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Partie I. De l’imprimerie à la constitution d’une pratique éditoriale

I.1. Histoire du livre et de sa constitution

I.1.3. Le livre objet d’influence et de contrôle

I.1.3.2. Le régime du privilège

Au XVIIème siècle, la pratique de la censure va évoluer en s’entourant d’ordonnances, de statuts et arrêts qui peuvent être répartis en deux groupes. D’une part, il y avait les législations émanant du roi qui avaient le double rôle de contrôle et de protection du métier avec en filigrane un intérêt financier. D’autre part, il y avait les professionnels du livre. Ces derniers avaient pour mission de préserver la qualité de la production, empêcher l’établissement et la circulation des œuvres contrefaites, maintenir la concurrence au plus bas.

Nous relevons des intérêts quelque peu divergents entre le pouvoir royal et les professionnels du livre. Mais entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, naîtra une volonté commune d’enfermer le livre dans un carcan juridique. C’est ainsi que « le privilège », règlement donné en 1618, fut mis en place. C’était une autorisation accordée à un ouvrage pour lui permettre d’être publié. C’était également un dispositif de contrôle sur l’impression et la diffusion, qui visait à prévenir les censures et surveiller les contrefaçons. Après son obtention, une commission composée de jurés, libraires, et représentants de l’université devaient ensuite procéder à une inspection de l’ouvrage avant sa mise en vente. Par l’exercice du privilège, l’Eglise et l’Etat disposaient d’un moyen de contrôle sur tout ce qui se publiait. Parmi les types de privilège qui étaient accordés, il y avait :

Des privilèges généraux, accordés à certains auteurs jugés dignes de confiance pour l’ensemble de leurs œuvres passées et avenir. Et d’autres parts, celui des lettres accordées pour des livres nouveaux – (…) – mais aussi celui bien plus rare des privilèges accordés pour ce qu’on appelait alors les réimpressions.97

Le privilège était demandé tant pour les œuvres faisant une première parution, que pour ceux qui sollicitaient une réimpression. Sa durée n’obéissait à aucune règle préétablie.

Il y a également la permission, qui a souvent été confondue avec le privilège. La permission était un dispositif qui donnait l’autorisation d’impression. La permission était délivrée par le parlement ou le roi. Or le privilège concernait l’autorisation commerciale, il était donné pour un titre, par la chancellerie ou le parlement à Paris. Dans les provinces par le prévôt de Paris ou

les autorités municipales. Le phénomène de la censure était très présent à Paris, car c’était déjà la ville la plus peuplée, c’est également à Paris où l’on retrouvait le plus grand nombre d’imprimerie, d’éditeur et de lecteur. Cela semble expliquer le grand intérêt des autorités pour la ville de Paris.

La demande de privilège passait par un examen du manuscrit déposé auprès de la direction de librairie. Les auteurs, libraires, imprimeurs ou tiers sollicitant un privilège, une permission ou un renouvellement de privilège sur un manuscrit ou un ouvrage imprimé, devaient déposer un exemplaire à la direction de la librairie pour que le censeur procède à son examen. Un numéro d’ordre était attribué aux ouvrages déposés afin de les enregistrer. Le délai d’attente pouvait être long et atteindre jusqu’à six mois.

De même, les noms des demandeurs et celui du censeur y étaient reportés. Lorsqu’un ouvrage n’avait pas reçu l’accord, il ne pouvait plus faire l’objet d’une demande de privilège ou de permission. Le demandeur du privilège se devait en cas d’approbation de payer les frais de sceau et d’offrir quelques exemplaires à la direction de la librairie.

Le refus ou l’accord d’approbation pouvait être simple ou motivé. En effet, l’accord simple était donné par le censeur après examen du manuscrit, tandis que l’approbation motivée était préalablement donnée par une autorité sur un manuscrit. Le censeur avait ainsi pour mission de donner l’accord indépendamment de son examen.

S’agissant de l’accord d’approbation, le manuscrit pouvait, après examen, recevoir un accord permettant à son demandeur de l’imprimer directement. D’autres en revanche devaient avant impression effectuer des modifications. Dans ce dernier cas, le censeur examinateur adressait un rapport au censeur avec l’ensemble des corrections suggérées pour qu’il les examine à son tour. L’accord était donné par écrit sur rapport préalablement signé par Malesherbes :

Le rapport se trouve être une approbation simple, généralement ainsi libellée : « j’ai lu par ordre de Monseigneur le Chancelier un manuscrit – (ou) un livre imprimé à… et – intitulé… dans lequel je n’ai rien trouvé qui puisse en empêcher l’impression – (ou) le débit. »98.

Il y avait également des refus d’accord ; dans ce cas, le censeur établissait un rapport dans lequel il mentionnait les motivations de sa décision. Il pouvait demander une audience pour s’expliquer auprès du directeur. Le nom du censeur ne figurait pas dans le rapport final lorsqu’il s’agissait d’un refus. De même que l’accord du privilège, qui en présentait plusieurs types, les

98Le livre et la censure en France « De la Bible aux larmes d’Eros », Paris, Editions du centre Pompidou, 1987, p.72.

refus également pouvaient être de plusieurs ordres. Deux principaux types vont nous intéresser, le refus donnant lieu à une « censure préventive » :

En premier lieu figurent ceux dont le sujet même apparaît digne de réprobation (…) Ou encore les récits scandaleux (…) Enfin le caractère satirique ou agressif d’un texte peut également en empêcher la parution.99

D’autres raisons de refus constituaient plutôt une « censure répressive ». En effet, après accord d’approbation, l’imprimeur ou auteur devait s’astreindre à d’autres formalités avant l’impression. A Paris notamment, les imprimeurs avaient pour obligation,

[de faire mentionner] le nom et l’adresse de son éditeur, que le texte intégral de la permission ou du privilège obtenu s’y trouve, (…) reproduit in extenso, et que le nombre prescrit d’exemplaires ait fait l’objet du dépôt légal.100

Il était également courant qu’un censeur refuse d’examiner un manuscrit, soit qu’il s’y trouvait incompétent face à la nature de l’ouvrage, soit par crainte de représailles. Il proposait dans ce cas qu’il soit soumis à un collègue. Comme les scribes, les censeurs pouvaient laisser transparaître des émotions, cela par leur style personnel qui pouvait différencier un exemplaire d’un autre, celui-ci pouvait se manifester par des éléments tels que l’écriture.

Cependant, tous les ouvrages à l’exemple des « almanachs » n’étaient pas soumis au régime du privilège ; pour ceux-là une autorisation du juge local suffisait à accorder leur impression et mise en vente. Mais il y avait des livres qui paraissaient sans aucun accord, ils parvenaient à échapper au contrôle. La censure pouvait aussi être exercée sur des ouvrages ayant été publiés, cette deuxième forme de censure avait lieu à la suite de plaintes et dénonciations.

D’une façon générale, l’histoire de la censure est un domaine vaste qui a connu des modifications au fil des années. Vers le XIXème siècle, c’est principalement l’Etat qui détient le monopole sur les censures et privilèges du livre, notamment parce que celui-ci était devenu une industrie de masse. L’implication de l’Etat dans la publication des écrits est un moyen de répression des écrits pouvant porter atteinte à l’ordre public. Dans le cas du Gabon par exemple, nous verrons que la censure peut également être un moyen de contrôle, du fait de son hégémonie, les autorités dans certains pays de l’Afrique noire francophone ont tendance à utiliser le pouvoir à d’autres fins et la censure devient souvent le moyen par lequel ils peuvent se servir du pouvoir en toute impunité.

99 Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIème siècle, tome 2, op. cit., p.766.

Evoquer le livre et la règlementation autour du livre implique également d’aborder le dernier maillon de la chaîne du livre à savoir les bibliothèques et les lecteurs, ce sont respectivement les lieux de consommation et les consommateurs du livre et les consommateurs du livre.

I.1.3.3. La bibliothèque comme lieu de conservation et le lecteur comme