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L’insertion urbaine des migrants chinois

3.1 Rénovation urbaine

3.1.2 Conditions d’habitat

Comme le but essentiel de visites de logement est « de se rendre compte des conditions réelles de logement et de voir quelles procédures incitatives ou coercitives peuvent être mise en place », les questions posées lors des visites se penchent plutôt sur les conditions d’habitation des habitants chinois, lesquelles portent sur trois principes que l’on résume ainsi : la sécurité, l’hygiène et la dignité.

Notons ici que le principe de sécurité ne porte pas le même sens pour la mairie que pour les Chinois : au lieu d’insister sur la sécurité du quartier, le principe avancé par la mairie prend

76 Ibid. 77 Ibid.

78 Ce sentiment d’insécurité est également constaté chez les classes moyennes et supérieures à Mexico qui habitent

174 généralement en considération les dangers potentiels liés à l’espace résidentiel, tels que l’incendie, le choc électrique, ainsi que l’aménagement spatial nécessaire pour l’évacuation en cas d’urgence. Les fils électriques non couverts de l’immeuble n°70 sont ainsi considérés comme une menace potentielle à la sécurité des occupants de l’immeuble. En outre, l’aménagement spatial au sein du logement n°72 soumet aussi ses habitants à des dangers potentiels : un seul couloir entassé de meubles ou d’ustensiles de cuisine, en plus d’une seule entrée et sortie pour sept ou huit familles qui y résident. « Si jamais il y a un incendie, personne ne peut sortir », s’inquiète ainsi Madame Alice pour eux.

Le principe d’hygiène s’intéresse aux conditions sanitaires de l’espace résidentiel et vise donc à lutter contre l’insalubrité. Lors de nos visites, l’humidité du logement constitue la question principale. Par exemple, plusieurs familles visitées du bâtiment n°16 ont un problème d’humidité chez elles, des moisissures se voient sur les murs. Parmi ces familles-là, le problème que l’on observe chez la famille chinoise du 2ème étage est le pire : les murs sont très humides,

en particulier ceux de la cuisine et du cagibi, qui sont couverts de moisissures. Cela pose des problèmes pour la santé de la famille, surtout pour une famille avec une petite fille de cinq ans et la mère enceinte. En outre, la mère prend l’initiative de nous raconter d’autres problèmes : « il y a des insectes qui nous piquent. » Selon ses descriptions, Madame Alice et Monsieur Dupont en déduisent qu’il y a des punaises de lit dans la chambre où dorment le couple et leur fille. Lors de notre deuxième visite en 2016, la famille était toujours dans le même appartement. Apparemment, ces mauvaises conditions d’habitation ne constituent pas une raison suffisante qui pousse la famille à déménager. Cela révèle la contradiction qui existe entre l’accès au logement et les logements non conformes. L’accès au logement renvoie à des questions qui doivent être résolues en urgence, tandis que les logements non conformes constituent des risques moins évidents mais qui sur le long terme affectent la santé et la sécurité des occupants.

Le dernier principe mais non des moindres s’appuie sur la dignité de l’habitat. Lors des visites de logements, ce principe concerne plutôt la hauteur d’un logement et la surface habitable minimale attribuée à chaque occupant du logement. Lors de notre visite en 2015 à une famille chinoise habitant l’immeuble n°20, Monsieur Dupont m’a expliqué, « selon les règles, il faut au moins 9 mètres carrés pour un occupant, avec une hauteur d’au moins à 2,2 mètres. » Les critères d’un logement décent trouvent leurs origines dans le décret du 30 janvier 2002 d’application de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) : « le logement dispose au

175 moins d’une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,2 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes79. » (Article 4). Selon ces critères, de nombreux logements occupés par les habitants chinois ne se conforment pas au principe de dignité, car, afin de réduire les dépenses en matière de logement, les stratégies résidentielles de colocation et de sous-location des migrants chinois rendent souvent les foyers chinois modestes dans une situation surpeuplée. Dans le cas de la famille chinoise du n°20, ils sont trois (le couple avec la belle-mère) résidant dans un logement d’une dizaine de mètres carrés, et ils ne sont pas les seuls qui habitent dans des logements non conformes. En insistant sur la décence et le confort d’un logement, la dignité du logement constitue ainsi une dimension spatiale importante à la dignité humaine. Pourtant, pour des habitants vulnérables comme les Chinois, l’accès au logement est la priorité principale, primant sur la dignité.

Ainsi apparaît une contradiction entre le projet de rénovation urbaine des autorités locales qui vise à mettre aux normes les conditions d’habitation et la demande impérative d’accès au logement de la population immigrée. Les échanges avec le sous-bailleur80 de

l’immeuble n°72 montrent bien l’existence de cette contradiction et la conscience qu’il en a :

« (Après l’entretien, on a demandé de nouveau une visite du logement) Le locataire- bailleur a hésité un moment et finalement accepté notre demande de visite. Une fois monté l’escalier, un couloir se trouvait devant nous au bout de l’escalier, toutes les pièces se trouvaient à droite, dont la première servait de cuisine commune. Une plaque en bois était posée sur l’évier, contre le mur, sur laquelle était écrit en chinois : « S’il vous plaît, prenez l’initiative de maintenir la propreté »81. Le couloir était long, avec

des lucarnes. Sur le côté gauche du couloir étaient entassés des étagères et des ustensiles de cuisine, ce qui laissait une largeur de moins d’un mètre pour la circulation. Au bout du couloir, j’ai croisé le monsieur avec qui j’avais fait une visite de famille en accompagnant un travailleur social la dernière fois. Je l’ai salué et lui ai demandé si l’on pouvait entrer voir, il a accepté sans hésitation. Le logement où il habitait avait

79 Consulté en ligne le 15/09/2017 :

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005632175&dateTexte=20110729.

80 Voir sous-chapitres 1.3.3 et 1.6.1.

81 请自觉做好卫生 en chinois. Limitée par le temps, je n’ai pas eu le temps de demander plus d’informations sur

l’usage de cet espace commun. Mais on y observe une vie collective, bien organisée, dans cet espace résidentiel de cohabitation de plusieurs foyers.

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une seule pièce, sans cuisine, ni douche ou toilettes (qui se trouvaient toutes au début du couloir). Avant que sa femme ne rentre en Chine, ils étaient trois (avec leur fils) à habiter dans cette pièce qui avait une dizaine de mètres carrés. Après la visite, Madame Alice s’est inquiétée pour eux, car elle n’avait vu qu’une seule entrée et sortie : « si jamais il y a un incendie, personne ne peut sortir ». Aussitôt cette phrase prononcée, le locataire-bailleur est devenu très inquiet et a regretté de nous avoir laissé monter : « je vous ai dit de ne pas venir voir, mais vous avez insisté, et maintenant, [je vais avoir] des problèmes après la visite. » Avant que l’on soit sorti, il n’a cessé de se plaindre auprès de moi, inquiet et agité, ayant l’air de regretter, ce qui m’a rendue mal à l’aise. Quand Madame Alice a vu mon état, elle m’a demandé : « qu’est-ce qu’il y a ? Vous avez l’air triste. » Je leur ai expliqué les inquiétudes du locataire. Madame Alice et Monsieur Dupont ont essayé de le rassurer, en expliquant qu’ils étaient seulement venus se rendre compte des conditions d’habitation, qu’ils ne rédigeraient pas de rapport officiel sur ses conditions résidentielles, qu’ils avaient dit cela car ils s’étaient inquiétés personnellement pour eux et qu’ils comprenaient ses inquiétudes. En entendant cela, le locataire-bailleur a été fort soulagé, et nous a serrés la main pour dire « au revoir ». […] Quand on est descendu, un camion était stationné devant l’entrée pour effectuer un déchargement, et on a dû sortir en prenant l’espace tout étroit entre le camion et le mur. »

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Figure 23 Cuisine commune de l'immeuble n°72

(La cuisine commune de l’immeuble n°72, maintenue dans un bon état de propreté, avec des ustensiles de cuisine bien rangés. La plaque en bois posée sur l’évier indique en chinois, « s’il vous plaît, prenez l’initiative de maintenir la propreté », comme une règle pour le bon déroulement de la vie en commun. Photo Juan DU.)

En fait, l’immeuble n°72 partage la même entrée qu’un parking. Au fond du parking, on peut voir une entrée à droite qui donne accès à une usine de confection, tandis qu’à gauche, se trouve la porte d’entrée pour accéder à l’espace résidentiel. Cet espace résidentiel à l’arrière d’un parking donne une image discrète et informelle de ce logement. Le refus initial et les inquiétudes du locataire-bailleur impliquent qu’il a conscience de l’écart entre les normes définies par la loi et les conditions réelles de son habitation. Pour lui, la mise aux normes de son logement pourrait provoquer une privation de son accès au logement actuel. Ce conflit d’intérêt potentiel est une situation inattendue pour la municipalité, ce qui lui demande

178 d’écouter les habitants et de prendre en considération leurs vrais besoins. En faisant des visites de logements, les autorités locales réalisent qu’ils font face à une contradiction entre la mise aux normes du logement et la garantie d’un accès au logement pour des habitants immigrés.

Bien que la mise aux normes soit un enjeu entre la municipalité et les propriétaires, les locataires ne sont pas moins concernés. Au contraire, en tant qu’occupants de logements, ils s’intéressent à leurs propres droits, en particulier à l’accès au logement et à l’évolution du projet de rénovation urbaine : devront-ils déménager ? Que feront-ils si leurs propriétaires leur demandent de partir ? Seront-ils relogés ? Ayant peu de pouvoir de négociation avec leurs propriétaires, ils n’ont pas d’autre choix que d’attendre le résultat des négociations entre la municipalité et les propriétaires.

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