• Aucun résultat trouvé

Dans cette partie, je vais m’intéresser aux différentes régulation et remédiations « par après » qui sont envisagées par les professionnels. Pour reprendre les éléments de ma revue de littérature, on peut parler de régulations rétroactives ou différées. J’ai rencontré une certaine difficulté à regrouper des éléments de discours et à pouvoir m’interroger sur ces données. En effet, certains éléments se superposent avec des éléments sur la régulation « en amont ». Donc, au-delà de la complexité rencontrée lors du codage, ce fût compliqué au moment de l’analyse d’apporter des contenus nouveaux et ne pas me répéter. Et de ce fait, je n’ai pas nécessairement

178 Voir également le cadre théorique.

179 Au sens de l’article : http://www.aba-sd.info/aba-principes-fondamentaux/aba-concepts-de-base/controle-du-stimulus-et-guidance, consultée le 19 octobre 2016.

suivi à la lettre le codage effectué plus tôt mais plutôt navigué dans le but de ne pas me répéter ainsi que de faire émerger des éléments discursif nouveaux. A partir de cela, j’ai tout de même regroupé ci-après les données relatives concernant les régulations « par après », cette fois en concentrant ensemble toutes les approches et les situations comportementales. Cette décision, malgré la longueur des extraits que cela implique, me donnera l’occasion d’une discussion (interprétation et mise en lien théorique) qui me paraît plus intéressante :

- Entretien n°1 : « … si j’suis venue à pied c’est s’rait de retourne d’essayer de retourner … » (ligne 93), « … et puis de de de travailler et de refaire une situation avec une anticipation, un travail en amont … » (ligne 543), « qu’on va essayer d’analyser qu’est-ce qui s’est passé, on va se rappeler pourquoi, qu’est-ce qui s’est passé » (lignes 502-503), « et pis j’essaierai de retourner peut-être à un autre moment ou peut-être que j’essaierai si c’est possible je sais pas de de refaire l’activité mais dans une situation un petit peu plus protégée … moi je pense qu’on peut vraiment arriver à à apprendre ça. A table, enfin à table, au pupitre, en apprentissage, en auton’, en exercice » (lignes 509-515).

- Entretien n°2 : « et une fois qu'il est un peu plus calme je dirais, je pense que je reviendrai vers lui, si possible avec un stylo, une feuille et puis j'essaierai de décortiquer un peu la la situation avec lui en dessinant. … Ben il faut qu’il il faut qu'il finisse qu'il aille qu'il puisse aller manger donc (hésitation) je pense que j'essayerai de dessiner (hésitation) ce qui ce qui s'est passé et puis qu'on va pouvoir retourner aller manger, que sa que sa table est prête avec l'assiette qui souhaite … et puis je l'amènerai une fois qu'il est calme pour qu'il puisse retourner retourner manger » (lignes 38-49).

- Entretien n°3 : « … et une fois que l'enfant redevient dans un redevient (hésitation) redevient en état stable là le guider pour pousser quoi, pour qu'il qu'il dise qu'il en veut pas. Voilà parce que du coup on va pas l'obliger à manger un repas ben qu'il ne veut pas » (lignes 35-37), « … il y a eu la grosse crise, on passe à autre chose, on travaille ça en amont pour qu'il accepte mieux, etc. mais… … En fait c'est y a pas vraiment de feedback, d'expliquer ben (hésitation) un voilà t'as été en colère, etc. … Et je pense que le feedback est plus difficile »180 (lignes 150-165).

- Entretien n°4 : « … au bout d'un moment si je peux guider je vais le guider à ramasser les choses sinon je vais attendre qu'il soit calme, ramasser les choses, repartir vers la vers la dame, la nouvelle serveuse et refaire la même chose. … Donc reprendre le

180 Lien avec le thème « prise de conscience » et le sous-thème « de la régulation ».

même plat, etc. qu'elle lui a donné auparavant » (lignes 27-31), « … on fait toujours, lui expliquer ce qui s'est passé, pourquoi ça s'est passé. Ça sera assez rapidement après un comportement inadapté, dès qu'on a fini de gérer la situation mais (hésitation) au moment où la personne est déjà stable. Elle peut encore être émotif mais elle va quand même être stable mais là du coup on va refaire, on va lui va lui dire quoi, qu'est-ce qui s'est passé, pourquoi c'est passé, qu'est-ce qui devrait pas se passer et comment peut gérer ça la prochaine fois » (lignes 50-55), « … reparler de ce qui s'est passé » (ligne 159), « … on retravaille dès qu'on peut à nouveau la même situation ou une situation similaire » (ligne 168), « prenant compte pour la prochaine fois si c'est vraiment son niveau181. … donc oui bien sûr bien sûr bien bien revenir sur sur ce qu'il s'est passé est à nouveau qu'est-ce qu'il qu'est-ce qu'on attend de lui, qu'est-ce que l'enseignant attend de lui, comment ça se passe à l'école, voilà comme la dernière fois. Mais ça oui bien sûr après on en reparle » (lignes 226-236), « … pour revoir de avant la tâche qu'on en a parlé, il fallait faire ça ça ça et ça, voilà et après regardes t'as pas suivi ce dont on a parlé, qu'est-ce qui s'est passé, etc. » (lignes 242-243), « … peut-être au fur et à mesure augmenter et puis augmenter le (hésitation) temps de travail mais aussi faire des pauses et et ensuite augmenter oui ensuite augmenter le temps de travail et diminuer le temps de pause » (lignes 268-270).

- Entretien n°5 : « dès que je pense qu'on est en train de redescendre182 là je je me dirais peut-être que c'est le moment de de dire voilà j'ai besoin de commencer à lui dire de de ce que j'ai besoin, de de sa part, en terme de comportement, … de lui dire ce que j'ai besoin sans trop le forcer, il (inaudible) j'ai besoin de ça de toi et ensuite (inaudible) et puis ensuite on pourrait voilà voir que par quoi que ce soit ça vienne après » (lignes 68-73), « absolument moi je pense que c'est ça tout ce qui est bien dans le travail c’est de d’essayer de revoir et de vraiment pouvoir dire que cela ou ceci » (lignes 89-90), « j’ai besoin que tu fasses ça, que tu fasses ça… Qu’ensuite on va voir et préparer la la prochaine situation183 » (lignes 125-126).

- Entretien n°6 : « d’abord je le calme au niveau sensoriel, on respire, je j’essaie aussi de trouver un endroit où il n’y a pas de lumière forte, où y a pas de bruit, de respire de respirer, de lui parler très très calmement et là si je si si j’ai de quoi écrire normalement je lui montre des images de ce qui s'est passé et ça le calme normalement que je dessine en même temps, que j’explique avec des mots très clairs, très calmes pour dire voilà, tu

181 La difficulté des tâches proposée.

182 En termes d’émotions.

183 Le feedback.

es allé à la cafétéria, oui, non, il y avait quelqu’un que tu connaissais pas, je dessine oui ou non, oui, est-ce qu’elle te connais oui ou non, non elle me connaît pas, tu voulais manger tel et tel, oui, elle ne savait pas, non, voilà, j’ai réagis tel et tel et je veux pas lui apprendre comment nécessairement réagir dans ce à ce moment-là, ça on peut le faire plus tard, dans dans le centre spécialisé, dans la classe spécialisée. Donc vraiment c’est de la calmer au niveau sensoriel et d’essayer de le raccompagner, qu’il puisse qu'on puisse ensemble expliquer ce qu’on veut (inaudible) pour ce que ça devienne ou à la personne qui sert pour que ça devienne une expérience positive (inaudible) négatif » (lignes 54-66), « je pense que c’est important de de de parler avec l’élève … à chaque fois que ça arrive184 pour qu’il prenne conscience de son état, qu’est-ce qu’on aurait pu faire … » (lignes 213-215), « … donc je dessine en montrant, vraiment en ayant une discussion de comment tu penses que les autres enfants (hésitation) auraient agi, tu te serais senti comment, etc. » (lignes 228-229).

- Entretien n°7 : « ensuite reparler de de comment ça va se passer quand on retourne à la cafétéria. … Je pense qu’il faut refaire le la démarche en fait de dire c'est comme si y a pas telle personne y a telle personne et puis pour l’préparer en fait donc c'est un peu c’que j’f’rai, je l’sortirai du contexte, soit lui soit les autres ça dépend de l'intensité, de la possibilité qu'on a à le prendre ou à toucher ou à le mener ailleurs et puis ensuite j’le re-préparerais à la ce qui va se passer » (lignes 21-27), « mais je pense que c'qui est intéressant c'est une fois qu’y a une crise, une fois que tout le monde est calmé, il faut revenir dessus de toute (inaudible). Qu'est-ce qui s'est passé, alors soit lui demander, si y a pas de communication verbale qu’il fasse un dessin ou que nous on lui explique, il s'est passé ça, t’as réagi comme ça, c’était pas bien, il faut réagir comme ça » (lignes 62-65).

- Entretien n°8 : « … et après immédiatement re-rentrer, allez refaire la demande à la serveuse, expliquer en tant qu'adulte, mettre des mots, communiquer, etc. » (lignes 35-36), « toujours suivant son niveau de compréhension et de communication, déjà pouvoir lui dire ce qui est adéquat, ce qui n'est pas adéquat, reprendre ce qu'il s'est passé. … De le reprendre avec lui, de verbaliser et d'utiliser les supports de communication qu'on peut avoir » (lignes 100-107).

On peut aisément relever dans les extraits ci-dessus les composantes suivantes. Premièrement, la chose centrale, quasiment citée par l’ensemble des professionnels, est relative au sujet regroupant la discussion, la compréhension de l’enfant (la prise de conscience par exemple

184 Dans les deux situations comportementales fictives présentées.

selon l’entretien n°5), les échanges adulte-enfant, l’analyse ainsi que le feedback. Ces possibilités de régulation/remédiation comprennent également la prise en compte du niveau de compréhension de l’élève (verbal ou non) (entretien n°8), le besoin que l’enfant soit stable émotionnellement (même s’il peut rester « émotif » (entretien n°4)), qu’il est possible de retourner auprès de la serveuse (dans la situation n°1, ré-effectuer la commande du repas et essayer de re-communiquer avec la serveuse (entretien n°2)) ou au moins dans la cafétéria (entretiens n°7 et n°8) ou pas nécessairement mais qu’on peut mettre en place une stratégie pour dire « non » dans la situation n°1 (apprentissages sur le fait de pouvoir dire « non » (entretien n°3)). Ensuite, le besoin de faire redescendre l’enfant (au niveau de son stress et de son anxiété) d’un point de vue sensoriel est encore évoqué (entretien n°5), tout comme de prendre en compte le niveau et les objectifs de l’élève dans les tâches (notamment pour la situation n°2) ainsi que d’augmenter de manière progressive le niveau des activités ou la temporalité de la séquence (alternance de moments de travail et de pauses/renforçateurs/activités ressourçantes (entretien n°4)).

Discussion

Ce qu’il me semble important de désormais développer, c’est l’ensemble des points qui sont mentionnées par les professionnels au niveau du feedback (j’utilise volontairement ce terme de manière générale). En effet, la totalité des professionnels ont évoqué des outils (directement ou presque après la crise et/ou les comportements inadaptés) et ainsi qu’une forme de recul les concernant. Et, de mon point de vue de chercheur et d’intervieweur, j’ai trouvé que c’était une des thématiques sur laquelle ces professionnels de l’enseignement avaient le plus de choses à dire et qui a été finalement une des plus discutées. J’émets l’hypothèse que ces remédiations

« par après » (différées ou rétroactives) étaient le sujet le plus « réfléchis » par avance par les futurs interviewés (après la prise de contact et l’explicitation du sujet) et donc que cela fût des aspects pensés et étudiés. Je pense également qu’exposer et débattre les aspects de remédiations est certainement plus aisé que la régulation « sur le moment », du fait du facteur « connaissance de l’enfant » qui semble moins rentrer en ligne de compte, du peu de conscience finalement que l’on a en tant que professionnels sur ces pratiques de gestion de graves crises comportementales ainsi que des possibilités plus nombreuses d’aborder cette question (analyse avec l’enfant, feedback direct, discussions sous plusieurs formes, etc.). Ceci étant dit, un autre élément me semble très pertinent, celui de savoir quoi faire réellement avec le repas. Il est en effet cité plusieurs fois qu’il serait souhaitable de retourner dans le lieu de la crise (situation n°1, la cafétéria) voir même auprès de ladite serveuse dans une perspective de revenir sur la situation et de refaire le cheminement qui a pu poser problème. Mais il est fort intéressant de soulever que,

dans l’entretien n°3, il n’est pas seulement fait mention de réitérer le fil des événements mais aussi de mettre déjà en place un apprentissage (en l’occurrence le fait de pouvoir dire « non », de pouvoir communiquer son refus sans que cela engendre trop de frustration ou et/des comportements inappropriés).

Je souhaite noter que le feedback (terme à comprendre au sens large dans la notion de la discussion à avoir « par après » avec l’enfant, en tant que régulation rétroactive) est nettement plus théorisé par l’approche ABA (Leaf & McEachin, 1999). L’approche TEACCH parlera elle plutôt de régulation différée (ou rétroactive) et misera aussi et sur les anticipations « en amont » (voir l’ensemble des entretien n°1-2 et 5-8). Cette différence est une des plus significatives dans les éléments soulevés et analysés autour de cette question de la régulation de crises comportementales. Le retour dans l’environnement dit « problématique » est aussi évoqué de façon différente par les deux approches. Alors que l’approche ABA articulera son raisonnement autour d’un apprentissage direct et concret (le fait de pouvoir dire « non » à son repas), l’approche TEACCH se centralisera plus sur la question de l’environnement (la communication, les personnes présentes, l’agencement des lieux et du temps, etc.). Sans que cela soit exclusif ou complétement inconciliable, cette différence est notable. En poursuivant, la question de ces feedbacks paraît également importante. En effet, ceux-ci sont à considérer comme des régulations rétroactives (dans le sens de revenir sur ce qui a pu se passer, ce qui n’a pas été dans les comportements, les attitudes, les attentes adultes-élèves, etc.). Dans cette optique-là, cette régulation est également dite différée car elle intervient temporellement après la situation (il ressort dans les entretiens qu’il s’avère nécessaire de laisser redescendre l’état émotionnel de l’enfant). Les « objets de la régulation » ainsi que les « visées de la régulation » sont également des dimensions à prendre en compte par rapport à ces régulations rétroactives.