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La présence des « citoyens ordinaires » ouvre à la diversité des regards

A. Groupe de Réflexion Ethique. Finalité, Fonctionnement

III. La présence des « citoyens ordinaires » ouvre à la diversité des regards

La présence des « citoyens ordinaires » est importante en ce sens qu’elle donne un éclairage différent de celui des professionnels, et élargit la réflexion, en lien avec la cité et la demande des usagers. Le qualificatif « ordinaire » n’a rien de réducteur ni péjoratif, bien au contraire. Le citoyen est extérieur au monde de la santé, ni un ancien professionnel de santé, ni un représentant d’une commission d’usagers. Ce n’est pas non plus un membre militant actif ou représentatif d’une association, quelle qu’elle soit, ni le représentant partisan convaincu d’un groupe d’opinion, même si chacun est libre de ses opinions et croyances. L’intérêt d’une telle posture est d’apporter un regard décalé qui n’est pas biaisé par une connaissance du monde de la santé. Il n’y a pas de procédure prédéfinie ni de « recette » pour le recrutement d’un « citoyen ordinaire » qui n’obéit à aucune méthodologie préétablie. Il faut éviter d’inviter une personne simplement « pour voir ». Ce sera au groupe ressource de recevoir la personne afin de faire connaissance, et de préciser les objectifs et le fonctionnement du groupe. C’est souvent l’intuition qui fait dire que c’est peut-être la bonne personne. La personne doit avoir des capacités d’écoute, de respect d’autrui et de confiance en soi, pour exprimer une opinion devant un public de professionnels. Elle doit avoir aussi la capacité à s’intéresser aux sujets débattus, une ouverture d’esprit à entendre et découvrir des opinions et des regards croisés, une curiosité pour les préoccupations des professionnels de santé. En effet, même si les « citoyens ordinaires » ont une certaine expérience de l’hôpital, ils n’ont aucune connaissance de cet aspect. Il faut une aptitude à entendre des préoccupations très diverses, car toutes les catégories professionnelles sont représentées, et surtout une capacité à écouter et à ne pas être dans le jugement, avec la possibilité de prendre du recul pour occuper cette place citoyenne. L’implication citoyenne parait fondamentale dans cette réflexion. En fonction de la thématique, le « citoyen ordinaire » va peut-être se documenter pour préparer le sujet, avec un

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regard autre que professionnel. Enfin une régularité de présence est nécessaire afin de s’approprier la culture du groupe.

N’est-il pas paradoxal de parler de « citoyen ordinaire » et d’envisager une forme de sélection ? Pourquoi faut-il qu’il y ait un « filtre » ? La richesse du groupe n’est-elle pas de s’ouvrir à la vie citoyenne, et à tout citoyen que cela peut intéresser, sans qu’il y ait une sorte d’élite constituée, comme dans beaucoup de domaines ? L’intérêt d’inviter les futurs « citoyens ordinaires » à rencontrer des personnes du groupe ressource, est de discuter pour une meilleure connaissance mutuelle. Il ne s’agit pas d’élitisme ni de sélection, mais de précaution et de prudence, afin d’éviter certains écueils, comme un deuil récent ou le vécu d’une expérience trop douloureuse, pour une distance nécessaire. Ce n’est pas tant la « sélection » qui compte, que la compréhension de l’état d’esprit du groupe, et ce que les soignants en attendent.

Il y a peut-être, de la part des personnes extérieures au milieu de la santé, des a priori et des représentations, et « il serait dommage que ces a priori rentrent dans cette salle21. » Les soignants amènent du vécu et de l’émotion dans un groupe de réflexion éthique qui doit trouver un équilibre dans sa composition et son fonctionnement, avec des « citoyens ordinaires » qui donnent un éclairage qu’il est impossible de ne pas entendre, sans que cela ne tourne au règlement de compte. « Lorsqu’un citoyen ordinaire arrive ici pour la première fois, il est difficile de trouver son niveau de parole, parce qu’on n’est pas spécialiste et il est difficile de parler en tant que non spécialiste, parce qu’on parle avec nos émotions et notre vécu, nos a priori et nos préjugés. Tout cela peut se faire assez facilement et assez simplement à partir du moment où notre présence repose sur un commun accord, et que chacun accepte la présence de l’autre. Il est important de réexpliquer, à chaque fois, qui compose le groupe, et que tout le monde se mette d’accord sur une parole bienveillante. C’est important pour les citoyens ordinaires dont la parole est difficile à poser22. »

Un aspect original est la participation de jeunes élèves d’une classe terminale

L’idée découle de l’expérience jugée positive de la participation d’élèves de terminale au Colloque Alpin de Soins Palliatifs, par l’ensemble des professionnels de santé présents à ce colloque23. La participation des élèves au groupe de réflexion éthique correspond, en priorité,

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à une démarche volontaire des élèves, soumise à l’approbation du proviseur et des parents. Les élèves au nombre de cinq à chaque réunion, sont accompagnés de leur professeur principal, lui-même participant au groupe en tant que « citoyen ordinaire ». Il peut être riche d’avoir le regard de jeunes citoyens lycéens, capables de surprendre par leur envie de comprendre et de se questionner. Cela implique aussi la capacité du groupe à accompagner ces jeunes. Les jeunes étudiants infirmiers qui viennent dans les services en sortant pratiquement du lycée, sont étonnants par leur questionnement. Le danger serait l’isolement et l’impossibilité d’en référer. Si des personnes très jeunes sont accompagnées, encadrées, et qu’elles ont la possibilité de faire référence à quelqu’un, pourquoi ne pas envisager la possibilité à ces jeunes élèves de venir, s’ils ont la possibilité d’en référer à leur professeur ?

La légitimité de la présence des élèves soulève un questionnement et des controverses chez certains au sein du groupe. Faut-il accepter ces personnes très jeunes compte tenu des choses difficiles évoquées ? La place des lycéens est-elle concevable ici ? Le questionnement porte sur la discrétion, le secret professionnel, la confidentialité des échanges, les cas évoqués pouvant être reconnus. Comment fixer un cadre qui ne soit pas trop contraignant et qui laisse libre cours aux échanges ? Le corps médical peut-il parler en toute liberté et en toute confiance avec des jeunes personnes qui seront différentes à chaque réunion ? Quels sont les risques de fuites de données médicales, les risques de plaintes de familles qui pourraient être victimes du secret médical non respecté, la responsabilité de l’établissement ? Quel risque d’interprétation, de fuite sur les réseaux sociaux, mode de communication habituel chez les jeunes, où tout est étalé sans réserve, à propos de situations particulières et sensibles, ou à propos de patients qui pourraient être reconnus facilement ? Comment s’assurer d’un secret partagé et comment ne pas voir revenir des discours sur un autre lieu ? « Que vont-ils faire de nos échanges24? » Le groupe éthique [via l’établissement] est-il « autorisé » à partager des situations complexes de patients ? Est-il autorisé à partager les difficultés vécues par les professionnels avec des étudiants qui seraient amenés à partager cette expérience avec leurs camarades de classe ?

Des soignants se questionnent sur la liberté d’expression et la difficulté des soignants, toutes classes professionnelles confondues, à s’exprimer devant un public diversifié de plus en plus élargi et des interlocuteurs non fixes, parfois connus de leurs propres enfants, la crainte résidant dans le fait que les professionnels pourraient ne pas s’exprimer aussi librement en

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présence de jeunes élèves. Que deviennent la liberté de parole des soignants et la fluidité des échanges, face à ce regard de jeunes lycéens ? Il existe une certaine réserve par rapport à la liberté de parole, qui pourrait changer chez les soignants exposant leurs interrogations, avec la possible difficulté pour les professionnels de garder une parole libre devant un public non averti.

La présence de personnes « étrangères » au monde hospitalier, pourrait inhiber, selon eux, l’expression chez certains professionnels de santé. La présence d’élèves à chaque fois différents ne va-t-elle pas freiner l’expression des soignants, alors que la régularité des participants, et « la stabilité » du groupe, aident à l’appropriation de la réflexion éthique, et garantissent une mise en confiance ? Enfin la participation à une seule réunion permettant au maximum d’élèves de participer est-elle pertinente, alors qu’idéalement une participation régulière est souhaitable pour une acculturation de la réflexion ? La règle de la confidentialité doit en permanence être rappelée lors de la tenue du groupe. Cependant personne ne peut garantir que certains élèves la respecteront totalement, ce qui peut être aussi le cas pour des soignants. D’autres arguments sont avancés, comme la fragilité de l’adolescence pour ce qui touche la confrontation à la mort et le retentissement des discussions sur des jeunes adolescents qui n’y ont jamais été confrontés, et qui pourraient être déstabilisés pour les plus fragiles d’entre eux. Se pose alors la question du suivi pour ces jeunes, qui n’ont pas tous des parents à même de les entendre et de les soutenir, dans la prise en charge des questions évoquées. Que vont-ils faire de la « violence » et du caractère traumatisant des situations évoquées ? Quel retour en feront-ils à l’extérieur ?

Les éléments en faveur de la participation des élèves sont nombreux malgré les réserves. La réflexion éthique doit être ouverte à tous, et cette ouverture correspond à une démarche valorisante et enrichissante de part et d’autre. Le succès d’un groupe éthique tient à ce que les soignants se questionnent et réfléchissent, et les « citoyens » sont sensibles à cette réflexion. Cette démarche leur permet de réfléchir au sein du groupe pour offrir une vision positive de l’hôpital, qui sait s’interroger publiquement sous un regard extérieur, sur des cas difficiles rencontrés en pratique. En plus de l’intérêt pour le groupe, existe un intérêt pédagogique incontestable pour les élèves. L’avis favorable du proviseur ainsi que celui des parents d’élèves va dans ce sens. Certains parents auraient même exprimé la volonté de participer au groupe ! La démarche correspond à une ouverture de l’hôpital sur la cité, un enrichissement de la réflexion éthique et à la valorisation d’une éthique véritablement citoyenne. La présence du professeur de philosophie et du professeur principal permet de « contenir » le partage

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d’expérience « extra muros ». De plus, si la possibilité leur est donnée de partager ce qu’ils ont entendu, pourquoi en feraient-ils quelque chose ailleurs ?

« Pour ces jeunes élèves, c’est la chance offerte d’une expérience hors du commun, qui peut les sensibiliser à la problématique éthique, en leur apprenant le respect de la dignité des patients et des soignants, la confidentialité des informations partagées, les difficultés du monde de la santé. La démarche de réflexion éthique, par les valeurs qu’elle sous-tend [écoute, bienveillance, respect, oser le regard extérieur] et par les sujets abordés, participe à leur éducation au sens large, en termes de responsabilité, d’ouverture d'esprit, d’observation d'adultes qui se posent des questions concernant les valeurs défendues25. »

L’ouverture à la réflexion, le partage de savoirs et le croisement des regards, le fait qu’ils puissent être amenés à réfléchir au sens de leurs actes, voir des adultes professionnels du soin se poser des questions, s’écouter et se respecter, voir que les adultes sont capables de leur faire confiance en termes de respect, de confidentialité, et qu’ils ont l’humilité de parler de leur travail et s’interroger sous un regard extérieur dans un esprit d’ouverture, constituent des points forts. Des personnes impliquées dans le champ de la réflexion éthique ne sont pas « choquées » par ce type d’initiative, dans la mesure où la confidentialité est bien contrôlée26.

En fait, quel que soit l’âge, il y a des conditions à poser, mais ce n’est pas l’âge en lui-même qui est le facteur déterminant absolu. Jeunes ou pas, peu importe, tout est affaire de statut. Les élèves sont des citoyens ordinaires en tant qu'ils sont citoyens, ou appelés de façon imminente à l'être. Ils sont aptes à écouter, réfléchir, partager comme tout autre citoyen. Mais si, en tant qu'élèves, ils se faisaient l'écho dans la classe de ce qui aura été dit hors de la classe, alors la qualité de citoyen ordinaire changerait : le point de vue donné par les élèves ne se ferait pas au sein des débats du groupe de réflexion éthique, dans le déroulement et en présence de l'assemblée. Il se produirait en classe, donc hors contexte, hors de la présence de personnes qui se seront exprimés et qui pourraient reprendre telle ou telle remarque, apporter telle ou telle réponse. Il faut s’interdire de discuter en cours de ce qui aura été entendu par trois ou quatre élèves. Qu'en auront-ils retenu ? Quelle exploitation en faire? Ces élèves seraient à l'interface entre le groupe de réflexion éthique et la classe. Nulle autre personne de l'assemblée n'est, par son statut personnel, dans ce cas.

25 Commentaire de Serge Boarini, professeur de philosophie, intervenant au groupe de réflexion éthique, auteur de l’article « Casuistique contemporaine. Formes et usages contemporains de la casuistique » in. Canto Sperber M., Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, PUF, Paris, 2004, p. 260-266

26 Pr E. Hirsch responsable Espace Ethique AP-HP et Espace Ethique Régional IDF, Dr S. Duperret doctorat d’éthique, chef de service réanimation chirurgicale, responsable du programme de prélèvement aux HCL, A. Jolivet coordinatrice observatoire EER IDF, Dr A. Reyre psychiatre, doctorat en éthique, Avicenne AP-HP

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Les questions posées sur la présence des jeunes ne sont peut-être que les questions sur la fonction du groupe de réflexion éthique. Discuter d'un cas pour obtenir l'avis d’experts dans le cadre d'un fonctionnement médical ? Alors la présence des lycéens n'est pas souhaitable. Discuter d'un cas pour soulever les questions éthiques qui se posent et supprimer certaines frontières entre hôpital et société ? Alors la présence des lycéens, comme celle des citoyens naïfs, entre dans ce champ. La question n'est donc pas « peut-on accepter des jeunes ? » mais « que voulons-nous faire dans le groupe de réflexion éthique ? » Il y aurait une sorte « d'anti-jeunisme » à supposer qu'ils seront prompts à mettre sur les réseaux sociaux ce qu'ils ont entendu. Une réflexion préalable avec les professeurs et avec les responsables du groupe de réflexion éthique doit permettre de limiter l'effet d'aubaine pour ne garder que les plus concernés par la démarche. Comment ouvrir le débat sans perdre la confidentialité des propos, la liberté de parole des intervenants, et la confiance de tous ceux qui sont venus, comme des professionnels qui ont élaboré le cas exposé ? C’est la question essentielle.

La place de chacun et le point de vue d’où il parle. Quel questionnement ?

« Parce que le droit est une discipline normative, le juriste a toujours la crainte de passer pour un juge. Il lui est demandé un avis sur ce que permet la loi ou ce qu’elle ne permet pas. Son intention n’est absolument pas de dire qu’il aurait fallu faire telle ou telle chose, mais la frontière est ténue, comme par exemple en ce qui concerne l’arrêt des traitements, entre ce qu’autorise le droit et ce qu’il n’autorise pas, entre ce qui peut être du cadre légal et ce qui ne l’est pas27. »

En le disant, le juriste dit ce qu’il croit relever du droit et pas forcément ce qu’il pense ou souhaite, parce qu’il lui est demandé de parler en tant que juriste et pas en tant que citoyen. Il faut travailler régulièrement ensemble et s’habituer au discours de chacun. Il y a cependant une certaine frustration du juriste qui se dit aussi un peu « citoyen ordinaire ». Il est difficile de dire ce qu’est la loi et de séparer ce que nous disons de ce que nous sommes, ou de vouloir apporter un substrat dépouillé de tout, car de toute façon la loi n’est pas neutre, même si elle l’apparait. Elle semble dire « oui, non, interdit, permis », dans un contexte donné à analyser, ce que font les juristes avec leur compétence propre. De plus, les textes s’interprètent, et à partir du moment où il y a interprétation il y a subjectivité. Rien n’empêche en effet d’apporter l’approche juridique pure, puis de dire « maintenant je vais vous parler en tant que citoyen et je suis aussi juriste ». Si le problème ne relevait que d’une approche juridique pure,

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il n’y aurait pas besoin de le discuter en ce lieu. La réflexion éthique commence en effet quand le médical, le psychologique, le culturel, le déontologique, le juridique… n’ont pas pu apporter la réponse, et que l’on est face à une impasse.

Pour certains, un citoyen vient en tant que citoyen, un philosophe en tant que philosophe, un juriste en tant que juriste.

« On attend du philosophe ou du juriste un éclairage philosophique ou juridique, sinon le groupe se résume à un groupe de parole que l’on peut faire entre nous. Si les professionnels viennent si nombreux, c’est parce qu’ils sont en attente de ce type d’éclairage. Mais ils n’attendent pas la vision d’un philosophe ou d’un juriste « citoyens ordinaires » qui jugent le système de santé. Le juriste doit donner la vision du droit dans telle ou telle situation, même si cela nous perturbe et nous choque dans nos réflexions28

Pour d’autres, ce point de vue est discutable, car c’est justement la parole du « citoyen juriste » ou du « citoyen philosophe » qu’ils attendent.

« Nos tourments et nos émotions sont à la mesure de nos inquiétudes éthiques, nos ressentis nous font penser et nos pensées nous provoquent des ressentis. Il serait étonnant que nous n’ayons que des pensées froides et analytiques, car nous sommes des individus sensibles et rationnels, et il ne serait pas souhaitable de se détourner de notre vécu29. »

Tout est donc dans la manière de dire, en se demandant en permanence ce qui risque d’être perçu comme blessant ou pas, de l’ordre du jugement ou pas. Tout est dans la subtilité et la finesse de l’échange. Séparer ou pas les deux casquettes relève d’une prise de conscience importante. L’autorité prêtée par rapport au droit pourrait aussi l’être aux propos du citoyen ordinaire ou de tout autre professionnel. Nous sommes tous concernés, car selon les thématiques, chacun se retrouve en tant que médecin, infirmière, psychologue etc.… et oublie son étiquette. Etre au contact de la souffrance peut conduire à s’indigner à l’idée qu’une telle situation pourrait concerner des êtres proches qui nous sont chers, comme nos propres enfants. Le philosophe, le juriste, le professionnel de santé ne sont pas que philosophe, juriste ou professionnels à 100%. Il faut que chacun soit là avec ses connaissances, ses compétences et son savoir, et en même temps, en tant qu’être humain. A chacun de trouver l’équilibre entre le technicien de profession, juriste, médecin, infirmière, philosophe, psychologue…. et la

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personne. C’est ce qui fait la richesse du groupe qui perdrait de son intérêt si chacun ne restait que technicien.

IV. Groupe de réflexion éthique, de parole, d’analyse de la pratique, de supervision.

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