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La conduite à tenir, toujours délicate, privilégie l’écoute et l’information

D. Sens du refus, sens d’un arrêt de traitement

V. La conduite à tenir, toujours délicate, privilégie l’écoute et l’information

Il faut considérer avec beaucoup d’attention et de prudence le refus de traitement et savoir se donner le temps d’écouter et de décoder les raisons de ce refus. La fréquence du refus tient pour beaucoup en effet à l’attitude du soignant et à la manière dont les traitements sont proposés. Le médecin doit en comprendre le sens et les raisons, préserver la relation de soin, entre l’obligation de soin et le respect de la liberté individuelle du soigné. Il craint les risques encouru par le malade des suites de son refus, écartelé entre les conséquences de ne pas agir, pouvant être assimilées à une non-assistance à personne en danger, et celles d’agir contre la volonté du patient contraire à l’éthique médicale. La balance bénéfices-inconvénients conduit parfois le médecin, non seulement à accepter la logique de ce refus, mais aussi à assurer le patient qu’il sera accompagné dans les conséquences prévisibles de celui-ci. Mais la demande de refus ou d’arrêt de thérapeutique reste un appel, parfois totalement énigmatique, ce que le médecin ne doit jamais oublier, quelle que soit la manière dont ce dernier la vit. Il convient alors de ne pas rester seul et d’en parler.

Un aspect de la relation médecin soigné concerne l’idée que se fait le médecin de son rôle et de ce qu’il apporte au malade. Le malade fait don de son symptôme et en retour le médecin espère pouvoir lui faire don, à son tour, de sa compétence, de sa disponibilité, de son temps. L’attente en retour du médecin est que le malade accepte docilement sa réflexion, son savoir, son diagnostic et son traitement, car il pense que c’est bien cela que lui demande le malade. Le refus est alors mal vécu, surtout quand cette relation soignant-soigné n’a pas été analysée comme telle. Au médecin de comprendre que son savoir et ses connaissances ne suffiront pas à répondre à toutes les demandes, car celles-ci s’adresse à un autre champ de compétence. Toute une catégorie de demandes correspond à un savoir qu’il ne saurait posséder, et le malade percevra très vite si ce dernier se crispe sur le vécu de la perte de son autorité face au refus.

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Il convient de ne pas rentrer en conflit ni rompre la relation de soin, ne pas s’acharner à lui faire « entendre raison », ne pas le laisser seul face à son choix, ne pas accepter le refus sans s’interroger soi-même. Il convient au contraire de comprendre les besoins et une demande sous-jacente, de communiquer et faire alliance dans une authentique relation de soin. Derrière un refus se profile souvent un malentendu ou une incompréhension. Celui-ci doit pouvoir être entendu comme une demande de soin. Il donne l’occasion d’instaurer une meilleure communication entre médecin et patient dans le respect des droits et devoirs de chacun. Ce refus appelle une attention renforcée de la part du médecin qui doit considérer cette attitude de renoncement au traitement avec le respect dû au malade. L’écoute du patient est primordiale, sur ce que représentent pour lui la maladie, les investigations et les traitements. Il faut alors être conscient de cette posture pour le médecin, accorder du temps d’écoute dans la mesure du possible, entendre la plainte et les mots de la souffrance, prendre en considération la dimension psychologique de ce refus. Ne pas juger ni culpabiliser reste certainement une attitude difficile pour le médecin qui doit se mettre en posture d’accueillir et de prendre en considération cette posture de refus. Il convient alors d’amener le patient à préciser ses attentes, ses craintes et représentations de la situation actuelle et à venir. Il faut assurer le malade qu’il sera toujours soigné, même s’il ne veut plus un traitement, qu’il ne sera jamais abandonné et qu’il y aura toujours quelque chose à faire. Il faut souvent aboutir à un compromis témoignant de la prise en considération de sa personne et de son point de vue.

Un certain nombre de questions fondamentales se trouvent posées, interrogeant la relation soignant-soigné. Le soigné se sent-il suffisamment écouté, compris, considéré, respecté dans son statut de personne et non pas réduit à une maladie ? Son point de vue a-t-il été pris en considération, peut-il faire l’objet d’une concertation et d’une négociation pour une solution qui lui soit appropriée ? Ce questionnement en permanence remis en cause est l’étape imposée avant toute acceptation d’un refus qui ne doit jamais être réduit à une simple formalité. La responsabilité du soignant ne se résume pas à l’offre d’un prestataire de soins et de traitement codifié une bonne fois pour toutes. Le refus est un appel qui interpelle le soignant au-delà de l’attention portée au malade qui aurait accepté un traitement. Obligation est faite à partir d’un refus d’écouter attentivement avec patience et sans insistance démesurée pour décoder les raisons et le devenir de ce refus. A partir de là, une réflexion sur les craintes réelles ou imaginaires, les représentations sur la maladie et la mort, les ressources médicales disponibles, est nécessaire.

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Il ne s’agit pas d’asséner au malade des vérités difficiles à entendre mais plutôt de l’accompagner dans la prise de conscience progressive de son état en lui donnant des éléments de réalité qu’il est capable d’entendre. Petit à petit, d’une annonce difficile franchie à une autre annonce, celui-ci sera conforté et rassuré par la capacité du médecin de le considérer comme un sujet responsable et la relation de confiance s’en trouvera renforcée. Cette information donnée, de façon claire et appropriée, au fur et à mesure des questions du malade et des évènements de la maladie, est nécessaire tout au long de la maladie. Il s’agit d’un véritable accompagnement informatif destiné à vérifier régulièrement, auprès du patient lui-même, la compréhension des informations données.

Il appartiendra au médecin de « savoir jusqu’où ne pas aller trop loin » afin de respecter scrupuleusement le désir du malade de savoir ou de ne pas savoir. Le déni est nécessaire au vécu de la maladie, et par ailleurs ne peut se construire que sur une information réaliste. D’où le jeu subtil à respecter de donner au soigné une information qu’il réclame, mais qu’il n’a pas forcément envie d’entendre. La transmission d’informations au malade par l’intermédiaire de laquelle le principe d’autonomie est respecté, suppose la mise en place de règles de conduite faisant l’objet de prescriptions concrètes dont certaines ont déjà reçu une codification juridique : « Le médecin doit à la personne qu'il examine, qu'il soigne ou qu'il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu'il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension228. »

« La règle de la simplicité implique que le patient ne soit pas submergé de détails superflus surtout lorsqu’il n’en est pas demandeur ; la règle de l’approximation signifie que […] le contenu de l’information doit être indexé à son niveau de compréhension ; la règle de la loyauté engage le praticien à décrire la situation en toute objectivité229. »

Les règles de la « progressivité et de l’euphémisation de l’information230 » conduiront le médecin à prendre la mesure de son interlocuteur pour l’informer progressivement, en plusieurs temps, en des termes qui éviteront la violence renfermée par certains mots. Il est préférable que ce ne soit pas le médecin qui prononce en premier le mot de cancer et qu’il amène le soigné à évoquer ce qu’il pense avoir comme maladie par un travail de reformulation sur les représentations. De même qu’il est préférable d’amener la notion de

228 Code de déontologie médicale, article 35, alinéa 1er, (article R.4127-35 du code de la santé publique, 1995)

229 Le Coz, P., Petit traité de la décision médicale, Paris, Le Seuil, 2007, p.134

230 Ibid

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soins palliatifs en parlant dans un premier temps de soins orientés vers la prise en charge du confort et des symptômes. Il n’est pas identique de parler de récidive ou de rechute, de maladie incurable ou de maladie qu’on ne peut pas guérir mais stabiliser, dire qu’un malade va mourir et dire qu’il n’est pas possible de faire un pronostic.

Après le temps de l’écoute et celui de l’information, vient ensuite l’indispensable temps de la négociation. Faut-il s’étonner qu’un malade refuse un traitement ou même une simple investigation s’il n’a pu en discuter ni les raisons, ni les objectifs, ni les conséquences ? Et le résultat de cette discussion n’est jamais définitivement acquis. La relation soignant soigné relève d’une négociation permanente entre la responsabilité du soignant et la liberté du malade. Elle vise à élaborer un pacte de confiance pour une alliance thérapeutique. La discussion et le dialogue permettent alors à la parole de s’échanger et à celle-ci de constituer un authentique acte de prise en soin. Le malade a alors le sentiment d’être écouté et le soignant celui d’être reconnu dans son rôle de soignant et non de simple prestataire de soins.

Cette relation donne sens à l’acte de soin par les valeurs communes respectées. Elle réduit les obstacles au consentement, en valorisant le soignant respectueux de la liberté du malade de refuser, et en rendant le malade acteur de son projet thérapeutique. Le rôle du soignant ne s’arrêtera pas à prendre acte et à respecter le refus. Il s’engage aussi à accompagner le malade dans les conséquences de ce refus et à ne jamais l’abandonner, affirmant là encore une solidarité respectueuse de la liberté du malade. Cette promesse de non abandon met le malade en confiance dans un pacte de confiance. « Etre responsable, promettre et s’engager dans sa promesse, c’est donner confiance231. »

Le refus peut être enraciné dans l’impossibilité de faire confiance. Le médecin est souvent évalué sur ses compétences techniques qu’il a le souci de valoriser et sous lesquelles il désire être reconnu. Or c’est souvent en dehors de ce champ délimité par ces compétences propres que le malade lui adresse une plainte que sous-tendent la souffrance, la détresse morale, la confrontation à la maladie et toutes manifestations qui peuvent effrayer le médecin. Or l’aptitude du médecin à entendre et recevoir cet appel est indépendant des seules compétences professionnelles qu’il aura cru devoir développer, à juste titre, pour la part technique de son métier. Il peut à son tour et en retour opposer un refus de l’appel du malade, en signifiant que

231 Ewald F. “ L’expérience de la responsabilité” in: Qu’est ce qu’être responsable ? Auxerre, Sciences humaines, 1997 cité dans Bourguignon O., "Responsabilité individuelle et travail en équipe", Ethique médecine et société, Dir : Hirsch E., Vuibert, Paris 2007, p.311

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la confiance que lui demande celui-ci ne peut lui être accordée pour des raisons propres au médecin.

Le médecin est avisé s’il s’abstient de jouer à l’expert omnipotent, […] s’il sait admettre que d’un côté il doit posséder des connaissances sur les maladies, et de l’autre admettre que tout un pan de la demande concerne un savoir qu’il ne saurait détenir. Chaque situation de refus de soins devrait être analysée selon ces coordonnées entremêlées de la demande d’objet et de la demande d’amour. Ignorer la portée de l’amour (de transfert) c’est se résigner à pester contre l’inadéquation entre un malade devenu exigeant (sujet de droits et victime d’un préjudice) et un médecin qui croit que son pouvoir est à la mesure de connaissances évaluées et des biens de soins qu’il dispense232.

Mais le respect du refus permet aussi de s’ouvrir sur un lien et une relation de confiance

« C’est une reconnaissance qui se joue dans ses trois dimensions, l’attestation et l’acceptation de l’autre en tant que personne, la reconnaissance de ce qu’est la personne et la reconnaissance de ce qu’elle peut devenir. C’est une confiance « émancipatrice » et « éducative ». La confiance mise dans l’autre permettant à celui qui l’accorde de faire face à l’incertitude et à l’inconnu, puis secondairement d’aller dans la gratitude. Soignant et soigné doivent sortir de l’impasse dans laquelle ils risquent de se trouver et d’évacuer la confiance par le droit parce qu’elle serait trop fragile, tant la judiciarisation s’est en effet invitée dans cette relation de soin. La fonction du droit est de donner des appuis certains, des repères pérennes, des équilibres équitables là où la vie bouleverse, trébuche et fragilise. Mais les règles de droit ne valent que par la confiance que nous accordons aux institutions et dans la moralité d’autrui et de son respect des règles. La confiance porte cependant en elle le risque de l’abus, d’où la nécessité d’un encadrement juridique de la promesse. Mais la confiance peut aussi amener au dépassement de soi pour l’autre, ce que ne pourront jamais faire aucun contrat ou règle de droit. Imaginer qu’on pourrait s’émanciper des contraintes du droit, c’est penser que nous serions assez forts pour nous en passer, croire notre volonté infaillible, notre moralité inébranlable. Le droit nous ramène alors à hauteur d’homme, les règles données étant des règles humaines, des règles qui ont des limites. En revanche la confiance nous ramène à la mesure de notre humanité et si elle consiste à se placer dans les mains d’autrui, la relation de soin en est une belle opportunité.233

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Weber J.C., « Accompagner la personne qui refuse de se soigner », Journées des Aumôneries Francophones, Besançon, 15-19 octobre 2014

233 Carlin N., Relation de soin, la confiance à l’épreuve du droit, Thèse, dir. Folscheid D., Université Paris-Est Marne-la-Vallée, Espaces Ethiques et Politiques-Institut Hannah Arendt, 2014

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