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Partie I. De l’imprimerie à la constitution d’une pratique éditoriale

I. 2.2.1. « L’indépendance éditoriale »

I.2.3. Les différents modèles éditoriaux

I.2.3.1. Les modèles dominants ou modèles de base

Le modèle éditorial d’un Etat est souvent rattaché à la politique générale de celui-ci, il n’existe pas de modèles éditoriaux préétablis,

Ce sont les structures économiques, idéologiques et politiques qui conditionnent l’apparition et le développement communicationnels.164

La politique menée par un Etat exerce une influence dans la vie du livre et de l’édition. Le type d’Etat ou le modèle de celui-ci le fait évoluer le livre en fonction de la politique générale de fonctionnement. C’est ainsi que nous observons une forte implication du pouvoir monarchique dans la vie du livre.

D’une manière générale et selon l’étude à l’échelle internationale et comparée de Robert Estivals, les différents modèles observés à travers le monde peuvent être classés en trois grandes catégories

Les modèles socialistes où le rôle de l’Etat est essentiel ; les modèles libéraux où il est restreint ; les modèles du tiers-monde ou de la décolonisation qui cherchent à maintenir un certain équilibre entre les deux sources d’activités.165

Cette classification faite depuis plus de trois décennies reste d’actualité. A partir de ces trois grandes catégories, de nombreux autres modèles ont pu être constitués parmi lesquels,

[Des] modèles de référence pour les USA et l’URSS en ce sens que c’est par rapport à ces modèles dominants que s’organise la vie du livre dans les deux blocs ; systématisation et assouplissement du modèle de référence dans les pays du socialisme d’Etat ; conservation du principe de l’autre bloc à l’intérieur du bloc dominant pour situer

163 Jacques Michon et Jean-Yves Mollier, Les mutations du livre et de l’édition dans le monde, du XVIIIe

siècle à l’an 2000, Laval, Presses de l’Université Laval, 2001, p.252.

164 Robert Estivals, Le livre dans le monde, introduction à la bibliologie internationale, Paris, Editions Retz, 1983, p.24.

les modèles frontières de la socio-démocratie suédoise et du système autogestionnaire yougoslave ; relation avec les modèles du tiers-monde.166

Nous relevons en effet des rapports d’influence, de puissance et de référence entre les différents pays et régions. C’est ainsi que se sont érigés des modèles dominants issus des grandes puissances et grandes métropoles, mais après la constitution ou mise en place de ces différents modèles s’en est suivie leur déstructuration progressive et ce sera là l’origine du passage d’un modèle à un autre. Les modèles dominant ont par la suite fait l’objet de nombreuses contestations ouvrant ainsi la voie à de nouveaux modèles qui puisaient leurs origines à partir de d’autres sources.

C’est probablement de ce détachement qu’est née l’influence locale. De nos jours, la pratique éditoriale s’enracine dans sa localité de production, de manière à trouver une adéquation avec la culture pratiquée.

Le modèle dominant à partir duquel se sont faites la déstructuration et la naissance de d’autres modèles est le modèle monarchique. Ce dernier était tenu par la bourgeoisie commerciale, les maîtres, les imprimeurs-libraires et le syndicat des libraires. Il avait pour but de se dresser contre le pouvoir religieux et la classe des travailleurs plus nombreuse que celle des imprimeurs-libraires. Le modèle monarchique était exercé dans l’Etat monarchique, notamment à Paris, et sur le livre, son but était de surveiller les contenus des ouvrages, d’où la délivrance de permissions et privilèges avant la publication ou l’impression d’un ouvrage. Son principe de domination lui imposait d’exercer un contrôle sur les impressions afin de surveiller les idées véhiculées et interdire les textes oppositionnels. L’Etat monarchique avait le devoir de protéger les imprimeurs-libraires. L’expansion du livre était limitée pour les provinces. De plus, l’enseignement était principalement donné aux privilégiés de l’aristocratie et à la riche bourgeoisie, cela constituait une autre forme de limitation du livre.

L’idéologie de la monarchie repose sur quelques principes fondamentaux : maintien d’une société structurée en classe distinctes ; christianisme selon une tradition millénaire ; position dominante du roi. La politique culturelle doit transmettre cette conception. La monarchie sera ainsi conduite (…) à s’opposer à la montée du libéralisme au XVIIIème siècle. Elle doit surveiller l’évolution des idées et par la suite, la production et la distribution des livres. Elle y parviendra par des censures préventives grâce à la délivrance des privilèges d’imprimer.167

166 Robert Estivals, Le livre dans le monde, introduction à la bibliologie internationale, op. cit, p.24.

Progressivement le modèle dominant a connu des antagonismes desquels naîtra la période de déstructuration. L’éclatement du modèle dominant partira de ses différentes composantes, c’est-à-dire le pouvoir monarchique et la bourgeoisie qui vont se distendre progressivement. De plus, la naissance de l’imprimerie va par sa production de masse concourir à discréditer le modèle monarchique. Ainsi la découverte de l’imprimerie va-t-elle principalement marquer le début du changement dans le modèle dominant.

De même, l’Etat monarchique fera régner une phase de stagnation sur la quasi-totalité des domaines, cette période marquera les débuts des modèles libéraux qui vont quant à eux coïncider avec la croissance multisectorielle. Le modèle libéral présente la particularité d’avoir favorisé l’essor du livre par la liberté de production, ainsi que par des subventions allouées à certains éditeurs privés. Aussi, l’impression étrangère, les textes imprimés clandestinement, la vente des livres interdits, l’opposition des intérêts de la bourgeoisie et la monarchie sont autant d’éléments qui ont accentué l’idéologie libérale. Celle-ci sera institutionnalisée de 1788 à 1793, sa mise en place sera aussi appuyée par le coup de force de la bourgeoisie. Les conséquences majeures sur la vie du livre seront la liberté de penser, d’expression [et] donc de publication168.

Il existe plusieurs modèles libéraux, ceux-ci sont considérés comme les plus anciens issus de la déstructuration du modèle dominant. C’est l’Europe à travers le cas de la France qui nous permettra de mieux faire une synthèse du modèle libéral. Ce dernier se résume par

[Une] croissance au XIXème siècle ; décadence au XXème siècle (…) la renaissance néo-libérale depuis 1950.169

Le modèle libéral se construit principalement en Europe et notamment en France, où il a la particularité d’être pratiqué de façon naturelle, car il n’a pas subi une quelconque influence comme nous le verrons avec d’autres modèles libéraux. Il a pendant longtemps été celui qui inspirait les différents pays. Le modèle libéral français va régner jusqu’à la première Guerre Mondiale, période au cours de laquelle la tendance va se renverser permettant aux Américains de bénéficier d’une certaine force économique. A partir de ce renversement, un affaiblissement du modèle libéral français put être observé et fit naître progressivement « le modèle néo-libéral américain ». Celui-ci tire ses origines dans la domination politique reconnue à l’Amérique et qui se généralise à son économie.

Après sa répartition en Europe, les Américains s’en sont inspirés avant de se démarquer par la suite en se construisant « un modèle dit de référence ». Le modèle libéral américain va se

168 Robert Estivals, Le livre dans le monde, introduction à la bibliologie internationale, op. cit, p.45.

développer plus librement, c’est-à-dire qu’il ne sera plus embrigadé dans un modèle dominant ou de référence, tel que le modèle libéral français duquel il s’est inspiré au début. Cette capacité et particularité de démarcation feront la force et la puissance du modèle néo-libéral américain. C’est à partir de son hégémonie politique que le modèle néo-libéral américain mettra en place une colonisation culturelle qui amènera les autres pays à l’imiter ou à le prendre pour modèle. Il deviendra un modèle de référence à cause de sa dialectique de la colonisation. En effet, les États-Unis ont connu le cycle complet de la colonisation et de la décolonisation. Cette démarche présente un impact majeur dans la vie du livre en Amérique. Une faible production est observée jusqu’à du XIXème siècle en Amérique cela au profit des productions anglaise et française, où l’impression croit considérablement. Ainsi le modèle néo-libéral américain a-t-il été pour l’Amérique un modèle permettant la lutte contre le livre importé. De même, le Japon va se construire son modèle libéral à partir de celui des Américains, notamment en matière éditoriale, cela traduit un autre éloignement du modèle libéral d’origine pratiqué en Europe :

Le modèle Japonais conserve donc de ses origines, des traits particuliers que ne possèdent pas les modèles libéraux européens. Par ailleurs, le modèle japonais apparaît comme l’exemple type d’un pays non européens..170

Le modèle libéral japonais va principalement se traduire par une industrialisation poussée. Pays sous-développé à l’origine, la croissance du Japon est due à sa vitesse de réaction face à l’influence occidentale. Ainsi,

Le livre au Japon [possède] donc les traits caractéristiques ancestraux de la tradition japonaise mais, ayant assimilé l’industrialisation, présentera aussi tous les aspects d’un modèle libéral.171

Nous pouvons constater que le capitalisme qui caractérise la société japonaise se retrouve également au cœur de la production éditoriale.

Les modèles dominants ou modèles de base nous permettent de comprendre que la vie livre diffère d’un siècle à un autre, mais sa compréhension, quel que soit le siècle, dépend principalement des survivances des modèles monarchique et libéral qui restent d’une manière implicite ou explicite assez expressifs dans la compréhension globale du livre dans le monde.

170 Robert Estivals, Le livre dans le monde, introduction à la bibliologie internationale, op. cit, p.25.