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Approche du groupe de réflexion éthique 155

C. Directives anticipées et refus I. Directives anticipées à l’écoute des voix de chacun

II. Approche du groupe de réflexion éthique 155

Le recueil des directives anticipées est très peu réalisé156. Quand un patient a une pathologie lourde, les recommandations de bonnes pratiques professionnelles stipulent de recueillir son consentement, ses désirs, ses souhaits, la présence d’un tiers référent, ses directives anticipées en cas de survenue de perte des moyens de décider. Les directives anticipées, si elles sont réalisées, priment sur la personne de confiance et sur les dires de la famille. Cependant même s’il n’y a pas eu de directives anticipées écrites il faut se préoccuper auprès des proches des souhaits et désirs émis antérieurement par la personne.

Les professionnels de santé peuvent être surpris d’être confrontés à des directives anticipées parfois très «directives », mais ils doivent se préparer à en voir arriver de plus en plus souvent. Il importe qu’ils ne soient pas déstabilisés dans le raisonnement surtout si l’écrit, très péremptoire, peut être gênant pour le médecin. Les injonctions telles que « je refuse ceci, je refuse cela » pouvant induire chez celui-ci un sentiment de menace, car il n’a pas toujours en tête les articles du code de santé publique, et peut avoir peur de ne pas respecter la loi. De plus, la dimension morale de la demande du patient, disant refuser tel ou tel acte, amène le médecin à prendre une décision, en conscience, avec laquelle il peut ne pas être à l’aise par la suite.

En situation aigue de réanimation, avec un pronostic engagé à court terme, il est très difficile de prévoir ce qui va arriver, d’estimer la probabilité de retour à un état antérieur. Faut-il réanimer ou pas, dans un premier temps, un patient ayant écrit des directives refusant la réanimation, présentant une pathologie potentiellement curable en quelques heures ou quelques jours ? Faut-il l’accepter en réanimation, sachant qu’il est marqué dans ses directives anticipées, qu’il refuse toute ventilation artificielle ? Quel poids donner à ces directives

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Synthèse de la réflexion collective, menée au sein du groupe de réflexion éthique, suite à la présentation de situations cliniques par l’équipe de réanimation.29 participants.

156 Rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie en France [dit rapport Sicard] 18 décembre 2012

« L’état actuel des directives anticipées est un chantier non ouvert, que ce soit en raison de leur méconnaissance, de leur inefficacité ressentie, ou de leur inutilité. Les directives anticipées n’ont été rédigées que par un nombre infime de personnes en fin de vie […] en 2012, seules 2,5 % des personnes décédées en avaient rédigées. […] Les directives anticipées sont dans la loi Leonetti, mais n’ont aucune publicité, aucune obligation, et demeurent totalement en suspens dans l’univers médical. […] En revanche, il semble évident que ces directives apparaissent comme essentielles quand dans une famille, une personne est touchée par une maladie particulièrement grave et que l’entourage découvre alors la non prise en compte de ces directives ».

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anticipées, sachant qu’elles sont recopiées à partir d’un formulaire standard ? Le patient les a-t-il discutées avec son médecin traitant ou un autre médecin référent ? Qu’en a-a-t-il compris ? Les directives anticipées ne sont-elles valables que dans le cas où la personne est incapable de donner son avis ? Quelle est la situation juste avant le moment du geste potentiel ? Faut-il discuter, à ce moment-là, en urgence ? La famille doit-elle être consultée s’il est fatigué au point de ne pouvoir donner un avis ? Un professionnel de santé avec cet écrit sous les yeux ne peut pas se mettre un voile, et ne pas en tenir compte. Une fois lues, suffit-il de dire qu’on en a pris connaissance et qu’on les a prises en compte ? Un texte global peut-il avoir une valeur juridique s’il contient une partie qui n’en n’a pas, notamment en ce qui concerne la demande de « procurer une mort douce » ? Quelle directive faut-il prendre en compte quand il y en a plusieurs ? Y en a-t-il une qui a plus de valeur qu’une autre, même si au titre de la loi, c’est la dernière version écrite qui a de la valeur ? Avec ce type de document, est-il possible que le réanimateur en fasse moins qu’il en ferait pour un cas similaire ? « Prendre en compte » est-ce respecter aveuglément les souhaits du patient, ou cela doit-il peser dans la décision comme tout autre argument, et pas plus, qu’il soit clinique ou autre ? Au nom de quoi va-t-on suivre les souhaits et désirs exprimés du patient, souhaits et désirs dont il n’a peut-être pas complètement évalué la dimension dans ce document ? Quel est son niveau de compréhension de ce genre de document ? Peut-on juger de la compréhension sans juger la personne ? Quelle validité accorder aux directives anticipées dans un contexte psychiatrique ? Une personne dite « psychiatrique » ne peut-elle pas avoir des craintes légitimes sur sa fin de vie ? En théorie, les directives anticipées ne sont valables qu’en cas de fin de vie. Le patient en cas d’épisode clinique aigu justifiant une réanimation, est-il en fin de vie ? Il y a un écrit, une texture d’être et une conception de la vie que transmet le sujet à travers cet écrit. Comment ne pas en tenir compte ? Faut-il attendre le résultat d’un examen laissant présager des complications graves ou l’absence de récupération pour en tenir compte ? Perd-t-on notre autonomie et notre capacité à exprimer des souhaits pour autant que l’on est vieux, vulnérable ou avec un déclin cognitif ? Quid des souhaits ou d’une recherche de l’adhésion à quelque chose d’exprimé par une personne vulnérable ?

L’effort de rédaction à faire explique qu’on en voit peu jusqu’à présent, et que cela concerne des patients bien particuliers, une certaine « élite » de personnes « coachées » par des associations, alors que le « citoyen lambda » n’a pas eu encore accès à cela. Ce genre de situation, jusqu’à présent assez rare, a pourtant une importance du fait de sa rareté. Il faut imaginer le cheminement d’une femme ou d’un homme ayant pris le temps de réfléchir,

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d’écrire, peut-être d’en parler à un proche ou à une personne de confiance. L’esprit des directives anticipées est d’inviter les professionnels de santé à faire attention à ce qui a pu être écrit, ou dit à l’entourage, même s’il n’ y a pas de texte daté et signé en bonne et due forme, une personne ayant pu émettre des souhaits, des préférences ou des désirs auprès de ses proches. Si les directives anticipées ne s’imposent pas au médecin, jusqu’à présent, celui-ci doit s’imposer de les prendre en considération. La réflexion se situe à l’échelle des individus et aussi à l’échelle de la société. L’idée que vont être réglées à l’avance les conditions de son décès avec une « mort douce » programmée à l’avance, correspond-t-elle à la réalité, ou à un fantasme ?

Si le contenu de ce qui peut être écrit dans les directives anticipées doit s’inscrire dans un contexte légal et ne peut être contraire à la loi, il n’y a pas de loi qui dise ce que l’on peut écrire. Procurer intentionnellement une mort rapide et douce est contraire à la loi, mais refuser un traitement aboutissant à ce résultat est possible. Des directives très générales laissent au médecin une latitude importante, mais des directives trop précises, allant trop dans les détails, courent le risque qu’elles ne soient plus pertinentes au moment donné. Ce qui est intriguant, est quand ce ne sont ni les mots du patient, ni les mots de la loi, mais les mots d’un formulaire recopié.

Dans la maladie chronique, si une personne demande à ce que le document, placé en première page dans son dossier, contienne son souhait de ne pas avoir d’acharnement thérapeutique, cela ne gêne absolument pas la relation dans le suivi, bien au contraire. Ce type de démarche relève du bon sens médical. La connaissance du document amène à en parler avec le malade. C’est l’esprit des directives anticipées157. Il constitue un outil de dialogue, le malade est rassuré, en confiance. La démarche personnelle et intellectuelle de la personne écrivant des directives anticipées influence la vision que les soignants ont du malade, même s’ils tentent de prendre du recul et de s’entourer de critères objectifs. En dehors de l’aspect légal du document, même si le patient est allé chercher l’information sur internet ou dans une association, la démarche personnelle du patient témoigne d’une volonté dont on ne peut pas ne pas tenir compte dans la prise en charge. La famille peut être déterminante, dans la même lignée, dans la demande de non acharnement et de respect du refus. La réflexion en plusieurs

157 Loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, art. 5 « Lorsque la

personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, la limitation ou l’arrêt de traitement susceptible de mettre sa vie en danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée de limitation ou d’arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical. »

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étapes d’une personne signant un document après l’avoir recopié est digne d’intérêt, car elle témoigne d’une réflexion personnelle. Un texte modifié devient plus humain, fait apparaitre la demande de dignité, contient une certaine « douceur humaine ». L’essentiel réside dans le sens que l’on veut donner à l’expression « en tenir compte » et dans le sens de ce à quoi servent les directives anticipées. « Prendre en compte » ne peut pas être une soumission aveugle aux souhaits et désirs du patient, parce que si la loi permet d’exprimer beaucoup de choses dans les directives anticipées, elle ne permet pas de demander n’importe quoi aux professionnels de santé. Les directives anticipées, la personne de confiance et tout l’encadrement juridique n’exonèrent pas le professionnel de sa responsabilité, qu’elle soit éthique, déontologique ou juridique. Finalement un tel document est délicat et très compliqué.

Parler de « validité » du document conduit à bien faire la différence entre la valeur juridique du document et la valeur éthique qui est très forte. Il a une valeur éthique en ce sens que le patient, dans sa démarche personnelle, exprime quelque chose créant un espace de parole pour le jour où il n’aura plus les moyens de communiquer. Il essaie, par anticipation, de tisser un lien virtuel « au cas où ». En ce sens la dimension éthique est très forte. Une valeur essentielle mise en jeux est le respect de l’intégrité de la personne, autant l’intégrité physique que l’intégrité morale. Ce genre de démarche ramène au souci impérieux qu’autrui respecte la conception que le sujet se fait de la vie et de la mort.

La question éthique pourrait être de savoir comment déterminer, et à partir de quels critères, la valeur d’une directive anticipée. La valeur interrogée peut être celle de l’autonomie, au moins au moment où la personne écrit ce document. Mais une personne ne se réduit pas à un acte ou une décision, et nous sommes tous une histoire. Bien prendre en charge une personne consiste à considérer toute l’histoire d’une directive anticipée. L’application aveugle des directives correspondrait à une bureaucratisation de la fin de vie. Si au départ, l’esprit des directives était de protéger l’autonomie des patients, avec ce qui est écrit sur internet et l’accès facilité à un certain type d’information, dans le texte de certaines directives anticipées, il devient difficile de cerner où est l’autonomie du patient ou ce qu’il en est advenue.

Les directives anticipées mentionnant la perte d’espoir ou l’impossibilité de retour à une vie décente soulèvent des questions délicates. Cela revient-il à dire que les arguments cliniques prévalent sur les arguments personnels ? Et si oui cela ne va pas dans le sens de la loi Leonetti sur les droits des malades et à la fin de vie. La confrontation entre le respect d’une bonne pratique professionnelle et le désir d’un malade est-elle une problématique éthique ? Quand la

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technique médicale doit-elle s’effacer et sur quels arguments ? Quand doit-elle céder la place aux desiderata du patient ? Il faut s’inspirer de l’esprit d’un texte, en avoir une vision globale et non se focaliser sur un détail. La technique doit s’effacer si les choses se compliquent. Le message est que la personne ne veut pas avoir de vie artificielle, ni d’une vie médicalisée,

technicisée, qu’elle veut une mort naturelle authentique ou qui y ressemble le plus possible.

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