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La méthode de la réflexion éthique fait partie de l’activité de soin

B. La démarche d’Aide à la Réflexion Ethique I.Guide d’aide à la réflexion éthique

III. La méthode de la réflexion éthique fait partie de l’activité de soin

Les questions éthiques posées en pratique clinique, sont nombreuses et variées, en fonction de la situation clinique, qui sera toujours unique pour un malade donné. La vulnérabilité de la personne malade exige une décision médicale contraignant le professionnel à choisir « la

moins mauvaise solution » et à sacrifier, face au dilemme d’une situation clinique singulière,

une valeur à laquelle il tient. Le jugement pratique sera orienté vers le « bien » du patient singulier et non vers une valeur ou un principe moral.

Selon David Roy, la réflexion éthique caractérisant l’éthique appliquée fait partie intégrante du jugement clinique du médecin, lorsque celui-ci assume la responsabilité de soigner un malade. Le champ de réflexion concerne en particulier les décisions à prendre en situation d’incertitude, les conflits de valeur et les dilemmes, partout où il existe une activité de soin. La finalité de la réflexion est de poser un jugement de manière concrète, sur ce qu’il y a à faire, au lit du malade, en tenant compte au mieux des besoins et intérêts de ce malade. Les décisions et conflits qui peuvent en résulter sont partie prenante d’un réseau complexe d’éléments qui sont propres au malade, avec ses besoins, ses désirs, son milieu de vie, ses points de force et de vulnérabilité. L’étendue des décisions est donc aussi vaste que la diversité des situations rencontrées dans le champ de l’activité clinique. L’auteur établit plusieurs niveaux de réflexion, définis par l’existence de principes généraux, de normes générales et de normes spécifiques, qui précisent ce qui est moralement prescrit, permis, toléré ou interdit. Le patient dans sa totalité biographique, avec son histoire personnelle unique, représente la norme ultime. C’est la biographie du patient qui va permettre de dire au chevet du malade ce que permettent, tolèrent ou interdisent les normes. C’est à partir du cas particulier que s’élabore une réponse selon un raisonnement de type inductif. Si la situation du malade et de son entourage est appréhendée de la façon la plus globale possible, de manière holistique, on pourra dégager les éléments nécessaires à la résolution du dilemme éthique, ou du conflit de valeur éventuel. Le défi éthique consiste à établir un dialogue, et à le maintenir jusqu’à ce que toutes les opinions aient été exprimées et débattues, afin de pouvoir saisir l’essentiel du problème, en vue d’en arriver à un consensus tolérable sur ce qui devrait être fait ou évité. Même si le résultat souhaité n’est pas toujours atteint, la méthode de travail est en elle-même une démarche créatrice d’éthique, conforme aux principes de l’éthique de discussion.

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« De ce fait, l’éthique clinique constitue un genre particulier d’éthique inductive. […] En éthique clinique, nous ne pouvons pas régler chacun des cas individuels simplement à partir d’un ensemble de principes moraux, philosophiques et religieux….La maxime de l’éthique clinique est [que] chaque cas détient sa propre résolution […] L’atteinte d’un tel niveau de compréhension exige du médecin un effort certain et demeure une composante essentielle de sa mission. L’éthique clinique fait partie intégrante du jugement clinique et du travail du médecin. L’éthique clinique, par conséquent, n’est pas une application de la philosophie ou de la théologie. Elle constitue une activité intellectuelle propre et tout à fait originale67. »

Il s’agit bien d’une méthode de travail proposant une réflexion critique au sein des pratiques médicales actuelles, techniques et scientifiques, dans les domaines du diagnostic et de la thérapeutique. Elle peut aider bon nombre de médecins qui, culturellement formés à considérer la médecine comme ayant une fonction unique de diagnostic et de thérapeutique, vivent très difficilement de ne pas mettre en œuvre systématiquement toutes les ressources techniques mises à disposition. Ainsi, si cette méthode constitue une aide appréciable pour certains médecins, elle peut aussi en déstabiliser profondément d’autres qui peuvent se sentir remis en causes dans leur rôle, leurs croyances et leurs certitudes. Car loin de se réduire à une simple méthode de résolution de problème,

« Elle met en évidence l’une des caractéristiques fondamentale de la réflexion éthique : l’inquiétude de la perplexité [car] l’incertitude semble en effet être un trait marquant de l’expérience de la décision clinique68

Elle part du questionnement et de l’inquiétude éthique des soignants confrontés à des situations qui ont pu poser problème, les exposant à leurs limites et à leur propre souffrance professionnelle. Ils se posent la question d’une méthode de travail leur permettant de prendre le recul et la distance nécessaires, par rapport à ces situations difficiles. La méthode fait intervenir les acteurs du terrain concernés, et refuse la solution de l’expertise extérieure. Cependant, une équipe extérieure, transversale et pluridisciplinaire, rompue à cette méthode, avec un regard extérieur et distancié, va servir de « tiers intervenant », favorisant l’échange de parole. Elle s’appuiera

« Avant tout sur la narrativité des acteurs du soin pour promouvoir au mieux l’élucidation et l’intelligibilité d’une situation qui pose ou a posé problème69. »

67 Roy D. Soins palliatifs et éthique clinique. In : Les Annales de soins palliatifs, Les défis, Coll. Amaryllis, Centre de bioéthique, Institut de recherche clinique de Montréal, Québec, Canada, 1992, p. 173- 186

68 Boitte P., de Bouvet A., Cobbaut J.P., Jacquemin D., Démarche d’éthique clinique, In : Ethique médecine et

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Il s’agira à la fois de clarifier les conditions dans lesquelles une décision se formule à partir d’un cas singulier, et à la fois d’interroger les différentes logiques institutionnelles influençant, de près ou de loin, l’activité de soin en respectant un juste équilibre, entre la priorité à donner à la personne soignée, et les contraintes imposées par un environnement donné. La méthode met l’accent sur une réflexion a posteriori des situations cliniques, dont la résolution permet à un groupe de soignants de progresser et d’être mieux armé pour la résolution ultérieure de cas à venir. C’est en ce sens que cette méthode sous-tend une véritable créativité éthique. L’analyse de la demande, l’étude du fonctionnement et la composition du groupe, la synthèse écrite de la réunion sont des étapes essentielles de la démarche de réflexion. Le raisonnement selon lequel le professionnel est capable d’écrire de manière lisible, simple et compréhensible par tous, la réflexion menée, atteste de son caractère moral selon un principe de publicité. In fine, la réflexion éthique par les interrogations qu’elle suscite, se pose comme véritable révélateur de la fonction de la médecine dans la société, à travers le questionnement qu’il renvoie au débat démocratique. La méthode de réflexion éthique de type casuistique, au cas par cas, ne s’oppose pas à une méthode fondée sur des principes. Ces méthodes sont au contraire complémentaires et ne peuvent que s’enrichir mutuellement. C’est sous l’éclairage des principes, qui constituent un cadre de réflexion, que s’étudie une situation singulière avec un aller-retour permanent dans la réflexion, entre les principes et le cas particulier. L’opposition des principes entre eux donnera toute sa valeur à la capacité du groupe de réflexion éthique à contextualiser la situation particulière. Beauchamps et Childress insistent dans leur ouvrage de référence, The Principles of

biomedical ethics, sur « la nécessaire fertilisation réciproque du cas et du principe et sur le caractère dialectique de l’éthique médicale70. »

Une approche pragmatique et concrète d’une éthique appliquée a besoin d’outils d’aide à la réflexion. Une démarche réflexive pluridisciplinaire est nécessaire pour intégrer la dimension éthique dans la gestion de situations complexes, posant des dilemmes éthiques. J. St Arnaud détaille une démarche comprenant dix étapes illustrant une réflexion pouvant servir de modèle :

1 Identifier le problème éthique en cause, 2 Identification des faits pertinents au regard du problème à traiter, 3 Identifier les personnes concernées, 4 Identifier les différentes options

69 Ibid p.461

70 Amann J.-P., Gaille M., « Approche par les principes, approche par les cas : les limites philosophiques d’une opposition », In : Ethique et Santé 2007 ; 4 :195-9

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d’intervention possibles, 5 Identifier les normes et contraintes légales sociales institutionnelles, 6 Repérer les études de cas et principes qui permettraient une solution, 7 Analyser les liens entre les faits et les repères éthiques pertinents, 8 Proposer des options éthiquement valables avec les parties concernées, 9 Choisir une option consensuelle, 10 Faire une évaluation et l’intégrer dans un rapport. Une pratique de cette méthode finit par créer une culture éthique et prévient un grand nombre de problèmes liés au stress et à la souffrance professionnelle.71

Le point de vue des soignants et ce qu’ils disent au cours des entretiens

L’interdisciplinarité apparaît comme un besoin de s’exprimer, de se sentir appartenir à un groupe qui vit une expérience en commun, de partager avec ses pairs pour essayer de trouver des ressources en équipe. L’échange en équipe est primordial pour que chacun puisse faire part de ses difficultés et de son vécu. Pour se protéger des situations violentes, la parole est un outil précieux. Une équipe pluridisciplinaire comporte des personnes avec leurs affects et leurs valeurs. D’une personne à l’autre, des situations identiques n’appelleront pas les mêmes gestes, ne conduiront pas aux mêmes décisions, ne seront pas sous-tendues par la même réflexion. Les membres de l‘équipe ne sont pas là par hasard, chacun a un rôle à tenir et à exercer au contact des autres. La question de la fonction et des rôles réapparaît toujours actuelle et sans fin, nécessaire pour mettre de l’ordre là où l’échec thérapeutique, la non-guérison, la violence de la mort prochaine, nous entraînent insidieusement vers le désordre. Les tâches de chacun doivent être clairement précisées ainsi que leurs limites, et ceci pour tous. Chacun apporte sa compétence spécifique et doit évoluer en tenant compte des acquis recueillis au contact des autres.

Dans cette interdisciplinarité, plusieurs mondes se rencontrent : le monde médical, celui des soignants, des paramédicaux, de l’entourage et des proches, celui des bénévoles également. La décision médicale finale, engageant la responsabilité, appartient au médecin dont l’isolement ressort dans certains entretiens. Il peut inviter encore plus au travail et à la réflexion en équipe. Des médecins qui n’ont pas appris à s’entourer, peuvent se sentir isolés, par manque de dialogue et de confiance, ou par manque de méthode de travail interdisciplinaire. Les soins palliatifs constituent un lieu où les situations sont complexes et où les décisions sont difficiles. Les capacités éthiques sont mises à l’épreuve et c’est

71 Saint-Arnaud J., La démarche réflexive et interdisciplinaire en éthique de la santé, In : Ethique et Santé 2007 ;4 :200-6

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généralement dans l’incertitude qu’il faut faire des choix. Si le médecin est responsable de ses actes, il a besoin d’être éclairé, et la participation active de l’équipe est nécessaire avant la prise de décisions. Un cadre de travail suffisamment clair, connu de tous, est à définir pour permettre un échange de parole et poser les objectifs de soins, à propos d’une situation difficile. Le fait de définir ce cadre et d’échanger permet d’avancer. Cet échange permet de parler en équipe, de ce qu’un malade éveille en nous, de ce qu’il déstabilise. Les soignants ont conscience de la nécessité d’instaurer ce cadre, même s’ils remettent en cause la réponse institutionnelle apportée. Si ce cadre de travail n’est pas opérant, les soignants risquent de se mettre en difficulté. Si un cadre de travail contenant permet de trouver une réponse institutionnelle cohérente face aux situations complexes, le risque n’est- il pas de développer un totalitarisme ou une « dictature de l’équipe » vis à vis du malade ? Se pose alors la question de l’espace de liberté pour le malade. N’oppose-t-on pas au malade une pensée unique d’équipe dominatrice ? Les différences peuvent-elles être tolérées, s’il y a une idéologie dominante à laquelle tout le monde doit se plier ? Oui, disent les soignants, si l’on part des volontés du patient, et que le projet est bâti à partir de ses désirs, en respectant son éventuel refus. Le refus du malade peut en effet créer des conflits au sein de l’équipe, et faire poser la question de la tolérance et de l’acceptation du choix de vie différent, de l’espace de liberté au sein de l’équipe pour accepter des idées différentes. Ainsi, certains malades révèlent les discordances, les failles, les divergences.

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