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La répartition des dimensions dans les deux langues

Chapitre III. Analyse sémantico-syntaxique de la combinatoire des V_affect

1. Grilles d’analyse et répartition des dimensions sémantiques

1.2. La répartition des dimensions dans les deux langues

Nous avons calculé les fréquences en pourcentages, ce qui permet de comparer sur une base objective les quatre champs et dans les deux langues. L’analyse des données nous montre, ainsi, que la dimension de l’intensité est prédominante, notamment dans le corpus arabe (89,47 % contre 38,67 % en français). L’aspect se présente comme une dimension plus fréquente en français (61,32 %) qu’en arabe (10,52 %).

La grille sémantique que nous avons établie regroupe les dimensions sémantiques que véhiculent les collocatifs s’associant aux V_affect en français (étonner, énerver, admirer,

envier) et à leurs équivalents respectifs en arabe114 ([ʔadhaʃa], [ʔaɣḍaba], [ʔaʕʒaba], [ħasada]). La figure suivante présente la répartition des dimensions exprimées par la combinatoire des V_affect que nous avons dégagées du corpus français EmoBase :

114 Nous rappelons ici que la forme au passé de l’indicatif correspond à la base du paradigme verbal en arabe. Pour plus de détails, voir chapitre I.

Figure 3 : Émogramme avec la répartition des dimensions sémantiques véhiculées par la combinatoire des V_affect dans le corpus EmoBase

Cette représentation graphique115 des données permet de visualiser la distribution des dimensions sémantiques véhiculées par la combinatoire des V_affect en français. L’observation de cette distribution révèle une distribution inégale et une nette dominance de la combinatoire des V_affect qui véhiculent l’aspect (50 %) et l’intensité (31 %). Les autres dimensions, en l’occurrence la causativité (8 %), le contrôle (6 %), la manifestation (4 %) et l’expérienciation (1 %), présentent des pourcentages beaucoup moins élevés.

La figure ci-dessous (Figure 4) permet de constater les données relevées dans le corpus arabe afin de les mettre en contraste avec celles constatées en français.

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Les émogrammes sont générés automatiquement à partir des combinaisons listées et des valeurs de

Figure 4 : Émogramme avec la répartition des dimensions sémantiques véhiculées par la combinatoire des V_affect dans le corpus arabe

Comme le montre cette figure, nous pouvons remarquer une prédominance des collocatifs des V_affect véhiculant l’intensité (86 %) dans le corpus arabe. Les trois autres dimensions, en l’occurrence l’aspect (10 %), la causativité (2,17 %) et l’expérienciation (1,44 %), sont presque également réparties et assez marginales.

La comparaison des émogrammes présentés ci-dessus (cf. Figures 3 et 4) montre que la répartition des dimensions sémantiques se différencie dans les deux corpus par leurs fréquences. Cela concerne notamment les dimensions les plus saillantes, à savoir l’intensité et l’aspect. La combinatoire des V_affect véhicule majoritairement la dimension aspect en français (50 % contre 10 % en arabe), alors que la combinatoire de leurs équivalents arabes exprime massivement l’intensité (86 % contre 31 % en français). La causativité occupe la troisième place après les dimensions les plus dominantes dans les deux corpus (8 % dans EmoBase contre 2,17 % dans ArabiCorpus). Deux autres dimensions, le contrôle (6 %) et la

manifestation (4 %), que véhiculent très minoritairement certaines combinatoires des V_affect

en français, semblent être inexistantes dans le corpus arabe. La dimension de l’expérienciation présente des proportions marginales qui ne dépassent pas les 2 % dans les deux corpus.

Partant de ces observations, nous avons ainsi classé les combinaisons des V_affect en catégories distinctes en fonction de leurs propriétés sémantiques spécifiques. Nous avons éliminé les dimensions de contrôle (6 % en français contre 0 % en arabe), manifestation (4 % en français contre 0 % en arabe) et expérienciation (1 % en français contre 2 % en arabe), car elles sont statistiquement mineures, comme le montrent les données statistiques (voir Figure

4). Afin que l’analyse soit exhaustive, nous nous intéresserons, dans le cadre de ce travail, aux deux dimensions sémantiques les plus saillantes dans les deux corpus, à savoir celles qui dénotent l’intensité et l’aspect. Dans l’histogramme suivant, nous recensons la répartition de l’ensemble des co-occurrences des champs lexicaux étudiés en français et en arabe, ce qui montre l’importance du critère de fréquence quand il s’agit d’étudier le phénomène de collocation de manière générale116.

Figure 5 : Histogramme avec le comparatif de répartition des dimensions exprimées par la combinatoire des V_affect dans les deux corpus

Dans la figure ci-dessus, nous donnons des résultats en pourcentages, pour les deux corpus. Les dimensions sont identifiées à partir du sémantisme des collocatifs associés aux V_affect. Pour le français, le degré de spécificité est calculé par l’intermédiaire d’un indice appelé log.likelihood (voir Diwersy et al., 2014), tandis que pour l’arabe, la proportion de fréquence de la combinatoire des V_affect est calculée par rapport au nombre total des associations relevées dans le corpus et évaluée sur cent.

La dimension intensité réunit les collocatifs qui regroupent des collocatifs qui apportent des indications quant à l’intensité de l’émotion éprouvée. Nous distinguons deux valeurs : fort (par exemple : [ʔadhaʃa dahʃatan] (étonner étonnement), énerver particulièrement, [ɣaḍaba ɣaḍaban ʃadīdan] (énerver énervement sévère), [ʔaʕʒaba ʔiʕʒāban kabīran] (admirer admiration grande), etc.) et faible (par exemple : [ʔadhaʃa qalīlan] (étonner ténu), [ɣaḍaba

qalīlan] (s’énerver ténu), énerver peu, [ħasada qalīlan] (envier ténu). Ces étiquettes « fort » et « faible » expriment respectivement des traits sémantiques d’une intensité considérable ou peu considérable.

La deuxième dimension statistiquement importante, l’aspect, permet d’appréhender la manière dont un affect se déroule dans le temps. Elle regroupe les collocatifs qui représentent le déroulement, la progression ou l’accomplissement d’un affect.

La valeur ponctuelle itérative regroupe les collocatifs incluant l’idée de la ponctualité (une expression de durée momentanée ou très brève), mais ils véhiculent la notion de discontinuité et de reprise d’une émotion ponctuelle, d’où le sens de la répétition ponctuelle de l’émotion (ex. : s’étonner régulièrement, s’étonner souvent).

Par ailleurs, quand les collocatifs véhiculent l’aspect duratif, le trait sémantique non-ponctuel correspond à la notion d’éprouver un affect statif qui dure dans le temps (par exemple : continuer d’admirer, ne pas finir d’étonner, etc.).

D’autres collocatifs relevés véhiculent l’aspect phasique, c’est-à-dire qu’ils renvoient aux différentes phases du déroulement : le trait inchoatif marque l’affect dans son début (ex. :

commencer à énerver, [ʔaxaða jadhaʃu] (se mettre à s’étonner)) et le trait terminatif désigne sa

phase finale (ex. : cesser d’admirer, [lam taʕud tadhaʃu] (cesser de s’étonner)).

L’observation quantitative montre alors que des différences apparaissent dans les deux corpus (EmoBase et ArabiCorpus) en ce qui concerne les dimensions sémantiques les plus représentées, à savoir l’intensité, l’aspect et la causativité, que nous avons mises en évidence plus haut (cf. section 1.1).

Dans les sections qui suivent, nous passons à une analyse plus détaillée de la manière dont s’articulent toutes ces dimensions sémantiques et les liens syntaxiques qu’entretiennent les Vpivots_affect avec ces collocatifs dans les champs sémantiques sélectionnés (voir chapitre II) (c’est-à-dire jalousie, admiration, surprise et colère). L’objectif principal de ces sections est de tester, en partant de la théorie du Lexical priming de Hoey (2005), l’hypothèse que nous avons formulée dès le départ et qui suppose que les rapports syntaxiques spécifiques de ces associations lexicales sont étroitement liés aux dimensions sémantiques qu’elles dénotent d’un point de vue contrastif et fonctionnel.

Il convient de rappeler ici (cf. chapitre I, section 1.2.1), avant d’entamer l’examen du fonctionnement lexical des combinatoires des V_affect repérées, que dans le cadre de cette étude contrastive et fonctionnelle, les équivalents arabes ont été traduits à partir de dictionnaires bilingues français-arabe, arabe-français.

Dans les prochaines sections, nous étudierons séparément les dimensions sémantiques, les plus représentatives statistiquement, que véhiculent les combinatoires des V_affect en français et en arabe, en l’occurrence, l’intensité et l’aspect, et nous mettrons en évidence les relations syntaxiques dans lesquelles elles figurent.

Synthèse

Les deux grilles sémantique et syntaxique que nous avons présentées plus haut constituent la base sur laquelle nous fondons cette analyse sémantico-syntaxique des combinatoires des V_affect. Les structures syntaxiques des occurrences que nous avons relevées dans le corpus français EmoBase aussi bien que celles relevées dans le corpus arabe sont très variées. Cette variété syntaxique nous a permis de relever les différences et les similitudes relatives au fonctionnement des combinatoires des V_affect dans les deux langues comparées.

Dans ce volet, nous réfléchissons sur la combinatoire lexicale des V_affect dans une perspective contrastive et fonctionnelle français-arabe. Nous rappelons ici que nous nous sommes heurtée à un phénomène linguistique complexe et différemment traité et analysé dans la littérature linguistique (Tutin, 2010) (voir chapitre I). Une collocation est une association lexicale privilégiée fondée sur une relation syntaxique, ce qui fait le lien entre syntaxe et lexique (Croft et Cruse, 2004). Nous partons d’un modèle linguistique récent, à savoir celui de Lexical priming117 de Hoey (2005). Nous viserons à montrer par conséquent que c’est en repérant le comportement lexical, sémantique et syntaxique, voire discursif118, du V_affect qu’on détermine l’emploi des éléments construisant une combinatoire des V_affect.

Ensuite, dans les sections suivantes, nous proposerons une étude systématique des relations syntaxiques privilégiées qui correspondent aux dimensions sémantiques que véhiculent les co-occurrences verbales des affects interpersonnels (jalousie et admiration) (Mathieu, 2000 ; Ruwet, 1994 ; Tutin et al., 2006)119 et des affects causés (surprise et colère) (ibid.)120 en français et en arabe (voir chapitre II). Cette étude utilise des approches qualitatives et quantitatives permettant de mieux appréhender le mode opérationnel des combinaisons verbales d’affect.

Partant de ces considérations, nous considérons que la répartition des dimensions sémantiques n’est pas équilibrée dans nos deux corpus, ni d’un point de vue interchamps

117

Le nom du modèle est traduit par D. Legallois (2006) par « amorçage lexical » – voir chapitre I.

118 Paramètre que nous avons ajouté à nos analyses. C’est par les emplois cotextuels et contextuels auxquels se rapporte un mot (et les collocations et les colligations) qu’on détermine les profils combinatoires (voir Blumenthal, 2007) selon ce modèle de Hoey (2005) – voir chapitre I.

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Voir chapitre I. 120

(intralinguistique pour les quatre champs) ni d’un point de vue interlinguistique. Par exemple, la dimension intensive est la plus saillante dans le corpus arabe (89,47 %), alors qu’elle ne représente que 38,67 % du corpus français. Inversement, la dimension aspectuelle est plus marquante en français (61,32 %) qu’en arabe (10,52 %).

Ce constat s’applique aussi aux champs sémantiques représentés par les Vpivotaffect sélectionnés, qui témoignent des fréquences différentes dans les deux corpus. Par exemple, les associations dans lesquelles figurent le Vpivot envier (jalousie) et le Vpivot étonner (surprise) permettent de véhiculer exclusivement les dimensions intensive et aspectuelle, alors que l’équivalent arabe [ʔadhaʃa] (étonner) peut exprimer également des valeurs causatives. En contrepartie, les combinaisons dans lesquelles figure le Vpivot énerver ne véhiculent que les dimensions intensive et aspectuelle dans les deux corpus. La combinatoire des V de colère ne semble pas être concernée de la même manière par la dimension de « causativité », ni en français ni en arabe.

Il s’agit donc de l’étude des particularités sémantico-syntaxiques des collocations par l’intermédiaire des dimensions sémantiques qu’elles expriment. Nous émettons ici certaines hypothèses relatives aux relations spécifiques des combinatoires des V_affect dans les deux langues comparées :

Premièrement, nous considérons que les collocatifs statistiquement spécifiques véhiculent des dimensions sémantiques (Mel’čuk, 1998 ; Sinclair, 1991 ; Hoey, 2005) en se combinant avec les V_affect étudiés en français et en arabe. Or, du fait que les verbes appartiennent à différents types d’affect, nous supposons que les collocatifs qu’ils attirent ne sont pas les mêmes.

Deuxièmement, aux différentes dimensions sémantiques correspondent des structures syntaxiques spécifiques (Hoey, 2005 ; Blumenthal, 2007 ; Novakova et al., 2012). La combinatoire des verbes d’affect a ainsi des rapports privilégiés avec les patrons syntaxiques dans lesquels elle figure. Les deux hypothèses sont complémentaires dans le sens où les collocations sont étroitement liées à des structures syntaxiques spécifiques à chaque champ sémantique, mais également à chaque langue.

Troisièmement, nous supposons qu’en fonction du type d’affect auquel renvoient les V (s’)étonner et (s’)énerver (V_émotion) d’une part, et admirer et envier (V_sentiment) d’autre part, ceux-ci n’attirent pas les mêmes collocatifs au sein d’une dimension sémantique ou pour les différentes dimensions.

En vue de vérifier nos hypothèses, nous mettrons en évidence dans cette partie le fonctionnement sémantico-syntaxique des associations verbales d’émotion dans ces deux langues comparées. Nous recueillerons corollairement des observations sur les dimensions sémantiques du point de vue quantitatif et qualitatif, ce qui permettra, par la suite, d’explorer les structures syntaxiques privilégiées qui leur correspondent. Dans les sections qui suivent, nous nous pencherons de ce fait sur l’analyse sémantico-syntaxique des associations lexicales en question dans les dimensions les plus saillantes que véhicule la combinatoire sémantique et syntaxique des V_affect (2.2. L’intensité, 2.3. L’aspect). Nous partons donc de la théorie du

Lexical priming de Hoey (2005) (voir. chapitre I) afin de vérifier si les associations lexicales

d’affect repérées, qui expriment des dimensions sémantiques particulières, entretiennent des relations syntaxiques privilégiées dans les deux langues.