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Approche du groupe de réflexion éthique 249

E. Refus et violence dans la relation de soin

II. Approche du groupe de réflexion éthique 249

Le refus questionne le vécu du professionnel, du patient et la relation de soin

Le droit d’une personne de refuser un traitement ou des investigations est prévu par la loi et doit être respecté. Mais il est difficile pour un médecin d’entendre un malade refuser un traitement car il a l’impression qu’il ne lui fait pas confiance, et le vit souvent comme un échec. Le médecin, formé à proposer des traitements curatifs ou des techniques sophistiquées, croit souvent que les traitements à visée uniquement de confort sont un échec. Le refus ne se réduit cependant pas un problème de manque confiance de la part du malade qui reste demandeur de soin et d’attention vis-à-vis de celui à qui il refuse.

Le refus questionne aussi le vécu du patient qui veut dire quelque chose à travers ce refus. Le patient peut vivre de manière insupportable le fait d’être dépendant du savoir médical, du savoir d’autrui, d’apprendre un diagnostic ou d’être confronté à la maladie. Il sait bien qu’il est mortel mais brutalement il en a la révélation. Et le patient fragilisé fait face à ceux qui

249 Synthèse de la réflexion collective, menée au sein du groupe de réflexion éthique, suite à la présentation de situations de refus et d’arrêt de traitement par les équipes de soins. Participation moyenne 45 participants

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disent « c’est nous qui avons le traitement, c’est nous qui savons ». Une manière alors de garder le pouvoir, de garder la main, est de refuser. La confrontation de deux pouvoirs, celui de la personne vulnérable face à celui du soignant, peut engendrer une situation de violence. Jusqu’à quel point et surtout comment composer avec cette violence ?

Un sentiment d’injustice peut être ressenti par les soignants, à l’idée du temps investi important passé auprès du patient refusant une prise en soins, qui plus est au détriment des autres. L’équipe se voit confrontée au problème des limites, à savoir qu’elle prend en charge un patient fragile et dépendant, avec des exigences contradictoires refusant un traitement et demandant qu’on s’occupe de lui, vécues comme insupportables. Jusqu’où aller dans l’acceptation de ces exigences ? Comment garder le lien soignant-soigné ? Comment composer avec la violence ressentie dans la relation de soin ? Comment mettre des limites à cette prise en charge ? Ont-elles été suffisamment posées ? On peut comprendre que la maladie mette le malade en colère, cependant aucun soignant n’a une responsabilité dans sa maladie.

Certains patients pouvant donner l’impression d’utiliser l’agressivité comme mode de communication avec autrui, il s’agit pour les professionnels de décoder ce qu’il y a derrière cette posture. Quel regard l’équipe peut-elle porter sur un malade qui n’arrive plus à se reconnaitre dans ce qu’il devient, et les autres à le voir comme ce qu’il a été ? Comment regarder un patient autrement que comme un être humain porteur d’une maladie, et qui va mourir ? Comment instaurer la parole dans ce « corps à corps » soignant-soigné, une parole qui prenne sens dans ce contexte ? L’angoisse se glisse souvent à travers l’agressivité qui est du registre du vivant, sur un mode insupportable pour les soignants, un mode qui les mobilise dans des contre attitudes. C’est une souffrance partagée, une souffrance sans nom qu’il faut tricoter plus du côté du sens que du côté du « faire ». Dans quelle mesure doit-on accepter cette agressivité, sachant qu’en face se trouve une équipe de soins, ou certains de ses membres, en souffrance ? Quel temps est-il donné aux soignants pour qu’ils puissent intégrer cette réflexion et trouver la posture professionnelle permettant d’assurer la cohérence d’une prise en charge ? Comment se comporter vis-à-vis de l’intolérable en situation de vulnérabilité ? La question de la limite se pose et alerte sur le risque de maltraitance. Le malade n’est-il pas parfois dans un enfermement tel que, ne trouvant pas d’issue à sa situation, il joue un rôle dont il n’est pas conscient ? Enfermé dans un tel dispositif, il ne sait pas comment en sortir, incapable de communiquer, ne sait pas vers quelles personnes se tourner, et du coup l’équipe prend de plein fouet cette attitude. Si les soignants sont plus à l’aise dans

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l’institution qu’à domicile, inversement l’institution ne risque-t-elle pas d’imposer un pouvoir institutionnel majeur sur une personne vulnérable ? Il n’y a pas de solutions toutes faites, pas de solutions universelles. C’est du cas par cas, à chaque fois pour des situations où il n’y a pas le choix et pour lesquelles il faut trouver un équilibre. Les professionnels se retrouvent dans ces situations où ils se demandent ce qu’ils ont bien pu rater dans la prise en charge. Est-ce nous qui avons mal fait notre travail ou pas se disent-ils ? Ces problèmes quotidiens sont des problèmes constants dans la maladie chronique grave et la perte d’autonomie.

La relation de soin, entre vulnérabilité du patient et vulnérabilité du soignant

Le patient, du fait de sa vulnérabilité exerce un pouvoir, parfois d’une extrême violence. A force d’être dans le respect de la volonté du patient, le soignant ne se retrouve-t-il pas en difficulté ? Que faire face à la situation, estimée « insupportable » par le soignant, du malade refusant le soulagement de la douleur pour la réalisation d’un soin très douloureux, et que le malade, lui, l’estime « supportable » ? Jusqu’où le soignant peut-il être témoin, et blessé, dans ce qu’il est convenu d’appeler la fonction primaire du soignant ? Jusqu’où le soignant peut-il tolérer qu’un patient refuse, et lui impose sa souffrance ? Y a-t-il une limite à ce que le soignant doit accepter ? Peut-il dire aussi « je refuse » ? Le soignant témoin impuissant d’une situation, n’est-il pas en fait otage ? Le patient refusant un traitement antalgique « embarque » loin une équipe et les soignants, désarmés et confrontés à leur impuissance, dans la maltraitance en retour. Le soignant est partagé car cela bouscule les valeurs soignantes, et personnelles, de ceux qui sont là pour répondre à la souffrance d’autrui. Le soignant a le droit de ne pas être tortionnaire, de ne pas être pris dans le jeu du patient renvoyant une violence qu’il vit au plus profond de lui, avec le risque d’une violence en retour. La volonté de respecter la demande du patient, peut conduire une équipe à ne pas imposer ses propres limites. Or une limite imposée permet parfois de cheminer. Mais pour mettre des limites à autrui, encore faut-il qu’à elle-même l’équipe se soit imposé des limites. En effet, il peut exister une tolérance propre au groupe. Est-il allé trop loin dans la tolérance de l’intolérable250?

Il faut pouvoir discuter, car si elle reçoit cette violence, l’équipe n’est pas obligée de tout subir. Même si les soignants discutent dans une équipe, il faut cependant se « méfier » de la collégialité. En effet de même qu’existe une intersubjectivité entre les personnes, existe aussi

250 Zizek S., Violence, Editions Au diable vauvert, 2012, p., 176 « C’est bien le paradoxe de la tolérance dans son expression la plus pure: jusqu’à quel point la tolérance devrait-elle tolérer l’intolérance ? »

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l’inconscient dans un groupe, dont le fonctionnement échappe à la conscience. Est-ce parce que c’était la nuit et qu’elle était seule, que l’infirmière a pu prendre cette décision-là ? La collégialité a-t-elle empêché de soulager cette patiente plus tôt251 ? Le fait de mettre en commun ce que les patients peuvent nous dire, a posteriori, permet de ne pas être pris dans les enjeux relationnels d’une équipe. L’intérêt d’un groupe de réflexion éthique est de venir parler à distance, avec un regard extérieur, bénéfique. Prendre le risque de s’exposer, domestiquer son expérience, en faisant des retours d‘expérience, permet d’arriver, sur des situations nouvelles, avec une pensée qui a été travaillée, digérée, ce qui ne veut pas dire que l’on va arriver avec des solutions applicables sur des situations nouvelles, mais avec des repères reconfigurés au chevet d’un nouveau patient, repères reconfigurés pour écouter la narration d’autrui. S’ouvrir et s’exposer à la narration de l’autre permet de reconfigurer des repères, comme ceux du principisme [autonomie, bienfaisance, non malfaisance, justice] et d’autres encore, car l’éthique médicale ne se réduit pas à quatre mots.

La complexité, loin d’être un argument pour rompre le lien, exige de l’assumer

Cependant risquer de rompre un lien, c’est faire aussi que de nouveaux liens soient tissés252. Protéger l’humanité du patient n’est pas mettre en jeu sa propre humanité. Aussi faut-il bien que des limites soient posées. Celles-ci ne peuvent absolument pas être préétablies à toute relation médicale. Le patient réagit face à la maladie grave avec son histoire. Le soignant qui vient à son chevet arrive lui aussi avec sa propre histoire personnelle au sein de laquelle sont inscrites ses réactions face au patient. Il faut revoir la conception de la relation soignant-soigné non pas sur un mode de négociation mais sur le mode de l’alliance thérapeutique. Dans l’alliance thérapeutique, il y a non seulement le patient mais aussi la famille et ses proches, qui ont un rôle essentiel à jouer. Le bien-être du patient ne doit pas être au prix du bien-être du soignant. Il est impossible de savoir à l’avance quelle forme prendra l’alliance thérapeutique qui se joue dès le départ, sinon elle ne se mettra jamais en place, ou de manière incertaine et très compliquée. La façon dont le diagnostic a été annoncé est fondamentale. La tonalité donnée dès le départ à la relation oriente l’alliance thérapeutique. Si la tonalité de la relation est purement objective avec le simple devoir d’informer, il est clair que la dimension

251 Cf cas clinique n°3 VII Refus de soulagement de la douleur. Refus de chimiothérapie. Aspects éthiques. 252 Sixièmes rencontres doctorales Paris-Diderot 6 et 7 juin 2013: la pluridisciplinarité à l’œuvre. Appel à contributions. « Le lien relie, mais non sans ambivalence : il unit, établit une relation, mais il entrave aussi, il

assujettit. […] Le lien augmente la puissance de ce/ceux/celles qu’il lie, à condition toutefois de circonscrire les forces respectives : l’ambivalence est dans la ligature qui multiplie et divise à la fois […] Qu’est-ce qu’un lien rend possible ? Qu’est-ce qu’il rend impossible ? Cette interrogation traverse l’ensemble des activités humaines et tous les champs disciplinaires ».

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humaine est absente ou au second plan. Il n’y a pas d’alliance thérapeutique s’il n’y a pas une dimension humaine. Mais parfois, malgré les efforts consentis, elle pourra ne jamais se mettre en place. La question de l’autonomie est très forte dans cette problématique. Cependant le terme « autonomie », mot valise, est un terme qui peut fausser les données d’un problème surtout quand il est compliqué. Il est préférable de parler en termes de « capabilité253 » qui est une réinterprétation de l’autonomie, tenant compte à la fois de l’intégrité et de la dignité de la personne. Ce sont à la fois des capacités réelles effectives du patient, celles qui sont toujours là, et des capacités possibles qu’il peut encore développer, qu’il convient de prendre en considération. La communication est par exemple la capabilité à développer dans certaines situations de dépendance physique. Il faut maintenir ou restaurer la communication dans un réseau social pour un patient dépendant. Le patient est ainsi repositionné en tant que sujet responsable car il lui est redonné une possibilité de choix. Etre capable de faire quelque chose c’est avoir le luxe du choix. Que peut-on répondre cependant quand un patient demande quelque chose d’irréalisable pour l’équipe, au risque d’une souffrance professionnelle ou au risque d’un préjudice pour les autres patients ? Il est intéressant de noter que quand on renonce à la toute-puissance on devient capable. L’alliance thérapeutique ne doit-elle pas dépasser le duel pour s’inscrire dans le groupal au sein duquel, pourvu qu’on arrive à se parler, on arrive aussi à nommer de part et d’autre ces difficultés, ces impossibles et essayer de convenir ensemble ce qu’il est possible de consentir ensemble aujourd’hui ? Dans ces situations, il faut s’occuper de l’équipe qui tourne autour du patient pour créer une « groupalité » qui soit contenante. Car il est difficile, voire impossible, à une équipe en souffrance d’être contenante. Y-a-t-il une organisation de travail favorisant l’échange de parole ? En quoi, proposer une « groupalité contenante », a-t-il une dimension éthique ? Cette dimension éthique inclue la notion de capabilité, le respect, la bienfaisance vis-à-vis du patient [pas au prix des professionnels de santé], la prise en compte de l’humanité de ceux dont les professionnels prennent soin qui ne peut pas se passer au prix de l’humanité de ceux qui prennent soin d’eux etc…… A partir du moment où les professionnels sont en danger, à

253 Nussbaum M., Creating Capabilities. The Human Development Approach, Havard University Press, 2011 Traduit de l’anglais par Solange Chavel, Capabilités, Comment créer les conditions d’un monde plus juste ? Flammarion, Paris, 2012. Selon Martha Nussbaum les capabilités sont les réponses à la question : « Qu’est ce que cette personne est capable de faire et d’être ? » Selon Amartya Sen citée par Martha Nussbaum dans l’ouvrage « la capabilité d’une personne se rapporte aux différentes combinaisons possibles de fonctionnement qu’il lui est possible d’atteindre. La capabilité est donc une certaine forme de liberté : la liberté substantielle d’atteindre différentes combinaisons de fonctionnement ». Toujours selon Martha Nussbaum « il ne s’agit donc pas simplement des capacités dont une personne est dotée, mais des libertés ou des possibilités créées par une combinaison de capacités personnelles et d’un environnement politique, social et économique. […] le concept de liberté de choisir est intrinsèque au concept de capabilité ».

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partir du moment où il y a « burn-out », la dimension éthique invite à reconsidérer la prise en charge car elle ne correspond ni aux besoins du patient, ni à celle des professionnels. En situation de souffrance les professionnels ne peuvent accompagner le patient. Or la recherche du sens de ce qui est fait et le questionnement éthique sont assurément une prévention de cette souffrance professionnelle.

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