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L’évolution du principe de reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire pénale matière de coopération judiciaire pénale

I. La coopération judiciaire pénale dans le cadre de l’UE l’UE

2. L’évolution du principe de reconnaissance mutuelle en matière de coopération judiciaire pénale matière de coopération judiciaire pénale

La méthode de la reconnaissance mutuelle s’est affirmée progressivement comme « clé de voûte » de l’ELSJ, alors que les efforts pour le rapprochement substantiel semblent être moins intenses495. La notion de reconnaissance mutuelle n’est ni une nouveauté ni une originalité du troisième pilier ; la notion a d’abord été développée par la CJCE, en particulier sa jurisprudence en matière de libre circulation des marchandises (arrêt Cassis de Dijon496). La reconnaissance mutuelle est une forme d’extraterritorialité, car l’autorité d’un Etat s’exerce ainsi sur le territoire d’un Etat étranger ; cependant, il s’agit d’une forme d’extraterritorialité sur une base réciproque, négociée et institutionnalisée497. La reconnaissance mutuelle constitue une condition

492 Voir p. 179 ss de la présente étude.

493 cf. Protocole (n° 36) au Traité de Lisbonne sur les dispositions transitoires (Titre VII Dispositions transitoires relatives aux actes adoptés sur la base des titres V et VI du Traité sur l'Union européenne avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne).

494 Si le Royaume-Uni recourt à cette faculté, toutes les mesures concernant la coopération policière et la coopération judiciaire en matière pénale cessent de lui être applicables ; cf. Protocole précité (note 493), article 10 par. 4 ; HAENEL H.(2007), p. 6.

495 MANACORDA (2006), p. 881 ss.

496 CJCE, arrêt Cassis de Dijon du 20 février 1979, affaire 120/78, Rec. 1979, p. 649. Dans un contexte commercial, le principe oblige les Etats membres de l'UE de reconnaître mutuellement leurs réglementations, ainsi que les produits légalement commercialisés dans l'un des Etats membres puissent être commercialisés dans tous les autres Etats membres. Voir aussi FICHERA /JANSSENS (2007), p. 179.

497 NIKOLAIDIS / SHAFFER (2005), p. 277.

implicite pour le bon fonctionnement de tout système économique ou politique intégré et pluraliste498. L’UE étant un tel système, le principe de la reconnaissance mutuelle peut être utile à plusieurs domaines, dont la lutte contre la criminalité. Dans le cadre de l’ELSJ, il implique l’assimilation aux décisions judiciaires nationales de toutes les décisions rendues dans les autres Etats membres, ce qui est radicalement différent du mécanisme classique appliqué en matière d’entraide judiciaire499. Une telle libre circulation des décisions pénales va logiquement de pair avec la disponibilité de l’information en matière répressive, qui assure la libre circulation des informations.

Il faut ici distinguer entre l'application directe (la décision a un effet plein et direct dans toute l'UE) et celle indirecte (la décision étrangère doit être convertie en une décision nationale). L’UE opte pour le modèle de l’application directe des décisions500. Une telle application du principe de la reconnaissance mutuelle correspond vraiment à une « forme particulièrement avancée d’intégration politique »501.

L’idée d’une reconnaissance mutuelle des jugements en matière pénale a vu le jour au Conseil européen de Cardiff les 15 et 16 juin 1998502 et a été admise pleinement par le Conseil européen de Tampere les 16 et 17 octobre 1999. Dans les conclusions de ce Conseil européen, les Etats membres de l’UE ont souligné l’importance de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, en la caractérisant comme la « pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière tant civile que pénale au sein de l’Union »503.

La reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale a le soutien de la Commission européenne504. Quant à la jurisprudence de la CJCE, nous pouvons mentionner l’arrêt rendu en la matière dans les affaires Gözütok et Brüggem (2003), où la Cour a souligné l’importance de la « confiance mutuelle des Etats Membres dans leurs systèmes judiciaires respectifs » et a reconnu que chaque Etat membre doit accepter l’application du droit pénal en vigueur dans les autres Etats membres, « quand bien même la mise en œuvre de son propre droit

498 NIKOLAIDIS / SHAFFER (2005), p. 317.

499 BARBE (2005), p. 107.

500 Cf. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement sur la reconnaissance mutuelle des décisions finales en matière pénale, COM (2000) 495 du 26.7.2000

501 LARAT (2009), p. 10. La question se pose aussi de savoir si la reconnaissance mutuelle doit être limitée aux infractions graves ; si l'exigence de la double incrimination doit être maintenue comme condition de reconnaissance ; si des mécanismes de protection des droits des tiers et des victimes doivent être établis ; si les motifs de refus de la reconnaissance doivent être limités ou élargis, etc.

502 Conclusion n° 39 de la Présidence.

503 Les conclusions du Conseil européen de Tampere ont constitué la base pour l’adoption par le Conseil du programme de reconnaissance mutuelle en matière pénale (JO C 12 du 15.1.2001, p. 10), visant l’ensemble des décisions susceptibles d’être prises dans le cadre de la procédure pénale, aussi bien les décisions finales, que les décisions préalables au jugement.

504 Cf. Communication de la Commission (note 500) ; Cf. aussi Livre Vert de la Commission sur le rapprochement, la reconnaissance mutuelle et l’exécution des sanctions pénales dans l’Union européenne, COM (2004) 334 final du 30.04.2004.

national conduirait à des solutions différentes »505. Une attitude généralement positive à l’égard de la reconnaissance mutuelle peut aussi être mise en évidence dans la jurisprudence des cours constitutionnelles des Etats membres506. La mise en œuvre du principe de reconnaissance mutuelle en matière pénale a fait partie des objectifs du programme de La Haye (2005-2009) et du programme de Stockholm (2010-2014)507. Nous constatons donc une prolifération de programmes et de plans d’action, mais il reste à examiner s’il y a un progrès concret vers la réalisation des objectifs énoncés.

Acceptant que le principe de reconnaissance mutuelle doit s'appliquer à tous les stades de la procédure pénale, l’UE a élaboré des instruments spécifiques concernant la procédure pénale, depuis la phase préparatoire et jusqu’au procès et la phase d'exécution des peines et des mesures508. La reconnaissance mutuelle de décisions finales semble être plus facile, car ces décisions s’entourent de plus de garanties procédurales ; selon d’autres arguments, il est plus facile de reconnaître les décisions de la phase préparatoire, dès lors que leur portée et leurs conséquences sont limitées509. L’UE semble utiliser les mêmes standards, en particulier les mêmes motifs de refus, pour les deux catégories de décisions.

La décision cadre 2002/582/JAI relative au mandat d’arrêt européen510 a concrétisé et mis en application le principe de reconnaissance mutuelle dans la phase préalable au procès511. Elle vise à la simplification des procédures d’extradition traditionnelles, en instaurant une simple procédure judiciaire de remise pour quasiment tous les types de criminalité512. La décision cadre 2002/582/JAI est une initiative réussie513 et a été suivie par d’autres qui consacrant le principe de la reconnaissance mutuelle (p.ex. la décision cadre

505 CJCE, arrêts Gözütok et Brügge du 11 février 2003, affaires C-187/01 et C-385/01, Rec. 2003, p. I-1345, consid. 33 ; FICHERA /JANSSENS (2007), p. 192 ss.

506 VERNIMMEN-VAN TIGGELEN /SURANO (2008), p. 15 et les arrêts cités.

507 CONSEIL DE L’UNION EUROPÉENE (2004), Le Programme de la Haye: renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l'Union européenne, Annexe I aux Conclusions de la Présidence du Conseil Justice et affaires intérieures, Bruxelles, 4 et 5 novembre 2004 ; rapport précité (note 19), p. 24 ss ; CONSEIL DE L'UNION

EUROPÉENNE (2009), Le programme de Stockholm : une Europe ouverte et sûre au service des citoyens, Annexe III aux Conclusions du Conseil, DOC/09/6, 11.12.2009, par. 3.1.

508 JÉGOUZO (2006), p. 99.

509 Vernimmen-Van Tiggelen / Surano (2008), p. 10.

510 Décision cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre Etats membres, JO L 190 du 18.7.2002, p. 1 ss. Sur la jurisprudence de la CJCE et des cours nationales, voir : BOT, in BRAUM /WEYEMBERGH (2009),p. 67 ss.

511 BARBE (2005), p. 112 ; BANTEKAS (2007), p. 376.

512 VENTRELLA (2008), p. 227 ; contrairement à l’extradition traditionnelle, la demande est traitée par les autorités judiciaires et pas par des autorités administratives (article 6). La décision cadre relative au mandat d’arrêt européen a limité l’importance de l’exception de la nationalité et a aboli le principe de la double incrimination, motif de refus classique dans le domaine de l’extradition (article 2). Cela a initié un débat sur la compatibilité de l’abolition de l’exigence de double incrimination avec les règles constitutionnelles de certains Etats membres de l’UE ; VERNIMMEN-VAN TIGGELEN /SURANO (2008), p. 9 ; cf. notamment l’arrêt de la Cour Constitutionnelle de la République Tchèque, n° Pl. Us. 66/04 du 03.05.2006.

513 EUROPEAN COMMISSION (2009), An extended report on the evaluation of the Hague Programme, SEC (2009) 766 final, 10.06.2009, p. 88 ss ; rapport précité (note 19), p. 48.

relative à l’application du principe de la reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires514, etc.).

En ce qui concerne notre thème d’étude, l’UE a adopté des instruments visant à assurer la reconnaissance mutuelle des mesures provisoires et des décisions de confiscation (p. ex. les décisions cadres 2003/577/JAI, la décision cadre 2006/783/JAI et, plus récemment la décision cadre 2008/978/JAI)515. La question se pose de savoir si, en général, ces initiatives pourraient aboutir à l’adoption d’un instrument unique de reconnaissance mutuelle. La proposition est intéressante, dès lors qu’elle réoriente la philosophie de la coopération judiciaire en matière pénale : le système actuel d'entraide dans son ensemble pourrait être remplacé par un système fondé sur la reconnaissance mutuelle.

Le Traité de Lisbonne, en particulier l’article 82 TFUE, a consacré le principe de la reconnaissance mutuelle, qui devient ainsi un objectif de la coopération judicaire pénale consacré par le droit primaire de l’UE. La communautarisation du troisième pilier permettra de mettre en œuvre le principe de la reconnaissance mutuelle par le biais des instruments plus contraignants et dotés d’effet direct ; le renforcement du rôle de la Commission, en particulier la possibilité d’engager une action en manquement, assurera une mise en œuvre plus efficace des instruments qui consacrent le principe de la reconnaissance mutuelle. En effet, les systèmes fondés sur la reconnaissance mutuelle nécessitent la mise en place de mécanismes de suivi, évaluation ou contrôle, au niveau supranational516 ; une telle fonction peut être assurée par la Commission et la CJCE.

A notre avis, le développement du principe de la reconnaissance mutuelle risque d’être problématique, à moins qu’il se fasse dans le respect des droits fondamentaux et des garanties procédurales dans le pays requis517. En reconnaissant la décision étrangère, l’Etat d’exécution ne doit pas apporter son soutien à une violation des droits fondamentaux, commise dans l’Etat d’émission.

Il y a, cependant, un risque : le principe de reconnaissance mutuelle peut être remis en cause par des dispositions qui subordonnent l’exécution de la décision judiciaire à la vérification préalable de sa conformité aux droits fondamentaux. Des dispositions qui exigent ou permettent cette vérification risquent de réintroduire le contrôle du juge de l’Etat d’exécution sur la

514 JO L 76 du 22.03.2005, p. 16.

515 Pour une analyse de ces trois instruments, voir p. 140 ss, p. 148 ss et p. 153 ss de la présente étude.

516 NIKOLAIDIS /SHAFFER (2005), p. 277

517 DE BIOLLEY, in BRAUM /WEYEMBERGH (2009),p. 319 ; NILSSON (2005), in toto. FICHERA /JANSSENS (2007), p. 185.

Des préoccupations de ce type se trouvent à l’origine d’initiatives comme la proposition de décision cadre de la Commission relative aux garanties procédurales accordées aux personnes mises en cause dans les procédures pénales ; COM (2005) 696 final du 23 décembre 2005. Cette proposition, qui a fait l’objet de plusieurs critiques, en particulier en ce qui concernait sa base juridique, n’a pas abouti ; MITSILEGAS (2006), p. 1304 ss.

décision rendue dans l’Etat membre d’émission, ce qui annulerait en pratique le processus de reconnaissance mutuelle qui pourrait être développé518. Les précautions prises par les Etats membres de l’UE en matière de droits fondamentaux, en tant que mesures compensatoires de la reconnaissance mutuelle, démontrent un certain manque de confiance mutuelle519. Il faut pourtant retenir que les cas de refus de la reconnaissance sur la base des droits fondamentaux sont extrêmement limités, puisque les autorités judiciaires ne font qu’un usage marginal de la possibilité de contrôler le respect de ces droits520.

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