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Une invitation au Nouvel An chinois de Bagnolet : découvert du quartier de la Noue

Bien que mon enquête de terrain se soit déroulée officiellement en 2013, j’ai eu pourtant des contacts préliminaires avec Bagnolet auparavant. Tous les contacts sont venus de l’association Pierre Ducerf. Crée en 1993, cette association franco-chinoise a pour objectif « d’œuvrer à l’intégration en créant des passerelles et des liens entre la population chinoise et le milieu environnant français (institutionnel ou non-institutionnel ») 23 . Le nom que

l’association porte indique son lien étroit avec l’immigration chinoise, ainsi que l’origine des immigrants chinois du 3ème arrondissement où se trouve son local. « Issus d’un courant migratoire centenaire, les plus vieux Chinois de France sont originaires de deux localités de la province du Zhejiang : Qingtian, district réputé dans toute la Chine grâce à ses gisements de pierre et ses figurines en « Pierre de Qingtian24 » et le port de Wenzhou (à environ 60 km de Qingtian) dont l’emblème est un animal : « le Cerf ». « Pierre » « Ducerf » est, en fait, la juxtaposition de deux éléments évoquant l’origine géographique de ces plus anciens Chinois de France. »25 A part promouvoir des activités culturelles, l’association Pierre Ducerf joue également un rôle important dans le monde social, en proposant des cours de français aux migrants adultes, des cours du soutien scolaire pour les enfants, venus en France en bas âge ou nés en France, des accompagnements à but scolaire, professionnel, médical, administratif voire juridique26. J’ai connu cette association en octobre 2009, un mois après mon arrivée en France. A cette époque-là, je me préparais à faire un mémoire de master sur les enfants chinois à l’école française. Pour faire mon enquête de terrain, j’avais contacté l’association et étais devenue enseignante bénévole pour le soutien scolaire. De cette manière, j’ai connu beaucoup de familles chinoises qui habitaient pour la plupart à Paris, dont certaines venues d’Aubervilliers, mais aucune famille de Bagnolet. Bagnolet et ses habitants chinois ne sont devenus visibles qu’en 2012.

23 Tiré du site officiel de l’association : http://www.pierreducerf.com/?page_id=214.

24 La présence de la pierre dans l’histoire de l’immigration de Qingtian en Europe se retrouve fréquemment dans

des livres sur l’immigration chinoise, académiques ou non, la thèse de Live (2010) pour les premiers, et les recueils de Ye (2014) pour les derniers. Une légende détaille l’aventure et la trajectoire migratoire du premier migrant originaire de Qingtian, mettant en scène la relation que les migrants chinois de la première vague avaient avec leur pays de départ et leurs activités économiques initiales (colporteur). Ainsi, autour de la pierre de Qingtian se concrétise le début de l’immigration chinoise par le bas et non organisée, en France.

25 Extrait du site officiel de l’association : http://www.pierreducerf.com/?page_id=214.

52 Au début de l'année 2012, j'ai reçu une invitation à la fête du Nouvel An chinois de Bagnolet qui m’avait été transmise par l'association Pierre Ducerf. C'était alors la première fois que j'entendis parler du quartier de « La Noue » situé à Bagnolet, et cela a suscité mon intérêt. En général, seuls les quartiers chinois avec des caractéristiques de « centralité minoritaire » (Raulin 1988) – il s'agit ici de commerces chinois – ont la volonté et la capacité d'organiser les défilés du Nouvel An chinois. Ainsi, tous les défilés du Nouvel An chinois se déroulent dans les quartiers caractérisés par une grande concentration de commerces asiatiques, tels le « Triangle de Choisy » dans le 13ème, ou le quartier « Temples /Arts-et-Métiers » dans le 3ème, ou encore Belleville et Aubervilliers, dont la plupart des activités sont organisées par des associations de commerçants chinois du quartier. Le quartier « La Noue » de Bagnolet n'entrait pas dans ce cadre. Il était donc surprenant d'entendre qu'un tel défilé ethnique allait y avoir lieu, car cela signifiait l'existence d'un quartier chinois peu connu. Sur la lettre d’invitation, on voyait que le défilé était organisé par « la ville de Bagnolet et l’Association Union Franco-Chinoise de La Noue ». Avec l’association Pierre Ducerf, on a essayé d’organiser une rencontre avec Monsieur Arui, le Directeur de l’association locale Union Franco-Chinoise mais il ne nous a jamais répondu (en fait, il était gravement malade à cette époque-là). A ce moment-là, j’ai pris conscience de l’existence d’une communauté chinoise à Bagnolet, mais je n’étais pas pressée de la contacter toute de suite, car j’étais occupée à entamer des enquêtes ailleurs, à Paris et à Aubervilliers, en faisant de l'accompagnement scolaire.

A partir de 2012, j’ai eu mes premiers contacts avec les habitants de ces deux villes, en travaillant comme médiatrice sociale de l’association Pierre Ducerf. L’association travaille souvent en collaboration avec ses partenaires, dont la plupart sont des institutions d’éducation et de santé. J’étais convoquée pour faire de l’interprétation quand ces institutions avaient besoin d’interprète pour des familles chinoises. Ainsi, la recherche se mélange avec le travail (social), ce qui parait déroger au principe de neutralité demandé lors de l’enquête ethnographique. Pourtant, ce principe est remis en cause par des chercheurs, pour qui « il n’y a pas d’extériorité absolue du chercheur » (Weber 2007). Je regarde ce travail comme une forme d’observation participante, qui m'a permis d'accompagner les Chinois vers toutes sortes d’institution, tant publiques que privées.

Malgré tout, en le faisant, je me suis rendue compte que ce type de travail avait ses contraintes. Tout d’abord, les rencontres sont le plus souvent ponctuelles, il n'y a pas d'accompagnement dans la durée, de sorte qu'il était difficile pour moi d’avoir des interactions

53 plus profondes avec les gens rencontrés, sans parler de la confiance qui s’établit dans l’interaction à long terme. Je doutais ainsi de la validité des entretiens réalisés auprès des différentes personnes n’appartenant pas au même milieu d’interconnaissance (Beaud et Weber 2010).

En outre, le rôle de « traductrice de l’association », que les immigrants chinois m’avaient assigné lors des rencontres dans le cadre associatif, m’empêchait également de demander de faire des entretiens, demande en rupture avec la position qu’ils me donnaient. La multiplication des rôles (traductrice/médiatrice ou jeune chercheuse qui cherchent à connaître ses enquêtés potentiels) m'a gênée, car au début, le rôle de traductrice primait sur tous les autres, surtout celui de jeune chercheuse. Après réflexion, j’ai trouvé que le rôle de « traductrice de l’association » prédominait lors de mes interactions avec les immigrants chinois, puisque j’étais supposée intervenir comme traductrice dans le cadre bien défini de l’association. Il était difficile de m’imposer comme chercheuse. Après avoir pris conscience de cette contrainte structurelle, je n’étais plus pressée de faire des entretiens directement. Au contraire, j’ai changé de méthode et fait des observations au sein de l’association ou lors de mes accompagnements. Je considérais toutes ces rencontres, échanges de discours, partages d’expériences, accompagnements vers les institutions comme un champ d’observation, et surtout comme une période préparatoire pour reformuler mes questions scientifiques et aussi pour les recherches futures.

Rétrospectivement, ce travail s'est avéré indispensable pour mes recherches, pour deux raisons : Premièrement, ce travail me demandait de réfléchir sur ce qu’était la « communauté chinoise » ? S’agit-il une « communauté imaginée » au sens d’Anderson ou bien cette communauté existe-t-elle vraiment ? Qui sont les immigrés chinois quand on parle d’ « étudier cette population » ?

Deuxièmement, grâce à ce travail, j’ai rencontré des Chinois dans différentes situations, avec des problèmes très variés, une expérience indispensable pour avoir une connaissance, élémentaire, généraliste et rapide sur les situations des immigrés chinois, dans un temps limité. A cette époque, les partenaires principaux de l’association se trouvaient en général à Paris, de temps en temps à Aubervilliers même. Depuis la fin janvier 2012, la ville de Bagnolet a contacté l’association pour envisager une coopération sous le programme de PRE (Programme Réussite Educative). Avec leur accord, j’ai commencé à travailler en tant que médiatrice sociale dans deux écoles de Bagnolet depuis le mois de mars, une fois toutes les

54 deux semaines. Les deux écoles ne se trouvent pas dans le quartier de « La Noue » mais de l’autre côté de la ville, dans le quartier « Dhuys » qui est proche de la mairie. Selon l’école et la mairie, il y avait beaucoup de familles chinoises dans ce quartier. Pourtant, le travail dans les écoles est limité, de même dans le cadre de l’école et l’association, aucune rencontre avec les parents d’élève au sein de l’école n’a pu aboutir à des entretiens approfondis.

Bien que je fusse préoccupée d’ « établir mon terrain » à l’école, un terrain présumé sensible et délicat, en créant des liens de confiance avec les parents d’élève et les institutrices, je ne me bornais pas à l’établissement scolaire, et j’étais prête à accepter toutes les autres informations ou à explorer d’autres terrains potentiels. Lors des échanges occasionnels avec les parents, l’expression « en haut de la colline » a été mentionnée plusieurs fois, ainsi que l’expression « là-bas, il y a beaucoup de Chinois ». Ces expressions m’ont beaucoup intéressée, et j’ai cherché à visiter le « haut de la colline » dont ils parlaient. Il m’est arrivé même une fois qu’un parent d’élève pointait du doigt la direction vers le « haut », un endroit que j’ignorais à ce moment-là, qui deviendrait mon terrain d’enquête principal un an plus tard.

Deux entrées : par une habitante du quartier et par le centre

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