité des EFIV, mais qui ne concerne pas tous les EFIV, d’après les acteurs scolaires et associatifs. C’est toutefois un cas récurrent pour certains élèves, ou pour certains jours de la semaine (le mercredi matin notamment). L’enseignante UPS collège souligne qu’en ce qui concerne ses élèves, « l’absentéisme est le gros, gros problème, parce que les profs heu, voilà, “pas là, pas là, pas là”, pfff, et puis ho ! il est là ! “Oh beh là, c’est bon hein, je vais pas faire d’effort, hein” ben oui mais c’est là, où il faut tout donner ! ». L’absentéisme d’élèves EFIV serait donc un problème pas seulement en soi, mais dans la manière dont il est géré par les enseignants, et particulièrement dans le second degré.

Par ailleurs, tous s’accordent sur le fait que ce « public » serait plus absent que d’autres à des moments précis : rentrée scolaire, période hivernale, sorties scolaires, périodes post-attentats, etc. Mais l’absentéisme n’est pas seulement un problème en soi ; le problème vient plutôt du fait que, parce qu’il s’agit d’EFIV, leurs absences ne sont pas toujours signalées par les enseignants. Selon la directrice de l’ADAV :

« Comme on est impliqué souvent dans les mesures de protection de l’enfance et de prévention, on se rend compte que systématiquement, les enseignants ne signalent pas les absentéismes scolaires si y a pas à côté des problèmes de comportements. Si un enfant du voyage est absent et qu’il a des problèmes de comportements dans la classe, donc en gros qu’il est ingérable, qu’il fait n’importe quoi, qu’il est violent, etc., là on va signaler ! Mais s’il est qu’absent, on signale pas ».

Cela renvoie à une ambivalence existante de la part des acteurs scolaires concernant l’appréhension globale de ce « public » et à son identification en tant que tel, soit l’existence même de la catégorie EFIV et ses usages. En effet, l’existence de cette catégorie de public scolaire à besoins particuliers peut induire des réactions spécifiques des acteurs scolaires, qui n’appliquent pas toujours les règles de « droit commun » lorsqu’il s’agit de ce public.

Cela pose plus largement la question de la spécificité, du public comme de la scolarité, au sein de l’Éducation nationale – spécificité qui peut être nécessaire pour certaines adaptations mais qui peut également être enfermante, stigmatisante et in fine, excluante.

De manière générale, tous les acteurs (scolaires et sociaux) travaillant autour de la scolarité d’enfants du voyage s’accordent sur le fait que les familles les plus précaires sont celles qui nécessitent un travail de lien plus important pour les amener à une scolarisation effective : « si tu vas pas les chercher, tu les perds, ils viennent pas ».

À Bordeaux, l’ADAV déplore le fait que plusieurs dispositifs visant à répondre aux difficultés rencontrées dans la scolarisation / scolarité des EFIV sont mis en place mais qu’ils changent dans le temps (trop souvent) sans jamais être évalués. Par ailleurs, l’usage de l’outil Pagode et plus généralement, les possibilités de faire remonter les absences d’élèves,

est critiqué en raison de sa lourdeur et complexité administrative, qui ne permettent pas (ou mal) son utilisation, alors que cela pourrait constituer un outil pédagogique pour travailler sur l’absentéisme auprès de « parents démissionnaires ».

Dans l’académie de Montpellier, la thématique de la déscolarisation ou de la non-scolarisation renvoie à une question première relative au suivi de la non-scolarisation. Si les référents institutionnels CASNAV-EFIV sont pour la plupart sur le qui-vive quant à la scolarisation des enfants installés sur les aires d’accueil, ce rôle relève officiellement des missions des collectivités territoriales comme le rappelle un cadre de l’Éducation nationale :

« Vérifier la scolarisation, c’est pas le rôle de l’Éducation nationale. C’est important de le dire, c’est du rôle des collectivités territoriales ». Dès lors, le CASNAV, à travers les référents institutionnels, pallie un manque, ou tout au moins une défaillance, au niveau du fonctionnement administratif lorsqu’ils se rendent sur les aires pour évaluer les besoins en scolarisation.

Lorsqu’il y a non-scolarisation ou déscolarisation, cela est souvent lié à certains freins évoqués précédemment : administratifs et politiques. L’absence de place en cantine ou le tarif élevé de la restauration scolaire (parfois « 12, 15 euros par jour de restauration scolaire » évoque le référent institutionnel en charge des EFIV dans les Pyrénées-Orientales), sont des motivations à cette non-déscolarisation, notamment dans le département des Pyrénées-Orientales : « En fonction des territoires, il ne va pas y avoir de scolarisation : que les familles vont dire « ben on va essayer de chopper une place ailleurs » et que la place ailleurs ils l’ont pas et qu’on va avoir des phases de déscolarisation importantes » (Idem).

Nous ne sommes visiblement pas sur un problème structurel, remarquable au niveau départemental, mais davantage à une échelle locale, selon « les territoires ». C’est d’ailleurs également à ce niveau que se situent d’autres raisons de déscolarisation telles que la difficulté à stationner, par manque d’aires d’accueil, comme c’est le cas à Perpignan, d’après les déclarations du référent institutionnel en charge des EFIV, ou suite à des menaces d’expulsion qui empêchent de se projeter dans une forme de scolarisation sereine.

La radiation peut participer aussi de la déscolarisation. Dans l’enquête du CASNAV212 de l’académie de Montpellier, une page y est consacrée.

212 Ministère de l’Éducation nationale (2016), CASNAV de l’académie de Montpellier, op. cit., p. 59.

Tableau 5 : Certificats de radiation dans l’académie de Montpellier, 2015-2016

Source : Ministère de l’Éducation nationale (2016), CASNAV de l’académie de Montpellier, op. cit., p. 60.

Un entretien mené dans l’académie de Montpellier auprès d’un cadre de l’Éducation nationale nous invite à la prudence quant aux effets de la catégorisation sur l’évaluation même de l’ampleur de l’absentéisme des élèves considérés parfois à tort comme relevant des EFIV :

« Ce matin j’étais à S., parce que l’école de S. a alerté le directeur académique en début d’année scolaire en disant : “vous comprenez, on a des Gitans toujours absents, on n’arrive pas à s’en sortir, alors ils disent pas les Gitans, ils disent enfants du voyage sédentaires et ils sont toujours absents et du coup, ils échouent, alors que quand on regarde les chiffres, ils sont pas plus absents, ils sont même moins absents que pas mal d’autres, on a eu des entretiens avec tout le monde encore une fois, on observe en classe, on épluche les chiffres ou autres, ils sont pas absents, ils sont pas plus absents, sauf qu’eux, on le voit quand ils sont absents” ».

Toutes ces observations questionnent l’efficacité de la réponse de l’Éducation nationale à la scolarité discontinue et les effets des catégorisations en termes de discriminations directes ou indirectes.

Concernant l’absentéisme des EFIV, jusqu’à quel point la tolérance favorise la discrimination ? Comment répondre à l’absentéisme du mercredi voire même aux absences pendant les vendanges par exemple ?

Il s’agit d’un point soulevé et discuté de manière récurrente dans les réunions

« scolarisation des EFIV » animés par l’ADAV 33 dans l’académie de Bordeaux, dès qu’une situation d’absentéisme avérée est abordée. L’interrogation qui en découle est ainsi résumée par les travailleurs sociaux : « À partir de quand parle-t-on de maltraitance, quand d’un côté, les parents ne se bougent pas et de l’autre l’institution non plus, sous le prétexte de l’identité ? ». L’on pourrait ajouter : qui, in fine, est alors « maltraitant » ? La famille ? L’institution ? Il est souvent rappelé que la CAF peut suspendre les allocations lors d’un contrôle, en cas de non-scolarisation, mais que cela ne vient pas de l’institution scolaire… En effet, tous les acteurs s’accordent à dire que la première mesure qu’est la tenue d’une équipe éducative au bout de quatre journées et demie d’absence ne se fait pas, tout en reconnaissant que c’est « impossible » avec ces élèves… Les mesures suivantes ne sont pas plus suivies d’effets : courrier à la famille et convocation à l’inspection académique, où les parents ne vont pas. Les enseignants se demandent ce qu’il en est de la mesure « ultime », correspondant officiellement à un signalement de la DSDEN au procureur, aucun n’ayant eu connaissance du déclenchement de cette procédure (est-ce vraiment effectué ? au bout de combien de temps ?).

Comment devons-nous considérer l’acceptation des déviances de la part de ces élèves et de leurs familles par rapport à l’obligation scolaire ? Cela n’arrange-t-il pas un peu parfois certains enseignants, démunis face à des difficultés d’apprentissage ou certaines formes de non-respect des normes scolaires ?

Chapitre 4

L’affectation des élèves dans des dispositifs variés

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