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Marché ethnique du logement

1.4 Caractéristiques du marché ethnique du logement

1.4.1 Accès aisé, loyer élevé et frais supplémentaires

 Accès relativement aisé

Contrairement à l’exclusion qu'ils subissent sur le marché du logement formel, les migrants chinois ont plus de facilités à accéder aux informations concernant le logement et un accès plus facile au logement sur le marché ethnique. Plusieurs personnes évoquent ce point d'un « accès relativement facile », tant parmi les habitants chinois que parmi le personnel du centre OTTO. Outre le directeur du centre, qui l’a précisément évoqué lors de notre première rencontre, les différents membres du centre, y compris l’auteure, ont diverses occasions de le constater auprès des habitants chinois dans les échanges quotidiens.

Une collègue du centre qui cherchait un logement en a trouvé un en peu de temps, grâce aussi au réseau communautaire des Chinois. Après que le propriétaire de son ancien appartement au bâtiment 2 l'a informée qu’il allait récupérer son appartement, il lui a fallu trouver un autre logement dans un délai court. Comme elle s’occupait, à l’époque, du secteur des familles du quartier, elle connaissait bien les familles chinoises. Peu après, une dame chinoise qu’elle connaissait lui a dit que son locataire chinois venait de déménager, donc elle pouvait lui louer son appartement se trouvant au bâtiment 4. Ainsi, elle est arrivée à trouver un logement en l'espace d'un mois.

Néanmoins, cet accès facile est accompagné souvent d'une contrepartie, telle que le loyer relativement élevé et les frais supplémentaires.

106 Pour les habitants chinois du quartier, les loyers en 2014 étaient, pour une chambre seule, de 300 euros par mois ; ce prix peut être négocié à 250 euros si le sous-locataire était seul à l’occuper ; pour une petite chambre individuelle de 3 m2 environ, qui est souvent convertie à

partir d'un cagibi, le prix varie entre 120 et 150 euros, charges comprises.

Outre les loyers relativement élevés, les locataires doivent aussi payer des frais supplémentaires pour accéder à un logement souhaitable. Parmi ces frais supplémentaires, ceux que l’on rencontre le plus souvent sont le jieshao fei (frais d’honoraire), xiezi fei (frais de signature) et ding fei (frais de remplacement).

D’abord le jieshao fei : en fait, ce terme ne correspond pas exactement aux frais d’honoraire que l’agence immobilière fait payer. Il désigne plutôt les frais payés pour les informations. Cela fonctionne ainsi : si un intermédiaire, soit un individu soit une organisation, fournit des informations sur un logement, et que le bénéficiaire de ces informations arrive finalement à louer ce logement, le locataire doit payer une somme d’argent à cet intermédiaire pour lui avoir présenté (jieshao) ce logement.

Il y a ensuite, le xiezi fei ou les frais de signature. Certains propriétaires directs, sans intermédiaire, font payer le locataire une somme d’argent lors de la signature du contrat de bail, cela est appelé le « xiezi fei » qui coûte plusieurs centaines d’euros.

Enfin, il y a le ding fei, les frais de remplacement. Il est nommé ainsi parce qu’il s’agit des frais payés au locataire précédent, au moment de reprendre le contrat de bail de ce dernier. Dans ce cas-là, le locataire précédent propose au propriétaire de trouver un nouveau locataire pour reprendre son contrat de bail. En pratique, il propose une somme d’argent qui inclut toutes ses dépenses sur le logement, comme les frais d’honoraire, les meubles, ou les frais de remplacement éventuellement, qui peut aller de plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros. Le nouveau locataire prochain, s’il veut le logement, n’a pas d’autre choix que d’accepter, de reprendre ces dépenses du locataire précédent, tout en espérant pouvoir à son tour transférer ces frais sur le prochain locataire. Ce sont des frais que l’on paie mais que l'on considère comme des frais temporaires, que l’on récupérera auprès du prochain locataire lors du déménagement. Il y a des logements dont l’accès exige le paiement de ces trois sortes de frais, mais parfois seulement une ou deux. Les migrants chinois estiment avoir beaucoup de chance quand ils trouvent un logement sans ces frais-là. Plusieurs habitants de la Noue m’ont raconté leur expérience concernant sur l’accès au logement et les frais supplémentaires.

107 Madame Zhu, amie de Madame Jin, est une habitante originaire de Wenzhou que je connais depuis mon entrée au quartier. Elle habite au bâtiment 3 avec sa famille. Avant de déménager ici, elle habitait à Belleville (Paris).

Je lui ai demandé pourquoi elle a déménagé à la Noue, alors qu'elle trouve la vie à Belleville si pratique. Elle m’a dit que le logement de Belleville était à la fois petit et cher. Pour un logement d’une vingtaine de mètres carrés, vide, sans aucun meuble, elle devait payer plus de 700 euros comme loyer. Même comme ça, son logement n’était pas le plus cher, certains logements de la même taille coûtaient 1000 euros. Elle s’est plainte, « les logements des Chinois exigent toujours le jieshao fei, le ding fei, le xiezi fei, etc. etc., ça coûte vraiment trop cher pour prendre un logement. » Son logement actuel (du bâtiment 3) lui coûte 2 500 euros juste pour le ding fei, « pour prendre cet appartement, ça nous a coûté à peu près 7 000 euros, 2 500 euros pour le ding fei, deux mois de loyer comme garantie, ça faisait 4 000 euros, plus les dépenses pour les meubles et d’autres, 7 000 au total. » (Note d’entretien le 17/06/2013)

Madame Zhu n’est pas la seule qui a dû payer cher pour accéder au logement. Madame Mu Lan, habitante chinoise du bâtiment 4, a vécu les mêmes expériences :

Madame Mu Lan est venue avec son fils cadet. Elle apportait des papiers à photocopier, dont un contrat de bail. Ainsi, on a abordé la question du logement. Elle m’a dit que son appartement est un deux pièces, un salon et une chambre, 48 m2, le loyer est d'un peu plus de 850 euros par mois, « en plus le loyer augmente chaque années ». Elle trouve le loyer trop cher. (…) J'ai vu le nom du propriétaire, que ce n’était pas un Chinois, j’ai demandé d’où il venait, elle a dit d’abord qu’il était Indien, puis s'est ravisée : il est Palestinien. Elle a ajouté, « j’ai repris le logement d’un Chinois ». Je lui ai demandé si elle avait payé pour le reprendre. Elle devenait, « oui, très cher ! » Elle a donné au total plus de 3 000 euros au locataire précédent, dont 1 400 euros, deux mois de loyer, comme garantie, le reste était le ding fei pour le dernier.

(…)

Je lui ai dit que ces frais-là m’intéressaient. Elle m’a expliqué qu’avant, comme certains logements étaient destinés à servir de lieu de travail, les frais de remplacement de ces logements étaient très élevés. Depuis, chaque fois que ces logements passent d'un locataire à l’autre, les frais se transmettent également. Elle avait vu un logement qui

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permettait de travailler à Montreuil, « c’était tout petit, au rez-de-chaussée. Dedans il y avait deux machines à coudre et une machine ourleuse. Toute la famille vivait au- dessus (c'est-à-dire sur un lit superposé). Il demandait cinq à six milles euros des frais de remplacement ! » Selon elle, à l’origine, les frais de remplacement étaient pour les machines reprises par le locataire prochain.

(…) Elle a aussi payé le xiezi fei (les frais de signature) à son propriétaire, 200 euros.

(Note d’entretien le 19/10/2016) Je lui ai demandé qu’est-ce qui faisait qu'un logement convenait ou non pour travailler. Elle n’a pas expliqué directement, par contre, elle m’a dit que son appartement actuel ne convenait pas pour travailler, son propriétaire n’a même pas voulu qu’elle insère un clou au mur. Peu avant, elle avait séparé un espace individuel dans le salon, où elle comptait dormir seul avec son fils cadet, mais le propriétaire a exigé qu'elle le défasse quand il l'a découvert.

Ce phénomène ne se limite pas au quartier où j’ai fait les enquêtes, à partir des matériaux ci-dessus, on voit qu’il se retrouve à Bagnolet, à Montreuil, et aussi à Paris. En 2009, quand j’ai fait mon mémoire de master sur la relation entre les familles chinoises et l’école française, j’avais déjà entendu parler de ces frais-là. A l'époque, une enquêtée, Madame Weng, vivait avec sa famille dans le 11e arrondissement. Pour leur appartement de 25 m2, elle devait payer plus

de 3 000 euros en frais de remplacement.

En outre, ces frais n’existent pas seulement pour les immigrants chinois, mais aussi pour les étudiants chinois. Comme nous l’avons mentionné au début de l’introduction, les derniers les nomment littéralement « le problème laissé par l’histoire », pourtant, cette nomination discrète et littéraire n’arrive pas à masquer sa nature, qui est pour l’essentiel la même chose que le ding fei (frais de remplacement).

Ces expériences se répètent donc sur des sites différents, tant à Paris qu’en banlieue. Elles montrent que l’accès au logement, s'il paraît relativement facile pour les immigrants chinois, est toujours accompagné de contreparties, comme les loyers plus élevés, des frais supplémentaires, etc. C’est un phénomène généralisé pour les Chinois qui cherchent un logement en France, surtout pour ceux qui sont en situation de vulnérabilité.

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