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L’affectation des élèves dans des dispositifs variés et les choix pédagogiques associés

1. L’ ENTRÉE DANS DIFFÉRENTES MODALITÉS DE SCOLARISATION Il convient de différencier les différentes modalités de scolarisation : Il convient de différencier les différentes modalités de scolarisation :

1.2 Pour les EFIV ou les EANA vivant dans des conditions très précaires

1.2.3. L’enseignement à distance via le CNED en question pour les EFIV

En Seine-et-Marne (académie de Créteil)229, nous avons relevé, comme dans les autres territoires, un fort absentéisme au passage au collège, parfois contrebalancé en partie par une inscription au CNED. La différence du taux de scolarisation entre les enfants se rendant à

229 Cette section est très largement issue de  ou basée sur  la recherche menée collectivement par un groupe d’étudiants, en partenariat avec l’artiste Sophie Hiéronimy, dans le cadre d’EVASCOL : cf. DEVARENNES M., LABIADH M., LAGISQUET C., MEIGNEN T., MONTOBAN E. (2016-2017), La scolarisation des enfants de familles itinérantes et de voyageurs, mémoire de master 1 « Intervention sociale », dirigé par C. COSSÉE, A.-C. OLLER, sciences de l’éducation, UPEC.

l’école primaire et les adolescents se rendant au collège nous a été présentée très tôt par l’association de médiation, partenaire de l’étude. En effet, l’une des missions du pôle médiation Gens du voyage de l’association en Seine-et-Marne est définie telle que la

« Sensibilisation à la scolarisation au collège ». Leur rapport annuel fait état des différences du taux de scolarisation en établissement entre les enfants scolarisés à l’école élémentaire et ceux scolarisés au collège en 2015. Les premiers, situés sur une tranche d’âge de 6 à 11 ans, forment une population de 24 enfants répartis sur les cinq aires d’accueil et dont vingt fréquentent l’école élémentaire. Les seconds, situés sur une tranche de 12 à 16 ans, forment une population de 29 adolescents, dont seulement 21 sont scolarisés et dont seulement cinq fréquente le collège. Les 16 autres adolescents scolarisés sont inscrits au CNED et n’ont donc pas à se rendre sur place.

Selon différentes sources, en prenant les précautions d’usage qui s’imposent à nous, on peut penser que le CNED est considéré dans l’académie de Créteil comme une solution un peu par défaut à la déscolarisation des EFIV au collège. On peut déplorer une certaine conception de type culturaliste véhiculée parmi les acteurs scolaires et associatifs, qui permet de porter la responsabilité du décrochage sur les familles du fait de leur « culture tsigane » et de leur crainte vis-à-vis du risque d’acculturation de leurs enfants par la fréquentation scolaire, notamment au collège. À partir de cette approche, les acteurs institutionnels sont-ils en mesure de réinterroger leurs propres pratiques et représentations à l’égard des familles du voyage ? Cependant les acteurs ont bien conscience des limites du CNED pour des enfants ayant déjà des difficultés scolaires et n’ayant généralement pas acquis l’autonomie requise par ce dispositif.

Le pôle médiation Gens du voyage (77) a donc mis en place des séances de soutien scolaire en relais CNED comme alternative à la non-fréquentation du collège des EFIV. Il s’agit de séances de deux heures deux fois par semaine ayant lieu dans un collège avec un enseignant de la brigade départementale. Ces séances s’effectuent donc dans l’institution scolaire mais sont-elles pour autant propices à l’inclusion scolaire de ces adolescents ? Les jeunes EFIV arrivent au collège pendant que les autres enfants sont dans la cour de récréation puis ils vont, entre eux, dans une salle pour suivre les cours. Nous avions un peu de mal à comprendre comment s’organisaient ces séances et comment les adolescents recevaient ces cours. L’une d’elles nous explique : « On les reçoit chez nous, c’est comme l’école primaire, déjà il faut t’inscrire, il faut que tu envoies ton bulletin scolaire pour voir tes notes et connaître ton niveau. Par exemple si lui, il est en CP et s’il a le niveau CP ils vont le mettre dans les cours de CP. Ils les envoient, on les reçoit on colle les étiquettes on les met dans une enveloppe avec l’adresse du CNED et on les envoie. » Sans ces séances de soutien, ces adolescents seraient donc livrés à eux-mêmes pour réaliser leurs devoirs. L’initiative est donc intéressante mais suffit-elle ? Ces adolescents sont déjà éloignés de l’institution scolaire et le principe du CNED étant un enseignement à distance ne favorise donc pas cette inclusion. De plus, à notre connaissance, il semblerait qu’aucun partenariat avec les écoles n’ait été mis en place et donc aucun moyen de mixité n’est rendu possible. En évinçant l’institution scolaire comme instance de socialisation, on se retrouve dans une conception unilatérale de socialisation c’est-à-dire la famille et les pairs.

En Seine-Saint-Denis, deux collèges proposent des dispositifs de soutien aux enfants du voyage inscrits au CNED à Drancy et Livry-Gargan, mais nous n’avons pas eu accès à ces terrains. Bien entendu, nous n’avons pas eu accès non plus au positionnement institutionnel vis-à-vis du CNED sur ce territoire.

D’une manière générale, au niveau académique à Montpellier, la position est ferme sur la scolarisation par le CNED : « il vaut mieux qu’ils fréquentent l’école, une école ordinaire une semaine, que d’être inscrit à l’année au CNED » (référente institutionnelle CASNAV en charge des EFIV, Hérault). Une dissociation est néanmoins opérée entre le premier et le second degré. Dans le premier degré « c’est niet » car l’école est définie comme le lieu de « l’apprentissage » souligne la référente : « Parce que, où qu’ils aillent, dans n’importe quelle école, le premier degré, l’école primaire, élémentaire, c’est, c’est quand même l’endroit où on apprend, où on apprend à lire ». Pour le second degré, la question se pose différemment car, comme sur les autres territoires enquêtés, les statistiques montrent que les élèves EFIV sont beaucoup moins scolarisés après le primaire et ce pour plusieurs raisons évoquées dans les entretiens : « plus compliqué en termes d’affectation […] en termes de représentations », la scolarisation des « filles » et le possible impact sur les règles d’alliance en vigueur chez certaines familles, raisons qui, par voie de conséquence, nécessiteraient « une préparation et un accueil particulier. » souligne le référent EFIV de l’Hérault. Le référent institutionnel CASNAV-EFIV des Pyrénées-Orientales, précise plusieurs raisons, notamment la transition entre le primaire et le collège où un décalage s’opère quant à la place référente de l’enseignant qui devient absente, les réseaux de sociabilités familiales qui s’estompent mais aussi une école qui renvoie une autre image, une image d’inquiétude « face à l’adolescence, face à la sexualité, face à la drogue, face à la violence, face aux immigrés, aux Gitans qui leur posent problème ». Le secondaire cristallise aussi des tensions qui touchent les « repères sociaux, on est un jeune adulte dans le groupe voyageur et on devient un enfant, un élève et un enfant dans le monde du collège » et par voie de conséquence l’estime de soi, qui se traduit par l’école de la mésestime de soi, la conscience entre les décalages des savoir-faire, les compétences scolaires des Voyageurs et les autres, cette conscience-là elle est vive, donc c’est l’école de la mésestime de soi » (référent institutionnel CASNAV-EFIV, Pyrénées-Orientales).

Ainsi si le CNED est envisagé par ces acteurs, ce n’est que pour limiter « l’abandon scolaire » (Idem) et donc par l’entremise d’un établissement et non de manière indépendante de l’établissement scolaire. En ce sens, le rapport entre les établissements et les familles qui ont des enfants inscrits au CNED peut prendre différentes formes. Par exemple, dans l’Hérault, il prend la forme d’une collaboration, notamment en élaborant, une convention tripartite CNED / direction académique / collège où l’établissement scolaire dispense des heures de soutien où les enseignants « travaillent le CNED avec les élèves » (référent institutionnel CASNAV, Hérault). Dans les Pyrénées-Orientales, ce rapport vise non pas à travailler avec le CNED : « Si on avait voulu travailler sur le CNED, il aurait fallu signer des conventions avec le CNED et moi, je ne veux pas travailler avec le CNED. Je veux pas ». Le référent institutionnel CASNAV des Pyrénées-Orientales souligne l’ambiguïté administrative, jusqu’à il y a peu, de cette situation :

« Disons que, quand les élèves sont inscrits au CNED ce qui est important pour nous, c’est de se dire, on va pas larguer ces gamins, on va continuer à les accompagner. S’ils maîtrisent pas les apprentissages fondamentaux, on va proposer aux familles, des temps de présence en collège, par le biais d’une double inscription. La double inscription, elle est pas légale, mais elle est pas illégale. Cette année, dans les préconisations de l’Éducation nationale, il y a ce que nous on fait depuis des années plus ou moins en cachette, qui est de dire : “un enfant peut être inscrit au CNED et peut être inscrit dans un collège”. Alors si tu veux c’est à double sens. Nous, c’est une manière de ne pas abandonner nos gamins, et quand on les a, tu continues à travailler sur les fondamentaux ».

Cette collaboration et cet accueil dans les Pyrénées-Orientales visent des objectifs différents selon les départements. Dans l’Hérault, il s’agit de poursuivre la scolarisation et favoriser « l’ouverture » : « l’idée c’est quand même, petit à petit, de leur montrer ce que c’est qu’un collège, les règles du collège et puis de voir si on peut pas les mettre dans un cours ou deux, c’est toujours l’ouverture, le principe de l’ouverture » (référent institutionnel CASNAV, Hérault). En ce sens, le CNED est pensé comme une étape intermédiaire vers une scolarisation progressive au collège et surtout pour pallier à cette déscolarisation. Dans les Pyrénées-Orientales, « l’objectif principal c’est que nos enfants arrivent aux termes des apprentissages fondamentaux. Que l’école, du coup, ait pu faire sens. Et que ces jeunes qui sont parents dans 5, 6 ans, ils puissent faire sens à la scolarisation de leurs enfants » (référent institutionnel CASNAV).

Dans l’académie de Bordeaux, comme à Créteil, le recours au CNED est analysé par les acteurs associatifs locaux comme étant en lien avec une « tendance de repli communautaire et de protection » à laquelle l’Éducation nationale peine à apporter des solutions concrètes :

« il faut adapter l’offre, il faut penser une vraie politique d’accueil, de formation des enseignants, de mise en place d’un projet, et devant ces difficultés, comme ça, ça n’existe pas complètement, eh bien, c’est deux peurs qui se rencontrent, la peur des familles et la difficulté de l’Éducation nationale, et au milieu, y a des pertes. » (directrice de l’ADAV).

Concernant le CNED, un des problèmes soulevés est l’absence d’accompagnement des élèves qui y sont inscrits ; le plus souvent, il existe seulement du soutien scolaire effectué par des associations mais qui, peut d’une certaine manière, faire appel d’air, pour certaines familles sédentaires (la plupart en milieu rural et en situation de grande précarité) qui se saisissent de ce soutien comme une forme de scolarisation unique en délaissant les établissements scolaires. Une formule dont les effets positifs sont soulignés par l’ensemble des acteurs est la formule CNED / collège, mais qui est jugée pas assez répandue et devant être systématisée, en y mettant des moyens supplémentaires.

Le débat sur la spécificité de cette scolarisation, de façon générale, s’appuyant sur la différence de traitement des EFIV, nous questionne. À partir de nos observations en UPS (académie de Bordeaux), l’analyse des points de vue et des expériences de ces élèves et de leurs parents montre que si tous se rejoignent autour de l’appréciation générale d’une adaptation de la scolarité, ce n’est pas tant au niveau « identitaire » (comme sont pourtant construits ces dispositifs) mais plutôt au niveau des méthodes pédagogiques (classe en petit groupe, méthodes innovantes, prise en compte des individualités, décharge d’une demi-journée des enseignants pour « aller vers » ces parents…). La spécificité « identitaire » serait alors créée par l’école et ses catégories, alors même que la différenciation appréciée par les

« bénéficiaires » porte avant tout sur les modalités concrètes de scolarisation, quelle que soit l’« identité » des personnes concernées.

Cependant, il faut souligner aussi que s’opère peut-être un changement au niveau de l’institution : les UPS tendent à devenir des classes de soutien (et à remplacer les RASED notamment) : au primaire, l’inspecteur souhaite que les enseignants d’UPS interviennent directement dans les classes (sur le modèle du maître surnuméraire) ; au collège, l’équipe de direction décide de l’orientation temporaire de certains élèves en grande difficulté vers l’UPS, pour que l’enseignante leur propose un soutien dans telle matière, ou qu’elle leur

fasse un « cahier nomade » afin que leurs apprentissages en classes soient individualisés et à leur niveau. Cette évolution mènera-t-elle à la dissolution de la spécificité EFIV des UPS ?

Ces spécificités dans la scolarisation des enfants du voyage s’appuyant sur une différence de traitement de ces élèves au sein de l’école font débat dans l’institution. Ces dispositifs spécifiques sont régulièrement questionnés, ce qui montre que cette institution républicaine qu’est l’école française oscille entre une « indifférence aux différences » que dénonçait déjà Pierre Bourdieu230 et une prise en compte différentialiste d’une « culture d’origine ».

L’analyse présentée ici porte sur des dispositifs qui nécessitent de définir un public-cible, lui-même identifié comme spécifique. On peut alors s’interroger sur l’obsession des catégorisations de l’école française (qui effectue un « tri » entre les élèves pour les orienter et leur prodiguer un enseignement « adapté », particulièrement visible dans le cas des enfants du voyage) et le maintien de ces enfants dans une catégorisation identitaire fixe : est-ce finalement positif ou négatif pour les enfants en question ? Jusqu’à quel point sont-ils

« enfermés » dans une catégorie identitaire par l’institution scolaire ? « Jusqu’à quel point la tolérance favorise la discrimination ? » s’interrogent également les enseignants d’UPS qui ont le sentiment d’accepter beaucoup plus de choses de la part de ces élèves que des autres (absentéisme notamment).

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