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Les procédures d’affectations et leurs effets sur les acteurs concernés (académie de Montpellier)

Les trajectoires d’affectation scolaire

1. L ES MODALITÉS D ’ ACCUEIL ET D ’ AFFECTATION

1.2. L’effectivité des procédures d’affectation

1.2.2. Les procédures d’affectations et leurs effets sur les acteurs concernés (académie de Montpellier)

Les discours institutionnels sur les délais d’attente relatifs à la procédure d’affectation dans l’académie de Montpellier sont globalement positifs, en particulier lorsque le fonctionnement est mis en regard avec celui retenu dans d’autres académies : « Je discutais avec la collègue de Lyon, récemment, qui ne s’étonne pas quand c’est trois ou quatre mois, le délai de scolarisation. Trois ou quatre mois. Sur Montpellier, pour certains groupes, on arrive à avoir des hiatus, mais pour l’essentiel on n’est pas du tout sur ces échelles de temps là. » En effet, un cadre de l’Éducation nationale se félicite, au vu des différentes procédures à suivre, que le délai d’attente dans l’académie se situe entre deux et trois semaines : « Le temps de prendre un gamin, de l’évaluer, de le faire passer à travers tous les filtres, respecter les filières administratives, euh, l’inscription officielle, deux, trois semaines c’est plutôt raisonnable ». L’une des clés de cette réussite serait liée, selon lui, à la densité du réseau CASNAV. La multiplicité des acteurs impliqués dans ces questions renforce la rapidité de fonctionnement : « C’est lié au maillage territorial, c’est lié au fait qu’il y ait du monde, au

196 Ces observations sont en partie issues du mémoire réalisé par des étudiant(e)s de l’UPEC, dans le cadre d’EVASCOL : cf. ASLAM S., BENNANOUNE R., PAOLETTI A., PROUST D., NANDI C., NDIAYE A. (2015-2016), Scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés (EANA) et des enfants de familles itinérantes et de voyageurs (EFIV), mémoire de master 1 « Intervention sociale », dirigé par C. COSSÉE, A.-C. OLLER, sciences de l’éducation, UPEC.

197 Ibid.

fait que les dossiers sont suivis, c’est lié au fait qu’il y ait une vraie culture d’inscription et d’inclusion scolaire ».

En revanche, le déroulement concret des procédures d’affectation nécessite des améliorations, au vu de l’observation que nous avons menée et des entretiens recueillis. À l’issue des modules de préparation à la scolarisation, il convient de trouver une place à l’élève dans un des établissements comportant un dispositif d’accueil et de soutien linguistique adapté (UPE2A). Cette répartition des effectifs dans les collèges se joue lors de

« commissions d’affectation », réunissant plusieurs acteurs importants sur ce dossier : le responsable de la plateforme d’accueil Senghor et le chargé des évaluations, l’enseignant des modules sur la plateforme, certains personnels CASNAV, un référent des services d’affectation de la DASEN, dont la présence permet de croiser les effectifs annoncés par les chefs d’établissement et ceux détenus par l’institution, et les représentants des établissements concernés, le plus souvent le principal de l’établissement. Selon les dires d’un référent CASNAV de Montpellier recueillis en entretien :

« Il y a eu des phases où c’était les profs d’UPE2A qui choisissaient leurs ouailles, alors on tenait compte du niveau scolaire des élèves et un peu du lieu d’habitation. Il y a eu une période où c’était les chefs d’établissement, avec les gens de l’espace Senghor, le CASNAV, hein, qui lors d’une commission […] répartissaient les élèves en fonction surtout du secteur et des places libres dans les… collèges […] et le lieu d’habitation. Et là [lors de ces commissions], on essaie d’anticiper, c’est-à-dire d’avoir regardé déjà les dossiers, euh… de regarder un peu le niveau déjà du groupe existant, de regarder le lieu, essayer de tenir euh… le mieux possible les trois paramètres. Le lieu d’habitation, les places dans les collèges, éventuelles, et euh… le niveau général, euh, du groupe euh, ou tout du moins éventuellement l’âge. Mais bon, ça c’est le paramètre qu’est pas toujours facile à tenir ».

En participant à ces réunions, on peut aisément observer la façon dont chacun des représentants des établissements (principal, principal adjoint ou professeur d’UPE2A) argumente ses possibilités ou non d’accueillir les élèves, selon essentiellement les effectifs déjà existant à la fois dans l’UPE2A, mais surtout selon les effectifs dans l’établissement. A noter qu’une des grandes difficultés à considérer lors de ces affectations est le caractère incompréhensible de l’effectif global que chaque établissement peut accueillir et dans lequel s’inscrivent les EANA. Ces derniers sont présentés pour l’occasion dans un document de travail,sous forme de tableau distribué aux participants, indiquant les noms et prénoms des jeunes, leur date de naissance, le dernier pays de résidence, une proposition de niveau pour l’inscription, les résultats à l’évaluation initiale et à l’issue du module, leur établissement de secteur (désigné par un moteur de recherche institutionnel dans lequel est rentrée l’adresse du jeune), et une dernière colonne, vide au départ, où figurera l’établissement d’affectation une fois qu’il aura été déterminé à l’issue des discussions. Les critères retenus pour cette répartition des effectifs sont pluriels comme nous allons le voir.

Si, par le passé, on s’intéressait à constituer des groupes de niveaux plus ou moins homogènes dans les dispositifs, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce qui compte davantage est d’éviter de trop longs trajets aux élèves entre leur lieu de vie et l’UPE2A (au détriment d’une mixité socio-ethnique affirmée comme souhaitable), condition qui, si elle n’est pas respectée, peut mener à l’absentéisme de certains des élèves par la suite, notamment pour les élèves migrants roms. Une demi-heure est posée comme limite maximale de temps de trajet. Par exemple, lors de la commission du 31 mars 2016, certains points ont émergé comme étant particulièrement importants dans la répartition des élèves dans les différents

établissements. D’une part, cette répartition doit s’adapter aux différents degrés de saturation des classes dans les collèges. Par exemple, le Collège A était en mesure d’accueillir des élèves de 6e, 5e et éventuellement de 4e, alors que les classes de 3e étaient tellement « saturées » qu’il était impossible d’y inscrire un élève de plus, allophone ou francophone. Cinq des 17 cas d’élèves discutés ici avaient le collège A comme collège de secteur. On compte parmi eux deux sœurs syriennes (5e et 3e), décrites comme étant de

« très bonnes élèves ». Dans le but de ne pas séparer les membres d’une même fratrie, et étant donné la pression des effectifs au collège pour le niveau 3e, elles n’ont finalement pas été affectées dans celui-ci, qui se retrouve privé de deux élèves « solides ». En plus de cela, leur trajet quotidien en sera rallongé. Pourtant, la division d’une fratrie au sein de différents établissements est un cas de figure que l’on peut parfois observer, générant des parcours d’intégration sociolinguistique différents dans la famille.

Lors de ces commissions, il existe un réel souci d’éviter toute déscolarisation ou attente de scolarisation trop longue pour les élèves. Néanmoins, lorsqu’il faut prendre une décision finale concernant les élèves, la capacité des représentants à appuyer leur position, et à obtenir l’issue qu’ils souhaitent dans l’échange, est distribuée de façon inégale dans la salle. Certains sont contraints d’effectuer des compromis. Ainsi, ce chef d’établissement qui annonce faire sa « B.A. » en acceptant deux élèves supplémentaires, et affirme dans le même temps ne pas savoir comment leur trouver une place en classe : « Je n’ai même plus de tables et de chaises ! ».

Le sort des jeunes se joue donc lors d’échanges cordiaux, dont la face explicite pose comme priorité l’intérêt des enfants (position notamment occupée par les membres du CASNAV présents, qui connaissent les jeunes de par leur participation au module). On peut pourtant éprouver, à certains moments, une sensation de négociations durant lesquelles certains critères sont mis en avant (sexe, comportement, résultats scolaires…). Toutes ces informations sur chacun des jeunes, exprimées par les membres du CASNAV, participent à l’ardeur des positions dans la négociation collective.

Par ailleurs, sur les six collèges hébergeant une UPE2A, trois sont catégorisés comme REP (réseau d’éducation prioritaire) ou REP +. Proportionnellement, une certaine logique institutionnelle semble aller dans le sens de l’homogamie socio-scolaire, souvent pour des raisons pratiques explicitées, mais qui peut mener à voir un système renforçant l’absence de mixité dans certains établissements relégués. À cet égard, les propos de la professeure UPE2A, revenant sur cette commission, montrent comment elle estime recevoir majoritairement au collège des élèves répondant à un profil récurrent, celui d’origine maghrébine et en difficulté scolaire :

« [Après la commission d’affectation où cinq élèves devaient normalement intégrer le groupe de FLE] finalement j’en ai eu deux. Bien sûr les deux [pause] élèves [pause] avec les situations [pause] les plus difficiles. [Les trois autres] étaient pas d’origine maghrébine, ça c’est sûr. [Parmi eux, deux sœurs arrivées de Syrie, dont ils avaient dit qu’elles étaient “bonnes élèves”]

Je ne les ai pas eues non plus ».

Il convient de rappeler que les affectations sont souvent temporaires car elles fonctionnent pour une année, le temps d’inscription en UPE2A. En effet, les textes officiels (circulaire 2012-141) préconisent une année d’enseignement intensif en UPE2A, il n’est donc pas rare que l’élève qui aurait été inscrit ailleurs que son établissement de rattachement administratif le rejoigne l’année suivante.

Si l’on s’intéresse à présent à la réception par les familles des décisions d’affectation émises en commission, il n’est pas inutile d’évoquer le cas d’un jeune arrivant du Brésil, ayant obtenu le meilleur résultat au test de niveau A1 parmi sa session de passation (93,5/100). On apprend également par les membres du CASNAV qu’il vient d’un milieu social aisé, son père étant ingénieur agronome. Avant la commission, ses parents auraient été clairs en affirmant au CASNAV que si leur enfant était affecté au collège L., ils l’inscriraient dans un établissement privé. Loin d’essayer de les en dissuader, ou d’inscrire le jeune dans un collège ayant une meilleure réputation, la position du CASNAV a été de ne pas répondre à ce qui est vécu comme une « pression » des parents et de suivre la carte scolaire. Ses parents suivront leur annonce de départ et inscriront alors leur enfant dans un établissement privé, contournant ainsi l’affectation institutionnelle. Cet exemple permet de soulever la question de la circulation d’informations relatives à une hiérarchisation des établissements scolaires, agissant sur les décisions familiales dans la scolarisation effective de leurs enfants. L’exemple illustre ainsi les stratégies d’évitement opérées par certains parents maîtrisant les recours possibles pour contourner la proposition institutionnelle d’affectation émise par le CASNAV, en l’occurrence.

Le principal d’un collège de la ville de Montpellier a, à cet égard, plusieurs fois mentionné, non sans contentement, comment il recevait des appels quotidiens de parents d’élèves ayant prévu de venir vivre à Montpellier, provenant des quatre coins du monde, qui témoignent de la position favorable de son établissement dans la hiérarchie induite par le marché scolaire. Il convient également de rappeler qu’un certain capital économique (si l’on peut recourir au privé) et culturel ou, du moins, une certaine connaissance des règles et du fonctionnement des institutions, est nécessaire aux parents afin de pouvoir faire valoir de tels recours. Ce profil n’est pas représentatif de la majorité des familles, qui s’en tiennent majoritairement à la décision institutionnelle, bien qu’elle contrarie quelquefois leur souhait de scolarisation.

Du point de vue des élèves, l’expérience vécue de l’évaluation initiale ainsi que de la décision d’affectation prend différentes formes. Selon le moment de leur prise en charge dans l’année, l’attente peut être plus ou moins longue entre l’évaluation initiale et l’inscription effective dans un établissement. Ainsi le témoignage d’un jeune Marocain ayant grandi en Italie nous informe à la fois sur l’attente d’une issue vécue comme trop longue à venir, ainsi que sur un certain manque de communication aux familles, de la part du CASNAV, qui rend l’attente d’autant plus difficile :

« Ouais, j’y suis allé, j’ai fait le contrôle. Après j’y suis allé deux semaines, après, ils ont fait grève pour deux mois ! Je suis resté à la maison, après, dans les vacances je suis allé, ils m’ont dit

“c’est bon, c’est fermé, c’est les vacances, tu dois venir en septembre, on va te dire dans quel collège tu dois y aller”. Je suis allé et ils m’ont dit que je dois venir à L. [collège]. Et je suis venu ici ».

Au-delà de la question de l’attente, le passage entre le module d’apprentissage du français de l’espace Senghor et la scolarisation dans un établissement peut s’avérer compliqué pour certains jeunes. En effet, l’espace du module constitue le premier cercle de socialisation des jeunes en France, avec des jeunes ayant tous vécu une expérience migratoire et de déracinement. On y noue des liens qui seront ensuite rompus lors de l’affectation des élèves dans un établissement scolaire : « Au collège ? C’était pas bien, parce que, euh, quand c’était la première fois, je n’ai pas trouvé mes copines [quand j’étais à l’espace Senghor]. Et quand j’ai dit à mon père “je veux changer de collège” il m’a dit “non” ».

1.2.3. Des temps d’affectation prolongés et de longs déplacements

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