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Approche générale des directives anticipées

C. Directives anticipées et refus I. Directives anticipées à l’écoute des voix de chacun

III. Approche générale des directives anticipées

Les directives anticipées correspondent à des instructions écrites, rédigées par avance par une personne majeure, consciente, pour le cas où elle serait un jour dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Elles correspondent à des souhaits exprimés par le patient quant à sa fin de vie, notamment par rapport aux traitements qu’il ne souhaite pas. L’esprit de la loi Léonetti était de créer un outil de communication favorisant un lien entre le patient, ses proches et les professionnels de santé. Ces dispositions étaient déjà présentes dans les lois de 1999 et 2002, mais c’est dans la loi d’avril 2005 que le respect de la volonté du patient a été le plus clairement exprimée. Les professionnels de santé éprouvent beaucoup de difficulté à parler de la mort avec leurs patients, alors même que les patients porteurs d’une pathologie grave, souvent âgés, ont conscience de cette finitude et y pensent forcément. En situation de fin de vie, ces directives seront prises en compte, s’il est envisagé une limitation ou l’arrêt de traitements inutiles ou disproportionnés158. Pour toute personne majeure il s’agit d’une possibilité de participation, de façon différée, aux décisions médicales la concernant. Les directives anticipées instaurent une nouvelle modalité de relation entre les professionnels de santé et les patients dans leur réflexion sur la fin de leur vie. Document écrit, résultant d’une démarche volontaire de l’intéressé, elles ont un objet précis et limité : l’expression de souhaits relatifs à la fin de vie, concernant les conditions de la limitation ou d’arrêt de traitement. Le médecin en charge du patient est tenu de les « consulter » et « d’en tenir compte » dans ses prescriptions, si une limitation ou un arrêt de traitement sont envisagés, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable et si le patient n’est plus en état d’exprimer sa volonté.

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CSP art. L. 1111-11 « Toute personne majeure, peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment. »

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L’esprit de ce qu’il est habituel d’appeler directives anticipées, qu’il eut été préférable d’appeler souhaits anticipés, est de créer les conditions d’une relation de confiance avec le médecin et de connaître les souhaits de la personne avant que la maladie ne vienne trop limiter ses facultés. Plus que le problème de la durée de validité se pose la difficulté de prévoir à l’avance l’imprévisible. Figer le cours des choses peut s’avérer hasardeux ou catastrophique. Il est des promesses pièges, celles par exemple de ne jamais faire hospitaliser une personne ou de toujours la garder à domicile, parfaitement en décalage avec les situations telles qu’elles sont ou se présenteront. Il faut pouvoir informer une famille de ne pas se laisser enfermer derrière une promesse, faite à un moment donné dans un contexte donné, différent de celui face auquel la personne sera confrontée, car le contexte aura pu évoluer. Sur le plan éthique, la conscience de l’incertitude constitue une garantie. La médiation au sens de créer les conditions d’un dialogue et d’une parole échangée, entre et avec les proches, est alors souvent indispensable dans ces situations où le médecin doit s’interroger sur ce qu’aurait désiré la personne, dans une situation particulière.

La réalisation est particulièrement importante dans les maladies neuro-dégénératives

Celles-ci vont inéluctablement s’aggraver. Le patient exprime par anticipation sa volonté de bénéficier de certains traitements. Prises en compte uniquement si le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, elles représentent néanmoins, au moment où elles sont rédigées, une précieuse information pour déterminer le projet de soins. On leur reproche souvent de ne pas être suffisamment précises dans leur énoncé pour être une aide à la décision médicale. Souvent elles se résument au souhait du patient de ne pas avoir d’acharnement thérapeutique, précision qui n’apporte rien puisque la loi interdit l’obstination déraisonnable. Il est intéressant que les directives soient rédigées avec l’aide d’un médecin, le double intérêt étant que le médecin aide à la rédaction, et peut attester de la libre expression du patient. Le patient peut se positionner plus clairement, avec un avis médical, sur le refus de nutrition artificielle ou la ventilation invasive. Ces directives ont une portée limitée aux conditions d’arrêt de traitement et à la fin de vie. Elles ne peuvent exprimer une volonté contraire à la loi. La demande de recevoir une injection létale, le jour ou le patient deviendrait dépendant, n’est donc pas recevable. Non seulement le médecin ne peut prendre en compte cette volonté, mais l’expression de cette volonté ne le décharge pas de sa responsabilité, le consentement de la personne n’ayant pas de valeur pénale, le médecin se rendant coupable d’un crime d’empoisonnement s’il répondait à la demande.

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Les directives opposables, si les hypothèses envisagées par le patient se réalisent, ont pour paradigme le patient porteur d’une sclérose latérale amyotrophique qui demande à ne pas être intubé s’il fait une détresse respiratoire. Il sait qu’il ne faut pas qu’on l’intube. C’est fait depuis vingt ans. Pour la personne atteinte d’une leucémie et demandant à ne pas aller en réanimation si elle fait un état de choc, on peut prévoir l’hypothèse. Ces directives sont une bonne chose, pas forcément pour qu’on s’en serve, mais parce que cela va obliger les citoyens, patients potentiels, à parler de leur fin de vie, et cela va obliger les médecins à aborder ces questions avec leurs malades. Il ne faut pas voir cela comme un cas opérationnel le cas échéant, mais comme un outil pédagogique permettant d’aborder la fin de vie du patient. Un deuxième volet, concernant un problème neurologique survenant chez un sujet sain, suite à un accident, est un volet beaucoup plus complexe. Les directives opposables, si elles le sont, poseront des problèmes médicaux énormes. Faut-il se limiter à l’état végétatif ou à l’état tétraplégique ? Personne ne se projette tétraplégique. La loi devrait aborder uniquement le sujet malade et non le sujet sain. Ce qui fait peur, en effet, est la case à cocher en face de certains mots tels que hémiplégie, paraplégie, tétraplégie, hémiparésie, aphasie, etc. car on ne sait plus où s’arrêter. Mais quelle serait la fonction d’une directive anticipée si on ne la respecte pas ?

Comment envisager le problème des sujets qui, ayant consenti à quelque chose à une période donnée, alors qu’ils n’étaient pas confrontés à la maladie, et qui confrontés à la maladie et n’étant plus capables de s’exprimer, pourraient exprimer une opinion différente ? L’individu qui n’est pas confronté directement à l’expérience de la maladie, et à sa propre finitude, a souvent une opinion très claire et empreinte de certitude. C’est souvent d’ailleurs de l’opinion des bien-portants dont il est question quand on parle de la fin de vie. Les personnes concernées par la fin de la vie, quand elles sont interrogées, répondent le plus souvent qu’elles ne savent pas, et évoquent beaucoup moins de certitudes. Force est de constater, que des personnes très déterminées au départ, le deviennent de moins en moins avec l’expérience de la maladie, leur détermination pouvant même se modifier radicalement.

Comment prendre en compte les directives anticipées, à partir du moment où il leur sera accordé une plus grande importance ? Comment prendre en compte le droit de la personne de changer d’avis, qui pourrait ne plus être pris en considération, du fait de la perte de la capacité de s’exprimer ? Une autre chose est de savoir ce qui permet au médecin d’être sûr que ce qu’exprime la personne relève vraiment de sa volonté ? Il serait bien sûr présomptueux de la part du médecin d’affirmer, pour de bonnes raisons, que ce que dit la personne ne relève pas

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de sa volonté. Il faut trouver un juste milieu entre ce qui relève de l’opinion personnelle du patient, et ce qui peut relever de la pression psychologique liée au contexte extérieur. Il en va ainsi pour les patients qui s’estiment être une charge pour leur entourage, ou ont un fort sentiment d’inutilité. Une évolution utilitariste de la société tend à considérer le sens de la vie comme ramené à une logique de l’agir et de la production. Ceci peut perturber l’expression de la volonté des patients.

Les malades atteints d’une maladie neuro-dégénérative vivent longtemps et vont perdre progressivement leur capacité de communication. Notre société propose, à condition que l’on soit capable de lire ce qui a été écrit, à travers les directives anticipées, de combler le silence de la perte de communication. Ces directives sont inscrites dans le code civil helvétique qui renvoie tout citoyen à sa responsabilité, et l’encourage à prendre soin de lui, pour le cas où un jour il ne pourrait plus s’exprimer face à un choix, en imaginant ce à quoi il consentirait pour le jour où il n’aurait plus la capacité de le faire159. Exercice pénible et douloureux. Il se passe quelque chose dans notre société, par rapport à la perte de confiance progressive vis-à-vis du monde soignant, perte de confiance à laquelle les citoyens répondent par une demande de plus en plus grande d’autonomisation, quand bien même le futur patient aurait tout pour faire confiance. C’est un débat complexe. La manière de se positionner par rapport à ce qui va éventuellement se passer, en mettant par écrit des indications pour que celui qui voudra bien s’occuper de lui suive son conseil, est une démarche difficile, pénible et douloureuse.

La vigilance s’impose par rapport à l’idée et la volonté de maitriser ce qui n’existe pas

La question des directives anticipées renvoie à la question du consentement et de l’autonomie de la personne, règle fondamentale depuis le code de Nuremberg de 1947. Certains sont très critiques sur cette hypertrophie de l’autonomie, qui souvent correspond à un désengagement des professionnels et, au risque de paraitre rétrogrades, sont plutôt favorables à une certaine forme de « paternalisme médical éclairé ». Lorsque nous sommes confrontés à la maladie grave, nous avons aussi besoin de soutien. Dans la loi du 4 mars 2002 sur les droits des

159 Code Civil Suisse. Art. 370. Toute personne capable de discernement peut déterminer, dans des directives

anticipées, les traitements médicaux auxquels elle consent ou non au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Elle peut également désigner une personne physique qui sera appelée à s’entretenir avec le médecin sur les soins médicaux à lui administrer et à décider en son nom au cas où elle deviendrait incapable de discernement. Elle peut donner des instructions à cette personne.

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malades et la qualité du système de santé, la personne a un droit de savoir 160 mais aussi de ne pas savoir. La tendance est aujourd’hui de mettre les futurs malades dans une culture d’assignation à tout anticiper, comme si nous étions en mesure de tout anticiper dans un monde complexe.

La question complexe est celle des directives anticipées, plusieurs années avant le moment où la personne n’est plus dans la capacité de discernement. Quand est annoncé le diagnostic de la maladie d’Alzheimer, la personne va garder encore longtemps, durant des années, sa capacité décisionnelle. Etre responsable, c’est tenir ses promesses, disait Nietzsche. Est-on en capacité de tenir ses promesses ? La distanciation, la disponibilité et la finesse de l’écoute ne rendent possible à une promesse d’être que dans cette capacité de relation maintenue, et de dire à la personne que nous ne déserterons pas. Ce dont les personnes ont le plus l’effroi n’étant pas leur mort, mais l’idée de se trouver seules confrontées à une situation vis-à-vis de laquelle il n’y a plus de pensée ni de parole. La mort est au rendez-vous pour chacun d’entre nous, mais pour beaucoup de personnes, pour différentes raisons, la préoccupation sur leur vie est plus importante que celle sur leur mort. Pour certaines personnes, en situation de vulnérabilité, face à leur fin de vie ou à une échéance rapprochée, la question « que va-t-on décider ensemble ? », semble poser elle-même la réponse. A-t-on vraiment à décider ? Pour des personnes qui n’ont certainement pas décidé de se retrouver dans ces circonstances et qui ignorent tout de ce que sera leur parcours, la question de la décision est-elle la question centrale ? Peut-on demander à ces personnes éminemment vulnérables, ou ces mutilés de l’existence, de définir un projet de vie ? Alors que ces personnes, non seulement n’ont plus de projet, mais n’ont plus totalement de vie tout court, les mots prononcés doivent être analysés.

Les parents de polyhandicapés demandent que tout polyhandicapé soit reconnu comme une personne avec un projet de vie, car il est valorisant que toute personne ait un projet. Dans une institution, il ne suffit pas d’accueillir les personnes, mais il faut leur proposer un projet, c'est-à-dire un acte qui n’est pas indifférencié et qui est orienté. Ceci témoigne de la complexité des situations et des approches. Il n’y a pas véritablement à décider lorsqu’on est face à des situations indécidables. Il ne faut pas être obsédé par la décision, mais par la préoccupation de faire que chaque instant soit considéré comme un instant digne d’être vécu. Cela ne relève pas

160 Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Art. L. 1111-2. « La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être

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de la décision, mais d’une préoccupation pour l’instant. Dans certaines situations décisives, ce ne sont pas les grandes paroles philosophiques, mais des petits gestes ou attentions, des petits signes ou actes de vie, des petits appels, qui vont témoigner de la considération accordée à la personne. La décision ne se situe pas au niveau de ce qu’on va décider avec la personne, mais au niveau de ce que nous en tant que société, nous décidons de ce que nous faisons par rapport à ces responsabilités. Sans remettre en cause la réflexion sur l’autonomie de la personne, certaines décisions semblent hiérarchiquement plus importantes, telle que celle de savoir ce que nous au sein de la société, nous décidons vis à vis d’une personne en situation de grande vulnérabilité, et comment nous pensons ensemble nos obligations à son égard. Ce type de questionnement risque de devenir de plus en plus difficile à soutenir dans le futur. Ainsi, l’important est le processus, c'est-à-dire l’occasion que l’on a d’un dialogue, qui aboutira ou pas à des directives anticipées, et qui permet de s’ajuster les uns aux autres. Le proche ou l’ami osera s’impliquer dans la démarche, osera dire des choses qu’il n’aurait pas osé dire, dans ce rapport de vérité qui n’existerait pas sans ce processus. C’est le processus qui est intéressant, pas les directives.

Les critères d’appréciation à prendre en compte sont la temporalité évolutive de la maladie, l’information, l’entourage, l’implication médicale, le discernement de la personne. La préoccupation pour la personne malade, comme pour le médecin, ne doit pas être de faire des directives anticipées en situation aiguë. Le document doit correspondre à la volonté du patient d’exprimer sa volonté utile à la réflexion médicale. Donner une information sur les directives anticipées conduit le médecin à savoir ne pas être trop incisif dans la proposition de les réaliser. L’importance de la démarche d’échange avec le patient est primordiale. Même s’il n‘y a pas de rédaction, cette démarche améliore la relation avec le patient tout en respectant son cheminement personnel. A-t-il envie ou n’a t il pas envie de les réaliser ? L’information a autant de valeur que la rédaction. Il faut laisser libre cours à la subjectivité et à la spontanéité du patient, et pour le professionnel qui prendra connaissance des directives anticipées, il faut savoir lire entre les lignes. La complexité du travail du médecin sera de savoir ce que la personne malade a voulu dire en écrivant, plus que lire ce qui est écrit. Il y a ce que disent les directives anticipées et ce qu’elles veulent dire entre « les lignes ». Les ambigüités sont fréquentes. Une patiente qui aurait écrit « pas de tuyau » pour signifier son désir de ne pas avoir de réanimation ou d’obstination « déraisonnable » sous forme d’une alimentation artificielle, doit-elle pour autant être privée d’une sonde urinaire en cas de globe vésical douloureux ? C’est bien aux médecins de prendre la décision.

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Rédiger des directives anticipées est un exercice d’imagination et l’imagination va entraîner des représentations chez celui qui les écrit et celui qui les lit. Les directives anticipées sont invérifiables a posteriori en ce sens que le soignant ne peut jamais être certain qu’il ait fait exactement ce que le patient aurait voulu qu’il fasse. Elles ne correspondent qu’à une hypothèse parfois profondément chimérique. L’anticipation a priori, invérifiable a posteriori, concerne une perception de ce qui pourrait advenir, de ce qui n’est pas encore là, mais qui va arriver. Chercher une concordance revient à chercher ce qui ne pourra jamais être vérifié. La réflexion sur l’élaboration des directives anticipées ne peut se modéliser en arbre décisionnel. En effet, dans ce domaine de réflexion plus qu’ailleurs, délicatesse, prudence, sagacité, respect du désir du malade de ne pas savoir, trouvent toute leur place. La réflexion proposée doit se concevoir comme une analyse, un commentaire, une explication, une discussion et une ouverture. Cette réflexion est un outil de la relation, avant d’être un outil de responsabilité, entre le sujet et les professionnels de santé, dans le cadre de leurs compétences. L’important est qu’on en parle. Il n‘y a pas d’obligation à faire, et le droit de faire quelque chose s’accompagne aussi du droit de ne pas faire. Entrer en relation avec le patient et avec l’entourage doit être l’objectif principal de la réflexion sur les directives anticipées.

La rédaction engage. Passer de l’oral à l’écrit, faire connaitre ses volontés à des proches ou à un médecin qui favorisera la traçabilité écrite de la réflexion, permet de passer du domaine privé au domaine public, ce qui correspond à une posture éthique, attestant de la moralité des décisions prises. La place du médecin traitant, souvent oublié à l’hôpital lors des concertations, est primordiale. C’est la plupart du temps, le professionnel qui connait le mieux le malade. Il a un rôle et une place privilégiée pour anticiper certaines situations et évoquer la fin de vie, en amont, avec ses patients. Ce travail d’anticipation est fondamental.

Il n’y a rien d’étonnant à ce que les professionnels s’interrogent.161 Quand informer un patient

sur la possibilité de rédiger des directives anticipées, et quelle information lui apporter ? Quels conseils de rédactions ? Quel sens pour « état d’inconscience » ou « hors d’état d’en effectuer le renouvellement ?» Quand consulter les directives et que signifient « consulter » et

161 Groupe thématique Espace Ethique Rhône-Alpes [Basset P., Carlin N. Coordination, Cimar L., Dell Accio E.,

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