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CHAPITRE IV. LA DIMENSION ASPECT DE LA COMBINATOIRE DES V_AFFECT V_AFFECT

3. L’aspect phasique : inchoatif, cursif, terminatif

3.4. Le récapitulatif des résultats

Nous récapitulons ici les grandes lignes des résultats obtenus par rapport aux hypothèses. La figure suivante compare la répartition des valeurs sémantiques aspectuelles que véhiculent ces associations en français et en arabe.

Figure 22 : Émogrammes avec le récapitulatif des valeurs aspectuelles véhiculées par la combinatoire des V_affect dans les deux corpus (en %)

On y constate les valeurs aspectuelles de base, à savoir la valeur ponctuelle par opposition à la valeur durative et les valeurs phasiques (inchoative, cursive et terminative) dans les deux corpus. L’aspect ponctuel itératif est la valeur la plus fréquente (87 occurrences dans le corpus français contre 14 occurrences dans le corpus arabe). Quant aux valeurs durative et phasique, elles se répartissent dans des proportions inégales : 33 occurrences dans le corpus français contre 7 occurrences dans le corpus arabe expriment la valeur durative, et 70 occurrences en français contre 10 occurrences en arabe véhiculent la valeur phasique. Le calcul de ces valeurs aspectuelles de la combinatoire des V_affect par l’intermédiaire des collocatifs suppose que l’aspectualité relève à la fois du lexique, de la syntaxe et de l’organisation de la phrase.

Les résultats statistiques obtenus ne sont pas équilibrés dans les deux corpus. Ce constat s’applique aussi aux champs sémantiques représentés par les V_affect sélectionnés, qui témoignent des fréquences différentes dans les deux corpus. Par exemple, pour la dimension

intensité, la structure récurrente en français est (V + Adv) pour tous les V_affect, mais dans

des proportions variables. C’est une différence avec l’arabe, qui ne structure pas cette dimension de la même façon.

Quant à la dimension aspectuelle, elle concerne l’aspect lexical ponctuel et duratif, et apparaît en français et en arabe. La valeur ponctuelle itérative est véhiculée préférentiellement par les V_émotion (causée) étonner/[ʔadhaʃa] et énerver/[ʔaɣḍaba]. La valeur durative, quant à elle, est exprimée par la combinatoire du V_sentiment (interpersonnel) admirer/[ʔaʕʒaba].

Les trois phases aspectuelles analysées ont révélé les préférences du V_émotion énerver en français, et [ʔadhaʃa] (étonner) (ponctuel réactif) en arabe, essentiellement pour la valeur inchoative ; les préférences du V_sentiment admirer (duratif) et du V_émotion étonner (ponctuel) en français pour la valeur cursive et celles du V_admirer en français et [ʔadhaʃa] (étonner) pour la valeur terminative.

Il résulte des observations et des analyses proposées ci-dessus que la comparaison entre les deux champs « émotion » (colère et surprise) et les deux champs « sentiment » (jalousie et admiration) permet de mieux appréhender les différences dans l’emploi des collocatifs pour l’expression de la dimension de l’aspect. Les deux langues présentent une diversité au niveau formel des collocations : en français, l’expression de l’aspect lexical est liée particulièrement à des V_affect accompagnés d’adverbes modifieurs (V + Adv) ou de périphrases avec n’en

finir pas, continuer de, ne cesser de (V + V), tandis qu’en arabe, elle est associée à des

configurations syntaxiques différentes : les accompagnateurs sont des noms, des GN, des GP ou des V.

L’analyse quantitative nous a permis d’examiner systématiquement les attirances et les aversions entre les V_affect et les modifieurs avec lesquels ils se combinent. Les observations ont permis de mettre en évidence leurs profils combinatoires d’après les méthodes lexico-statistiques en français, (Manning et Schütze, 1999 ; Diwersy et François, 2012 ; Diwersy et

al., 2014) et, en arabe, en calculant les proportions de la répartition des combinatoires par

rapport au nombre total d’occurrences.

Nous avons donc confirmé notre hypothèse de départ : les émotions sont plutôt ponctuelles et itératives (étonner et énerver et leurs équivalents respectifs [ʔadhaʃa] et [ʔaɣḍaba]), comparées aux sentiments. Ces derniers ont tendance à exprimer la valeur durative (admirer, son équivalent [ʔaʕʒaba] et [ħasada] (envier)). Mais quelques nuances sont apparu : le verbe envier en arabe est plus duratif qu’en français, où il se combine plutôt avec des Adv modifieurs d’aspect ponctuel itératif. L’opposition sentiment/émotion est importante dans l’étude des valeurs aspectuelles des V_affect ; nous avons donc pris en compte les propriétés aspectuelles identifiées dans différents travaux linguistiques portant sur les émotions (surprise et colère) et les sentiments (admiration et jalousie) pour les vérifier dans les corpus en français et en arabe.

Étudier la combinatoire lexicale des V_affect dans le cadre d’une approche contrastive français-arabe nous a permis de mieux appréhender les spécificités syntaxiques et sémantiques qu’elle entretient dans les deux langues comparées. Les résultats obtenus valident nos hypothèses : aux différentes dimensions sémantiques correspondent des structures syntaxiques spécifiques (Hoey, 2005 ; Blumenthal, 2007b ; Novakova et al., 2012).

En partant de la forme vers son contenu, la méthode sémasiologique nous est donc utile dans la distinction de différentes valeurs aspectuelles identifiées dans ce travail (ponctuelle itérative, durative, phasiques). Ces données confirment la corrélation entre les traits sémantiques des combinaisons des V_affect et des structures syntaxiques dans lesquelles elles figurent. Plus précisément, il s’agit des verbes qui attirent des modifieurs spécifiques afin d’exprimer un trait sémantique particulier. Ces résultats pourraient, par exemple, avoir des applications en lexicologie ou en lexicographie.

Synthèse

L’examen lexical de la combinatoire des V_affect en français et en arabe contribue à mieux cerner fonctionnement sémantique et formel de celles-ci dans les deux langues comparées. La combinatoire des verbes d’affect étudiés correspond, d’un point de vue syntaxique et contrastif, à différents patrons. Ces différences compliquent quelque peu leur analyse, ce qui est dû aux particularités systémiques et terminologiques de chaque langue.

Nous avons commencé par élaborer deux grilles sémantiques et syntaxiques (Blumenthal, 2007b ; Diwersy et al., 2014). Ces grilles nous ont permis d’examiner successivement les dimensions sémantiques que véhiculent les collocatifs s’associant aux V_affect sélectionnés (admirer, envier, (s’)étonner, (s’)énerver et leurs équivalents en arabe) dans les deux langues, et d’analyser les préférences syntaxiques qu’affiche leur combinatoire.

Comme il s’agit d’un travail contrastif, il était nécessaire d’indiquer avec précision certaines particularités et notions fondamentales inhérentes à la langue arabe, qui sont en rapport avec notre étude. Ces précisions ont permis de mieux mettre en contraste les faits dans les deux langues. Nous constatons, en revanche, que notre thématique de recherche est peu explorée en arabe, et encore moins en comparaison avec le français, étant donné que la notion même de collocation est restée absente des dictionnaires unilingues et bilingues papier arabes (Hobeika-Cakroun, 2011).

En nous appuyant sur la méthode de l’analyse lexicale et syntaxique (Blumenthal, 2007b ; Novakova et Tutin, 2009), nous avons examiné la combinatoire syntaxico-lexicale des V_affect relevés dans nos corpus. Cet examen nous a permis de mieux cerner les similitudes et les différences. Nous sommes partie du modèle de Lexical priming de Hoey (2005), traduit par D. Legallois (2006) par « amorçage lexical » et qui constitue un modèle linguistique récent162. Ce cadre théorique nous a permis de démontrer que c’est par les emplois cotextuels et contextuels auxquels se rapporte un mot (et les collocations et les colligations) qu’on détermine leurs profils (voir Blumenthal, 2007b)163. En français comme en arabe, l’aspect lexical (ponctuel itératif vs duratif) et phasique des accompagnateurs des V_affect est un indice important, révélateur de l’aspect de ces verbes.

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Pour plus de détails sur ce modèle ainsi que sur la linguistique fonctionnelle, voir les précisions théoriques (chapitre I).

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Appliqués à notre étude des associations verbales d’affect en français et en arabe, ces fondements ont permis une analyse détaillée de la manière dont s’articulent la combinatoire lexicale des verbes des champs sémantiques sélectionnés (jalousie, admiration, surprise et colère) (voir chapitre II) et les collocatifs avec lesquels ils se combinent. Ces conclusions répondent à notre hypothèse principale : les rapports syntaxiques spécifiques de ces associations lexicales sont intrinsèquement liés aux dimensions sémantiques que celles-ci expriment.

Chaque dimension contient à son tour des valeurs sémantiques particulières. Nous avons sélectionné les dimensions les plus fréquentes dans les deux corpus, qui révèlent des valeurs sémantiques significatives du point de vue contrastif. Ces observations ont montré l’apport de l’étude quantitative et permis de « donner une assise statistique fiable à nos réflexions sur l’environnement sémantique et syntaxique des mots d’affect » (Blumenthal, Novakova et Siepmann, 2014 : 9).

L’intensité, par exemple, est véhiculée par une collocation binaire en français (et c’est bien le cas pour les autres dimensions relevées dans EmoBase), et ce, avec des procédés adverbiaux164. En revanche, la structure qui lui est associée peut être ternaire en arabe.

Compte tenu de ce qui précède, nous avons essayé de voir, en arabe, dans quelle mesure la structuration des collocatifs correspondant à la notion d’une émotion intensive et leurs transformations se font sur une base morphosémantique (c’est-à-dire que, d’une même racine verbale, peuvent dériver des mots). Le marquage casuel qu’on a souligné pour mieux décrire ces collocatifs arabes, en l’occurrence les noms et les adjectifs, met l’accent sur l’aspect morphophonologique des formes dans cette langue. On a pu ainsi mettre en évidence systématiquement les modifieurs nominaux et adjectivaux accusatifs et génitifs.

Les corrélations entre les valeurs sémantiques et les structures syntaxiques dans lesquelles se présentent les combinaisons verbales d’affect sont très complexes. Cette perception permet de mieux distinguer des différences de base entre les deux langues.

Les V_affect véhiculent, en se combinant avec des collocatifs à traits sémantique ponctuel vs duratifs, phasiques, des valeurs aspectuelles dans les deux langues. L’analyse comparative a permis de constater que ces valeurs ne sont pas régulières. Elles ressortent de la spécificité des V_affect,étant sémiotaxiquement autonomes (Hausmann, 2007). Par exemple,

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Nous avons constaté que, pour la dimension intensive, il s’agit exclusivement des modifieurs adverbiaux. Pour les autres dimensions, nous avons trouvé, à côté des adverbes, des modifieurs verbaux à la forme affirmative (ex. : finir par, continuer) et à la forme négative (ex. : ne pas cesser de/ ne/n’en pas finir de) en français.

le même collocatif encore, étant sémiotaxiquement dépendant du Vpivot étonner, correspond à la notion de ressenti d’une émotion ponctuelle itérative.

En revanche, l’étude de ce modifieur en contexte a montré qu’il peut pencher plutôt du côté de l’aspect ponctuel, tout en acceptant en même temps, dans certains cas, des emplois duratifs. Il exprime ainsi la valeur médiane, en marquant que l’expérient poursuit dans l’émotion ressentie. Cela révèle la double nature aspectuelle que l’Adv accompagnateur

encore peut identifier en contexte. Les cas des verbes étonner et admirer en français, ainsi que

du verbe [adhaša] (étonner) en arabe montrent également le fait que la collocation verbale joue un rôle important dans l’identification de leur aspectualité, comme la négation.

La corrélation entre les collocatifs et les V_affect permet également de déterminer ce trait d’aspectualité en arabe. Ces associations lexicales privilégiées sont donc fondées dans une relation syntaxique, ce qui fait le lien entre syntaxe et lexique et corrobore les conclusions de Croft et Cruse (2004).