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Chapitre III. Analyse sémantico-syntaxique de la combinatoire des V_affect

2. La dimension Intensité de la combinatoire des V_affect

2.2. L’intensité faible

Comme nous l’avons constaté précédemment (voir section 2), les collocatifs intensifs faibles constituent 17,07 % des collocatifs intensifs relevés pour cette dimension en français, et 1,42 % de ceux relevés pour l’arabe (voir Figure 7, p. 93). Statistiquement, ce comparatif nous fait observer une différence des valeurs sémantiques correspondant à la dimension.

2.2.1. Les collocatifs intensifs faibles

Dans le tableau suivant, nous répertorions la combinaison prépondérante que nous avons repérée pour les V_affect dans le corpus français par le recours à l’indice de spécificité

log.likelihood (voir chapitre II).

V_émotion collocatif cat_collocatif construction Log.likelihood

énerver un peu Adv s’~ un peu 31,0775597

Tableau 17 : Combinaisons les plus spécifiques pour les V_émotion (étonner et énerver) en français selon le test du log.likelihood

Comme le montre ce tableau, dans le corpus français, seul le V_émotion énerver est

concerné par l’intensité faible. Tous les autres V_affect véhiculent des valeurs intensives

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fortes. Or, nous observons que l’intensité faible est associée à un modifieur verbal fréquent, à savoir un peu, comme en [90] et [91] :

[90] C’est génial, c’est toute ma jeunesse, et pourtant le film, par certains aspects frénétiques autour de la drogue, m’énerve un peu. (Le Monde, 2008)

[91] La discipline, la ponctualité allemandes, qui ne sont pas que des clichés, m’énervent un peu. (Le Monde, 2008)

Du point de vue contrastif, seul le V_[ħasada] (envier) est concerné par cette dimension. En effet, bien qu’il ne présente pas des statistiques très élevées ((21 % contre 79 % des combinaisons véhiculant l’intensité forte pour ce V_sentiment), nous avons dégagé une seule structure (V + Adjaccusatif) : [qalīlan] (ténu/léger) qui ne concerne pas les autres verbes étudiés.

Synthèse

Il résulte des observations et des analyses proposées ci-dessus que, dans un premier temps, la comparaison entre les deux champs « émotion » (colère et surprise) comparés aux deux champs « sentiment » (Jalousie et Admiration) permet d’appréhender les différences par rapport aux collocatifs dans l’expression de la même dimension intensité.

Dans un second temps, la comparaison entre les deux corpus français et arabe montre que la structure récurrente en français est (V + Adv) pour tous les V_affect, mais dans des proportions variables. Du point de vue contrastif, l’arabe présente une configuration différente des structures syntaxiques. Tout d’abord, c’est la structure (V + Adj) qui est la plus fréquente pour l’expression de l’intensité, mais nous avons relevé également la structure (V + Naccusatif), dans laquelle les modifieurs nominaux sont des intensifieurs de l’affect. Nous avons identifié également des structures composées, à savoir celles composées d’un V + N + Adj, qui est plus fréquente que les constructions V + N + N et V + Prép + N.

En résumé, avec le V_émotion [ʔadhaʃa] (étonner), on trouve surtout des structures V + Naccusatif, alors que son homologue [ʔaɣḍaba] (énerver) est associé plutôt à des modifieurs complexes (GN et GP). Pour les V_sentiment, la construction la plus fréquente est V + Adj et V + N. Les propositions formulées dans cette partie nous permettent d’apporter des éléments de réponse à nos interrogations de départ. En effet, l’arabe ne structure pas l’intensité de l’émotion de la même façon que le français. Les collocatifs cités plus haut nous donnent des renseignements sur le degré élevé de cette émotion exprimée par l’intermédiaire de la combinaison qu’ils établissent avec le V_affect. Cette combinatoire lexicale implique des co-occurrences lexicales privilégiées et des relations lexicales paradigmatiques. Cela nous fait penser à Blumenthal (2007b) évoquant la notion de « profil combinatoire » du mot ou celle de « schéma des co-occurrences spécifiques » (Blumenthal, 2007a ; 2007 b). Dans ses travaux, Blumenthal définit le profil combinatoire d’une lexie comme « l’ensemble de ses accompagnateurs stéréotypés, porteurs d’associations typiques » (ibid.).

Tableau 21 : Récapitulatif des valeurs sémantiques correspondant à la dimension intensité en français et en arabe

Les Vpivots fournissent, compte tenu de ce qui précède, une base empirique du sémantisme des V_affect, voire du degré d’intensité de celui-ci, qui varie d’une construction à une autre selon le trait sémantique (permettant de savoir si ces collocatifs renforcent ou affaiblissent l’intensité : fort vs faible) que leurs collocatifs dépendants expriment. Ils permettent une description de leurs spécificités syntaxico-sémantiques, notamment en arabe par rapport au français.

En arabe, c’est surtout le verbe [ʔaʕʒaba] (admirer) qui est intensifié. D’un point de vue contrastif, on remarque que l’arabe mobilise des structures syntaxiques beaucoup plus variés et riches qu’en français qui exprime l’intensité de manière exclusive par la structure V+ADV intensif. Ces différences peuvent s’expliquer, peut-être, par les structures syntaxiques profondes de chacune des deux langues. En effet, l’arabe dispose d’un systéme qui permet de créer des catégories grammaticales en partant de la base. Cela permet de générer des structures plus nombreuses intégrant des catégories grammaticales différentes, là où le français est contraint par les structures liées à une base verbale unique.

Le tableau ci-dessous constitue un récapitulatif des structures syntaxiques auxquelles correspond la combinatoire des V_affect qui véhicule l’intensité. Dans ce tableau, nous présentons la catégorie syntaxique de cette combinatoire (Struc_synt), celle du collocatif (Catg_collocatif) et nous illustrons chaque relation et structure syntaxique par des exemples dans les deux corpus. Nous soulignons le Vpivot et mettons le collocatif en gras. Nous ajoutons également, par souci de clarté, des étiquettes paraphrasant les structures syntaxiques.

Dimension Valeur Exemple français Exemple arabe

Intensité

Fort Admirer vraiment, étonner tant

[ʔadhaʃa ħaqqan] (étonner véritablement), [ʔaɣḍaba ɣaḍaban ʃadīdan] (énerver énervement sévère), [ʔaʕʒaba ʔiʕʒāban kabīran] (admirer admiration grande)

Corpus Struc_synt Catg_collocatif Exemples Étiquettes syntaxiques

E

m

oB

a

se Vpivot + modifieur adverbial Adv

Admirer particulièrement, envier tant Vpivot + Adv A rab iC o rp u s

Vpivot + modifieur nominal Nom à l’accusatif [ ʔaʕʒaba ħaqqan]

(étonner véritable) Vpivot + Naccusatif

Vpivot + modifieur

adjectival Adj à l’accusatif

[ʔaʕʒaba kaθīran]]

(admirer dense) Vpivot + Adj

accusatif

Vpivot + modifieur composé

(GN) N à l’accusatif + Adj à l’accusatif [ʔaɣḍaba ɣaḍaban ʃadīdan] (énerver énervement sévère) Vpivot + GN (N_affectaccusatif + adjaccusatif) N superlatif + N

[ʔaʕʒaba ʔaʃadda ʔal-ʔiʕʒāb] (admirer le-plus-sévère le-admiration)

Vpivot + GN (Nsuperlatif

+ N)

Vpivot + modifieur composé

(GP) Prép + N au génitif

[ʔadhaʃa bi-ʃiddatin]

(étonner avec-sévérité) ; Vpivot + GN(Prép + N

génitif

)

Tableau 22 : Récapitulatif des structures syntaxiques auxquelles correspond la combinatoire des V_affect qui véhicule l’intensité

Comme le résume le tableau ci-dessus, parmi les constructions les plus saillantes, on distingue en français celles qui sont du type V_affect-Adv, ce qui nous a permis de constater que l’intensité des champs émotionnels sélectionnés est véhiculée exclusivement par des modifieurs adverbiaux136. En revanche, l’arabe manifeste plus de richesse et de diversité au niveau formel des collocations.

Il convient en outre de préciser, dans le souci d’identifier les différents patrons syntaxiques dans lesquels figurent les combinaisons verbales des V_affect en arabe, que le N_affect correspond ici au N déverbal. Cette variété montre que la structuration des collocatifs arabes et leurs transformations établies en fonction de cette valeur sémantique intensive se font sur une base morphosémantique, ce qui signifie que d’une même racine verbale peuvent dériver des mots. Nous avons pu identifier également, grâce au marquage casuel souligné dans la description de ces collocatifs en arabe, en l’occurrence les noms et les adjectifs, le trait morphophonologique des formes et son importance dans l’étude du phénomène collocationnel en arabe.

Après avoir examiné les spécificités des associations lexicales véhiculant la dimension intensive, nous passons, dans la partie suivante, à l’étude des particularités des associations qui expriment la dimension aspectuelle.

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Nous mentionnons ici les verbes introducteurs, qui s’inscrivent dans cette optique d’intensité forte en français : s’empresser de / s’obstiner à / ne pas manquer de, etc.

CHAPITRE IV. LA DIMENSION ASPECT DE LA COMBINATOIRE DES