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L’interface syntaxe-discours : la théorie Role and Reference Grammar

CHAPITRE I. COMBINATOIRE DES V_AFFECT : CHOIX THEORIQUES

4. Interfaces : syntaxe-sémantique-discours

4.3. L’interface syntaxe-discours : la théorie Role and Reference Grammar

Comme nous l’avons déjà dit plus haut (section 2), plusieurs travaux effectués sur les V_affect partent de la syntaxe pour étudier le sens (par exemple : Harris, 1988 ; M. Gross 1975 ; le classement des verbes de Dubois et Charlier, 1997). D’autres partent, à l’inverse,

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Nous mentionnons que les principes de la théorie de Hoey (2005) sont appliqués, jusque-là et à notre connaissance, seulement en anglais et à un nombre limité de lexies.

d’ensembles sémantiquement similaires de verbes afin d’aborder leurs propriétés syntaxiques (par exemple : Buvet et al., 2005 ; Mathieu, 2000). En revanche, la composante discursive est, à notre connaissance, peu représentée dans les analyses faites sur ce lexique, mis à part quelques études réalisées récemment par Novakova et Sorba (2013)62, Novakova, Goossens et Grossmann (2013a)63 et Novakova, Grossmann et Goossens (2013b)64. Nous considérons qu’une étude articulant l’analyse syntaxique des structures actancielles des V_affect retenus dans le cadre de notre travail (cf. chapitre II) aux visées discursives, liées au choix des différents actants, pourrait compléter de manière judicieuse les profils syntaxico-sémantiques de ces verbes. Les travaux des chercheurs évoqués ici s’inscrivent principalement dans les courants fonctionnalistes.

Plusieurs d’entre eux sont nés de l’école de Prague (1950-1970). La linguistique fonctionnelle anglaise accorde une grande importance aux phénomènes phraséologiques (cf., notamment, Firth, 1957 ; Halliday65, 1985 ; Sinclair, 1991). Les considérations des différents linguistes reflètent en quelque sorte un consensus. Firth (1957), par exemple, utilise la notion de collocation notamment dans une perspective textuelle, en considérant que c’est grâce à l’usage d’un mot en relation avec d’autres mots que l’on peut déterminer le sens de celui-ci. Halliday (1961) s’intéresse lui aussi, dans la grammaire systémique fonctionnelle, à ce phénomène de combinatoire et lui donne une définition statistique et textuelle. Quant à John Sinclair (1991), il traite, comme nous l’avons souligné plus haut (cf. section 3.1), cette notion dans le cadre de la linguistique de corpus66. Il s’agit donc, en gros, des théories instrumentalistes qui prennent « l’usage » pour principale origine des connaissances. Cette linguistique fonctionnelle propose surtout de ne pas séparer en éléments distincts les niveaux syntaxique et lexical. La grammaire systémique fonctionnelle de Halliday (1961) s’intéresse aussi (tout comme la théorie sens-texte de Mel’čuk, cf. section 3) à la production, à l’usage et au lexique.

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Sur les profils discursifs de stupéfier et jalouser dans les séquences textuelles journalistiques. 63

Sur les interactions entre profil discursif et structure actancielle, l’exemple des verbes de surprise et de respect.

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Sur les profils discursifs et actanciels des noms et des verbes de surprise et de respect. 65

Halliday (1961) souligne, dans la Systemic Functional Grammar, « Collocation is the syntagmatic association of lexical items, quantifiable, textually, as the probability that there will occur, at n removes (a distance of n lexical items) from an item x, the items a, b, c… » (Halliday, 1961 : 276)

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Nous reviendrons sur ce traitement dans le chapitre II, consacré à la présentation des corpus et de la méthodologie du travail.

L’aspect syntaxico-discursif constitue doncun deuxième paramètre de la combinatoire. Étudier le fonctionnement syntaxico-discursif de la combinatoire des V_affect devrait nous permettre d’en mieux cerner les propriétés dans une perspective contrastive et fonctionnelle. Au niveau du discours, la phraséologie constitue, en effet, un principe fondamental du processus discursif. Ainsi, dans des travaux énonciatifs récents67, Chuquet et al. (2013) relèvent des fonctionnements spécifiques des verbes68 d’affect au niveau du discours. Nous appuyer sur les principes fondamentaux de cette théorie (RRG) nous permettra donc de faire la différence entre la valence syntaxique et la valence sémantique : ainsi, une étude discursive nous permettra de distinguer, dans un énoncé, les actants syntaxiques des actants sémantiques. Dans notre étude, nous distinguons, d’une part, les actants syntaxiques (Asy ou « syntactic

arguments » – Van Valin et LaPolla, 1997), régis par le verbe et réalisés en surface dans la

construction verbale, et, d’autre part, les rôles sémantiques (Asé ou « semantic arguments » – Van Valin et LaPolla, 1997 ; Novakova et Sorba, 2013). Nous proposerons alors une étude actancielle (syntaxique et sémantique) dans les deux langues.

Nous viserons ainsi à montrer la présence d’un lien étroit entre les profils syntaxiques des V_affect (que nous présenterons dans le chapitre II) et l’organisation discursive de l’énoncé. Nous nous appuierons pour celasur la Role and Reference Grammar (RRG) de Van Valin et LaPolla (1997), qui insère systématiquement la dimension discursive à l’étude du fonctionnement syntaxique et sémantique des verbes. Notre étude mettant en relation la syntaxe et le discours porte sur trois types de formes que nous analyserons dans le chapitre V : active, passive et pronominale pour les V_affect. Si l’on considère que les structures diathétiques font intervenir plusieurs actants, il sera intéressant d’étudier plus particulièrement les actants qui s’actualisent en fonction des verbes en discours. Nous verrons ainsi les verbes qui appartiennent à différents champs sémantiques de l’affect et qui véhiculent une « construction biactancielle majeure », pour reprendre les termes employés par Lazard (1994). Nous sommes ainsi conduite à prendre en compte de manière précise les structures actancielles des verbes étudiés. Nous nous appuyons pour cela sur le codage proposé par Mel’čuk et al. (1984-1999). Dans ces travaux, sont présentés les symboles X, Y, Z, qui correspondent, respectivement, à l’expérienceur, l’objet et la cause. Nous reprendrons,

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Cislaru (2010) étudie les structures verbo-nominales qui dénotent l’émotion d’un point de vue sémantico-pragmatique. Pour plus de détails, cf. Cislaru (2010).

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Chuquet et al. (2013) examinent, dans leur étude, les verbes et les noms d’émotion d’un point de vue discursif. Ils en relèvent les fonctionnements discursifs et réfléchissent sur les possibilités d’ajustement axiologiques, sur l’aversion de polarité, etc.

dans notre analyse, les symboles de Mel’čuk, même si notre approche n’est pas lexicographique mais lexicologique.

L’étude actancielle et discursive que nous menons nous rapproche ainsi des travaux de Novakova et Sorba (2013), qui dressent des profils sémantico-discursifs des verbes stupéfier et jalouser dans des textes journalistiques. Elles prennent en considération les données combinatoires relatives à ces verbes. Cette étude va dans le même sens que celle de Novakova, Goossens et Grossmann (2013a et 2013b), où les auteurs proposent une analyse fonctionnelle qui prend en compte les différents paramètres syntaxiques, sémantiques et discursifs. Il s’agit de percevoir la relation qui associe la collocation composée de V_affect + modifieur aux différents actants constituant la phrase. S. Meleuc (2000) souligne que :

Les verbes occupent une place plus centrale que les noms dans ce processus de construction du discours dans la mesure où ils sont les opérateurs d’ensembles argumentaux importants. (Meleuc, 2000 : 75)

Notre approche comparative nous amènera également à prendre en compte les spécificités des deux langues pour les structures diathétiques. En effet, en arabe, la voix « possède au moins trois valeurs : l’actif, le passif suppressif et le passif non suppressif » d’après El Kassas (2012 : 92). Ces valeurs entraînent des configurations actancielles spécifiques à cette langue et dont nous aurons à rendre compte69. De plus, les différences syntaxiques générales entre les deux langues expliquent des différences dans les réalisations actancielles. Ainsi, le terme initial de la relation prédicative est le sujet en français, ce qui n’est pas le cas en arabe, où les marques du sujet sont incluses dans le verbe conjugué. Ainsi, pour l’arabe, qui est une langue flexionnelle dans laquelle s’établissent des relations grammaticales entre le radical et le suffixe et le préfixe (les marques du singulier, de la personne, du genre), des éléments peuvent être ajoutés, en plus de ce suffixe, au radical pour indiquer l’objet du verbe. Observons l’exemple suivant :

69 Cette dernière considère, dans son étude contrastive de l’arabe et du français (2005), trois procédures permettant d’obtenir ces voix :

a) la commutation des actants de la syntaxe profonde par rapport aux actants sémantiques, ce qui donne des voix passives ;

b) la suppression d’un actant syntaxique profond, ce qui donne des voix suppressives ;

c) l’identification référentielle des actants sémantiques, ce qui donne des voix réfléchies. (El Kassas, 2005 : 91)

[63] Orig.translit : [ħasad-a-hu]

Trad.litt. : (a-envié-il-lui) Trad.fr. : il l’a envié

Comme on peut le constater dans l’exemple ci-dessus, [ħasad-a-hu] (a-envié-il-lui) est un verbe de jalousie. Le [-hu] marque l’Asy correspondant à l’objet de ce sentiment (Y). Ainsi, l’association j’envie quelqu’un s’exprime en arabe en un seul mot : ħasad-a-hu. L’expérienceur a une présence profonde fusionnée dans le verbe lui-même. La relation du verbe au sujet et à l’objet en français l’éloigne de l’arabe, qui organise de façon très différente les relations entre sujet, verbe et objet70.

Nous visons à explorer la classe des verbes d’affect et à en proposer une structuration à l’aide des collocations verbales. Cela permet d’élargir cette étude de la combinatoire à la structure actancielle et d’observer les actants et leur type syntaxique afin de mettre en œuvre les dynamiques informationnelles au sein de la phrase. Il s’agit donc d’aboutir à un modèle intégratif fonctionnel, comme celui qui a été établi dans Novakova (2015). Cette auteure propose un modèle fonctionnel intégratif qui prend en considération les interactions entre les niveaux sémantique, syntaxique, discursif et textuel pour l’analyse du lexique des affects (noms, verbes et adjectifs d’affect). Dans le cadre de notre travail, nous n’aborderons pas le niveau textuel. Nous nous focaliserons sur les combinaisons des V_affect dans le cadre de la phrase (c’est-à-dire au niveau phrastique71).

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La règle générale de rangement des mots en arabe est VSO, contrairement au français (SVO). 71

La perspective transphrastique (textuelle) permet d’étendre le travail élaboré dans le cadre de notre recherche au-delà du niveau phrastique. C’est une des perspectives futures.

Synthèse

Le principal enjeu de recherche est donc d’aboutir à un modèle intégratif fonctionnel pour l’analyse des verbes d’affect en français et en arabe. Pour ce faire, notre analyse se situe à la fois sur une approche sémantico-syntaxique (chapitres III et IV) et sur une approche syntaxico-discursive (cf. chapitre V). Cette double approche nous amène à nous appuyer, d’une part, sur la théorie de Lexical priming de Michael Hoey (2005) et, d’autre part, sur la

Role and Reference Grammar de V. Valin et LaPolla (2007).

Les deux cadres théoriques se conjuguent et permettent de mieux appréhender la combinatoire des V_affect en français et en arabe. Nous pensons, ainsi, que ces cadres théoriques nous permettent d’avancer dans la réflexion linguistique que nous envisageons de mener sur ces associations dans une perspective contrastive. Nous pourrons de la sorte étudier, pour les deux langues, le degré d’attirance et les « préférences » ou les « aversions » entre les V_affect et leurs accompagnateurs, et relier cela à l’étude de la dynamique informationnelle au sein de la phrase.