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CHAPITRE I. COMBINATOIRE DES V_AFFECT : CHOIX THEORIQUES

3. La combinatoire des V_affect en français et en arabe

3.2. La notion de collocations en arabe

La collocation en arabe a été principalement traitée, jusqu’à maintenant, à notre connaissance, seulement du point de vue de la traduction et de la lexicographie, et en particulier dans le cadre du couple anglais-arabe (citons, entre autres, El-Hasan, 1982 ; Abu-Ssaydeh, 2001 ; Bahumaid, 2006 ; Abu-Ssaydeh, 2007 ; Ghazala 2007 ; Abdul Fattah, 2011 ; etc.).

Il s’agit d’une notion très importante en traductologie, dans la mesure où la phraséologie d’un idiome est très fréquente dans le discours ; néanmoins, cette notion a longtemps été ignorée, comme l’indique Hobeika-Chakroun dans ses travaux sur les collocations en arabe (Hobeika-Chakroun, 2015) :

Si aucun dictionnaire unilingue de collocations de l’arabe moderne, ni bilingue français/arabe arabe/français n’existe encore à ce jour à notre connaissance, et si l’optique de l’encodage n’est pas encore assez prise en compte dans les dictionnaires généraux bilingues arabe/français, toutefois quelques réalisations et projets ont vu le jour ces toutes dernières années : deux dictionnaires bilingues dans le couple arabe/anglais (Hafiz : 2004) et anglais/arabe (Ghazala : 2007) ainsi qu’un troisième, bilingue arabe/anglais, à paraître (Abu-Ssaydeh)44.

Afin de mener une analyse pertinente sur les collocations verbales d’affect, nous pensons qu’il est indispensable, avant tout, de poser la même interrogation que Hobeika-Chakroun (ibid.), à savoir : « quelle combinaison de la langue est une collocation ? » (ibid. : 45). En arabe, on traduit souvent « les collocations » par ةيظفللا تامزلاتملا mutalāzimāt lafẓiya]] (Bouchaddakh, 2009-2010), ce qu’on pourrait paraphraser par le mot [ʔal-mutalāzimāt], « celles qui sont toujours ensemble », et traduire par mot [ʔallafẓiya], « le verbal ». (cf. Ghazala H. 1993, 2006, 2007). Cependant, nous partageons la constatation de Hassan (2006), selon laquelle cette désignation ne semble pas bien convenir étant donné qu’elle indique le sens d’« éléments inséparables » qui conviendrait mieux pour parler des expressions figées. Ainsi, la terminologie تابحاصتملا [ʔal-mutaṣāħibāt] désigne « des éléments qui arrivent ensemble, mais qui ne sont pas obligatoires » (ibid. : 228). Hobeika-Chakroun (2015) rend plus claire cette notion en l’illustrant par des exemples en arabe. Ainsi, elle stipule que :

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Version en ligne, consultée le 11/05/2016 :

Pour dire : Il a oublié ses bagages, on dira en arabe : nasiya haqâ’ibahu45 (ou ʔamti’atahu46

). C’est une combinaison libre que l’on formule en se conformant simplement aux règles grammaticales de la langue. Mais si l’on veut rendre en arabe : Il a fait ses bagages, il faudrait connaître le ou les verbes « justes » que la langue impose, à savoir hazama47 ou chadda48 (hazama haqâ’ibahu)49. (Ibid. : 45)

La collocation apparaît ainsi non pas comme une expression idiomatique50, mais plutôt comme une expression bipartite constituée d’une base qui est choisie librement et d’un collocatif choisi en fonction de la base, comme c’est le cas dans la conception de Hausmann (1979), que nous avons traitée précédemment. Nous illustrons cela par quelques exemples de collocations verbales proposées par Hobeika-Chakroun (Hobeika-Chakroun, 2015 : 46). Ainsi, pour dire :

– Apporter des modifications, c’est [ʔadxal-a taɣīrātin ʕalā] (a-fait-entré modifications sur) ;

– Prendre la fuite, c’est [lāða bi-ʔlfirāri] (s’est-sauvé-il par-la fuite) ; – Verser des larmes, c’est [ðarafa dumūʕan] (a-fait-couler-il larmes) ;

– Lancer une attaque/offensive, c’est [ʃanna ħamlatan/hujūman ʕalā] (a-lancé campagne (un raid)/attaque).

Cela s’inscrit dans les distinctions opérées par Hausmann (1979), selon lesquelles la collocation est binaire, avec une hiérarchie (de base + collocatif) « qui fait qu’en formulant le locuteur progresse en partant de la base pour arriver au collocatif et non inversement » (Hobeika-Chakroun, 2015 : 46), d’où le caractère compositionnel de la collocation, contrairement à l’expression idiomatique. En revanche, ce caractère compositionnel ne suffit pas à lui seul pour accorder à une combinaison de mots l’étiquette « collocation », dans le sens où le deuxième critère concerne la contrainte lexicale. Celle-ci réside dans la restriction dans le choix du collocatif « juste » par le locuteur (Polguère et Mel’čuk, 2006 : 70).

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Traduction mot à mot : a-oublié-il valise-lui. 46

Traduction mot à mot : bagage-lui. 47

Traduction mot à mot : a-ceint-il (ceindre). 48

Traduction mot à mot : a-tenu (tenir). 49

Traduction mot à mot : a-ceint-il valises-lui. 50

Hobeika-Chakroun (Hobeika-Chakroun, 2015) montre que la signification de l’expression idiomatique est différente de « la somme de la signification de ses composants » (ibid. : 46), ce qui fait qu’elle est globalement « non-compositionnelle » (ibid.) ; tel est le cas de [darab-a bi-hi ʕurḍa ʔal-hāʔit], cité par la même auteure et dont la traduction littérale peut être : ( a-frappé-il avec-lui bas-fond le-mur), qui peut signifier : « Laisser tomber du haut des airs », en français. Cet exemple est donc sélectionné en bloc et ne comprend pas de ce fait ni de base ni de collocatif (ibid.).

Afin de mieux cerner les particularités des associations lexicales en arabe, nous les relevons dans certains dictionnaires traitant des collocations arabes. En effet, étant donné que les dictionnaires constituent un outil crucial dans l’étude de la signification d’un mot (dans le sens où l’importance de la connaissance d’une collocation se manifeste dans l’intérêt que lui accordent les dictionnaires), nous présentons alors un type de dictionnaire bilingue français-arabe Dico-FRAR (Bouchaddakh, 2009-2010).

En effet, dans son étude récente, Bouchaddakh (2009-2010) propose, en l’absence d’un traitement des vocables satisfaisant dans les dictionnaires bilingues traditionnels français-arabe, une base de données lexicographiques bilingue français-arabe Dico-FRAR. Cette base de données repose essentiellement sur les principes de la tradition de la théorie sens-texte, celle de la lexicologie explicative et combinatoire élaborée dans le cadre de la théorie sens-texte que nous avons déjà présentée dans la section 3.1 de ce chapitre. Il s’agit d’une base qui permet la traduction des unités françaises et des unités arabes mises en parallèle (cf. aussi Ghazala H. 1993, 2006). Elle offre une description systématique des unités lexicales touchant les niveaux sémantique, syntaxique et lexico-combinatoire. Cette base de données bilingue est composée de trois parties (Bouchaddakh, 2009-2010 : 3) que nous listons ci-dessous :

 une partie de description unilingue des unités lexicales françaises ;

 une partie de description des unités lexicales arabes ;

 une partie de mise en relation des unités françaises et arabes dans une optique d’encodage.

Il s’agit ici de souligner les points de convergence et de divergence interlinguistiques qui se rapportent aux niveaux sémantique, stylistique, syntaxique, etc. entre deux lexies dites « équivalentes » (Bouchaddakh, 2009-2010 : 3). Par ailleurs, du côté sémantique, il s’agit de proposer des équivalents de traduction qui sont des « quasi-équivalents ou des équivalents partiels » (Bouchaddakh, 2009-2010 : 4). Du côté de la combinatoire syntaxique, c’est une description qui prend en considération les comportements syntaxiques des lexies françaises et de leurs équivalents en arabe. Du côté de la combinatoire lexicale, on trouve deux types de relations, paradigmatique et syntagmatique.

 Le premier type de relations réside dans les lexies qui sont reliées à l’équivalent par des rapports relevant « de la dérivation sémantique comme les synonymes, les converses, les antonymes, ainsi que les différents noms actanciels typiques de la lexie, la contrepartie verbale d’une lexie nominale ou, au contraire, la contrepartie nominale d’un verbe ou d’un adjectif, etc. » (Bouchaddakh, 2009-2010 : 4).

 Le deuxième type de relations concerne les lexies qui sont reliées à l’équivalent par des rapports syntagmatiques. Cela se rapporte plus précisément aux collocations considérées comme des expressions semi-figées bipartites. En se référant à la recherche de Hausmann (1979), que nous avons évoquée plus haut (cf. section 3.1), le niveau syntagmatique de ces expressions se compose de deux éléments, à savoir : la lexie-vedette (Bouchaddakh, 2009-2010), qui est la base de la collocation, et le collocatif.

Dans son application des fonctions lexicales sur les collocations françaises-arabes, l’auteure dresse une table qu’elle appelle Collocations_fr_ar (Bouchaddakh, 2009-2010 : 8). Celle-ci comporte les données qui concernent les relations lexicales syntagmatiques de la lexie française et de la lexie qui lui équivaut en arabe. Elle est reliée à une autre table, appelée la table Vulgarisations_fl, regroupant les différentes valeurs qui concernent une même fonction lexicale donnée. Afin d’illustrer ceci, nous reprenons l’exemple des collocations

punition méritée/ juste/ équitable de Bouchaddakh, qui sont toutes encodées avec la même

fonction lexicale. La valeur de cette même fonction lexicale est : Que l’acte Z justifie. Nous présentons un extrait de la table Collocations_fr_ar tel qu’il est dressé par son auteure :

Figure 1 : Extrait de la table Collocations_fr_ar (Bouchaddakh, 2009-2010 : 8)

Comme le montre cette figure, certains collocatifs adverbiaux français n’ont pas d’équivalents directs en arabe, comme l’atteste l’exemple suivant, en français :

[60] L’instituteur l’a sévèrement châtié pour son mauvais comportement.

L’équivalent arabe de cet exemple proposé dans Dico-FRAR est :

[61] Orig.translit : [ʔaddaba-hu ʔal-muʕallimu ʕalā taṣarrufi-hi ʔa-ssajjʔi taʔdīban ṣāriman]

Trad.litt. : (a-corrigé-lui le-maître sur comportement-lui le-mauvais correction sévère)

Cette base de données lexicographique bilingue français-arabe comprend également des remarques et commentaires pour chaque construction combinée. Ainsi, le collocatif

sévèrement a la valeur de façon sévère, durement, lourdement, rigoureusement, sévèrement.

Ces collocatifs ne trouvent pas de correspondants parfaits en arabe. Néanmoins, on s’aperçoit ici de la possibilité d’utiliser le verbe [ʔaddaba] (Bouchaddakh, 2009-2010 : 16) :

– soit avec une expression libre composée de la préposition [bi] (avec) + le masdar (nom du verbe)51 ةوسق/ ةمارص/ ةدش [ʃiddatin] (sévérité)/ [ṣarāmatin] (rigueur) / [qaswatin] (dureté) ;

– soit avec une collocation composée du masdar ابيدأت [taʔdīban] (correction).

Dans ce cas-là, ce masdar est mis à l’accusatif indéfini, vu son fonctionnement en tant qu’objet interne qui s’ajoute à l’un des adjectifs cités ci-dessous, eux aussi mis à l’accusatif indéfini : [ʃadīdan] (sévère), [ṣāriman] (rigoureux), [qāsijan] (dur).

Hobeika-Chakroun (Hobeika-Chakroun, 2011), quant à elle, traite un type de collocations arabes en contexte, à savoir les collocations intensives constituées d’un Nom + Adjectif. Elle les étudie dans une optique se basant sur la terminologie de Hausmann, qui considère la collocation comme la combinaison d’une base et d’un collocatif (cf. supra) et sur la fonction intensive « Magn » de Mel’čuk (ibid.). Elle met ainsi en évidence certaines propriétés lexicales, sémantiques et syntaxiques de ce type de collocation en arabe, en partant d’une opération de repérage des collocations intensives de manière intuitive à partir de deux romans contemporains52, en vue de les mettre en contraste, ensuite, avec un corpus électronique littéraire et journalistique (ibid.).

Nous tenons à présenter cette étude car il s’agit, à notre connaissance, du seul travail portant sur les collocations dans une perspective comparative entre le français et l’arabe. Certains aspects de cette étude se retrouvent dans notre recherche. Ainsi, il s’agit bien de rendre compte de divergences et de similitudes entre des collocations en arabe et en français. Nous partageons en partie les conclusions de l’auteure concernant l’absence d’équivalent parfait entre les deux langues. Néanmoins, notre travail diffère du sien sur plusieurs points. D’une part, son travail vise, de manière générale, à être un outil pour la traduction. De notre côté, il ne s’agit pas d’un travail réalisé dans une perspective lexicographique mais plutôt

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Le [masdar], appelé en anglais « verbal noun », constitue le nom du verbe principal à l’accusatif. Il se situe après son verbe afin d’intensifier le sens de celui-ci en montrant son nombre ou sa nature (Othman, 2013 : 33). Nous reviendrons sur cette notion tout au long de l’analyse (chapitres III et IV).

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Les deux romans sur lesquels Hobeila-Chakroun (2011) s’appuie dans son étude sont : Les Filles de Riyad et L’Immeuble Yacoubian.

d’une étude menée dans une perspective lexicologique, partant d’une analyse sur corpus bilingue53.

Pour l’étude des collocations en arabe, nous optons pour la définition donnée par Hausmann, comme nous le faisons aussi pour le français. Cette définition unifiée pour les deux langues nous permet d’avoir des critères d’analyse semblables pour chacune d’elles, notamment pour y mettre en évidence les types de relations entre la base et le collocatif. Nous étudierons notamment les liens sémantiques et syntaxiques qu’entretiennent la base (le verbe d’affect que nous choisissons librement) et le collocatif (que nous choisissons en fonction du V_affect).

Après avoir traité la notion de collocation en particulier et de la combinatoire d’une manière générale, en arabe et en français, nous nous pencherons, dans la section suivante, sur l’étude de la structure syntaxique que peut avoir une telle association dans les deux langues comparées.