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Réflexion éthique, refus de traitement, judiciarisation des pratiques

B. Approche juridique et législative de la problématique du refus Un regard philosophique sur le droit

III. Réflexion éthique, refus de traitement, judiciarisation des pratiques

Le CCNE, dans son avis 87 et l’analyse qu’il fait de la loi et de la jurisprudence, pointe

« l’écart entre l’intention manifeste du législateur et l’application qu’au cas par cas en retient la jurisprudence116. » S’il est légitime de reconnaitre à la personne le droit de rester

maitre de ses décisions et de ses choix, la maladie en conditionne cependant l’exercice. « Que

serait un consentement qui ne s’accompagnerait pas, […] d’une possibilité de refus117?» La

loi du 4 mars 2002 reconnait à l’usager du système de soin une autonomie de décision et lie le consentement à la possibilité de refuser. Reprenant et développant les dispositions du code de déontologie médicale, en s’attachant à reconnaître aux usagers une plus grande autonomie de décision en matière de soins médicaux, afin d’assurer une plus grande égalité dans les rapports entre médecin et patient, la loi consacre la prééminence du consentement du patient. La reconnaissance d’un droit au refus témoigne du souci du législateur de la volonté de favoriser un dialogue entre devoirs du médecin et droits du malade dans la prise de décision. Ainsi, il ne s’agit plus simplement pour le malade de donner son consentement, mais bien plus encore, de participer à la décision du professionnel de santé. Le législateur veut ainsi rééquilibrer la relation entre le médecin et le malade, rééquilibrage devant assurer plus sûrement le respect du principe du consentement. Ce rééquilibrage apparaît d’autant plus

115 Circulaire n° DHOS/E1/DGS/SD1B/SD1C/SD4A/2006/90 du 2 mars 2006 relative aux droits des personnes hospitalisées et comportant une charte de la personne hospitalisée

116 Avis n° 87 « Refus de traitement et autonomie de la personne. » CCNE Comité Consultatif National d’Ethique, 2005, p.18

117 Article 1111.4 du Code de la Santé Publique « Toute personne prend, avec le professionnel de santé, compte

tenu des informations et des préconisations qu’il fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informé des conséquences de son choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables. Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment».

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difficile, et par là-même nécessaire, que, du fait des progrès de la science, s’accroît l’écart entre ce que le malade perçoit de son corps et ce que la médecine sait – ou croit savoir – de lui. Mais la jurisprudence antérieure à cette loi et celle qui a pu la suivre, est ambivalente, sinon contradictoire. Si la loi affirme un principe et une visée, sa mise en pratique se confronte à la réalité de situations toujours singulières au sein desquelles s’expriment des visions, conceptions et interprétations opposées.

La question du respect du refus du patient se pose d’autant plus qu’un pronostic vital est en jeu, notamment dans le cas de transfusion, quand consentement et respect du refus sont corrélés au respect des croyances religieuses dont la liberté est reconnue par la constitution et la Cour Européenne de Droits de l’Homme; la jurisprudence demeurant ambiguë et contradictoire sur l’attitude du médecin devant cette situation. Si la jurisprudence n’a pas considéré fautif le médecin ayant validé un traitement uniquement palliatif chez une malade atteinte d’un cancer de l’utérus qui refusait de se soumettre au seul traitement susceptible d’avoir une action efficace sur son mal, le conseil d’Etat a reconnu fautif le praticien ayant prescrit, chez une patiente atteinte d’un cancer qui avait refusé tout traitement chirurgical ou radiothérapie, des produits homéopathiques et de l’acupuncture, et n’avait adressé la malade à un spécialiste qu’en phase terminale. La critique portant plus sur le fait que le praticien n’avait pas suffisamment informé la malade sur la nécessité d’un traitement plus approprié. Ainsi le CCNE relève « le principe de l’exclusion de la faute du médecin qui s’incline devant la volonté du malade. », sachant que tout réside dans la manière de s’incliner. Le CCNE envisage aussi la jurisprudence, en situation d’inconscience du malade, insistant sur la nécessité pour le médecin de respecter le consentement préalable du malade. Enfin le CCNE envisage la limite du respect du principe de primauté de la volonté du malade dans certains cas de danger immédiat pour la vie, insistant sur « l’obligation pour le médecin de ne pas

faire preuve d’une indifférence en face du refus de soins qui lui serait opposé » d’une part, et

prenant acte d’autre part, que la jurisprudence a aussi pu juger que dans une circonstance donnée « l’éthique subjective du médecin l’emporte sur celle du malade et s’impose à lui. » Même si l’évolution législative a donné un essor à l’autonomie de la personne, la jurisprudence a, elle aussi marqué les limites du refus de traitement. Le problème reste donc entier car il n’y a pas de certitude juridique et, conclut le CCNE dans son analyse « il n’y a

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essentielle à privilégier118 » la réflexion ne pouvant faire l’impasse sur le degré plus ou moins

grand d’incertitude des propositions médicales.

Pour Hugues Rousset commentant l’avis du CCNE, l’analyse préalable est essentielle pour faire la part entre trois éventualités. Le refus de traitement peut correspondre à un choix raisonné de ne pas prolonger une situation vécue comme intolérable. « C’est finalement là la

véritable manifestation et la plus authentique de l’autonomie de la personne, traduite par sa conséquence la plus noble : l’exercice de sa liberté d’acceptation.» Il peut être lié à un

problème de communication et de la reconnaissance de l’autre, au-delà de l’information basée sur la rationalité et où il s’agit d’un véritable problème de négociation. « La formation des

médecins est ici indispensable et la référence à un « tiers instruit » souvent utile. » Enfin il

peut être lié à une contrainte culturelle, religieuse, idéologique, s’opposant à la contrainte imposée par la rationalité médicale. Ce sont les cas les plus difficiles et c’est là que le cadre législatif doit préserver les droits et devoirs de chacun119.

Parce qu’il y a une telle tension aujourd’hui, parce que les soignants ont de moins en moins de temps à consacrer à la réflexion, ne va-t-on pas encore plus ne s’occuper que du corps physique et de moins en moins de la personne, de plus en plus de ses organes et de son imagerie uniquement ? Tout milite aujourd’hui pour que la réponse soit plus qu’expéditive, plus simplificatrice en termes d’éthique et ne soit qu’une réponse quasi médico-légale. Le fait de mettre de la réflexion éthique, par rapport aux situations évoquées dans les cas cliniques, donne une dignité à ce que les personnes concernées expriment dans la relation d’intimité qui se joue entre l’équipe et la personne. Une manière d’avoir plus de légitimité, ou de la reconfigurer, est de dire « on va voir, on va mener une réflexion, j’en ai parlé avec des collègues, on a réfléchi en groupe et on a décidé que... » La démarche, par rapport à une personne malade et ses proches, de dire « on va en parler entre nous et en équipe », est très salutaire. Cette position de discernement que l’on s’impose, s’oppose à la décision isolée, dans le couloir, qui n’est pas arbitrée, mais arbitraire. Ce qui peut être vécu comme précieux par les proches de la personne, selon leurs dires, est que les médecins décident de prendre au sérieux la personne dans sa singularité, de ne pas la considérer comme un numéro, et que tous les éléments de l’ordre de la restauration d’un lien de confiance, de la réhabilitation de

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Avis n° 87 « Refus de traitement et autonomie de la personne. » CCNE Comité Consultatif National d’Ethique, 2005, p.18

119 Rousset H., Libre propos sur l’avis n° 87 « Refus de traitement et autonomie de la personne », cahiers du CCNE, n° 44, octobre 2005

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quelque chose qui semblait perdu, soient pris en considération. Il y a un aspect thérapeutique à cette réflexion, pour les uns et pour les autres. Les professionnels n’ont plus la capacité de guérir ou traiter avec des médicaments, mais reconfigurent du lien et de la responsabilité au sein même de l’ensemble de l’équipe qui va s’approprier la réflexion. Le danger pour l’avenir, et c’est là où il faut être attentif, serait que cela ne soit pas vraiment comme cela que les choses se présentent. Le risque serait de faire appel à des « professionnels de la réflexion éthique » et de dessaisir l’équipe de ses responsabilités, dont elle se dégagerait afin de prévenir un risque de judiciarisation, alors que, précisément, la réflexion éthique et son appropriation par les soignants, en constitue la meilleure prévention.

« Comment penser la responsabilité médicale dans nos sociétés ? Quelle marge d’autonomie accorder aux patients dans les soins ? Quel degré de contrainte peut-on légitimement leur imposer quand leur vie biologique est menacée ? Quel statut accorder à la pratique religieuse dans la conduite des soins120 ? »

La reconnaissance de la responsabilité d’une personne repose sur l’existence d’un choix volontaire de sa part, caractère volontaire qui tient alors à l’intention qui peut être attribuée à celui-ci. Une « interprétation possible de la responsabilité, [selon Hart] explore la différence

que le sens commun reconnaît entre « faire un choix » (ce qui suppose la délibération mentale) et « avoir le choix » (ce qui ne l’implique pas)121. » Le fait de se concentrer sur des

événements mentaux conduit à ignorer la responsabilité en cas de négligence. Le médecin qui craint de provoquer la mort du malade par des doses adaptées d’un traitement antalgique et sédatif peut-il être accusé de négligence liée au risque possible de le laisser souffrir ? Inversement l’intention de soulager en négligeant la possibilité de survenue du décès peut-elle être reprochée à celui-ci ? Ce qui est important n’est pas un événement mental comme l’intention, mais que l’agent possède, au moment où il agit, de la capacité à ne pas faire ce que la loi interdit. « Un acte est libre et engage la responsabilité de son auteur, si celui-ci est

placé dans des conditions satisfaisantes pour exercer sa capacité de choisir122. » Même en

dehors de toute « intention fautive », un médecin doit rendre des comptes de la manière dont il s’acquitte de sa fonction au sein d’une équipe. Il doit ainsi rendre compte de la

120Barbot J., « Soigner en situation de risque judiciaire », Revue française de science politique 6/2008 (Vol. 58), p. 985-1014« Ainsi, autour du refus de transfusion des Témoins de Jéhovah, les médecins s’interrogent sur

l’arbitrage que fera le juge entre deux injonctions contradictoires. En cas de danger vital, quelle que soit la décision qu’ils prendront, ces médecins craignent en effet de se voir sanctionnés par les tribunaux : qu’ils laissent mourir leur patient sans le transfuser ou qu’ils les transfusent sans tenir compte de leur refus. »

121 Guillarme B., Usages de la responsabilité. Introduction, Revue française de science politique 2008/6, volume 58, p.873-875.

122 Ibid

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responsabilité attachée à l’exécution d’un rôle social, comme celui que les médecins doivent traditionnellement assurer vis-à-vis des soignants et des malades. La complexité de cette responsabilité tient notamment au fait que l’objectif en question peut se trouver en tension entre des valeurs contradictoires, entre celle que leur impose le respect des recommandations des bonnes pratiques professionnelles, et celle notamment du respect de la liberté de choix des malades. Des situations de soins se posent avec une acuité particulière sous l’angle de l’atteinte à l’intégrité des personnes et de la violation des libertés fondamentales. Quelles stratégies pour concilier deux impératifs que sont responsabilité médicale et respect de la liberté de choix des malades ?

« Deux situations de refus peuvent avoir des conséquences particulièrement dramatiques à savoir le refus de transfusion et le refus de césarienne. Il paraît, de toute façon, essentiel que ce type de situation soit toujours envisagé dans la mesure du possible de manière anticipée plutôt qu'au dernier moment, en reconnaissant que l’attitude qu’on peut avoir devant une situation « théorique », et donc « générale » peut différer de celle que l’on aura devant la même situation devenue effective pour la personne. Ici encore, il n’y a pas de bonne solution en tout point123. »

Mme M. Rose 83 ans, témoin de Jéhovah, présente une anémie sévère liée à une aggravation brutale d’une leucémie lymphoïde chronique. Elle pourrait bénéficier d’une chimiothérapie efficace permettant de stabiliser durablement la leucémie à condition de recevoir une transfusion car il n’est pas envisageable de réaliser une chimiothérapie sans correction de l’anémie. Elle refuse la transfusion mais accepte tous les autres traitements car elle veut être soignée et vivre. La malade et sa famille ont mal vécu de s’entendre répondre par un médecin « qu’elle se condamnait à mort elle-même. » Elle est capable de faire un choix, est bien informée de sa maladie, a compris les conditions du traitement, dit « avoir une grande confiance en Jéhovah qui la sauvera », espère aller mieux et veut vivre. La famille refuse de poursuivre la prise en charge avec le médecin traitant qui n’a pas demandé assez rapidement les examens, le médecin d’un fils refuse de s’impliquer « pour donner le goupillon. », un médecin hématologue refuse de poursuivre la prise en charge dans son service, n’admettant pas cette situation … « quel gâchis! ».

Admise en USP, on insiste sur la prise en considération des croyances et valeurs du malade, sur l’information apportée, sur l’accompagnement du refus et de ses conséquences. Les

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proches et la malade sont rassurés par le cadre hospitalier et la prise en charge proposée. La malade va poursuivre une chimiothérapie orale n’ayant pas l’indication pour ce type de leucémie, plus chère que le traitement habituellement prescrit quand les transfusions sont réalisées. Finalement l’évolution se fait vers l’amélioration, avec sortie à domicile après 45 jours d’hospitalisation.

Des soignants se demanderont s’il est juste de faire bénéficier la malade de ce traitement d’exception au motif qu’elle a refusé les transfusions. La prise en charge proposée est-elle compatible avec l’utilisation équitable des ressources financières mises à disposition au sein de la collectivité, sachant que le cout d’une hospitalisation de plus de six semaines est hors de proportions avec le cout d’une transfusion sanguine ?

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