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Le régime d’exception : les résolutions du Conseil de sécurité sécurité

LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX

III. Le gel d’avoirs dans le contexte particulier de la lutte contre le financement du terrorisme lutte contre le financement du terrorisme

3. Le régime d’exception : les résolutions du Conseil de sécurité sécurité

Outre le régime ordinaire (CRFT, Convention no 198), un régime d’exception a été mis en place au niveau international pour priver les terroristes et les organisations terroristes de leurs moyens financiers. La base juridique de ce régime n’est pas le droit international conventionnel, mais les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.

Les mesures adoptées par le Conseil de sécurité en application du chapitre VII de la Charte de l’ONU ont un caractère contraignant : tous les membres des Nations Unies sont obligés de soutenir ces sanctions en vertu des articles 25 et 48 de la Charte349. En ce qui concerne l’objectif de ces mesures, il faut retenir que « [l]es sanctions ont pour objectif de modifier le comportement d'une partie qui menace la paix et la sécurité internationales et non de punir ou d'infliger un châtiment quelconque»350. Il s’agit de mesures de nature temporaire, qui ne peuvent pas durer indéfiniment, en particulier lorsque la paix et la sécurité internationale ne sont plus menacées351. L’action du Conseil de sécurité n’est pas sans limites ; elle doit respecter le principe de la légalité et de la proportionnalité352. Les Etats membres sont tenus de coopérer avec l’ONU et les uns avec les autres dans l’exécution des mesures décidées par le Conseil de

347 COMITÉ EUROPÉEN POUR LES PROBLÈMES CRIMINELS (2002), Rapport d’activité final concernant l’opportunité de l’élaboration d’un protocole additionnel à la Convention n° 141, Doc. CDPC(2002)5.

348 Voir p. 38 ss et 69 ss de la présente étude.

349 L’article 25 de la Charte impose aux membres de l’ONU l’obligation d’appliquer les décisions du Conseil de Sécurité. Selon l’article 48 de la Charte, les mesures nécessaires à l’exécution des décisions du Conseil de sécurité pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales sont prises par tous les membres des Nations Unies ou certains d’entre eux, selon l’appréciation du Conseil.

350 Résolution du 26 septembre 1997 de l’Assemblée générale des Nations Unies, A/51/242, Annexe II, par. 5.

351 THONY /PNG (2007), p. 155.

352 BIANCHI (2006), p. 885 ; cf. aussi SCHWEIGMAN (2001).

Sécurité353. Les pouvoirs du Conseil de sécurité sont d’un caractère coercitif non seulement vis-à-vis de l’Etat ou de l’organe coupable, mais aussi vis-à-vis des autres Etats membres de l’ONU354.

Les résolutions du Conseil de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme déterminent les principes directeurs de la lutte au niveau mondial, concernant la protection d’individus ou d’Etats, le dépistage de réseaux terroristes et la prévention du financement du terrorisme355. Les résolutions en question démontrent une tendance en faveur des sanctions ciblées (« smart sanctions »). Contrairement aux sanctions générales, qui frappent indistinctement les Etats et la population civile, les sanctions ciblées se concentrent sur les individus ou les groupes de personnes constituant une menace véritable pour la sécurité internationale. A cette catégorie de mesures appartiennent le blocage d'avoirs et l'embargo sur des biens spécifiques (armes, ressources naturelles, comme les diamants, le pétrole etc.). Le blocage d’avoirs en tant que sanction ciblée internationale est une question qui présente un intérêt particulier pour notre thème d’étude. Il s’agit d’une forme de gel, dont la base juridique est le droit international, en particulier les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU356.

Les résolutions du Conseil de sécurité imposant des sanctions financières, en particulier le gel d’avoirs, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme créent un régime assez compliqué357. Dans la table qui suit nous présentons les éléments principaux de ce régime.

353 GILMORE (2005), p. 131.

354 Cf. CHAMBRE DAPPEL DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LEX-YOUGOSLAVIE, Arrêt du 2 octobre 1995 relatif à l'appel de la défense concernant l'exception préjudicielle d'incompétence, Affaire Dusko Tadic (IT-94-1), ILM 1996 p. 32, par. 31.

355 MOREILLON / DE COURTEN (2003), p. 118.

356 La Suisse a soutenu l’idée des sanctions financières ciblées, en participant activement au processus d’Interlaken. Dans le cadre de ce processus et à l’initiative du gouvernement suisse, des experts internationaux se sont réunis à Interlaken en 1998 et 1999 ; pour les résultats de leur travail sur les sanctions financières ciblées, voir: http://www.eda.admin.ch/etc/medialib/downloads/edazen/ topics/

fmec/sanct.Par.0001.File.tmp/Handbuch %20zu%20gezielten%20Finanzsanktionen.en.pdf

357 Cf. Directives régissant la conduite des travaux du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 1267 (1999), adoptées le 7 novembre 2002, modifiées les 10 avril 2003, 21 décembre 2005, 29 novembre 2006, 12 février 2007 et 9 décembre 2008.

Le gel dans les résolutions du Conseil de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme

Résolution Champ d’application

Résolution 1267 (1999) du 15.10.1999

Gel des fonds et autres ressources financières des Talibans ; établissement du Comité 1267

Résolution 1333 (2000) du 19.12.2000

Gel des fonds et autres avoirs financiers d’Oussama ben Laden et de l’organisation terroriste Al-Qaïda.

Résolution 1363 (2001) du 30.07.2001

Mise en place d’un mécanisme de suivi de la mise en œuvre des mesures énoncées dans les deux premières résolutions.

Résolution 1373

(2001) du 28.09.2001 Gel des avoirs financiers des terroristes en général ; établissement du Comité contre le terrorisme Résolution 1390

(2002) du 16.01.2002 Consolidation des mesures de gel des fonds contenues dans les deux premières résolutions.

Résolution 1452

(2002) du 20.12.2002 Possibilité d’autoriser des dérogations aux mesures de gel Résolution 1455

(2003) du 17.01.2003

Rapports des Etats sur la mise en œuvre des mesures ; application des mesures de gel de fonds des résolutions 1267 (1999), 1333 (2000) et 1390 (2002)

Indices qu’une personne, un groupe, une entreprise ou une entité est « associé » à Al-Qaida, à Oussama ben Laden ou aux Talibans ;

suivi de la mise en œuvre des sanctions (checklist) Résolution 1699

(2006) du 08.08.2006 Coopération avec Interpol Résolution 1730

(2006) du 19.12.2006 Procédure de radiation de la liste récapitulative Résolution

1735 (2006) du 22.12.2006

Modification de la résolution 1452 (2002) concernant les dérogations aux mesures de gel des avoirs

Résolution 1822 (2008) du 30.06.2008

Détails de la mise en œuvre du gel ; révisions de la liste récapitulative.

Résolution 1904

(2009) du 17.12.2009 Procédure de radiation ; nomination d’un médiateur

Il y a un élément intéressant qui caractérise tous ces instruments.

L’obligation de saisir les avoirs des personnes et organisations figurant sur des listes publiées sous l’autorité du Conseil de sécurité est une obligation indépendante de la condamnation358, les sanctions ayant une fin préventive.

Ainsi, les personnes et entités visées vont subir les effets des résolutions, même si elles ne sont pas poursuivies ou condamnées pour des activités terroristes. Il n’est pas nécessaire que l’affaire concernée soit évaluée pour étayer une accusation pénale au niveau national. La législation nationale peut imposer automatiquement le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité dès son inscription sur la liste récapitulative et la publication d’une simple disposition réglementaire par les autorités nationales359.

Les mesures de gel en vertu des résolutions du Conseil rendent les avoirs temporairement indisponibles et intransférables, et ne mènent pas au transfert à l’Etat de la propriété des avoirs. Toutefois, les résolutions ne fixent pas de délai pour le gel, ce qui altère à un certain degré la nature temporaire de la mesure.360

Pour la mise en œuvre efficace des mesures de gel, les Etats doivent adopter une interprétation large des « avoirs financiers » qui sont soumis au gel en vertu des résolutions du Conseil de sécurité contre le terrorisme. En outre, l’obligation de geler les avoirs terroristes doit incomber à tous, personnes physiques ou morales, intermédiaires financiers ou non.

La mesure de gel vise les personnes, groupes, entreprises ou entités inscrits sur la liste récapitulative du Comité 1267, qui à l’heure actuelle (avril 2011) compte 486 noms361. Concernant l’inscription sur la liste récapitulative, les Etats membres sont encouragés à instituer une procédure au niveau national pour désigner des personnes et évaluer les propositions devant être soumises au Comité 1267362. Les Etats membres communiquent des noms au Comité, aux fins d’inscription sur la liste récapitulative, en vertu du paragraphe 6 de la résolution 1822 (2008). La demande d’inscription doit être motivée363 et comprendre des constatations précises et des éléments de preuve de tout type (informations émanant des services de renseignement, des autorités policières, judiciaires ou des médias, déclarations faites par l’individu concerné, etc.).

358 Manuel précité (note 328), p. 64.

359 Comité du Conseil de sécurité mis en place conformément à la résolution 1267, Expérience pratique des Etats Membres dans le domaine de l’application des mesures de sanction à l’encontre d’Al-Qaida et des Taliban, 28 juin 2007.

360 Rapport du Président du Comité contre le terrorisme sur les problèmes rencontrés dans l’application de la résolution 1373 (2001) du Conseil de sécurité, 26 janvier 2004, S/2004/70, p. 4.

361 Ces 486 noms sont répartis dans quatre sections : personnes associées aux Talibans (137 personnes), entités, groupes et entreprises associés aux Talibans (aucune entité), personnes associées à Al-Qaida (257 personnes), entités, groupes et entreprises associés à Al-Qaida (92 entités). Pour plus d’informations sur cette liste voir : http://www.un.org/french/sc/committees/1267/consolist.shtml

362 Directives (note 357), section 6.

363 Cf. paragraphe 4 de la résolution 1617 (2005), paragraphe 5 de la résolution 1735 (2006) et paragraphe 12 de la résolution 1822 (2008)

Selon le paragraphe 12 de la résolution 1822 (2008), les Etats précisent les éléments qui pourraient être divulgués « notamment pour que le Comité puisse élaborer le résumé décrit au paragraphe 13 […] ou pour aviser ou informer la personne ou l’entité dont le nom est porté sur la Liste, et les éléments qui pourraient être communiqués aux Etats Membres intéressés sur demande ». Le paragraphe 17 de la résolution 1822 (2008) établit une procédure pour aviser ou informer en temps voulu la personne inscrite sur la liste des mesures prises à son encontre et lui communiquer les informations sur les motifs de l’inscription.

La procédure de radiation (« delisting ») d’un nom de la liste est une nouveauté bienvenue introduite par la résolution 1730 (2006)364. La personne concernée présente une demande de radiation par l'intermédiaire d’un point focal au sein de l’ONU (Service du secrétariat des organes subsidiaires du Conseil de sécurité)365 ou par l'intermédiaire de son Etat de résidence ou de nationalité. La résolution 1904 (2009) renforce les garanties de procédure en ce qui concerne la radiation : un médiateur (ombudsman) impartial et indépendant est nominé, qui a pour mission de recevoir les plaintes d’individus affectés par les sanctions antiterroristes366. Le médiateur étudie les demandes de radiation et fait rapport au Comité des sanctions. La radiation est possible si l’individu ou l’entité ne remplit plus les critères découlant des résolutions pertinentes ou si l’inscription sur la liste a eu lieu par suite d’une erreur d’identité, conformément au paragraphe 14 de la résolution 1735 (2006).

Les noms d’individus décédés sont aussi radiés de la liste367. Le nombre des demandes déposées et traitées étant assez limité, la procédure de radiation ne peut pas être considérée comme un grand succès368.

En vertu du paragraphe 2 de la résolution 1452 (2002) et du paragraphe 6 de la résolution 1822 (2008), les Etats peuvent autoriser le versement sur les comptes gelés des paiements destinés aux personnes, groupes, entreprises ou entités inscrits sur la liste récapitulative ; il s’agit des intérêts ou autres sommes dues au titre de ces comptes, des versements dus au titre de contrats, accords ou obligations antérieurs à la date de l’inscription sur la liste récapitulative, et de tout autre paiement, à condition que lesdits intérêts, sommes et versements soient toujours assujettis au gel des avoirs.

Des dérogations aux mesures de gel des avoirs sont prévues par la résolution 1452 (2002), tel qu’amendée par le paragraphe 15 de la résolution 1735 (2006). Les Etats peuvent ainsi autoriser l’accès à des fonds, autres actifs

364 Sur l’importance de tels mécanismes de contrôle, voir : FITZGERALD (2007), p. 40

365 Annexe de la résolution 1730 (2006) ; Directives (note 357), section 7, let. g.

366 En juin 2010, le Secrétaire général a nommé la juge Kimberley Prost (Canada) comme médiatrice. Après cette désignation, le mécanisme du point focal créé par la résolution 1730 (2006) ne recevra plus de demandes de radiation de la liste récapitulative.

367 Cf. note verbale SCA/2/06(8) du 25 avril 2006.

368 En avril 2011, les statistiques relatives au dispositif du point focal et à la liste récapitulative du Comité 1267 étaient les suivantes : 25 demandes de radiation reçues, 25 demandes traitées, 3 individus et 17 entités radiés de la liste ; les statistiques sont disponibles sur : http://www.un.org/french/sc/committees/dfp.shtml

financiers ou ressources économiques gelés pour couvrir des dépenses de base, comme le prévoit le paragraphe 1 let. a de la résolution 1452 (2002).

Parmi ces dépenses de base, nous pouvons mentionner celles consacrées à des vivres, des loyers ou des remboursements de prêts hypothécaires, des médicaments et des frais médicaux, des impôts, des primes d’assurance et des services collectifs, des honoraires professionnels raisonnables et des dépenses correspondant à des services juridiques, des charges ou frais correspondant à la garde ou à la gestion des ressources économiques gelées369. Le Comité 1267 est notifié et décide en trois jours ouvrables si la dérogation est justifiée.

La résolution 1373 (2001) du 28 septembre 2001 sur la menace à la paix et à la sécurité internationales résultant d’actes de terrorisme constitue la réponse du Conseil de sécurité aux attentats terroristes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis. Cet instrument a une portée plus générale que les autres résolutions du Conseil de sécurité ; il déclare que tout acte de terrorisme constitue une menace récurrente à la paix et à la sécurité internationales au sens du chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

L’importance de la résolution 1373 (2001) réside dans son caractère quasiment législatif370 : elle crée des obligations pour l’ensemble des Etats membres de l’ONU ; son champ d’application est large et les sanctions ne sont pas prises seulement à l’encontre d’une liste de personnes et d’organisations.

Contrairement à la résolution 1267 (1999), la résolution 1373 (2001) impose le gel des avoirs financiers des terroristes en général et ne se limite pas à Oussama ben Laden, les Talibans et l’Al-Qaïda ou à une autre liste spéciale371. Les Etats membres de l’ONU doivent prendre les mesures nécessaires permettant de geler les fonds et avoirs de personnes et entités liées au terrorisme, en interdisant en même temps la mise à disposition par toute personne ou entité de fonds au bénéfice de personnes et entités liées au terrorisme. L’expression «actes de terrorisme» n’est pourtant pas définie.

A un degré important, les dispositions de la résolution 1373 (2001) correspondent aux dispositions de la CRFT ; elles renforcent, toutefois, le dispositif existant à plusieurs égards. Tel est le cas de l’obligation autonome créée par le par. 1 let. d de la résolution (interdiction de mettre à disposition des fonds)372. En outre, la résolution 1373 (2001) impose à tous les Etats l’obligation d’adopter des mesures qui érigeront en infraction le financement du terrorisme, sans passer par la voie de l’élaboration d’une convention et en évitant ainsi les délais et obstacles au niveau de la ratification. La résolution

369 Directives (note 357), section 10.

370 La résolution 1377 (2001) du 12 novembre 2001 demande aux Etats d’appliquer pleinement la résolution 1373 (2001).

371 THONY / PNG (2007), p. 154.

372 GILMORE (2005), p. 131.

1373 (2001) établit, enfin, le Comité contre le terrorisme (CCT)373. Le CCT n’a pas la compétence d’établir une liste de personnes et entités liées au terrorisme dont les avoirs doivent être gelés. Cette compétence a été laissée à la discrétion des Etats.

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