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CHAPITRE II. Méthodologie : approche contrastive et analyse de corpus

1. L’approche contrastive

Nous avons choisi d’adopter une approche contrastive pour notre recherche portant sur la combinatoire des verbes d’affect en français et en arabe. Cette approche demande donc à être définie de manière précise. Nous pouvons partir de l’éclairage de Novakova (2015).

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Nous notons ici que, quand il s’agit de corpus bilingues, nous pouvons constituer des corpus comparables (des corpus dans plusieurs langues qui sont comparables en termes de contenu et de genre) et des corpus parallèles (des corpus de traduction qui peuvent être alignés ; les traductions sont mises en relation au niveau du paragraphe, des phrases et des mots). Pour plus de détails, cf., entre autres, Degand (2005), Lewis (2005), Williams (2005), Celle (2006), etc.

Celle-ci apporte en effet des précisions terminologiques concernant les termes de grammaire

comparée, linguistique contrastive, approche interlangues. Elle considère que la linguistique

comparée, qui renvoie à la grammaire historique comparée du XIXe siècle et qui s’est développée en Allemagne, étudie l’histoire et l’évolution des langues. Celles-ci sont prises en compte soit de manière individuelle, soit de manière regroupée dans des familles de langues, ce qui amène à concevoir la méthode comparative (Novakova, 2015 : 16). Quant à la linguistique contrastive, elle permet la comparaison systématique surtout entre deux langues et dont l’objectif est de donner les principales caractéristiques de leurs similitudes et leurs différences. L’approche contrastive constitue, en effet, une sorte de dispositif destiné à éliminer ou à retenir certaines des spécificités des faits de langue étudiés. Il s’agit de montrer si les langues sont différentes les unes des autres ou si elles se ressemblent.

D’un point de vue étymologique, l’adjectif « contrastif » est un mot d’origine anglo-saxonne. C’est « un terme rare » en 1816 dans Le Grand Robert73, mais qui a été « repris aux États-Unis en linguistique en 1949 » : « to contrast ». Dans Le Dictionnaire de l’Académie

française74, « contraster » signifie : « Mettre en opposition deux éléments juxtaposés pour leur donner plus d’intensité, de vigueur, de relief ». On trouve des points communs avec la définition donnée dans le dictionnaire arabe Almaani, où « contraster » veut dire : rassembler les idées et les différentes images poétiques les unes à côté des autres pour que chacune montre les significations des autres. Ces définitions nous permettent donc de comprendre l’intérêt d’une approche contrastive. C’est ce que souligne en particulier H. Adamczewski (1990) :

On sait aujourd’hui qu’il est impossible de comprendre la grammaire d’une langue si on ne l’analyse pas dans la perspective du fonctionnement du langage, c’est-à-dire si on fait abstraction des autres langues. Or les langues s’entre-éclairent les unes des autres et ce pour une raison aussi simple que fondamentale : c’est que les opérations profondes (les mécanismes abstraits) sont grosso modo les mêmes. Ce qui change c’est les traces en surface de ces opérations. Ce sont elles qui sont particulières à telle ou telle langue et c’est ce qui est à l’origine de la diversité apparente des langues. (Adamczewski, 1990 : 7)

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Version électronique 2005. 74

On le voit, l’auteur montre que seule une étude comparative permet de comprendre la grammaire d’une langue dans la mesure où, comme l’auteur le dit, les langues « s’entre-éclairent » les unes les autres.

L’approche contrastive permet ainsi d’appréhender de manière rigoureuse le fonctionnement des langues comparées et, de ce fait, comme le souligne Denis Creissels (1995), de prendre le recul nécessaire. Muller (2002), quant à lui, évoque aussi l’importance d’une étude linguistique réalisée dans le cadre d’une étude comparative, dans son ouvrage Les

bases de la syntaxe. Il y compare la syntaxe du français avec celle d’autres langues proches.

L’auteur pense que, pour une meilleure description de certains principes généraux de la syntaxe du français, il faut le comparer avec d’autres langues. Ceci fait à dire à J. Feuillet (2006) que :

[…] la typologie, si elle fournit nombre de données à la linguistique générale, s’intéresse surtout à la comparaison entre les langues en cherchant à établir les inventaires (et éventuellement les pourcentages) des traits dominants et des traits récessifs. Elle limite les discussions théoriques au strict minimum, ce qui n’exclut pas, comme on l’a vu, que la typologie dispose d’un cadre de réflexion. Enfin, l’établissement d’universaux, qui est la conséquence logique de la démarche typologique, n’est normalement pas une priorité en linguistique générale : par conséquent, on peut estimer que la typologie fait partie de la linguistique générale au même titre que d’autres branches. (Feuillet, 2006 : 59)

Le choix d’une approche contrastive se justifie donc parfaitement à nos yeux, dans le cadre de notre recherche, puisqu’il s’agit d’éclairer le fonctionnement de certaines constructions par la comparaison entre deux langues. Notre hypothèse est que nous parviendrons à mieux comprendre les caractéristiques de ces constructions pour chaque langue par un éclairage mutuel. Pour notre recherche, les choix des langues à comparer ont été motivés par leur appartenance à des familles différentes : une langue romane (le français) et une langue sémitique (l’arabe). La question posée est alors de savoir si, pour des affects supposés universels (la surprise ou la colère, par exemple), nous pouvons retrouver des configurations langagières communes ou différentes.

Notre étude se propose de centrer la comparaison autour de certaines combinatoires verbales d’affect en français et en arabe. Dans la mesure où ces constructions comprennent des aspects à la fois syntaxiques, sémantiques et discursifs, elles concernent les relations entre la forme et le sens, ce qui nous amène à prendre comme point de départ une démarche onomasiologique, même si celle-ci doit être complétée par une démarche sémasiologique.

Autrement dit, en premier lieu, nous partons d’une considération onomasiologique dans le sens où nous opérons une sélection des champs lexicaux établis selon la typologie notionnelle (Augustyn et al., 2008). En second lieu, nous réalisons une étude sémasiologique qui vise à examiner les profils combinatoires aux niveaux sémantico-syntaxique et discursifs des verbes pivots d’affect qui ressortent des champs lexicaux correspondants. On perçoit l’unanimité de plusieurs linguistes (entre autres : Creissels, 1975 ; Adamczewski, 1990 ; Croft, 2003), qui s’accordent pour dire qu’il faudrait partir d’un certain contenu sémantique, afin d’identifier ensuite les formes à observer (Lazard, 2006). Les deux démarches sont complémentaires dans le cadre de notre étude et contribuent à l’étude des moyens d’expression des affects dans les deux langues qui nous intéressent.

Ajoutons que nous partons systématiquement d’une sélection de verbes d’affect français pour rechercher ensuite leurs équivalents arabes. Le français constitue donc, dans notre cas, la langue de départ. Partir du français pour étudier une langue encore peu explorée nous permettra de constituer un modèle à partir duquel il sera peut-être plus facile de déterminer les spécificités d’une langue plus méconnue. Novakova (2015) incite ainsi à la prudence et montre que :

[…] le linguiste adoptant une telle démarche se doit d’éviter de nombreux écueils, comme les généralisations hâtives, la transposition directe de catégories grammaticales sur des langues où elles n’existent pas. Par exemple, l’aspect des langues slaves a été longtemps considéré comme un modèle pour les autres langues, qui n’ont pas morphologisé cette catégorie ; la catégorie de la détermination ne peut être décrite de la même façon en français, en anglais ou en russe […]. Une prudence s’impose donc lorsqu’il s’agit de les comparer. (Novakova, 2015 : 29)

Un des principaux objectifs de notre recherche consiste à décrire et expliquer le comportement combinatoire (syntaxique et sémantique) et les rôles discursifs des combinaisons verbales d’affect dans les deux langues en question. Dans la mesure où nous souhaitons mettre en évidence les réalisations verbales effectives de ces collocations dans les deux langues, nous optons pour une étude sur corpus attestés. C’est ce que nous allons présenter à la section suivante.