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Relations des migrants chinois avec l’espace urbain

2.4 Le processus de concentration : l’histoire de l’arrivée des migrants chinois dans le quartier

2.4.3 Au début des années 2000 : l’arrivée des habitants du Fujian et du Nord

Monsieur Wang s’est installé dans le quartier en 1996. A l'époque il ne voyait pas « des gens du Fujian ou du Nord-est » (Note du journal ethnographique, le 24/05/2013 au restaurant chinois). Or, selon d'autres témoins, il y avait déjà des gens du Fujian qui sont arrivés à cette époque-là, mais ils étaient peu nombreux. Ils ne sont devenus nombreux qu’après 2002, et ont atteint un maximum en 2005 et 2006. Lors des échanges avec Monsieur Ke Tianjie, il m’a expliqué,

« En 2003, 2004 et 2005, il y avait de plus en plus de gens du Fujian. Initialement, ils

avaient l’intention d’aller en Angleterre, donc ils attendaient l’occasion pour aller à Calais, là-bas ils peuvent prendre le train pour Angleterre. Malheureusement le contrôle (aux frontières) était strict, il était impossible de passer de l’autre côté. En

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attendant, beaucoup de gens sont restés ici pour travailler, donc au bout d’un moment, ils se sont habitués. Certains sont parvenus à arriver en Angleterre, mais ils étaient peu nombreux, beaucoup de gens sont alors restés et ont commencé à travailler en France. »

(Note du journal ethnographique, le 06/11/2013 dans un café chinois)

D’après lui, les Chinois du Nord-est sont arrivés plus tard, « ils sont de plus en plus

nombreux à partir de 2007 et 2008 » (Ibid.).

Du premier retour en 2006 au deuxième en 2010, Madame Pipa a constaté l’évolution des habitants du Fujian. « Entre temps, beaucoup de gens du Fujian sont retournés en Chine,

après avoir travaillé pendant des années, donc il y a beaucoup moins d’habitants chinois aujourd’hui qu’avant68 ». Elle pense quand même que les gens du Fujian sont plus nombreux

que ceux de Wenzhou.

Outre les récits des anciens habitants, j’ai pu rencontrer plusieurs habitants originaires du Fujian qui sont arrivés en « pionniers » en France.

« (Deux hommes du Fujian sont entrés dans le restaurant alors que je bavardais

avec M. Ren) Un a un titre de séjour, et l’autre non. L’homme avec le titre de séjour, jeune et assez maigre, m’a dit qu’il est arrivé il y a 20 ans. J’étais assez surprise, et je lui ai redemandé. Il m’a dit que c’était plutôt 21 ans. Il est venu en février 1993, et il habite toujours dans ce quartier depuis. Il est la première personne du Fujian à habiter ici. C’était très dur à l’époque, mais « les gens sont devenus plus nombreux maintenant, et peuvent s’aider l’un aux autres », a dit-il. » (Note du journal ethnographique, le

14/11/2013 au restaurant chinois)

Monsieur et Madame Meng viennent tous les deux du Fujian, et se sont rencontrés en France. Monsieur Meng est arrivé en 1993 et habite à La Noue à partir de 1995. Madame Meng, née en 1976, est venue en France en 1998. Elle s’est mariée à l’âge de 24 ans et a un fils et une fille. Aujourd’hui, ils sont propriétaires de leur appartement dans bâtiment 1. Monsieur Meng a également une société de rénovation (du secteur de bâtiment) dont le bureau se trouve sous la dalle. Je lui ai demandé s’il est parmi les premiers gens du Fujian qui sont venus en France, il m’a répondu qu’il y avait une autre personne qui est arrivé trois mois plus tôt que lui69.

68 Note du journal ethnographique, le 15/04/2013 au centre OTTO.

166 Quant à Madame Meng Li, d’après elle, « il y avait seulement une dizaine de gens du

Fujian quand elle est arrivée, et maintenant il y a une centaine70. »

Avec les aides de Madame Shu et Madame Cai, nous avons repris en détail toute l'histoire de l’arrivée des migrants chinois dans le quartier. Ainsi, la restitution de l’histoire de la concentration des migrants chinois devient possible.

Tout d’abord, ce sont les migrants originaires de l’Asie du sud-est qui sont arrivés en premier dans ce quartier, dans les années 1980.

Les migrants de Wenzhou sont venus ensuite. Il doit en avoir quelques-uns dans les années 1980, car Madame Shu qui a acheté l’appartement en 1991 ne croit pas qu’elle est parmi les premiers habitants chinois qui s’installent dans ce quartier.

A partir de l’an 2000, les habitants chinois continuent à s’accroître, avec l’arrivée des nouveaux, comme les migrants du Fujian et ceux du Nord de la Chine. Les gens du Fujian étaient peu nombreux, seulement quelques-uns, avant 2000. Pourtant, leur nombre s’accroît assez vite, d’après Madame Shu, « ils étaient nombreux en 2005 ». Elle m’a expliqué que les gens du Fujian ne voulaient pas aller en Italie71, par contre, ils voulaient partir en Angleterre et aux Etats-Unis72.

Notons que les habitants chinois ne sont pas homogènes. En ce qui concerne le logement, la plupart des propriétaires chinois sont des migrants originaires de Viêt-Nam, de Cambodge ou de Wenzhou, avec quelques propriétaires du Fujian, par contre, les locataires sont majoritairement des migrants du Fujian et du Nord, plus précisément, des nouveaux arrivants. Cette distinction, à première vue géographique, reflète un éventail de facteurs, surtout l’ancienneté de l’immigration, la situation familiale et l’attente sur l’avenir.

Si l’on parvient à restituer le processus du rassemblement des Chinois au quartier de la Noue, on se demande pourquoi, cependant, s’être rassemblé précisément dans ce quartier-ci, à La Noue ? Plusieurs facteurs pourraient nous aider à comprendre cette concentration des migrants chinois dans un espace urbain donné.

70 Note du journal ethnographique, le 26/06/2013, au bureau de l’entreprise de son mari.

71 En fait, l’Italie est une des destinations principales pour les migrants originaires de Wenzhou. Les migrants en

parlent comme d'une « banlieue de la France ». (Ma Mung, 2000)

167 Monsieur Diallo, directeur du centre, considère quant à lui que « l’accès relativement facile » (note d’entretien le 04/04/2013) est la raison essentielle qui explique la prédominance des Chinois. L'expression qu'il utilise, « l’accès relativement facile pour les résidents chinois », a suscité mon intérêt, parce qu'elle implique au moins deux choses : premièrement, dans une situation ordinaire, l’accès au logement pour les Chinois ne doit pas être facile ; deuxièmement, le quartier La Noue a certaines caractéristiques qui facilitent l’accès au logement des migrants chinois.

Lors de nos discussions, le prix bon marché des appartements du quartier est mentionné à plusieurs reprises comme la raison principale qui explique la concentration des Chinois dans ce quartier. Madame Teng et Madame Yu, deux propriétaires du quartier, m’ont expliqué ainsi,

« Je leur ai demandé pourquoi elles ont acheté les appartements d’ici, et si elles y avaient habité auparavant. Elles m’ont expliqué qu’elles avaient vécu dans le quartier et donc se sont habituées à vivre dans ce quartier. De plus, elles n’étaient que des salariées, et ne gagnaient pas assez pour acheter un appartement d’ailleurs. Madame Yu a ajouté : « un appartement d’ici coûte 2 000 euros par mètre carré. » (Note du

journal ethnographique, le 17/06/2013)

Selon elles, contraintes par leurs revenus modestes, le prix immobilier constitue un facteur essentiel lors de la décision de l’accès à la propriété. Or, l’aspect économique seul ne suffit pas à expliquer la concentration spatiale, la préférence ethnique lors d’un achat ou d’une location contribue également à ce processus de rassemblement. Ceci est confirmé par un échange avec Monsieur Ke Tianjie,

« Les appartements d’ici ne coûtaient pas cher, donc pas mal de gens de Wenzhou y

achetaient leurs appartements. Une fois plus à l’aise, soit ils déménageaient ailleurs, en vendant ces appartements aux Chinois, soit ils les gardaient pour louer, et c’est souvent des Chinois qui les louent. Et ainsi, il y a de plus en plus des Chinois (dans ce quartier). » (Entretien le 06/11/2013 au café chinois)

Au-delà de la dimension économique et de l’ethnicité, l’aspect social joue aussi un rôle qui ne peut pas être ignoré : l’ancienneté dans le quartier, l'expérience, l'habitude, permettent d’accumuler la connaissance nécessaire du tissu urbain et des services sociaux, de s’approprier l’espace urbain à travers l'expérience quotidienne et de s’insérer dans les réseaux sociaux locaux. Tout cela facilite l’insertion sociale des habitants chinois dans la ville d'installation.

168 Grâce aux réseaux interpersonnels développés, l’ancienneté d’un occupant-locataire facilite l’accès aux informations concernant le logement dans le même quartier, ce qui rend l’accès à la propriété possible plus tard.

Ce phénomène de concentration a donné l’occasion à des critiques de communautarisme, comme « les Chinois restent entre eux » et n'auraient pas le souhait de s'intégrer. Ce genre de critique n’a aucun sens, car, premièrement, l'existence d'une communauté n'est pas équivalente au communautarisme73 ; deuxièmement, le retour à la communauté est davantage une réponse de la double exclusion.

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