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L’Ouverture émotionnelle

L’alexithymie représente un déficit dans la représentation mentale des émotions, avec en particulier des difficultés d’identification et d’expression des émotions. Elle touche principalement la composante cognitive/expérientielle des émotions. Bien que ce soit l’approche la plus populaire pour comprendre les symptômes somatoformes, elle souffre de limitations méthodologiques et conceptuelles (Rief & Broadbent, 2007). Le modèle d’Ouverture émotionnelle (OE) (Reicherts, 2007 ; Reicherts, Genoud, & Zimmermann, en préparation) prend en compte la représentation que se fait l’individu de son traitement affectif et de son expérience émotionnelle en tant que processus dynamique multicomponentiel. On s’attend à ce que les déficits rattachés au concept d’alexithymie correspondent à un profil spécifique sur les dimensions de l’Ouverture émotionnelle.

2.5.1. Présentation du modèle d’Ouverture émotionnelle et de ses

dimensions

Le modèle d’Ouverture émotionnelle fait référence à trois aspects de l’expérience émotionnelle : les processus affectifs expérientiels momentanés, les tendances ou traits stables à vivre et traiter les expériences affectives, ainsi que les processus permettant le développement et l’apprentissage de l’accès à ses émotions (Reicherts, 2007; Reicherts, Casellini et al., 2007; Reicherts et al., en préparation). Nous ferons ici surtout référence à l’Ouverture émotionnelle comme la représentation individuelle de ses tendances stables à ressentir et traiter ses émotions. L’OE prend en compte les composantes principales de l’expérience émotionnelle : la composante cognitive/expérientielle, la composante motrice/expressive et la composante corporelle/physiologique. A partir de ces composantes, ce modèle propose six dimensions qui représentent des aspects importants du traitement émotionnel tel que l’individu en fait l’expérience. Les extrêmes de ces dimensions reflètent des dysfonctions caractéristiques de différents troubles psychiques et physiques mais représentent, en tant que dimensions continues, des compétences adaptatives (Reicherts, 2007).

Les dimensions principales sont décrites ci-dessous et mises en lien avec le concept d’alexithymie. Les figures 10 et 11 (chapitre 2.3) permettent aussi de rapprocher ce modèle au processus d’expression émotionnelle qui nous intéresse en particulier dans ce travail.

2.5.2. Relations conceptuelles entre l’OE et l’alexithymie

Nos premières expériences nous montrent que l’Ouverture émotionnelle et l’alexithymie sont liées (Zimmermann & Salamin, en préparation ; Salamin, en préparation).

verbaliser (Feldman Barrett, 2006). Le processus d’expression émotionnelle, qui permet de verbaliser un état affectif à partir de son activation physiologique, nécessite la prise de conscience de l’affect et sa symbolisation au moyen d’un vocabulaire spécifique (Kennedy-Moore & Watson, 1999). Cette dimension met ainsi en jeu d’une part des compétences d’identification des émotions, d’autre part des compétences de différentiation des émotions, c’est-à-dire la capacité à différencier différentes émotions entre elles, mais aussi à distinguer les émotions et leurs corrélats somatiques d’autres sensations corporelles. Ces capacités sont considérées déficitaires chez les personnes alexithymiques. On peut ainsi s’attendre à ce que les personnes alexithymiques aient une mauvaise représentation cognitive et conceptuelle de leurs émotions.

Communication des émotions (COMEMO) : Elle fait référence à la fonction expressive et sociale de l’émotion. La communication peut se faire de manière verbale ou non verbale (ton de la voix, expressions faciales, gestuelle). Décrites cliniquement, les personnes alexithymiques sont généralement peu expressives au niveau émotionnel, et, interrogées sur leur ressenti, donnent des réponses vagues, rapportent un état corporel ou parlent de comportements (Lumley et al., 2007). Quelques études ont permis de démontrer une diminution de l’expression verbale des émotions chez les personnes alexithymiques (Luminet, Rimé, Bagby, & Taylor, 2004). Les observations de leurs comportements expressifs non verbaux révèlent cependant des résultats peu congruents, bien que les observations cliniques décrivent ces personnes comme montrant plutôt peu d’expressions faciales (Wagner & Lee, 2008). Ces constats nous amènent à faire l’hypothèse que les personnes alexithymiques communiquent moins leurs émotions.

Régulation des émotions (REGEMO) : L’identification et la verbalisation adéquates de ses émotions contribuent à leur régulation en facilitant l’interprétation de l’expérience émotionnelle et son traitement ultérieur (Gohm & Clore, 2002) : la régulation des émotions représente une tentative plus ou moins délibérée d’autocontrôle en fonction de la catégorisation faite de l’émotion (Russell, 2003). La régulation des émotions est donc liée aux autres composantes du traitement affectif que sont la représentation cognitive de l’émotion et sa catégorisation/labellisation. D’ailleurs, l’alexithymie semble refléter l’échec de l’utilisation de stratégies adaptatives de régulation des émotions (Lumley et al., 2007). Nous pensons que les personnes alexithymiques ont une moins bonne représentation de leurs compétences de régulation émotionnelle.

Perception des indicateurs internes et externes (PERINT et PEREXT) : Le modèle de l’OE tient compte du lien entre l’activation du système nerveux autonome et la conscience de ses émotions. Bien que l’activation ne soit pas toujours directement accessible et traduite en émotions, ce sont ces signaux internes, qui, s’ils sont perçus, produisent le sentiment d’activation et/ou d’émotion. Ces signaux sont évidemment aussi sujets à des biais, perceptions imprécises ou erronées (voir p. ex. Asmundson et al., 2001). Certaines personnes peuvent se différencier des autres par une plus ou moins grande sensibilité à ces informations corporelles spécifiques,

Bliss-Moreau, & Aronson, 2004). Le concept d’interoception fait référence à la perception de ces indicateurs somatiques internes tels le rythme cardiaque, la température ou la douleur. Ce processus reçoit une attention particulière dans le concept d’Ouverture émotionnelle puisqu’une dimension, la perception des indicateurs internes, lui est consacrée. Certains font l’hypothèse que l’alexithymie, en empêchant la réalisation d’un traitement complet des émotions, pousse les individus à se focaliser sur les sensations somatiques de l’activation émotionnelle qui ne sont pas reconnues en tant que telles (Lundh & Simonsson-Sarnecki, 2001). Les personnes alexithymiques ont des niveaux élevés d’activité du système nerveux sympathique au repos, sans être plus réactives aux stresseurs (voire l’inverse). Cependant, ces résultats ne sont pas encore très robustes et les études se sont limitées à des stresseurs artificiels en laboratoire (Lumley et al., 2007). Partant de ces hypothèses et premières observations, nous supposons que les personnes qui ont le plus de difficultés à identifier leurs émotions sont aussi peut-être « submergées » par leurs sensations corporelles en raison des perturbations du système nerveux autonome qui y sont associées. Ainsi, il se peut que les dimensions de perception des indicateurs internes et externes des émotions soient liées à cette difficulté observée chez les personnes alexithymiques. On peut aussi s’attendre à ce que l’autre facette de l’alexithymie, le style de pensée concret (EOT) montre la relation inverse, la personne ayant des scores élevés à cette dimension prêtant plus attention aux aspects concrets de l’expérience.

Restrictions normatives (RESNOR) : Enfin, nous souhaitons aussi évaluer l’influence d’une dernière dimension de l’OE, la perception de restrictions normatives à l’expression émotionnelle (en raison de règles ou conventions sociales). On retrouve dans cette dimension l’idée que les individus attribuent leur manque d’expression et d’interactions émotionnelles à des facteurs externes (autrui, la société) (Reicherts, 2007). On peut supposer que cette dimension est associée à l’alexithymie puisque toutes deux peuvent correspondre à des personnes qui expriment peu leurs affects, bien que les raisons de la non expression soient liées à des facteurs internes dans l’alexithymie et à des facteurs externes dans le cas de la perception de restrictions normatives. Compte tenu des relations étroites entre l’alexithymie et la somatisation et entre les dimensions de l’Ouverture émotionnelle et l’alexithymie, nous pensons que ce modèle peut apporter un regard nouveau sur les caractéristiques du traitement affectif impliquées dans la somatisation. En effet, les troubles somatoformes commencent à être conçus comme des troubles de la régulation des affects (Waller & Scheidt, 2004). La tendance actuelle est de combiner différentes méthodes de mesure de construits proches afin de consolider les résultats. Le modèle de l’OE a l’avantage de prendre en compte des facettes du traitement affectif qui ne sont pas intégrées dans le construit d’alexithymie, comme la régulation des émotions la perception des indicateurs corporels internes et externes.