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II. Les travaux de l’UE sur la question particulière de la confiscation internationale la confiscation internationale

6. La décision cadre 2003/577/JAI

A l’initiative de la France, de la Suède et de la Belgique615, l’UE a adopté la décision cadre 2003/577/JAI du 22 juillet 2003 relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de gel de biens ou d'éléments de preuve616. L’UE a, une fois de plus, opté pour la forme juridique de la décision cadre. La décision cadre 2003/577/JAI facilite la coopération judiciaire internationale dans la phase qui précède le jugement, en appliquant le principe de la reconnaissance mutuelle au gel d'éléments de preuve et de biens.

La décision cadre 2003/577/JAI diffère des textes précédents en ce qu'elle s'occupe exclusivement du gel. Néanmoins, deux problèmes se posent. D’une part, la décision cadre 2003/577/JAI ne traite que partiellement de la coopération judiciaire en matière pénale concernant les preuves, alors que le transfert ultérieur des éléments de preuve demeure régi par les procédures d’entraide judiciaire ; le nouvel instrument créant le mandat européen d’obtention de preuves vise à remédier à cette faiblesse de la décision cadre 2003/577/JAI617. D’autre part, la reconnaissance mutuelle et l'exécution directe des décisions de confiscation ne sont pas couvertes par la décision cadre 2003/577/JAI ; ces questions ont fait l’objet de débats au sein de l’UE618

612 Il s’agit des demandes rejetées sur la base de l'article 2, point b CEEJ, de l'article 22, par. 2, point b du traité Benelux, de l'article 51 CAAS, de l'article 5 de la CEEJ, de l'article 1er par. 5 et de l'article 2, par. 4 du Protocole UEEJ.

613 Rapport explicatif (note 586), p. 8.

614 Rapport explicatif (note 586), p. 8.

615 JO C 75 du 7.3.2001, p. 3.

616 JO L 196 du 2.8.2003, p. 45. La base juridique pour l’adoption de cet instrument était l’article 31 let. a TUE et l’article 34 par. 2 let. b TUE.

617 Décision cadre 2008/978/JAI du Conseil, du 18 décembre 2008, relative au mandat européen d’obtention de preuves visant à recueillir des objets, des documents et des données en vue de leur utilisation dans le cadre de procédures pénales, JO L 350/72 du 30.12.2008. Voir p. 153 ss de la présente étude.

618 Voir, par exemple, l’initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de confiscation ; voir aussi le rapport élaboré dans le cadre de la procédure de consultation ;COMMISSION DES LIBERTÉS ET DES DROITS DES CITOYENS, DE LA JUSTICE

et ont abouti à l’adoption d’un instrument spécifique en 2006619. La décision cadre 2003/577/JAI s'occupe donc exclusivement du gel, « tout en élargissant les raisons d'y recourir, non seulement confiscatoires, mais également probatoires »620.

L’article 2 de la décision cadre 2003/577/JAI décrit les parties impliquées dans une procédure de ce type : d’une part, les autorités judiciaires de l’« Etat d'émission » (Etat requérant) prennent d'une façon quelconque une décision de gel dans le cadre d'une procédure pénale ; d’autre part, les autorités de l’« Etat d'exécution » (Etat requis), sur le territoire duquel le bien ou l'élément de preuve se trouve, doivent exécuter cette décision de gel621. En ce qui concerne la définition de l’expression « décision de gel », la décision cadre se réfère à toute mesure empêchant provisoirement « toute opération de destruction, de transformation, de déplacement, de transfert ou d'aliénation relative à un bien susceptible de faire l'objet d'une confiscation ou à un élément de preuve ». La décision cadre 2003/577/JAI a donc repris, dans ses grandes lignes, la définition employée dans les instruments de l’ONU622.

Tout bien (corporel ou incorporel, meuble ou immeuble ainsi que les actes juridiques ou documents attestant d'un titre ou d'un droit sur ce bien) peut être gelé dans le cadre de la coopération internationale, si ce bien constitue l’objet, l’instrument ou le produit d'une infraction visée à l'article 3 par. 2623. Par ailleurs, tout bien (objet, document ou donnée) peut être gelé s’il constitue un élément de preuve, c'est-à-dire s’il est susceptible de servir de pièce à conviction dans le cadre d'une procédure pénale relative à l'une des infractions visées.

La disposition la plus importante de la décision cadre 2003/577/JAI est l’article 5, qui traite de la reconnaissance et de l’exécution immédiate des décisions de gel. Selon cette disposition, les Etats membres reconnaissent mutuellement les décisions de gel. Cette reconnaissance est quasi-automatique624 : elle ne requiert pas de formalités, alors que la décision de gel

ET DES AFFAIRES INTÉRIEURES, rapporteur: Giuseppe Di Lello Finuoli, Rapport 1. Sur l'initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens du crime 2. Sur l'initiative du Royaume du Danemark en vue de l'adoption de la décision cadre du Conseil relative à l'exécution dans l'Union européenne des décisions de confiscation, 7 novembre 2002, FINAL A5-0383/2002.

619 Décision cadre 2006/783/JAI du Conseil, du 6 octobre 2006, relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation, JO L 328 du 24.11.2006. Voir p. 148 ss de la présente étude.

620 MASSE (2006), p. 465.

621 A cet égard, la décision cadre va plus loin que la Convention no 141 et son système d’entraide classique ; GOLOBINEK (2006), p. 11.

622 Article 1 par. 1, Convention de Vienne ; article 2 let. f, Convention de Palerme ; article 2 let. f, Convention de Mérida.

623 Parmi ces infractions se trouvent la participation à une organisation criminelle, le terrorisme, le trafic de stupéfiants et de substances psychotropes, la corruption, le blanchiment du produit du crime, etc. Cette liste peut être modifiée par le Conseil, qui statue à l'unanimité après consultation du Parlement européen, comme le prévoit l’article 3 par. 3

624 Des motifs de non-reconnaissance sont prévus, comme c’est souvent le cas dans les instruments de reconnaissance mutuelle ; Nikolaidis et Shaffer, qui étudient la mise en œuvre du principe dans un contexte

étranger doit être exécutée sans délai, de la même manière que les décisions de gel prises par une autorité de l'Etat d'exécution. En principe, l’exécution de la décision de gel étrangère a lieu conformément au droit de l'Etat d'exécution.

Toutefois, la décision cadre 2003/577/JAI permet d’observer « les formalités et procédures expressément indiquées par l'autorité judiciaire compétente de l'Etat d'émission ». Cette exception est conditionnée par le respect des principes fondamentaux du droit de l'Etat d'exécution. Selon l’article 5 par. 3, les autorités judiciaires compétentes de l'Etat d'exécution doivent se prononcer sur une décision de gel, si possible, dans les 24 heures suivant la réception de ladite décision de gel ; elles doivent aussi communiquer leur décision dans les meilleurs délais. Ces dispositions visent à éviter des retards et à empêcher la disparition des avoirs à geler entre-temps.

La décision cadre 2003/577/JAI prévoit également des motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution. La liste de motifs incluse dans l’article 7 est exhaustive625. Premièrement, le refus est justifié si les modalités de la demande ne sont pas accomplies, en particulier si le certificat prévu à l'article 9 n’est pas établi de manière appropriée. Toutefois, la décision cadre 2003/577/JAI prévoit la possibilité de compléter ou de rectifier la demande.

Deuxièmement, le refus est justifié si l'exécution de la décision de gel est contrariée par une immunité ou un privilège accordé par la législation de l’Etat d’exécution. Troisièmement, l’exécution de la décision de gel peut être refusée si elle est contraire au principe ne bis in idem. Quatrièmement, l’exécution peut être refusée si l’infraction qui est à la base de la décision de gel ne constitue pas une infraction au regard du droit de l'Etat d'exécution ; ce contrôle de la double incrimination est admis seulement pour les infractions hors la liste de l’article 3. Contrairement à d’autres instruments de reconnaissance mutuelle, la décision cadre 2003/577/JAI n’admet pas la clause territoriale à titre de motif de refus (la circonstance que l’acte incriminé a été commis en tout ou en partie sur le territoire de l’Etat d’exécution)626. Si les autorités de l’Etat requis refusent d’exécuter une décision de gel étrangère, elles doivent notifier sans délai et par écrit les autorités judiciaires compétentes de l'Etat d'émission.

Une distinction doit être faite entre les motifs de non-reconnaissance, prévus à l'article 7 et les motifs de report, prévus à l'article 8. Dans le cas du report, l’exécution de la décision de gel est suspendue, jusqu’à ce que le motif de report cesse d'exister. Premièrement, l’exécution est reportée, lorsque son

commercial, affirment que « [i]n practice, mutual recognition, in all its incarnations, is conditional. Mutual recognition regimes set the conditions governing the recognition of the validity of foreign laws, regulations, standards, and certification procedures among states in order to assure host country regulatory officials and citizens that their application within their borders is “compatible” with their own » ; NIKOLAIDIS /SHAFFER

(2005), p. 264 ; cf. aussi PANAYIDES (2006), p. 143.

625 Selon l’article 7 par. 1, « [l]es autorités judiciaires compétentes de l'Etat d'exécution ne peuvent refuser la reconnaissance ou l'exécution de la décision de gel que […] »

626 VERNIMMEN-VAN TIGGELEN /SURANO (2008), p. 13.

exécution risque de nuire à une enquête pénale en cours. Deuxièmement, la possibilité de report est prévue lorsque les biens ou les éléments de preuve visés ont déjà fait l'objet d'une mesure de gel dans le cadre d'une procédure pénale. Troisièmement, si le gel a lieu dans le cadre d'une procédure pénale en vue de confiscation ultérieure des biens et si ces biens font déjà l'objet d'une décision arrêtée dans le cadre d'une autre procédure dans l'Etat requis, l’exécution peut être reportée jusqu'à ce que cette décision prioritaire ait été levée. Selon l’article 8 par. 2 de la décision cadre, l’Etat requis est obligé d’informer les autorités étrangères sur le report de l'exécution de la mesure de gel ; cette communication doit aussi comprendre les motifs du report et, si possible, la durée prévue du report.

Dès lors que le gel est une mesure de nature temporaire, il faut déterminer le sort des biens gelés. L’article 6, qui traite de la durée du gel, prévoit que cette mesure est maintenue dans l'État d'exécution jusqu'à ce que celui-ci ait donné un traitement définitif à la demande visée à l'article 10. En premier lieu, les biens gelés peuvent être transférés en tant qu’éléments de preuve vers l'Etat requérant (article 10 par. 1 let. a). En deuxième lieu, la procédure de gel peut être suivie d’une procédure en confiscation (article 10 par. 1 let. b). En troisième lieu, le bien gelé peut être maintenu dans l'Etat d'exécution dans l'attente d'une demande de transfert ou d’une demande de confiscation (article 10 par. 1 let. c). Certes, l’Etat requérant doit donner des instructions à cette fin, en indiquant également la date à laquelle il présentera la demande de transfert ou de confiscation. Les demandes visées à l’article 10 par. 1 let. a et b sont transmises et traitées conformément aux règles applicables à l'entraide judiciaire en matière pénale.

L’article 10 par. 3 de la décision cadre 2003/577/JAI introduit une dérogation à ces règles, en prévoyant que « l'Etat d'exécution ne peut refuser les demandes […], en invoquant l'absence de double incrimination, si ces demandes concernent les infractions visées à l'article 3, paragraphe 2, et que ces infractions sont punies dans l'Etat d'émission d'une peine privative de liberté d'au moins trois ans ».

Pour protéger les droits de l’accusé et des tiers dans le contexte des procédures de gel, la décision cadre 2003/577/JAI prévoit la mise en place de voies de recours (article 11). Des moyens de recours dépourvus d’effet suspensif doivent être mis à la disposition de toute personne concernée, y compris des tiers de bonne foi627. Pour préserver leurs intérêts légitimes, ces personnes peuvent engager une action devant un tribunal de l'Etat d'émission ou de l'Etat d'exécution conformément à la législation nationale de chacun de ces Etats. Toutefois, selon l’article 11 par. 2 de la décision cadre 2003/577/JAI, une action contestant les raisons substantielles qui sont à l'origine de

627 STESSENS (2000), p. 76 ss.

l'émission de la décision de gel ne peut être engagée que devant un tribunal de l'Etat d'émission. Par ailleurs, les Etats membres doivent faciliter l’exercice des moyens de recours, notamment en fournissant toutes les informations nécessaires aux personnes concernées et en prévoyant des délais raisonnables pour l'exercice effectif de ce droit.

Comme l’indique un rapport de la Commission, l'exécution rapide des demandes de gel semble assurée, mais la mise en œuvre de l’instrument n’est pas satisfaisante628. Par exemple, certains Etats membres ont introduit des motifs de refus supplémentaires dans leur législation nationale, même si la décision cadre énumère exhaustivement les motifs de non-reconnaissance ou de non-exécution admissibles. En outre, les Etats membres ont souvent transposé comme des motifs obligatoires les quatre motifs facultatifs de non-reconnaissance ou de non-exécution de la décision de gel mentionnés à l’article 7. Les législations nationales reçues par la Commission présentent ainsi « de nombreuses omissions et erreurs d'interprétation ». A la fin de 2008, la Commission a identifié un autre problème de mise en œuvre : les autorités judiciaires estiment que le certificat par lequel elles demandent l’exécution de décisions de gel est plutôt difficile à compléter et qu’il ne contient pas tous les champs nécessaires. Pour cette raison les formulaires-types d’entraide judiciaire sont souvent utilisés au lieu de ce certificat, tendance qui empêche la décision cadre d’atteindre pleinement ses objectifs629. Les praticiens considèrent aussi la décision cadre 2003/577/JAI comme un instrument plus compliqué que la CEEJ, la CAAS et la Convention d’entraide judiciaire en matière pénale de l’UE630.

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