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Marché ethnique du logement

1.5 Dapu : une forme extrême de marginalité résidentielle

1.5.3 Réaménager l’espace résidentiel

Pour pouvoir loger au maximum de sous-locataires, ces trois formes d’habitation s’accompagnent souvent d'un réaménagement de l’espace résidentiel. Cette appropriation de l’espace résidentiel à leurs besoins est souvent observée chez les habitants chinois. A nouveau, le cas de Monsieur Niu Yese et son ami Monsieur Tu Shangbei le montre bien :

« Monsieur Niu Yese habitait dans un appartement de trois pièces, 66.34 m2, au 11e étage du bâtiment 4. Je lui ai demandé si le logement a été réaménagé, car selon le plan du bâtiment 4 (que j'avais trouvé sur Internet et imprimé), la chambrette où habitait le sous-locataire du Tianjin devait être une salle d’eau. Il l’a confirmé, en fait, c’était son sous-bailleur qui a converti le rangement en salle d’eau, et l’ancienne salle d’eau en une chambrette, car l’ancienne salle d’eau avait quatre à cinq mètres carrés, alors que le rangement n’avait que deux, donc impossible de loger une personne (voir la Figure 13).

Monsieur Niu Yese partageait la chambre avec une autre personne de sa région. Deux lits posés contre les murs en parallèle, le sien proche de la porte, l’autre proche de la fenêtre ; les lits étaient entourés de rideaux. Entre les deux lits se trouvaient une commode et une petite table. L’espace au-dessous du lit était rempli de bric-à-brac. A côté de la fenêtre, il y avait une armoire. Entre l’armoire et la porte, on pouvait poser une table, qui servait souvent pour manger. Une planche était fixée au bout de chaque lit, sur laquelle poser un ordinateur. Avec cet ordinateur, Monsieur Niu Yese pouvait voir sa famille en Chine dans des conversations vidéo. Il regardait aussi des programmes de divertissement en chinois. La chambre faisait 13.43 m2.

Le salon de séjour avait également été réaménagé (voir la Figure 13). Le salon avait deux entrées, une s’ouvrait sur le couloir, l’autre sur la cuisine. Le salon était ainsi séparé en deux, une partie était réaménagée en chambrette de 3.2 mètres de long et à peu près 2 mètres de large (aucune fenêtre), qui était sous-louée à un Chinois du Fujian. Les sous-bailleurs habitaient dans l’autre partie du salon, alors que leurs enfants occupaient la deuxième chambre liée au salon. »

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Figure 13 Plan du logement de Monsieur Niu Yese

Au printemps 2013, Monsieur Tu Shangbei m’a invitée une fois manger chez lui, ainsi, j’ai pu voir de près comment était sa chambrette et ses conditions d’habitation.

« Monsieur Tu Shangbei a fait une soupe, et m’a invitée. Il habite au 18e étage du

bâtiment 4, chez une famille de Wenzhou qui est sous-bailleur. Le bâtiment 4 est l’immeuble le plus grand du quartier et est en travaux sur les façades. Deux entrées, dont une donne sur l’ascenseur pour les étages impairs, l’autre sur l’ascenseur pair mais qui est fermée pendant les travaux. On prend l’ascenseur. La lumière est en panne et ne fait que clignoter. Sa chambre est tout petite, à gauche de l’entrée, il s'agit à l'origine d'un cagibi. L’appartement en face de l’escalier est aussi en travaux, on entend constamment des bruits de perceuse, c'est très bruyant. Quand Monsieur Tu Shangbei

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ouvert sa porte, je sais à quoi m'attendre parce qu’il m’a déjà tout dit, mais je suis toutefois étonnée quand je vois vraiment la chambre en question devant mes yeux. La porte ne peut pas s'ouvrir complètement, elle s’ouvre aux trois quarts et s’arrête contre le lit. Le lit occupe la majeure partie de l’espace. A côté du lit il y a une petite table, sur laquelle est posé un ordinateur qui est en train de diffuser les programmes de divertissement de la Chine. Il m’explique qu’il n'éteint jamais son ordinateur et le laisse toujours allumer comme ça. Au-dessus de table et du lit, des planches simples sont fixées, qui servent à mettre des vêtements et des objets d'usage quotidien. Il y a des clous dans le mur, avec des vêtements pendus dessus. Pas de fenêtre, sauf sur la porte, mais qui est couvert par des posters. Il y a une ouverture qui est faite en bas de la porte, pour la ventilation.

Pour m’accueillir, Il sort une chaise pliée et la met devant la porte, car il n’y a plus de place dans sa chambrette. Monsieur Niu Yese s'est assis sur le lit, alors que Monsieur Tu Shangbei reste au debout. En profitant de ma position (devant la porte), je peux observer un peu les lieux. Des packs des bouteilles d’eau et du lait sont entassés sur un côté du couloir, de l’autre côté il y a un frigidaire, de sorte qu'il ne reste qu'un passage étroit pour qu’une personne puisse passer. Le salon de séjour est occupé par les sous- bailleurs eux-mêmes. Il y a deux portes pour le salon, dont une bloquée par le frigidaire. (…)

(Selon le plan du bâtiment 4) La chambrette de Monsieur Tu Shangbei fait 2.48 mètres de longueur, 1.43 mètres de largeur. « 77 centimètres pour le côté le plus court » (voir la Figure 14), me dit-il. Je lui demande comment il pourrait être si précis, il m’explique que, quand il s’ennuie, il mesure la chambrette avec des règles (comme il travaille dans le bâtiment, il a beaucoup d’outil), et il a mesuré déjà plusieurs fois. »

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Figure 14 Plan du logement de Monsieur Tu Shangbei

Outre les habitants chinois pratiquant le dapu, j’ai eu également l’occasion d’observer l’aménagement de l’espace résidentiel des sous-bailleurs. Madame Pipa, locataire du bâtiment 1, logeait plusieurs personnes chez elle lors de notre rencontre en 2013.

« Vers 18h30, j’ai téléphoné à Madame Pipa, pour savoir si elle passait au centre. (Elle est passée me voir au centre le midi mais je n’étais pas encore là, donc mon collègue a

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noté son numéro pour que je puisse la contacter.) Elle a réfléchi et m’a demandé d'aller chez elle, disant que je pourrais manger chez elle après l’avoir aidée. (…) Elle habite au 5e étage du bâtiment 1A. L’ascenseur est toujours en panne, j’ai pris l’escalier. Deux appartements par étage. Sur la porte en face de chez elle, j’ai vu des lettres d’Asie du Sud, elle m’a dit que c’était une famille indienne. Ou peut-être une famille bangladaise, ai-je pensé, vu qu’il y a beaucoup d’élèves bangladais au cours de français.

C’est un appartement trois pièces, un salon et deux chambres. Sa famille habite dans le salon. Le salon est grand, une vingtaine de mètres carrés, séparé du couloir par une porte. Les deux chambres sont sous-louées à des étudiants (ce qui est assez rare), 280 euros mensuel pour l’étudiant qui vit tout seul, 310 euros pour l’étudiante habitant avec son copain. Ils partagent la cuisine et la salle d’eau. Le loyer total est de 950 euros, donc sa famille paie 360 euros, en plus d’autres frais, comme les factures d’électricité, d’Internet et d’eau, pour un montant de 170 euros environ par mois. Le propriétaire, pour éviter de payer des impôts, a écrit sur la quittance de loyer que le loyer était de 400 euros, plus 100 euros de charges.

Tout est très propre chez elle. On doit être en chaussettes dans l’espace commun, et pieds nus dans leur chambre (qui était le salon à l’origine). A gauche de la porte, contre le mur, il y a le lit double pour le couple, ensuite, une table de chevet, et puis une armoire qui sert de frontière pour séparer le lit des parents et ceux des enfants. Les enfants ont un lit superposé, la fille dort en haut et le garçon en bas. Tous les deux se sont montrés très chaleureux, en me voyant, ils m’ont demandé qui j'étais et comment je m’appelais ; ils m’ont dit leurs prénoms chinois qu’ils venaient d’avoir. Quand je suis allée aux toilettes pour me laver les mains, tous les deux se battaient pour me montrer le chemin. Cela nous a fait rire. En face de la porte, les fenêtres donnent sur une très belle vue sur Paris. A droite, une commode est posée contre le mur ; puis, il y a une table ; proche de la porte se trouve une commode à la hauteur moyenne, sur laquelle est posé un ordinateur, avec comme fond d'écran l’image du garçon quand il était bébé. Tout est bien rangé. (… J’ai rempli les formulaires de la Caf pour eux.) Il était presque 20h quand j’ai fini, donc je suis restée pour dîner avec la famille. La cuisine était grande. Nous avons mangé sur une table pas très grande ; ils ont préparé quatre plats. Madame Pipa m’a servi un verre de Martini, avec des tranches de citron. »

120 A partir de ces formes d’habitation des habitants chinois, ainsi que de la description de leurs espaces résidentiels, on comprend qu’il est vrai que le marché du logement ethnique offert des « ressources résidentielles » précieuses, et un accès au logement relativement facile. Pourtant, dans la plupart de cas, cet accès s'accompagne d'une forte pression qui s'exerce sur l’espace d’habitation existant, qui sont maximisés à l'extrême.

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