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Expression des émotions

2.3. L’expérience émotionnelle au centre d’un processus : le traitement affectif

2.3.4. Expression des émotions

La composante expressive motrice de l’émotion permet, en plus de l’ébauche d’actions, la communication de réactions et d’intentions à autrui (Scherer, 1989). Parmi les composantes de ces processus expressifs, on peut mentionner l’aspect visible de l’excitation physiologique (les indicateurs corporels externes, p. ex. rougir, transpirer, trembler), l’expression du visage (Kaiser,

2002), l’expression vocale (ton de la voix, etc.), les gestes et postures : l’expression émotionnelle (ici plutôt comportementale) peut être définie comme survenant principalement via des canaux non verbaux (Barr, Kahn, & Schneider, 2008). On observe des différences individuelles quant à la propension à exprimer ses émotions de manière plus ou moins intense et à moduler ses comportements expressifs positifs ou négatifs. D’autres considèrent que l’expression émotionnelle comprend à la fois des éléments non verbaux et verbaux. On peut considérer que l’expression émotionnelle volontaire, au niveau verbal notamment, est le produit du traitement affectif (Baker et al., 2007, voir figure 717). L’expression verbale, c’est-à-dire la communication de

son état interne (verbal disclosure), par oral ou par écrit, varie aussi d’une personne à l’autre (Barr et al., 2008).

Miroir de l’expérience émotionnelle, l’expression n’est pas toujours pleinement consciente et peut être relativement involontaire, puisqu’elle se fait en parallèle par plusieurs canaux et à différents moments du traitement affectif (on peut exprimer de la tristesse au niveau de son expression faciale tout en disant être content). Dans l’ensemble, ces comportements observables, verbaux et non-verbaux, volontaires ou involontaires, permettent de communiquer ou symboliser son expérience émotionnelle (Kennedy-Moore & Watson, 1999).

En plus de la fonction de base de communication des intentions, l’expression émotionnelle, en tant que produit du traitement affectif, a des fonctions centrales : acquérir une compréhension de soi-même, développer des compétences de gestion et de régulation, et améliorer ses relations interpersonnelles (par la régulation interindividuelle qu’elle permet) (Kennedy-Moore & Watson, 1999). En particulier, elle favorise la régulation intraindividuelle de l’activation émotionnelle et a une certaine influence sur la composante neurophysiologique, corporelle de l’émotion. C’est particulièrement pour cette dernière raison que cette composante expressive nous intéresse, puisqu’elle fait le lien entre les émotions et les processus corporels internes, bien qu’elle puisse aussi favoriser un certain bien-être par ses autres fonctions.

2.3.4.1. Expression ou non expression des émotions et santé physique et psychique La relation entre l’expression émotionnelle et la détresse psychologique est complexe puisque d’un côté les personnes qui sont dans un état de détresse émotionnelle sont souvent motivées à la partager avec autrui (et donc plus on se sent mal plus on communique), mais d’un autre côté le fait de communiquer ses émotions est sensé diminuer cette détresse (et donc plus on communique, moins on se sent mal) (Barr et al., 2008).

D’une manière ou d’une autre, les croyances populaires nous exhortent souvent à exprimer nos émotions, au risque de se sentir mal psychologiquement et physiquement si nous ne le faisons pas (Vingerhoets, Nyklìček, & Denollet, 2002). Certains chercheurs abordent cette question par son pôle positif et cherchent à démontrer les bénéfices de l’expression de ses émotions sur la santé. Les recherches du groupe de Pennebaker (Greenberg, Wortman, & Stone, 1996;

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Pennebaker, 1997), p. ex., ont empiriquement démontré les apports bénéfiques de l’expression des émotions (disclosure) sur la santé mentale et physique. On a pu mettre en évidence, quant à l’inhibition de l’expression émotionnelle, des liens entre la suppression de la colère et les maladies cardiovasculaires, ou entre la personnalité à régulation de type C (qui tend à inhiber globalement ses émotions négatives) et le cancer (Panagopoulou, Kersbergen, & Maes, 2002). Stanton et son équipe ont démontré que l’expression émotionnelle permet de prédire une meilleure adaptation psychique et physique au cancer du sein (Stanton et al., 2000). De plus, le fait de mettre l’émotion en mots favorise l’assimilation des expériences (encore non symbolisées dans la mémoire émotionnelle) dans la compréhension consciente et conceptuelle de soi et du monde. Cette symbolisation permet aussi de réfléchir sur ses sentiments et de leur donner du sens (Greenberg, 2004).

Pourtant, la croyance inverse, à savoir qu’être capable d’inhiber l’expression de ses émotions permet de démontrer contrôle de soi, sagesse ou vertu, a aussi ses adeptes. Selon le contexte, expression et inhibition peuvent s’avérer adaptatives ou non. La manière dont on communique ses émotions à autrui a différentes causes et conséquences. Une personne qui ne les exprime pas peut ne pas avoir reconnu son émotion (ou ne pas en être consciente), ne pas en valoriser son expression (norme personnelle), ou encore se situer dans un contexte qu’elle suppose ne pas être propice à l’expression émotionnelle. Selon Kennedy-Moore et al. (1999), l’idéal est d’atteindre un certain équilibre, afin de comprendre son ressenti sans se laisser submerger, canaliser son énergie pour planifier et agir en réponse à la situation plutôt que de se laisser emporter par cette énergie, et enfin réussir à communiquer ce vécu à autrui d’une manière qui favorise la relation interpersonnelle plutôt qu’à son détriment.

2.3.4.2. Mécanismes de non expression des émotions

Le processus du traitement affectif aboutissant à l’expression d’une émotion, comme nous l’avons présenté dans le chapitre 2.3, figure 7), est la transformation d’une expérience interne, couverte, en une expérience communicable et communiquée au monde extérieur, ouverte. Ses étapes tiennent compte des différentes composantes de l’émotion et il souligne l’interaction entre l’élaboration cognitive nécessaire à la création de sentiments chargés de signification et l’expérience ressentie (Kennedy-Moore & Watson, 1999 ; Kaiser & Scherer, 1998).

Le processus de traitement affectif est adaptatif, il implique notamment de pouvoir surpasser l’évitement de l’activation émotionnelle pour pouvoir parvenir au traitement complet de l’émotion. Cependant, d’une part l’être humain tend à éviter les émotions douloureuses, d’autre part des processus cognitifs peuvent interrompre le processus et transformer des émotions désagréables mais adaptatives en comportements dysfonctionnels visant à éviter l’émotion (Greenberg, 2004). Il peut aussi y avoir des dysfonctions entre les composantes de ce processus ; p. ex. l’émotion peut être exprimée de manière exagérée par rapport à son expérience subjective, ou, au contraire ne pas être ressentie subjectivement malgré une activation élevée. L’interaction entre les différentes composantes de l’émotion ainsi peut moduler son expression.

L’expression des émotions (ou leur non expression) peut être considérée comme un trait, relativement stable chez un individu, chacun ayant une tendance plus ou moins prononcée à les extérioriser, qu’elles soient positives ou négatives (Kennedy-Moore & Watson, 1999), mais qui peut s’avérer inefficace dans certaines situations spécifiques (comme lors d’un événement traumatique). La non expression de ses émotions est, selon Nyklìček et al. (2002), un élément crucial de nombreuses caractéristiques de la personnalité telles que l’alexithymie ou le style défensif/répressif. En effet, s’il y a une rupture à l’une ou l’autre des étapes du processus d’expression des émotions décrit ci-dessous (figure 11), il aura différentes manières de ne pas exprimer son vécu affectif selon l’étape concernée.

Etape 1 : D’après Nyklìček et al. (2002), il se peut qu’on n’exprime pas une émotion parce qu’on ne perçoit pas la réaction affective au niveau physiologique : le seuil de perception de ce type de réaction varie selon les individus mais peut aussi être fonction du contexte (voir aussi section 1.4.3.1. sur le rôle de l’équilibre entre les stimulations internes et externes pour la perception des sensations somatiques (Pennebaker, 2000)).

Etape 2 : Il peut y avoir une conscience de la réponse affective mais dont l’individu se défend en évitant de reconnaître les expériences émotionnelles désagréables ; il exprime en conséquence peu d’affects négatifs. La répression émotionnelle est considérée comme un mécanisme de défense dans l’approche psychanalytique et comme une stratégie de coping relativement stable dans l’approche cognitive (Carton, 2006). Ce coping répressif vise à éviter les émotions négatives, et notamment l’activation émotionnelle associée, en évitant le traitement cognitif des informations anxiogènes. On parle aussi, pour ces personnes qui cherchent délibérément à inhiber leurs émotions négatives, de personnalité de type C (« cancer prone personality ») ou D, qui diffèrent en fonction de leur tendance à ressentir les émotions négatives (Nyklìček et al., 2002).

Etape 3 : C’est à cette étape du processus d’expression émotionnelle qu’opère le traitement cognitif permettant de labelliser et d’interpréter son affect. S’il y a une rupture à ce niveau, la personne peut savoir approximativement quelle est la valence de son état (positive ou négative) mais ne peut pas la symboliser plus complètement. On fait souvent référence au concept d’alexithymie (voir ci-après section 2.5) pour décrire ce déficit. Une rupture à ce niveau est particulièrement préjudiciable car c’est par le traitement affectif, le label et l’interprétation donnés à l’expérience qu’il est possible d’y répondre, notamment de la réguler (Nyklìček et al., 2002).

Etapes 4 et 5 : Des ruptures aux deux derniers niveaux du processus peuvent s’opérer, lorsqu’en raison de ses schémas et croyances personnelles, on considère qu’une réponse émotionnelle donnée est inacceptable, ou lorsqu’on perçoit qu’autrui répondrait négativement à l’expression de son émotion. Cette tendance peut être situationnelle et ainsi adaptative car elle permet de moduler l’expression de ses affects selon un contexte interpersonnel donné, mais aussi plus globale chez des personnes qui n’ont pas de personne de confiance envers qui s’exprimer émotionnellement. Lorsque la non expression est volontaire, consciente, on parle souvent d’inhibition émotionnelle, mais elle peut aussi être inconsciente, liée à un déficit du traitement affectif.

Réaction automatique d’activation physiologique Input (interne/externe) Conscience de la réponse physiologique (sensations corporelles) Conceptualisation / interprétation Validation: acceptable Évaluation de l’adéquation

dans le contexte social

PERINT/PEREXT

Perception des indicateurs corporels internes et externes REPCOG Représentation cognitive COMEMO Communication de l’émotion RESNOR Restrictions normatives R E G E M O R ég ul at io n d es é m o ti o ns R ég ul at io n d es é m o tio ns

Seuil de perception influencé par le contexte

Répression émotionnelle

Alexithymie

Schémas et croyances personnelles

Schémas et croyances personnelles

EXPRESSION ou NON EXPRESSION

(volontaire ou involontaire)

Inhibition émotionnelle Liée à un déficit du traitement affectif

Figure 11 : Représentation des potentielles ruptures dans le processus d’expression émotionnelle

Enfin, des limites « externes » ou physiques peuvent réfréner l’expression émotionnelle : notre langage et l’étendue de notre vocabulaire spécifique, notre corps, notre posture, nos gestes et expressions faciales. On doit considérer l’expression et la non expression de manière continue, une expression totale n’étant, en raison de ces limites, pas possible, de même qu’une non expression réfère plutôt à une expression restreinte, atténuée (Nyklìček et al., 2002). De plus, de nombreuses différences individuelles sont à prendre en compte dans le processus d’expression émotionnelle.

Maintenant que nous avons mieux précisé le cadre dans lequel nous travaillons, nous allons nous arrêter sur le concept d’alexithymie.

2.4. L’alexithymie, un déficit de la symbolisation de l’émotion