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Partie I. De l’imprimerie à la constitution d’une pratique éditoriale

I. 2.2.1. « L’indépendance éditoriale »

I.3. Champs d’ouverture du livre et de l’édition

I.3.3. Les grandes firmes et les groupes de concentration

Depuis quelques années, les groupes industriels exercent une certaine emprise sur l’édition, la diffusion et la distribution. Ils ont su se faire une place confortable dans ces domaines qui leur sont étrangers et complexes.

I.3.3.1. Les grands groupes et le secteur de l’édition

Le développement des secteurs éditoriaux au sein des grands groupes ou firmes est une stratégie leur permettant d’afficher un positionnement. C’est notamment le cas des groupes Havas198 et Matra199 pour qui,

Le livre est ce qui manque (…) pour en faire un groupe multimédia intégré (…). Pour Matra, le livre au même titre que bien d’autres produits, est ce qui fait défaut à ce groupe pour devenir un groupe de communication à part entière.200

Se doter d’un secteur éditorial pour les grands industriels obéit à une logique de diversification des activités et d’ouverture. Les grands groupes s’intéressent principalement à l’édition d’ouvrages spécialisés, tels que les éditions scientifique, technique, scolaire, universitaire etc. Le choix spécifique porté sur l’édition participe en grande partie à l’image de l’entreprise. Le recours à l’édition présente un intérêt souvent symbolique et/ou économique. En effet, l’édition fait partie des activités secondaires dans ces groupes, elle est alors sous-évaluée c’est-à-dire qu’elle est classée en priorité comme bien économique jugé sur sa rentabilité que comme objet culturel. Les coûts qui sont souvent élevés pour les petites maisons le sont moins pour les départements éditoriaux des grandes structures ; c’est notamment le cas du livre scolaire.

Les grands investisseurs disposent de plusieurs possibilités pour acquérir une structure éditoriale. Ils peuvent mettre en place une structure éditoriale en s’entourant des conditions liées à son implantation. Ils peuvent également racheter des parts auprès de structures éditoriales existantes et ayant déjà construit leur image. La seconde option est celle à laquelle

198Le groupe Havas est créé en France en 1835 par Charles-Louis Havas. Havas est un groupe mondial français de conseil en communication. Il met en relation des marques et des consommateurs via la créativité, l’expertise média et l’innovation. Havas est organisé en deux divisions : Havas Creative Group et Havas Media Group. [Consulté en ligne le 14 mars 2016]

199 Matra (acronyme de Mécanique Aviation Traction) est une entreprise fondée en 1937. Historiquement, elle couvre une large palette d'activités dans l'aéronautique, l'aérospatiale, l'automobile, le sport automobile, le transport, les télécommunications et la défense. Elle s'est progressivement orientée vers les métiers de la presse, des médias, du divertissement et du sport sous l'impulsion de Lagardère SCA, en particulier sous le nom de Matra-Hachette. [Consulté en ligne le 14 mars 2016]

200 Pierre Bourdieu, Edition, éditeurs, Actes de la recherche en sciences sociales, Paris, Seuil, N°130, décembre 1999, p.4.

ils aspirent souvent, car elle s’avère moins contraignante et présente plus d’avantages, tout en leur permettant un gain de temps, car

Le temps nécessaire et le risque encouru pour constituer soi-même un fonds éditorial rentable est trop long et trop coûteux.201

En effet, pour le cas où les groupes rachètent des parts au sein de structures existantes, ils entrent dans les capitaux et pouvoir de ces maisons ayant déjà une histoire, et s’étant déjà forgé une renommée. Les groupes concernés peuvent ainsi poursuivre l’œuvre de la maison sans le souci préalable de se faire connaître. Dans ce cas de figure, la prise de contrôle pour les industriels est souvent évidente. Les grandes firmes ont la capacité financière à gérer les grands tirages et à faire face à un taux d’échec élevé. Ils ont également l’avantage de présenter une politique de développement pouvant atteindre un grand nombre car ils ont les moyens de mettre en place des diffusions plus larges que celle des petites structures. Les firmes présentent aussi une meilleure gestion du maillon aval de la filière du livre.

De plus, la production du capital symbolique et du capital social sont des tâches ardues, car elles s’acquièrent avec le temps, or celui-ci n’est pas toujours acquis pour un industriel dont le but est d’engendrer rapidement des bénéfices. Les grands groupes disposent certes de moyens financiers nécessaires à la stratégie d’expansion, mais se heurtent à la logique culturelle qu’exige le livre en tant que bien culturel.

Les grands groupes peuvent profiter des situations comme les difficultés financières pour obtenir des pouvoirs de contrôle ou des pourcentages élevés auprès de structures éditoriales existantes.

Le fait pour les familles détentrice d’une maison d’édition de céder une partie (et souvent la plus grande) de leur activité à des groupes représente [aussi] une « transmission de patrimoine [qui] s’accompagne en réalité, et même si elle n’est pas monnayée à sa valeur, de la transmission du capital physique, du capital social et du capital symbolique.202

En effet, les familles ou éditeurs vendent plus que des pourcentages à leurs demandeurs. Mais ces cessions profitent aussi à leurs structures en ce qu’elles permettent parfois de pallier des situations de crises financières qui peuvent menacer la survie de la maison.

Hormis des cas où les grands industriels rachètent ou se dotent de maisons d’édition, il y a aussi des secteurs éditoriaux qui nécessitent de gros investissements financiers que les petits

201 Pierre Bourdieu, Edition, éditeurs, op. cit, p.5.

éditeurs auraient du mal à réaliser. Il s’agit des dictionnaires, des encyclopédies et d’une façon plus atténuée le livre scolaire également, qui nécessitent à la fois un long cycle de fabrication et des charges financières souvent lourdes. Evidemment, d’autres secteurs de l’édition comme la littérature, les sciences etc., intéressent les grands groupes, ainsi que les types de format, tout ceci pour vendre une image éditoriale polyvalente :

tant pour pallier l’absence de recettes pendant la période d’investissement, que pour couvrir les importantes dépenses de promotion et de publicité nécessaire pour imposer le produit dans la durée.203

S’agissant du livre scolaire, nous retrouvons également les éditeurs de structure moyenne. Cela semble s’expliquer par la minutie que réclament les livres scolaires, en effet, les éditeurs de petite ou de moyenne structure sont souvent plus propices à effectuer un travail rigoureux, car ils ont souvent une activité réduite. Le fait qu’ils soient des professionnels du livre et de l’édition les rend plus soucieux de l’essence de leur objet. La rentabilité reste pour eux un moyen de subsistance de l’activité et non le but.

Les grandes firmes investissant dans l’édition présentent l’avantage de préserver la pérennité des secteurs éditoriaux ayant une phase d’investissement longue et coûteuse, et donc le point mort et les bénéfices ne sont atteints que tardivement. De plus, à ces coûts déjà élevés s’ajoutent ceux de la modernisation et de la mise à jour permanentes des volumes, ce, dans l’optique de répondre à une logique de concurrence qui se manifeste de la manière suivante : L’amélioration des techniques d’impression et la surenchère sur l’appareil iconographique incitent à renouveler plus fréquemment les ouvrages ; l’internationalisation systématique des éditions, y compris en plusieurs langues, élargit les perspectives commerciales et tend à légitimer en retour des investissements plus ambitieux ; enfin cette concurrence élargie pousse les grands groupes d’édition à se protéger en élevant les barrières financières dans les catégories éditoriales. Il faut enfin y ajouter les investissements spécifiques requis pour implanter ces services documentaires sur des supports informatiques comme les ROM et demain les CD-V.204

De tels investissements sont plus adaptés aux grands groupes, car ils ont la capacité de supporter un endettement élevé ou ils disposent souvent de fonds propres assez importants. Comme dans l’industrie du cinéma où ce sont les grands studios qui se chargent de la

203 Bernard Guillou et Laurent Maruani, Les stratégies des grands groupes d’édition, « Analyse et perspectives », Hors-série n°1, Paris, Editions du Cercle de la librairie, 1991, p.22.

réalisation de productions lourdes (films à grands investissements), de même dans l’édition ce sont les grands groupes ayant un département en charge de l’édition qui s’investissent dans la production d’ouvrage à investissement lourds.

La relation entre les grands groupes et le secteur de l’édition ne concerne pas seulement les investissements jugés lourds sur le plan financier, ils favorisent aussi la mondialisation du secteur de l’édition à travers la commercialisation des livres.

I.3.3.2. Les groupes de concentration et la mondialisation dans l’édition

La dimension commerciale qui se trouve dans l’édition fait que cette entreprise n’échappe pas aux règles de la mondialisation et aux effets de la concentration.

La concentration date des années 1970. Gabriel Enkiri205 l’abordait déjà dans son ouvrage pour en signaler les dangers potentiels. Elle intervient dans les grands groupes, principalement sur l’internationalisation des marchés. Elle a des effets de configuration dans la production des services marchands qui sont son principal champ d’intervention.

La pratique de la concentration se manifeste surtout dans le processus de distribution, d’où sa manifestation dans l’édition. Elle se situe en amont des processus de production. La concentration s’est emparée du marché de la commercialisation et la distribution, quant à elle, détient un potentiel idéal qui intéresse fortement la logique de concentration. C’est ainsi que vient le rôle et le rapport de l’éditeur face à la concentration, celui-ci a pour but de fournir l’appareil logistique. Il existe une concentration dite horizontale, elle se fait par le rachat des maisons. Ce type de concentration présente la particularité de se développer dans tous les secteurs, de la diffusion à la vente en passant par la distribution. C’est le cas en France du groupe Hachette qui,

au travers de ses marques, Le Furet du Nord, Relay, Virgin, est de fait le deuxième libraire de France. Il est également le premier diffuseur et distributeur de livre.206

La concentration dans le domaine de l’édition et notamment au sein des grands groupes consiste aussi à diluer le secteur, c’est-à-dire à le fondre au sein des autres activités. Cela ne recueille pas toujours l’approbation des petits éditeurs travaillant avec les grands groupes. En effet, les petits éditeurs ou éditeurs de taille moyenne se trouvent souvent face à des difficultés qui les conduisent à s’allier à de grandes firmes. Mais dans certains cas,

205 Gabriel Enkiri, Hachette, la pieuvre : témoignage d’un militant CFDT, Paris, Edition Git-le-cœur, 1972.

[Ces] fusions et absorptions bouleversent les pratiques et éloignent les éditeurs des auteurs au risque de brader la qualité au profit du nombre.207

Un autre phénomène d’ouverture s’impose au monde éditorial, il s’agit de la mondialisation. Cette notion de système monde ou d’économie monde voit le jour depuis le XVIIème siècle. La mondialisation existe dans de nombreux domaines, la particularité du livre est qu’il est souvent traité comme une simple marchandise, ce qui peut altérer sa nature de bien intellectuel et de liberté d’expression.

Pour une multinationale, le livre doit obéir à la seule loi de rentabilité. Or, la logique de rentabilité influence la nature des livres publiés.208

De même, la mondialisation permet de relever certaines inégalités, certains pays sont placés au centre du système, d’autres au périphérique. Les particularités ou spécificités de chaque univers social et les productions culturelles de chacun sont à prendre en compte. Bien qu’elles doivent s’encastrer dans des systèmes de relation internationaux et homogènes, elles possèdent néanmoins leurs règles propres. Et le marché du livre est de nos jours, un des vecteurs majeurs dans les échanges cultuels internationaux. Mais le constat reste que les livres circulent surtout du centre vers le périphérique

A divers niveaux, le livre et l’édition sont soumis aux lois de la mondialisation, ce notamment dans le commerce du livre. En effet, le commerce du livre est avant tout une affaire de territoire, ce qui met en évidence les modes de circulation comprenant les aires linguistiques et géographique de distribution.

Le terme de mondialisation ou celui de globalisation, importé de l’anglais, est à l’instar du concept de développement qu’il est venu remplacer, fréquemment employé par ses promoteurs comme par ses adversaires, pour désigner un phénomène ou un processus homogène, linéaire, touchant tous les secteurs, entraînant l’hybridation des cultures pour les uns, la standardisation pour les autres.209

La concentration et la mondialisation transforment l’objet culturel livre en une marchandise par le biais des stratégies de marketing mises en place. Les décisions d’éditer sont ainsi influencés par les critères de rentabilité. Hormis l’influence éditoriale, il y a également celle des capitaux d’investissement. Cette recherche effrénée de la rentabilité se pratique surtout de nos jours.

207 Bernard Guillou et Laurent Maruani, Les stratégies des grands groupes d’édition, op. cit, p.62.

208L’édition sous influence, Paris, Edition Liris, 2002, op. cit, p.23.

209 Gisèle Sapiro, Les contradictions de la globalisation éditoriale, Paris, Nouveau monde éditions, 2009, p.7.

Jusque dans la décennie 1970-1980, notamment dans le cas de la France, l’édition reposait essentiellement sur des maisons familiales et donc privilégiait la qualité.

La recherche de la qualité était une variable centrale de l’activité de l’éditeur, elle contribuait à sa réputation et, à long terme, au développement de ses ventes.210

La recherche ou la découverte de talents faisait partie des préoccupations principales d’un éditeur ; nous relevons néanmoins à cette période, des éditeurs qui avaient déjà un objectif de rentabilité.

L’édition est un champ qui permet l’exploration de d’autres voies, car elle se compose de plusieurs structures, comme le domaine commercial qui n’est pas négligeable. En effet, la chaîne du livre nécessite des professionnels, notamment dans la diffusion et la distribution ; ce sont eux qui assurent l’organisation de la commercialisation. Réaliser un travail sur l’édition implique d’emblée de les impliquer, ce sont des maillons indispensables dans la chaîne du livre. Le livre et l’édition sont certes des industries culturelles, toutefois, la portée commerciale ainsi que tous les éléments qui l’entourent sont aussi importants. De plus, l’édition peut également faire l’objet d’une rentabilité importante, c’est pour cela que nous retrouvons des départements d’édition au sein de certains grands groupes.

Toutefois, comment se fait la mise en place d’une maison d’édition ?