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Les possibilités de transfert de l’approche TEACCH dans un environnement non-scolaire

Cette partie concernant le transfert fait écho à la question de l’autonomie, point abordé dans ma revue de littérature. Cette dimension est importante car elle interroge ces approches de prise en charge de l’autisme au travers de leurs capacités et de leurs volontés à viser un transfert de leurs outils, moyens, dispositifs et manières de faire. A quel point peuvent-elles donc tendre vers une prise en charge non seulement en milieu scolaire mais aussi dans d’autres milieux (et pour des personnes plus âgées) ? C’est cette dimension, qui est donc présente dans les deux approches, que je vais traiter maintenant à l’aune des données que j’ai pu récolter.

Selon l’approche TEACCH

Je vais désormais me concentrer sur la question du transfert dans l’approche TEACCH dans un environnement non-scolaire. Sur cette question, la totalité des professionnels – qu’ils se réclament plutôt de l’approche ABA ou plutôt de l’approche TEACCH – ont abordés le sujet, après une question précise de ma part. Le développement en fût plus ou moins long mais la

131 Au sens de l’article en ligne : https://www.autisme.ch/autisme/therapies/aba, consulté le 19 octobre 2016.

question a semblé pertinente et intéressante à aborder. La première chose qui m’est nécessaire de souligner est l’idée que les outils de structuration spatio-temporels TEACCH132 ont vocation à être transposés dans un environnement non-scolaire. Cette opinion n’est pas unanime mais elle revient tout de même :

- Entretien n°2 : « pour moi c'est des outils qu’on leur donne, c'est un moyen de comprendre le un monde qui comprendront pas sans … » (lignes 368-369).

- Entretiens n°5 : « … et d’essayer de contrôler ce qu'on peut contrôler donc c’est la vie la maison, la vie de famille, etc. » (lignes 322-323).

- Entretien n°6 : « je crois que pour certains, ceux qui ont vraiment besoin de TEACCH oui ça aide … » (ligne 406).

- Entretien n°8 : « … c'est vraiment de donner de l'information visuelle, de structurer que les temps les plus compliqués » (lignes 529-530).

Les diverses positions citées sont nuancées par une idée, celle qu’il est indispensable de réduire ce que les enfants peuvent avoir besoin comme « support visuel ou un support écrit ou quoi que ce soit » (entretien n°7, ligne 354). Cette volonté est reprise par l’ensemble des professionnels comme l’attestent ces extraits :

- Entretien n°2 : « et puis (hésitation) moi je serai pas pour les enlever à part (inaudible) si ok, on n'en a plus besoin mais… » (lignes 378-380).

- Entretien n°5 : « oui d'enlever dès qu’c’est possible, de de continuer à le faire, de pas voilà pas se laisser aller là-dedans et puis pas se dire je pense que ça c'est comme pour tout support qu’on qu’on amène, en spécialisé ou même enseignement en général » (lignes 339-341).

- Entretien n°6 : « … mais je crois que le je crois qu’il faut les sevrer le plus vite de ça133 parce que sinon c’est c’est un enfant autiste ou atteint d’autisme il a il a déjà tendance à à être vachement rigide dans sa façon de réfléchir donc si on joue si on si on fait ça constamment pour l’enfant ben après on a des robots dans la société qui n’arrivent pas à s’intégrer socialement » (ligne 418-421).

132 Par exemple des plannings journaliers ou de la semaine, des pictogrammes pour trouver un lieu, un système de tiroir pour classer son travail « à faire » ou « terminé », des zones délimitées « de jeu », « pour manger », « de travail », etc.

133 Des outils TEACCH.

- Entretien n°7 : « donc l'idée c'est qu'ils arrivent à gérer de plus en plus de choses sans avoir un support visuel ou un support écrit ou quoi que ce soit » (lignes 353-354).

- Entretien n°8 : « … qu'on ne met pas en place une structure parce qu'on a envie de mettre en place une structure mais qu'on la met en place en fonction des besoins réels de la personne et de l'adapter en fonction de son niveau de compréhension et que quand l'enfant n'a pas besoin, l'adolescent, l'adulte n'a pas besoin de structuration et bien on enlève » (lignes 487-490), « … c'est d’en mettre le minimum et le plus fonctionnel

… »134 (ligne 528).

Les personnes interviewées ont de manière générale beaucoup insisté sur cette intention de réduire autant que possible les aides et supports qui peuvent être transposés de l’école au lieu de vie familial. Certains professionnels ont également souligné que ces outils devaient être des moyens adaptés :

- Entretien n°2 : « après ça veut pas dire qu'ils doivent rester enfermés là-dedans, qu'il faut essayer que ces que ces moyens-là soient le (hésitation) plus, comment dire ça, le plus socialement adaptés, le plus (hésitation) oui que ça que ça ça reste quelque chose qu'ils comprennent … » (lignes 374-377).

- Entretien n°6 : « … je crois que ça dépend aussi de l’âge et du niveau de l’enfant

… » (lignes 409-410).

- Entretiens n°8 : « l'idée c'est toujours ça, c'est de pas garder une structure autour de la personne pour à tout prix l'avoir mais qu'elle soit adaptée à la personne … »135 (lignes 490-492).

La différence entre l’environnement scolaire et l’environnement familial est également signalée comme le montre l’extrait suivant :

- Entretien n°7 : « Alors à la maison c'est toujours plus difficile parce que c'est un peu, ça manque de spontanéité … » (lignes 380-381).

La difficulté de transférer ces outils de l’environnement scolaire au familial est également évoquée :

134 A propos de outils à mettre à disposition de l’apprenant.

135 Cette citation reprend également l’idée précédente, à savoir de pouvoir réduire si besoin l’aide apportée.

- Entretien n°1 : « … c’est ça qu’est difficile, c’est très difficile » (ligne 453).

- Entretien n°8 : « … effectivement TEACCH est difficilement transposable en fait parce que c'est une structure très lourde » (lignes 522-523).

Selon l’approche ABA

Les professionnels se revendiquant de l’approche ABA tiennent un discours quelque peu différent. En effet, leurs positions – même si elles reflètent une acceptation possible de ce transfert – sont guidées par les difficultés que le transfert semble pouvoir engendrer :

- Entretien n°3 : « oui c'est transposable136 après je me dis, si un jour (hésitation) ben y a un changement comment ça va se passer ? … Le jour où il y a un changement, comment l'élève va réagir ? Donc c'est ça qui me fait un petit peu peur en fait. Est-ce que est-ce que justement le fait de tout structurer, carré comme ça, est-ce que le jour où ben il ne va pas y avoir ça, comment comment l'enfant va réagir, est-ce que ça va pas générer en lui des angoisses, ouais » (lignes 560-566).

- Entretien n°4 : … est-ce que c'est du coup faisable à l'extérieur, tu vas toujours porter tes tes points rouges avec toi partout … je sais pas tu vas chez ta tante et elle va pas avoir la chambre rouge où tu vas avoir (inaudible) les comportements, la chambre verte où tu vas travailler tes maths … » (lignes 644-647).

On le voit dans ces discours des professionnels de l’ABA, le questionnement sur les possibilités concrètes de transfert (des outils et dispositifs TEACCH) de la part des enfants est réel et le scepticisme sincère.

Discussion

Il convient tout d’abord de nuancer l’utilisation générale de l’approche TEACCH ainsi que des outils qu’elle propose. Car effectivement, l’ensemble des professionnels semble s’accorder sur le fait que si des outils sont utilisables dans un environnement non-scolaire, l’approche TEACCH est conséquente et qu’il n’est pas nécessaire de la transférer telle qu’elle peut être mise en place dans un environnement scolaire spécialisé. Ensuite, la pensée que ces outils doivent progressivement être restreints afin de faciliter l’autonomie et l’évolution des enfants rejoint ce qui est également planifié à l’école :

136 L’approche TEACCH.

- Entretien n°7 : « … je pense que c'est la même chose qu' à l’école, à l’école c'est très c'est très bien organisé au début, après ça peut être plus flexible » (lignes 381-382).

L’adaptation de ces outils est un corollaire évident de ce qui se prépare déjà dans l’environnement scolaire. De plus, comme le montre cet extrait suivant, la planification fait partie des préoccupations fondamentales dans ce travail de structuration et elle amènera à la réussite de la mise en place de ces outils :

- Entretien n°8 : « … à l'intérieur de l'école c'est pas facilement mis en place parce que ça rigidifie et que ça c'est la même et que ça demande un travail de préparation très conséquent pour (hésitation) les adultes qui encadrent, de toujours vérifier que l'information est pertinente … » (lignes 519-521), « … mais qu'elle soit adaptée à la personne et ça on pourrait avoir tendance à l'oublier du moment qu'on devient un petit peu (hésitation) religieux avec nos méthodes, en disant on fait du TEACCH donc on met un horaire visuel. Oui mais pourquoi et comment on l'utilise pour être sûr que ce n’est pas le rituel qui est compris et pas, comment dire, l'information réelle » (lignes 491-495).

Une chose encore en lien est la difficulté que cela implique par ailleurs. De par la collaboration entre professionnels, entre ceux-ci et les familles (ou tout autre personnes extérieure) et le travail de réseau que cela nécessite afin d’être instauré. Enfin, les professionnels d’une prise en charge ABA accentuent leurs avis en justifiant qu’une structuration trop importante et trop rigide de l’environnement des enfants peut conduire à un risque non négligeable de peur du changement et de difficultés d’adaptation. On peut donc dire que les professionnels prônant une approche TEACCH ont donc en même temps conscience de l’importance du transfert de ces outils vers d’autres environnements mais en comprennent aussi les limites ainsi que l'intérêt d’une autonomie grandissante grâce à un certain sevrage des outils.

Pour reprendre l’approche ABA, les opinions exprimées par les professionnels de cette approche vont dans le sens d’une approche ABA se focalisant plutôt sur la régulation des comportements et des apprentissages alors que l’approche TEACCH se baserait plutôt sur la structuration de l’environnement137. Cette différence majeure (d’un point de vue tant théorique que pratique) est constatable très rapidement dans les conceptions et les mises en place

137 Voir la revue de littérature ainsi que les résultats de recherche « régulation « sur le moment » »,

« régulation « en amont » » et « régulation « par après » ».

concrètes de ces deux approches (Maurice, 2006 ; Cottraux, 2015). Pour en revenir au transfert lui-même, si l’approche TEACCH ne se base pas sur une visée de « normalisation » mais plutôt sur une « tolérance, compromis, acceptation et développement personnel de la personne atteinte d’autisme » (Mesibov, 1995), il n’est reste pas moins que, comme l’a mentionné une des personnes interrogées, le transfert des outils TEACCH – structure assez conséquente – ne semble pas aisé dans un autre environnement. Dès lors, ce transfert se fondera sur la préparation de structuration spatio-temporelle par une collaboration entre professionnels et familles (qui deviendront des « co-thérapeutes ») pour une continuité de la prise en charge aussi grande, poussée et régulière que possible (Schopler, Reichler & Lansing, 1988 ; Peeters, 2014).

Avant de passer à une autre thématique, je vais encore motiver mon choix de n’avoir traité que de la question du transfert de l’approche TEACCH dans un environnement autre que celui strictement scolaire. La raison principale est que cette approche TEACCH a été construite pour être utilisée dans un contexte scolaire (des classes notamment) alors que l’approche ABA s’est au départ basé sur le behaviorisme que l’on ne peut pas cantonner à un milieu scolaire. De plus, la structure relativement lourde des outils TEACCH (matériel, outils, aide, structurations diverses, etc.) était également un point important dans cette optique-là (que l’approche ABA ne présentait pas). Dès lors, la pertinence de cette thématique n’avait lieu d’être que pour l’approche TEACCH.