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Depuis la parution de l’ouvrage séminale Ethnic Economies d’Ivan Light (1972), les études sur l’économie ethnique et plus spécifiquement sur l’accès au marché du travail des migrants dans les pays d’accueil sont en constante augmentation. Diverses notions sont employées pour analyser le caractère ethnique des activités économiques des migrants : « enclave ethnique » (Portes 1981), « économies ethniques » (Light et Gold 2000), ou « entreprenariat étranger ou ethnique » (Waldinger 1986 ; 1990).

La notion d’« enclave ethnique » est d’abord évoquée par Portes et Wilson dans leurs études sur la concentration des immigrés cubains à Miami en 1980. Elle est définie comme une forme d’intégration économique des migrants, « a distinct form of economic adaptation » (Portes et Shafer 2007). Ce phénomène se caractérise par la surreprésentation des migrants dans un même secteur de travail et une forte concentration spatiale.

“The spatial concentration of immigrants who organize a variety of enterprises to serve their own market as well as the general population. A substantial proportion of workers of the same nationality were employer in these firms and the latter were found in a variety of manufacturing and commercial sectors rather than being limited to a single economic niche.” (Ibid.)

En s’appuyant sur ces quatre caractères, Wilson et Portes ont mis en avant leurs hypothèses sur l’enclave ethnique (Portes et Shafer 2007) :

1. L’enclave est un secteur automne, qui se différencie des autres secteurs ;

2. La rétribution économique du capital humain est plus élevée dans l’enclave que sur le marché dominant ;

3. Avec le même capital humain, l’immigré gagnerait plus en créant son propre commerce qu’en étant employé sur le marché dominant.

Cette notion a eu un grand succès dans le domaine académique, car elle rompt avec la pensée dominante de l’époque, selon laquelle, les migrants, n’arrivant pas à entrer sur le marché dominant, n’ont pas d’autres choix que de rester dans l’économie ethnique.

40 Un grand débat s'est ouvert autour des mécanismes de fonctionnement de l’enclave ethnique. Par exemple, Borjas et Bates considèrent que l’enclave ethnique constitue une sorte de « piège à mobilité » (mobility trap), plaçant les migrants dans « situation défavorable permanente » (Borjas 1986, 1990 ; Bates 1987, 1989). Au contraire, Portes et Bach montrent que les migrants cubains à Miami ont plus de chance de devenir travailleurs indépendants ou employeurs en restant dans l'économie ethnique (Portes et Bach 1985 : 226-232). Loin d'être un « piège à mobilité », l’enclave est davantage une « machine à mobilité » (Portes et Shafer 2007).

Depuis, de nombreuses études insistent sur l'une ou l'autre hypothèse. Les travaux de Zhou, Bailey, Waldinger et de Logan et al. défendent la notion de l’enclave ethnique. Dans son ouvrage Chinatown à New York, Min Zhou affirme que l’effet de l’enclave (bas salaires, longues heures) de travail est une réalité. En restant dans l’enclave, les migrants acquièrent des savoir-faire, accumulent du capital social, ce qui faciliterait l’ouverture de leur propre commerce (Zhou 1992 [2010]). Alors que Portes et Jensen considèrent que l’enclave ethnique a les mêmes effets sur les deux sexes (Portes et Jensen 1989), Zhou montre toutefois que ce phénomène est réservé aux hommes ; les femmes, ne travaillent que pour leurs maris ou dans les commerces de leurs parents. Quant à Bailey et Waldinger, ils définissent, dans leur étude, l’enclave ethnique comme un système d’apprentissage (Bailey et Waldinger 1991).

Certaines études montrent que les migrants sont présents dans deux secteurs : l’enclave ethnique et l'économie d'entrepreneuriat, dans laquelle il existe une concentration des employeurs de la même ethnie alors que le pourcentage des employés de la même ethnie n’est pas très élevé (Logan, Alba et McNulty 1994). Pour ces auteurs peu de cas correspondent à la définition rigide de l’enclave ethnique donnée par Portes et Wilson.

Les études critiquant la notion de l’enclave insistent principalement sur deux points. Le premier point met en cause l’intérêt de l’enclave ethnique pour les migrants. Par exemple, Borjas affirme que, « il n’y a aucune preuve que les entrepreneurs immigrés réussissent particulièrement bien » (Borjas 1990 : 163). Bates et Dunham considèrent que l’accès à l’entreprenariat est un choix alternatif pour les migrants qui rencontrent une barrière linguistique (Bates et Dunham 1991 : 12). La deuxième critique porte sur l’effet positif de l’enclave ethnique sur les travailleurs qui s’y trouvent. Les études de Sanders et Nee montrent ainsi que l’enclave ne récompensent que les migrants porteurs d'un certain type de capital humain (Sander et Nee 1987 : 763).

41 La notion d'économie ethnique est plus souple et ouverte : la concentration des travailleurs originaires de la même ethnie dans un secteur peut être considérée comme une forme d’économie ethnique. De ce fait, l’économie ethnique est souvent observée chez les migrants (Light et Rosenstein 1995 ; Light et Gold 2000), alors que l’enclave est plutôt un phénomène exceptionnel, dont les caractères ne sont constatés que dans certains groupes d’immigrés aux Etats-Unis (Portes et Shafer 2007).

« L’hypothèse de l’enclave ethnique ne devrait plus survivre longtemps. » a prédit Waldinger dans les années 1990 (Waldinger 1993 : 26). Par contre, la notion d' « économie ethnique » semble plus inclusive. Elle décrit une situation dans laquelle « des travailleurs indépendants, des entrepreneurs et des employés issus d’un même groupe ethnique » sont engagés dans un ensemble d'activités économiques (Light et Gold, 2000 : 4). Le terme « ethnique » est « un ensemble de connections et d’échanges réguliers entre des personnes partageant une origine nationale ou des expériences de migrations semblables » (Waldinger 1993 : 18)

Dans cette thèse, j'adopte le terme d’ « économie ethnique » parce que dans mes recherches, les employeurs et les employés sont quasiment tous des Chinois, et qu'ils se concentrent dans certains secteurs d’activités, essentiellement dans l'économie informelle.

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