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La formation à la réflexion éthique s’impose comme exigence professionnelle

B. La démarche d’Aide à la Réflexion Ethique I.Guide d’aide à la réflexion éthique

VI. La formation à la réflexion éthique s’impose comme exigence professionnelle

« L’exigence éthique s’impose désormais à tous. S’efforcer de répondre à la demande d’éthique qui s’exprime de toutes parts, nécessite en première intention de se doter des compétences favorisant le discernement, la concertation, l’argumentation et la délibération : il y va désormais des bonnes pratiques professionnelles […] La démarche éthique permet de renouer avec le sens d’un métier, d’enrichir son projet professionnel, de mieux situer sa position tant dans le cadre de la communauté professionnelle que dans celui de la société, d’être plus attentif que d’autres aux valeurs susceptibles d’animer l’esprit de recherche et de soutenir la volonté d’entreprendre80. »

Selon le point de vue des soignants et ce qu’ils disent au cours des entretiens, la formation est évoquée pour permettre de prendre une distance nécessaire à l’exercice professionnel. Une formation adaptée aux besoins des soignants devrait permettre à ceux-ci de prendre la juste distance relationnelle, nécessaire pour entendre et respecter la souffrance de l’autre, et ne pas en être affecté, tout en y restant attentif et sensible. La formation permet d’accepter et de mieux comprendre les situations complexes, d’admettre que les malades ne fonctionnent pas tous de la même manière. Certains soignants avouent être en situation de fuite vis à vis de

80 Hirsch E., « L’éthique, une exigence universitaire », Faculté de médecine Paris-Sud 11 / espace éthique ap-hp www.espace-ethique.org

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situations vécues comme un échec thérapeutique. L’enjeu de la formation serait d’aider à prendre une distance qui permette de ne pas projeter ses sentiments sur le patient. Cependant tout ne se résume pas à une formation intellectuelle dans le domaine psychosomatique. Cela nécessite un travail de soi à soi, et il faut déjà avoir bien intégré que le soi existe, et qu’il y a une dimension spirituelle chez l’être humain. La formation des soignants à la dimension spirituelle est le grand manque de la formation, tous soignants confondus. On ne peut gérer certaines situations, sereinement et pacifiquement, que si l’on est bien conscient de cette dimension-là, quel que soit notre statut professionnel.

Derrière le terme formation, certains n’envisagent en effet que la dimension bio-psycho-sociale, et pas une « formation de la vie ». La formation spirituelle est infime ou inexistante chez les soignants par rapport à d’autre type de formation sur les soins somatiques, les massages et soins de confort, par exemple. Alors que la prise en compte de cette dimension parait essentielle dans les situations les plus complexes. Cependant, la seule formation personnelle ne permet pas toujours de trouver la bonne distance compte tenu de la complexité de certaines situations, où le recul nécessaire et la distance relationnelle deviennent inaccessibles à certains. Le travail pluridisciplinaire et la réflexion en équipe sont alors importants.

L’enseignement de l’éthique médicale pose problème en ce sens qu’elle ne peut faire l’objet d’un enseignement normatif comme pourrait l’être celui de la déontologie. Le CCNE dans son avis 84 du 29 avril 2004 fait une synthèse du rapport Cordier sur les recommandations relatives à l’enseignement de l’éthique médicale. Ce rapport fait le point sur les besoins des professions de santé en matière d’éthique. Il analyse tout d’abord quatre motifs de préoccupation. Le premier concerne les effets de la dépersonnalisation liés à la spécialisation de la médecine. La réflexion que doivent [ou devraient] mener entre eux les soignants, médecins compris, aiderait à prévenir les effets de la déshumanisation de l’exercice médical engendrée par cette logique de spécialisation. L’effacement de la clinique cédant la place à l’objectivation du malade, dans un exercice médical de plus en plus technicisé, est le deuxième motif de préoccupation. Le troisième concerne la « judiciarisation » de la relation soignant-soigné, qui peut pousser certains professionnels de santé à ne plus voir dans le malade, qu’un citoyen susceptible de faire valoir ses droits.

« Le risque serait de perdre de vue que le médecin ne se trouve pas en face d’un citoyen soucieux de faire valoir ses droits mais d’un être humain assailli par une

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souffrance qui demande à être entendue et non mise à distance par le respect formel de ses droits81 ».

Enfin les retombées d’un contingentement des soins peuvent favoriser la réflexion éthique en ce sens que les professionnels de santé ne considèrent plus comme un tabou la prise en considération de la dimension économique des problèmes sanitaires pour une répartition équitable des ressources.

Pour toutes ces raisons le rapport plaide pour l’intégration de la réflexion éthique dans la formation initiale et continue des professionnels. L’enseignement de l’éthique se doit d’être en prise directe avec l’exercice clinique. « L’éthique du soin » est une éthique pratique, une éthique en acte qui se traduit dans le comportement et la manière d’être au quotidien du professionnel de santé. Autrement dit, il ne convient pas d’avoir une éthique mais « d’être éthique ». Ainsi, plus que l’accumulation de connaissances, il semble indispensable d’éveiller le professionnel de santé à la perception des situations difficiles en l’aidant à acquérir une méthode de réflexion dans l’exercice de sa profession permettant de donner sens à la démarche de soin. La base de la réflexion, donc de la formation, portera sur l’information, sur le questionnement, sur la manière d’établir une relation de confiance, sur les mots de la communication et la différence entre information et communication, eu égard au sentiment très répandu éprouvé par le malade de ne pas avoir été écouté et informé.

« C’est en nourrissant sa réflexion d’une prise directe avec le concret et la clinique que l’éthique peut revêtir la forme d’une présence quotidienne au sein de l’acte de soin, d’une inquiétude, d’un questionnement au service de l’excellence82. » Une « option claire » pour le rapport Cordier est « de promouvoir la réflexion et le débat des médecins et des soignants eux-mêmes, l’éveil de leurs questionnements et de leur désir de dialogue, le regard individuellement porté par chacun sur le sens de sa propre pratique. Les grandes équipes sont celles qui reçoivent les questions et non celles qui se réfugient trop vite dans les certitudes confortables83

Une situation difficile confronte le professionnel à l’échange de parole autour de la reconnaissance d’un dilemme, à l’aptitude à verbaliser puis à écrire de manière simple, lisible et compréhensible, le raisonnement, aptitude qui fonde le comportement éthique. Il ne s’agit

81 Avis n° 84 du CCNE « Avis sur la formation à l’éthique médicale », 29 avril 2004, p.6 82 Ibid. p. 10

83 Cordier A., Rapport de la commission « Ethique et professions de santé », Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, mai 2003, p.42

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pas d’affirmer des certitudes mais d’amener le professionnel à exprimer et à transmettre un questionnement à propos d’une situation complexe soulevant un dilemme éthique et un conflit de valeur car

« le dilemme est lui-même source d'éthique ; l'éthique naît et vit moins de certitudes péremptoires que de tensions et du refus de clore de façon définitive des questions dont le caractère récurrent et lancinant exprime un aspect fondamental de la condition humaine84. »

C’est à partir de ce questionnement permanent que le soignant acquiert progressivement l’attitude éthique lui permettant de se positionner par rapport aux dilemmes moraux, en acceptant de se laisser interpeller et bousculer dans ses convictions, de se remettre en question en multipliant les points de vue et les éclairages contradictoires. De ce questionnement naît l’inquiétude éthique et la place laissée au doute, l’éveil à l’éthique et le développement d’un esprit critique et non d’un esprit de critique.

« L’éthique médicale surgit […] pour affronter les dilemmes moraux par un questionnement qui ébranle les convictions en multipliant les sources d’éclairage et les mises en perspectives. Elle enseigne l’humilité de l’incertitude en opposant aux mesures définitives [« je suis pour ceci ou contre cela »] l’inquiétude morale et le sens de la contingence des décisions85

Même s’il est risqué de proposer un programme préétabli d’une formation à l’éthique, il semble à certains qu’un minimum requis comporterait l’étude des principes ainsi que celle des problématiques générales posées par l’information et le consentement, les situations de début et de fin de vie, la souffrance de l’être humain, ainsi que la dignité, entre autres exemples. Mais l’introduction de la réflexion éthique impose de repenser tout un système de formation.

« le questionnement éthique doit, en effet, pouvoir se poursuivre au-delà de la formation initiale, et s’adresser aux médecins libéraux ou hospitaliers ainsi qu’à tous les membres de la communauté soignante. Et même si des difficultés liées à la disposition d’esprit général qui prévaut actuellement en France rendent problématique sa réalisation concrète, il n’est pas vain de rappeler l’opportunité d’un projet de formation éthique au profit des enseignants des professions de santé eux-mêmes86. »

84 Avis n° 63 du CCNE « Fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » 27 Janvier 2000, p.11 85 Avis n° 84 du CCNE « Avis sur la formation à l’éthique médicale ». 29 avril 2004, p.12 86

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Ce type de proposition fait prendre conscience de la nécessaire sensibilisation et implication des responsables institutionnels. La nécessité du travail interdisciplinaire rend nécessaire la formation à l’éthique non seulement des médecins et des autres soignants mais de l’ensemble des professionnels de santé, toutes professions confondues, y compris du secteur administratif.

« Le point clef est de se méfier de l’acte routinier qui évite la liberté du questionnement et la remise en cause de ce qui pourtant paraissait acquis à jamais. Face au déploiement « d’experts en éthique médicale », qu’en serait-il de la pratique quotidienne des médecins et soignants, des directeurs d’hôpitaux et des assureurs, des citoyens eux-mêmes, si la réflexion éthique n’était pas d’abord l’affaire de tous87 ? »

L’expérience montre que les professionnels du soin vivent difficilement l’absence de reconnaissance par les responsables des instances institutionnelles de la réalité et de la spécificité de leur travail, dans les domaines du soin où la réflexion éthique exige un comportement adapté à la complexité des situations. Le rapport Cordier invite à prendre conscience des nombreux foyers de résistance à l’extension de la réflexion éthique en pointant notamment le peu de crédit qui s’attache à la notion d’ « éthique » dans le milieu médical et donne une explication, entre autre, de cette « résistance médicale » quand il précise que

« La réflexion éthique est en réalité profondément subversive, en ce qu’elle interpelle le mode même de penser et d’agir […] Elle met en cause l’évitement du corps et de la relation au malade. Il y a comme une opposition frontale entre la technicisation de l’acte médical et la réflexion éthique qui commence par déstabiliser […] Nous comprenons l’éthique comme la mise en question du pouvoir et de la puissance par la responsabilité pour autrui88 […] Une réflexion éthique « quotidienne » s’impose donc à chaque médecin et à chaque soignant. Le refus de l'interrogation, de l'interpellation, de l'in-quiétude éthique, est une attitude éthiquement critiquable. Le fait d’interroger la science n’est pas illégitime en soi. Le vécu des médecins et soignants les appelle à la réflexion éthique, sauf à fuir tout questionnement de peur d’être submergé89

87 Cordier A., Rapport de la commission « Ethique et professions de santé », Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, mai 2003, p.37

88 Ibid., p.18 89

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