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La somatisation est souvent définie de manière grossière par l’absence d’une explication organique satisfaisante. Les « symptômes médicalement inexpliqués » sont des symptômes invalidants et prolongés, détériorant la qualité de vie. La somatisation peut être considérée comme un groupe de désordres spécifiques, les Troubles somatoformes (somatisation primaire). Ces troubles sont à distinguer des troubles psychosomatiques, qui ont une base organique connue mais sont exacerbés par des facteurs psychologiques. La somatisation peut aussi être une manière d’exprimer sa détresse, un langage facilement accessible et compris par l’entourage. C’est aussi une façon d’être en relation avec son corps, de s’engager dans des comportements « de santé » particuliers comme la consultation de nombreux médecins et spécialistes, l’inactivité ou la constante recherche de réassurance. Ces différentes manières de considérer la somatisation la rendent complexe et polysémique mais doivent être considérées comme les facettes d’un concept global ayant plusieurs significations individuelles. Il faut cependant retenir que le terme somatisation n’implique pas nécessairement la psychogenèse des symptômes – bien que des processus psychologiques puissent être impliqués - ni n’exclut totalement une composante organique ou biologique liée à la survenue des symptômes. Nous avons vu que de nombreux facteurs de risques sont liés à la somatisation : cognitifs et attentifs, comportementaux, psychosociaux, environnementaux, génétiques et physiologiques : les symptômes somatoformes sont des symptômes médicalement inexpliqués mais pas inexplicables. Dans les modèles expliquant le processus de survenue et de maintien des symptômes somatoformes, les émotions se trouvent à un « endroit » central, tant au niveau du déclenchement des symptômes (p. ex. activation physiologique liée à un état émotionnel) qu’au niveau de leur renforcement immédiat et à long terme. Elles seules ne suffisent évidemment pas à expliquer la somatisation, mais il faut les prendre en compte de par leur centralité et les nombreuses interventions thérapeutiques visant à mieux les contrôler et réguler. Nous allons focaliser la suite de ce travail sur le rôle des émotions dans la somatisation.

Chapitre II

LE TRAITEMENT AFFECTIF DANS LA

SOMATISATION

L’expérience émotionnelle est le sens ressenti (« felt sense ») d’une réponse émotionnelle, l’aspect phénoménologique des affects, émotions et sentiments (respectivement Osgood, 1969, et Russell & Mehrabian, 1977, cités par Kennedy-Moore & Watson, 1999, p. 207). Les émotions et la vie affective en général jouent un rôle très important dans la vie quotidienne : avoir peur d’une guêpe peut nous faire perdre le contrôle lors d’un repas en plein air, nous nous rappelons tous de ce que nous faisions le 11 septembre 2001, au moment d’apprendre l’attentat contre le World

Trade Center, une amitié naissante est renforcée par un éclat de rire. Même si les émotions

peuvent accompagner et faciliter de nombreux domaines existentiels puisqu’elles ont généralement des fonctions adaptatives et motivationnelles (Rimé & Scherer, 1989), elles peuvent aussi blesser, lorsqu’elles ont une intensité démesurée ou ne sont pas liées aux situations, ce qu’on observe dans de nombreuses psychopathologies (Gross, 2007).

Cependant, l’étude de la vie affective ne se limite pas à cette expérience mais englobe de nombreux domaines : la compréhension de son expérience subjective - la manière dont on la ressent dans son corps -, son appréhension - son évaluation et traitement cognitif (appraisal

theory, voir p. ex. Roseman & Smith, dans Scherer, Schorr, & Johnstone, 2001) -, son expression -

sa communication à autrui, la manière de se l’exprimer de manière plus ou moins différenciée et de la nuancer - et sa régulation - la manière dont l’individu opère sur son émotion, influence son ressenti, l’atténue, la reporte,…- , elle-même influencée par l’expérience, son appréhension et son expression. L’alexithymie (Taylor et al., 1997) peut être conçue comme un déficit de la régulation cognitive des émotions, et met en jeu l’expérience subjective de l’affect (au niveau corporel), son expression et l’utilisation du langage verbal associé. L’Ouverture émotionnelle (Reicherts, Casellini, Duc, & Genoud, 2007), tout en intégrant des composantes liées à l’alexithymie telles la communication des émotions et leur représentation cognitive et conceptuelle, élargit encore notre compréhension de l’expérience émotionnelle en tenant notamment compte de la dimension de régulation des émotions, mais aussi de la perception des indicateurs de l’activation émotionnelle.

Ces deux modèles de travail couvrent ainsi le domaine qui nous intéresse spécifiquement dans ce travail, l’expression et la communication des émotions. L’émotion est vécue et communiquée à la fois comme une expérience subjective de ressentis affectifs primaires (p. ex. la dimension affective d’hédonisme) et comme une expérience conceptualisée référant à des émotions discrètes telles la joie, la colère, la tristesse ou la peur. Ces processus sont influencés par le traitement affectif individuel.

Nous allons dans un premier temps définir ce que nous entendons par les termes émotion et affect, puis considérer les théories qui ont guidé notre réflexion. Il faut préciser à ce stade que la littérature sur les émotions est vaste et se caractérise (trop) souvent par un manque de consensus entre les théoriciens (Moors, 2009) ; notre brève présentation de ce domaine n’est pas exhaustive et se limite surtout aux concepts les plus pertinents pour notre recherche.

Les émotions, comme nous venons de le présenter brièvement, ont une fonction communicative essentielle. Nous discuterons cette fonction en particulier. Cette fonction communicative des émotions permet aussi, entre autres et par des interactions réciproques, à leur contrôle et régulation ainsi qu’à l’ensemble du processus de traitement émotionnel. Ce processus développemental peut souffrir de la déficience d’un ou l’autre de ses mécanismes. Par ex., l’alexithymie est un concept qui traduit un déficit au niveau du traitement affectif fréquemment observé chez les personnes qui souffrent de symptômes sans explication médicale.

2.1. La vie affective: émotions, noyau affectif élémentaire et