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Liens entre le traitement affectif, les somatisations et la charge psychique

4.3. Deuxième question : Traitement affectif et somatisation

4.3.3. Liens entre le traitement affectif, les somatisations et la charge psychique

On invoque souvent dans la littérature un « biais » dans les questionnaires, ces derniers étant contaminés par l’humeur de la personne qui les remplit (voir chapitre 3.1.2). En effet, une personne qui ressent beaucoup d’affects négatifs risque d’avoir tendance à surestimer ses douleurs (Ebner-Priemer et al., 2006). Les patients souffrant de symptômes somatoformes remplissent plusieurs questionnaires pour évaluer les caractéristiques de leur traitement affectif (DOE et TAS-20), leurs somatisations (SOMS-2 et SOMS-7T) et la charge psychique globale qu’ils vivent (indice GSI du SCL-27). Nous allons vérifier si ces différents concepts sont liés et dans quelle mesure. Nous avons déjà vu que certaines dimensions de la TAS-20 (4.3.1) et du DOE (4.3.2) sont liées à la gravité de la charge psychique.

Corrélations entre DOE et TAS-20

Le tableau 16 détaille les relations entre les dimensions de l’OE et l’alexithymie : afin de renforcer la solidité des résultats, nous présentons à la fois les relations dans :

 notre échantillon clinique principal (n=30, groupe I),

 un échantillon secondaire (groupe II1), composé de 74 patients souffrant de Troubles somatoformes (y compris ceux de l’échantillon principal).

Tableau 16 : Relations entre les dimensions de l’Ouverture émotionnelle (DOE) et les facettes de l’alexithymie (TAS-20) dans les deux échantillons

TAS-20

Groupe clinique (groupe I) (n=29) Echantillon de patients souffrant de troubles somatoformes (groupe II) (n=72)

DOE DIF DDF EOT TAS-total DIF DDF EOT TAS-total

REPCOG -.53** -.66** -.15 -.61** -.37** -.54** -.28* -.48** COMEMO -.10 -.31 -.21 -.26 -.35** -.46** -.37** -.49** PERINT .42* .15 -.20 .20 .31** .11 -.05 .16 PEREXT .50** .27 -.11 .32° .33** .14 -.18 .11 REGEMO -.71** -.58** -.03 -.62** -.63** -.45** -.22° -.54** RESNOR .38* .32° .10 .37* .34** .25* .07 .27* Légende : ° : p<.10, * : p<.05, ** : p<.01

Nous nous basons sur les similitudes entre les deux groupes cliniques (tableau 15) pour discuter les liens entre les facettes de l’alexithymie et les dimensions de l’Ouverture émotionnelle. De manière générale, ce sont surtout DIF et DDF qui sont liées à l’Ouverture émotionnelle, alors qu’EOT l’est dans une moindre mesure. Nous observons des liens négatifs marqués entre l’alexithymie (score total) et les dimensions REPCOG et REGEMO. La dimension RESNOR est par contre positivement corrélée à l’alexithymie et à ses dimensions DIF et DDF. Le premier facteur de la TAS-20, la difficulté à identifier ses sentiments, est particulièrement lié aux dimensions de l’Ouverture émotionnelle, avec des corrélations négatives élevées avec REPCOG et REGEMO et des corrélations positives modérées à fortes avec PERINT, PEREXT et RESNOR. Le deuxième

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Cet échantillon de patients souffrant de troubles somatoformes est composé des 30 patients de notre échantillon et de 44 patients recrutés aussi à la Clinique bernoise dans le cadre d’une recherche sur le

facteur, la difficulté à décrire ses sentiments, montre les mêmes fortes relations négatives avec REPCOG et REGEMO, et une corrélation positive modérée avec RESNOR. En comparant encore ces résultats à ceux d’un échantillon plus large de 402 adultes tout venant (voir Zimmermann & Salamin, en préparation), nous constatons que les relations entre les dimensions sont très proches dans les deux groupes cliniques et dans ce groupe tiré de la population générale.

Quelles dimensions de l’OE sont associées à une alexithymie générale élevée ?

Dimensions de l'Ouverture Emotionnelle:

Patients avec une alexithymie élevée ou basse

2.0 1.8 2.4 2.2 1.5 2.6 2.6 2.1 2.4 2.1 2.3 2.2 0.0 0.5 1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 3.5 REPCOG** (d=1.07) COMEMO** (d=0.54)

PERINT PEREXT REGEMO**

(d=1.32)

RESNOR* (d=0.53) Alexithymie élevée (N=44) Alexithymie basse (N=28)

Figure 31 : Profil d’Ouverture émotionnelle chez les patients avec une alexithymie élevée ou basse (échantillon de patients hospitalisés souffrant de troubles somatoformes)

Légende : * : p<.05, ** : p<.01. d=taille d’effet (d de Cohen avec l’ajustement de Hedges basé sur la taille des échantillons)

Si nous ajoutons à notre échantillon clinique (N=30) les patients de notre recherche sur le biofeedback (N=44) nous pouvons séparer les patients en deux groupes, ceux dont le score total à la TAS-20 est supérieur ou égal à 511 ont une « alexithymie élevée » (N=44, soit 59.5% de

l’échantillon total, avec un score total moyen de 61.5 (8.2)) et ceux dont le score est inférieur à 51 (score total moyen de 40.4 (8.0)) ont une « alexithymie basse ». Les scores aux dimensions de l’Ouverture émotionnelle sont très nettement différents entre ces deux groupes (figure 31) : une analyse de variance multivariée indique un effet significatif du groupe « alexithymie élevée/basse » sur les six dimensions du DOE (V=0.44, F(6,65)=8.44, p<.01). Les analyses de variance univariées, sur chaque dimension du DOE séparément, indiquent un effet significatif du degré d’alexithymie, élevé ou bas, sur COMEMO (F(1,71)=7.22, p<.01), REGEMO (F(1,71)=28.54, p<.01), REPCOG (F(1,71)=18.03, p<.01) et RESNOR (F(1,71)=4.27, p<.05). Les différences sont très marquées (d>0.80)

pour REPCOG et REGEMO.

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Nous choisissons un score seuil utilisé dans la version anglaise de la TAS-20 par Lane et al. (2000) où l’on considère un score de 51 à 60 comme « intermédiaire » et un score de 61 et plus comme « alexithymique »,

Quelles dimensions prédisent le score total d’alexithymie ?

Les six dimensions du DOE, entrées comme prédicteurs du score total d’alexithymie dans une régression linéaire multiple, expliquent 62% de la variance de l’alexithymie dans notre échantillon clinique (F(6, 22)=6.03, p<.01). REPCOG (β=-.45, p<.01) et REGEMO (β=-.34, p<.10) sont les deux meilleurs prédicteurs de l’alexithymie1. Si on réitère l’analyse dans l’échantillon complémentaire

(groupe II), on observe que 54% de la variance du score total d’alexithymie est expliqué par les dimensions de l’OE, avec toujours REPCOG (β=-.23, p<.05) et REGEMO (β=-.43, p<.01), mais aussi COMEMO (β=-.31, p<.01) apparaissant comme les trois meilleurs prédicteurs, résultat quasiment identique à celui observé par Zimmermann et Salamin (en préparation). Notons aussi que DIF est associée à l’ensemble des dimensions de l’OE (qui expliquent plus de la moitié de sa variance), et a en particulier une relation négative avec REGEMO2.

Dimensions de l’OE, somatisation et bien-être physique quotidien

Dans notre groupe clinique, l’index de somatisation du SOMS-2 est lié à certaines dimensions de l’Ouverture émotionnelle : REPCOG (r=.34, p<.10), PEREXT (r=.32, p<.10), REGEMO (r=-.52,

p<.01) et RESNOR (r=.47 p<.05). Le bien-être physique moyen évalué dans la vie quotidienne

est aussi lié à REPCOG (r=-.37 p<.05). L’intensité des somatisations actuelles (SOMS-7T) n’est liée à aucune dimension du DOE mais le nombre de symptômes actuels rapportés est lié à RESNOR (r=.39, p<.10). Par contre, si on contrôle l’influence des affects négatifs (indice GSI),

seule la dimension REPCOG est liée à l’index de somatisation (r=.43, p<.05) et au bien-être physique moyen (r=-.37, p<.10).

L’hypothèse exploratoire 2b2 n’est confirmée que concernant la dimension de régulation

des émotions en lien avec la tendance stable à somatiser. Elle est effectivement plus basse chez les personnes qui disent mieux réguler leurs émotions. Par contre, la dimension de représentation cognitive et conceptuelle est plus élevée chez les personnes qui rapportent une tendance plus marquée à somatiser (relation inverse à celle attendue).

L’hypothèse exploratoire 2b3 n’est confirmée que pour la dimension de restriction

normative de ses émotions. Cette dernière est en effet à la fois positivement corrélée à la tendance à somatiser et au nombre actuel de symptômes rapportés.

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Si nous ajoutons l’indice GSI comme prédicteur de l’alexithymie aux autres prédicteurs que sont les six

dimensions du DOE, la variance expliquée passe de 62 à 60% (F(7, 20)=4.31, p<.01) et REPCOG demeure alors le seul prédicteur significatif.

2 L’analyse de régression linéaire multiple réalisée sur notre échantillon clinique (N=30) montre que les

dimensions du DOE expliquent 71% de la variance de DIF (F(6,28)=9.00, p<.01) avec des contributions significatives de REPCOG (β=-.38, p<.05) et REGEMO (β=-.39, p<.05). La même analyse, réalisée sur l’échantillon de 72 patients montre que les dimensions du DOE expliquent 57% de la variance de DIF (F(6,65)=14.51, p<.01) avec des contributions significatives de COMEMO (β=-.23, p<.05), PERINT (β=.20, p<.05) et REGEMO (β=-.49, p<.01). On observe des relations aussi très étroites entre DDF et les dimensions de l’OE, expliquant, selon l’échantillon (N=30 ou N=72), 64% ou 48% de sa variance. Par contre, le modèle de

L’hypothèse exploratoire 2c2 n’est pas confirmée : les dimensions « communication des

émotions » et « régulation des émotions » ne sont pas corrélées au bien-être physique dans la vie quotidienne.

L’hypothèse exploratoire 2c3 est partiellement confirmée : seule la dimension

« représentation cognitive et conceptuelle de ses émotions » est corrélée au bien-être quotidien, et la relation entre ces deux variables est négative. Par contre, ni la « perception des indicateurs corporels internes » ni les « restrictions normatives » perçues ne sont liées au bien-être physique quotidien.

Alexithymie, somatisation et bien-être physique quotidien

Par contre, aucune dimension de la TAS-20 n’est liée à la somatisation en tant que tendance stable (questionnaire SOMS-2) ou au bien-être physique quotidien. Seule l’intensité des symptômes actuels (SOMS-7T) est négativement corrélée à EOT (r=-.42, p<.05), indépendamment de la sévérité de la charge psychique (rpart=-.42, p<.05).

Nous ne pouvons donc pas confirmer notre hypothèse opérationnelle 2b1 : ni la facette de

l’alexithymie « difficulté à identifier ses sentiments », ni la facette « difficulté à décrire ses sentiments » ne sont liées à la gravité de la somatisation (tendance stable) ou au nombre de symptômes somatiques actuels rapportés.

Nous ne confirmons pas non plus notre hypothèse opérationnelle 2c1 : aucune des

dimensions de l’alexithymie n’est corrélée au bien-être évalué dans la vie quotidienne.

4.3.5. Liens entre le traitement affectif, l’affectivité et le bien-être