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De la réalité à la vérité, du général au particulier : aller vers davantage de vérité

CHAPITRE II. La peinture de bataille : la dernière peinture d'histoire traditionnelle ?

C. De la réalité à la vérité, du général au particulier : aller vers davantage de vérité

Les moyens mis à disposition des artistes leurs permettent d’avoir accès à toutes les données relatives aux batailles, et de restituer avec acuité leur déroulement pour le spectateur. Cette conformité avec la réalité leur permet de reproduire les conflits avec justesse, avec vérité.

80 GLIKMAN Juliette, « Ernest Meissonier, 1814. Campagne de France », Cahiers de la Méditerranée, 83 |

2011, p. 175-186.

Cependant, certains auteurs comme Charles Blanc développent l’idée qu’une « bataille vraie » n’existe pas. Il le dit à propos d’Hippolyte Bellangé, et de la question de la nécessité d’une « vérité officielle » qui ne correspond pas à la réalité de la guerre :

« Hippolyte Bellangé a été et restera un artiste supérieur dans un genre qui, en

lui-même, a quelque chose de faux : la bataille. Je dis faux, parce que la bataille moderne, avec ses uniformes obligés et ses vérités officielles, est inintelligible et impossible à rendre dans la grandeur de ses mouvements en masse, et qu’elle

cesse d’être imposante lorsqu’elle est fragmentée en épisodes. »82

Charles Baudelaire va également dans ce sens : à ses yeux, une « bataille vraie » ne peut être rendue que par des lignes disposées sur une carte : « Une bataille vraie n’est pas un tableau ;

car, pour être intelligible et conséquemment intéressante comme bataille, elle ne peut être

représentée que par des lignes blanches, bleues ou noires, simulant les bataillons en ligne »83.

Baudelaire, inégalement critique à l’égard de la peinture de bataille, reste ferme sur l’idée que le genre manque de cohérence : il y a une incompatibilité entre les nécessités esthétiques de la peinture et la vérité historique84. Augustin-Joseph du Pays voit même dans cette dernière caractéristique un obstacle à la réalisation d’une véritable œuvre : « Le peintre y est soumis à

des exigences multiples d’imitation matérielle. Une exactitude infaillible et minutieuse dans les détails de l’uniforme et du fourniment militaire. […] Il est bien difficile qu’un tableau de

batailles s’élève, de nos jours, à toute la hauteur d’une œuvre d’art »85. Cette difficulté, pour

Castagnary, est évitée si la bataille est traduite avec plus de poésie que d’exactitude, si l’esprit de la guerre est rendu, plus que les détails de son déroulement86.

Cette tension entre la « bataille vraie » et la nécessité de vérité des événements transcrits sur la toile est au cœur des réflexions sur ce genre au XIXe siècle. Dans les peintures de bataille réalisées entre 1860 et 1870, la question de la vérité trouve deux réponses principales : la tendance à montrer la vérité stratégique, et celle qui cherche à rendre la vérité

de la bataille. Les deux démarches sont à l’extrême opposé : d’un côté, il s’agit de montrer les

aspects techniques des batailles, en vue d’une utilité dans l’étude des stratégies militaires ; de

82 BLANC Charles, Gazette des beaux-arts, t. XXI, cité dans ADELINE Jules, Hippolyte Bellangé et son œuvre,

Paris, A. Quantin, 1880, p. 64.

83 BAUDELAIRE Charles, Salon de 1859, texte de la Revue Française, édition commentée par Wolfgang Drost,

Paris, Honoré Champion, 2006, p. 35.

84 « Ses réserves vis-à-vis de l’art militaire restent les mêmes : celles d’un critique qui a compris la divergence

entre les exigences de la composition artistique et la représentation de la vérité historique dans toute sa complexité », Idem, p. 411.

85 DU PAYS Augustin-Joseph, « Salon de 1861 », L’Illustration, tome XXXVII, janv.-juin 1861, p. 295. 86 CASTAGNARY Jules-Antoine, Les artistes au XIXe

siècle : Salon de 1861, Paris, Librairie Nouvelle, 1861,

l’autre, il est question de rendre l’essence de ce que signifie un conflit du point de vue des hommes et de leurs actions, où l’on retrouve l’esprit de la peinture d'histoire.

Être en conformité avec la réalité : des œuvres très techniques

Les artistes de la première catégorie s’attachent à rendre la vérité du déroulement et du lieu de la bataille, et s’inscrivent finalement dans la tradition de la peinture militaire topographique. Il s’agit d’un type de peinture de bataille rattaché au ministère de la Guerre, et qui se développe au XVIIe siècle. Adam-François Van der Meulen, son principal représentant, mettait en scène les chefs de l’armée au premier plan puis faisait s’étager les différentes étapes des combats dans des vues aériennes ou panoramiques. Pierre Lenfant s’inscrit dans cette tradition au XVIIIe siècle avec des toiles comme la Bataille de Fontenoy (1750-1760, Paris, musée de l’Armée) qui représente le commandement des opérations avec Louis XV au premier plan, et toute l’étendue de la bataille à l’arrière, vue de manière surélevée. Ces œuvres sont des descriptions, des cartographies des champs de bataille87. Elles doivent mettre en valeur le monarque, mais le soin apporté au rendu des aspects stratégiques est supérieur à l’ambition esthétique. Denis Diderot en expliquait bien la complexité :

« C’est qu’il n’y a rien de si ingrat que le genre de Van der Meulen. C’est qu’il

faut être un grand coloriste, un grand dessinateur, un savant et délicat imitateur de la nature ; avoir une prodigieuse variété de ressources dans l’imagination, inventer une infinité d’accidents particuliers et de petites actions, exceller dans les détails, posséder toutes les qualités d’un grand peintre, et cela dans un haut degré, pour contrebalancer la froideur, la monotonie et le dégoût de ces longues files parallèles de soldats, de ces corps de troupes oblongs ou carrés, et la

symétrie de notre tactique. »88

Diderot insiste sur la nécessité pour le peintre d’avoir une bonne capacité d’invention afin de construire une composition qui reste cohérente, tout en respectant l’imitation de la nature : la part de vérité de la représentation est essentielle pour des œuvres qui pouvaient servir à l’étude des stratégies militaires. On retrouve ce type de peintures au XIXe siècle sous le pinceau de Louis-François Lejeune notamment89, dans des œuvres telles que la Bataille des

Pyramides (1806, Versailles, musée national du Château) : le point de vue est surélevé, ce qui

87 DELAPLANCHE Jérôme, SANSON Axel, op. cit., p. 102. 88 DIDEROT Denis, op. cit., p. 216.

crée une distance par rapport au champ de bataille et permet de montrer l’ensemble du déroulement des mouvements des armées. L’un des principaux représentants de ce genre pour la période 1860-1870 est Antoine-Valentin Jumel de Noireterre. Pour sa Bataille de Magenta,

4 juin 1859 (Salon de 1861, n° 1690 ; Castres, musée Goya), le peintre choisit une victoire :

Napoléon III est entouré par les zouaves et les grenadiers, et dirige une batterie de canons vers Ponte Nuovo, placé au centre. Grâce au très grand format (H. 210 ; L. 430 cm), les nombreux détails sont bien visibles : les événements, les mouvements des troupes, le paysage local. Jumel de Noireterre avait déjà manifesté son attrait pour la peinture topographique avec sa

Bataille de Solférino, 24 juin 1859 (Paris, Salon de 1861, n° 1691 ; Castres, musée Goya) :

Napoléon III est disposé au loin90, observant l’attaque du 1er corps de la Garde impériale. À droite, on aperçoit le 2e corps qui est en marche sur Cavriana, tandis que les 3e et 4e corps combattent à Guidizzolo et Médole. On peut encore citer la Bataille de l'Alma, 20 septembre

1854 (Paris, Salon de 1863, n° 1020 ; Guer, école interarmes), dont le format dépasse celui de

toutes les autres toiles (H. 310 ; L. 500 cm), et où la représentation des mouvements des corps d’infanterie le dispute à la figuration du paysage de Crimée91. Pour chacune de ces œuvres, Jumel indique directement sur la toile le titre (le nom de la bataille et la date exacte), ainsi que sa qualité de militaire (il était officier d’ordonnance de l’Empereur, après avoir été capitaine d’état-major). Les commentaires ajoutés dans les livrets des Salons sont longs et détaillés. Ces œuvres, réalisées par un militaire, sont dans la tradition de la peinture topographique.

La toile de Jean-Adolphe Beaucé, Bataille de Solférino, 24 juin 1859 (Paris, Salon de 1861, n° 168 ; château d’Aufréry), présente une composition basée sur le même schéma. L’exactitude du rendu de la bataille est mise en avant et constitue une valeur ajoutée selon Émile Perrin :

« L’habitude de la vie militaire, l’intelligence parfaite et pratique des

mouvements stratégiques lui donnent sur tous ses rivaux un immense avantage. Dessinateur habile, peintre adroit, touchant avec beaucoup de justesse ses petites figures d’une allure naturelle et d’un bon mouvement, variant avec esprit les divers épisodes de l’immense action qu’il embrasse, M. Ad. Beaucé a fait de la bataille de Solférino le panorama le plus exact, le plus clair, le plus intéressant et

le plus fidèle. »92

90

Notons que la posture de Napoléon III s’apparente à celle que Meissonier lui donnera en 1863 dans sa Bataille

de Solférino.

91 Pour plus de détails, voir le catalogue d’exposition Jumel de Noireterre, 1824-1902 : centenaire de la

donation, musée Goya de Castres (5 juillet-6 octobre 1996), musée Goya, Castres, 1996.

Antoine Rivoulon s’inscrit dans cette même veine avec sa toile Bataille de la Tchernaïa

(Crimée) ; épisode du pont de Tracktir, le 16 août 1855 (Paris, Salon de 1861, n° 2700 ;

Beaune, musée des beaux-arts et musée Marey) : son format gigantesque (H. 338 ; L. 643 cm) et une composition en vue surélevée lui permet de rendre visible l’ensemble des corps d’armée et leurs déplacements lors de la bataille93.

Dans ces œuvres, la traduction exacte, vraie, de la stratégie militaire prime sur le souci esthétique : la dimension héroïque individuelle disparaît au profit d’une valorisation des actions de l’armée dans toute son ampleur. Cette caractéristique inspirera d’ailleurs à Baudelaire cette phrase acerbe : « [Le] tableau fait pour les tacticiens et les topographes, que

nous devons exclure de l’art pur » 94. La soumission de l’artiste aux contraintes

géographiques, stratégiques, vestimentaires, renforce le caractère utile de ces œuvres au détriment de la recherche de noblesse ou d’héroïsme. Elles représentent l’histoire contemporaine et des batailles vues dans leur ensemble, et sont avant tout des représentations techniques des batailles.

La topographie est également un élément constitutif du panorama95. Peinture militaire topographique et panoramas sont très proches, comme le montre la fin du commentaire de Perrin cité à propos de la Bataille de Solférino de Beaucé. Ces deux techniques ont pour but la représentation fidèle du déroulement des événements, en très grand format. En revanche, le panorama a une importante dimension de narration et d’illusion. En raison de cette notion de « divertissement » du public, le panorama n’est parfois pas considéré comme une œuvre d’art, notamment par Arsène Alexandre96. Nous n’évoquerons la question du panorama que brièvement, essentiellement pour observer que dans ceux qui sont produits entre 1860 et 1870, ceux de Jean-Charles Langlois (panoramas de Sébastopol en 1861 et de Solférino97), le peintre accorde une place spéciale à l’humain. En effet, celui de Sébastopol notamment consacre une vaste moitié supérieure au paysage des combats, tandis que la moitié inférieure montre des soldats en grand format et suivant un cadrage très rapproché. Les soldats sont en plein combat ou au repos, voire blessés ou morts. L’effet dramatique est renforcé par les

93 Nous remercions Thierry Zimmer de nous avoir donné des précisions sur cette toile. 94 BAUDELAIRE Charles, op. cit., p. 35.

95

LE RAY Sylvie, PETITEAU Anthony, MAFFIOLI Monica (dir.), Napoléon III et l’Italie, naissance d’une

nation, 1848-1870, Cat. Exp., Paris, musée de l’Armée (9 octobre 2011-15 janvier 2012), Paris, Chaudun, 2011,

p. 81.

96 ALEXANDRE Arsène, op. cit., p. 276. 97 COMMENT Bernard, Le XIXe

formats considérables98. La méthode de travail de Langlois est pour beaucoup dans cette humanisation : « Non seulement il retourne sur le terrain, recueille les témoignages,

rassemble et consulte une documentation, mais il investit son expérience de soldat dans la physionomie des combats. Il dépasse alors les conventions en cours dans la peinture de son

temps »99. La vérité de représentation, dans cette optique, ne passe pas uniquement par le

travail technique et la maîtrise du déroulement des événements militaires, mais également par l’appréhension du vécu des soldats.

Restituer l’idée de la guerre par l’événement particulier : une peinture d'histoire « vraie »

La seconde démarche observable chez les peintres confrontés à l’idée de vérité dans la peinture de bataille entre 1860 et 1870 correspond à la recherche de restitution la vérité de la

bataille. Pour cela, les aspects techniques sont secondaires tandis que le rendu de la sensation

de la bataille passe au premier plan. Les artistes atteignent ce but de deux manières : par le choix de figurer des mêlées ; par le choix d’un événement précis plutôt que l’ensemble de la bataille, où le point de vue est par conséquent bien plus proche du champ de bataille que dans le cas de la peinture topographique.

Le parti-pris de l’épisode est très fréquent et les exemples nombreux entre 1860 et 1870. Avec la Charge de l'artillerie de la garde impériale, à Traktir en Crimée, le 16 août

1855 (Paris, Salon de 1865, n° 1965 ; Paris, musée d’Orsay), Adolphe Schreyer resitue le

sujet dans son contexte général grâce au titre, mais l’iconographie se concentre sur l’héroïsme des soldats au cœur de l’attaque. Dans un format important (H. 206 ; L. 435 cm), le peintre cadre les personnages de manière très resserrée, de sorte que l’œuvre les concerne exclusivement. L’arrière-plan à droite présente un grand nombre de soldats, figurés en masse et non en troupes rangées. À titre de comparaison, lorsque Antoine-Valentin Jumel de Noireterre représente la même scène (Bataille de Traktir, 16 août 1855, 1857, Paris, musée de l’Armée), le point de vue est surélevé et la toile met en valeur l’ensemble de la bataille. Comme Schreyer, Eugène-Louis Charpentier, dans Les buttes Saint Chamont, défense de

Paris (1860 ; Paris, Salon de 1869, n° 452 ; coll. partic.), ne représente pas tant la défense

militaire de Paris en 1814, qui se déroule au second plan et à l’arrière-plan à gauche, mais

98 Les panoramas pouvaient mesurer jusqu’à 20 m de hauteur pour une centaine de mètres de longueur.

MADELINE Laurence, BOUILLER Jean-Roch (dir.), J’aime les panoramas, s’approprier le monde, cat exp. Musée Rath, Genève (12 juin-27 septembre 2015), MuCEM, Marseille (4 nov. 2015-29 fév. 2016), Paris, Flammarion, 2015, p. 18

99 JOUBERT Caroline, ROBICHON François, Jean-Charles Langlois, Le spectacle de l’histoire, 1789-1870,

bien plus les blessés soignées au premier plan. Pour son autre toile La garde impériale au

pont de Magenta (1860 ; Paris, Salon de 1861, n° 580 ; Paris, musée de l’armée), Charpentier

insiste sur le corps militaire des officiers que l’on distingue sur le pont au premier plan, où le général Régnaud (au centre) donne ordre au général Mellinet d’attaquer. Le combat armé est visible, mais relégué là encore au second plan, où l’on aperçoit les Autrichiens faisant feu depuis les maisons. De même, Jules-Alfred-Vincent Rigo représente le lieutenant Henri-René Dessaignes et ses soldats dans Épisode de la bataille de Solférino, campagne d'Italie (Paris, Salon de 1866, n° 1655 ; Paris, musée de l’Armée). Il ne s’agit pas ici de mettre le lieutenant à l’honneur, Dessaignes n’étant évoqué ni dans le titre, ni dans le commentaire du livret du Salon (l’unique indication est la mention « Appartient à M. Dessaignes », et nous savons qu’il était lieutenant pendant la guerre d’Italie) : l’intention est de montrer le courage des soldats, dont l’action collective permettra une victoire à Solférino, ce que le livret précise (« Une

section du 1er régiment du génie met en position une pièce d’artillerie, démontée de tous ses

servants par le feu de l’ennemi, et contribue à la prise du cimetière de Solférino »). Dans ces

œuvres, nous voyons la représentation non pas d’une bataille majeure mais de petites actions menées par les hommes et qui ont permis les victoires globales. Les artistes, à travers des cas particuliers, tendent à la métonymie, cherchant à représenter le tout par la partie.

Les intitulés des certaines œuvres montrent le choix de l’épisode. Le terme même apparaît dans vingt-six cas. Les titres donnent des indications parfois déterminantes sur les choix de l’artiste. Un exemple significatif est le cas de Boissard de Boisdenier, mis en évidence par Antoinette Ehrard : le peintre réalise une œuvre centrée sur une anecdote destinée à susciter la pitié dans le contexte de la retraite de Russie, et modifie son titre en conséquence. La Retraite de Moscou est devenue un Épisode de la retraite de Moscou100.

Les orientations révélées par les titres sont variées. Par exemple, l’artiste peut cibler un moment spécifique. C’est le cas d’Ange-Louis Janet-Lange, pour sa Charge du 2e hussard à l'attaque de la ferme de Casanova ; bataille de Solférino (1862 ; Paris, Salon de 1863,

n° 989 ; Tarbes, musée Massey) : le contexte est précisé dans la seconde partie de l’intitulé, mais la toile figure bien la charge des hussards et non l’ensemble de la bataille. Les titres détaillés indiquent aussi le souci de se concentrer sur un instant précis du combat, alors indiqué par un lieu et une date. On peut citer à ce propos l’Épisode du combat d'Icheriden

(Kabylie) le 24 juin 1857 (Paris, Salon de 1863, n° 1188) de Septime-Émeric Le Pippre, ou la

100 Voir l’article suivant : EHRARD Antoinette, « Du héros triomphant au soldat inconnu », in EHRARD Jean,

VIALLANEIX Paul, La bataille, l’armée, la gloire, 1745-1871, actes du colloque international de Clermont- Ferrand, Clermont-Ferrand, 1985, p. 539-546.

Charge de chasseurs d'Afrique contre la cavalerie mexicaine à Orizaba, le 20 avril 1862

(Paris, Salon de 1863, n° 1224) de Hermann Loeschin, ou encore Soir de la prise du fort de

Ta-Kou, le 21 août 1860 (Chine) (Paris, Salon de 1863, n° 78) de Bannes du Port de

Pontcharra-Puygibon, et enfin l’Épisode de la bataille de Tracktir (Crimée), 16 août 1855 de Charles-Jules Sédille (Paris, Salon de 1869, n° 2177). Les titres annoncent la représentation de faits d’armes, plus qu’une grande bataille historique.

À l’inverse, certains titres restent très vagues, comme Épisode de la bataille de

Magenta (Eugène Bellangé, Salons de 1861 et 1865 ; Alphonse de Neuville, Salon de 1864 ;

Alfred Touchemolin, Salon de 1864), voire très imprécis, comme Épisode de la Guerre de

Crimée d’Auguste Gardanne (Paris, Salon de 1864, n° 769). Joseph Navlet, avec Pont de Marne en 1814 (1865-1869, Châlons-en-Champagne, musée des beaux-arts et d’archéologie),

n’indique que discrètement l’intention historique. Seule la mention de « 1814 » nous apprend que la scène se déroule durant la campagne de France : ayant prévu que les ennemis passeraient par le pont permettant de traverser la Marne, près de Châlons, le maréchal Macdonald le fait détruire le 5 février 1814. Les soldats russes, devant trouver un autre moyen pour passer sur l’autre rive, furent donc ralentis. C’est le moment exact peint par Navlet : le premier plan montre les cavaliers avançant sur le pont flottant qu’ils ont improvisé. Le second plan présente le pont dont toute la partie centrale est manquante, tandis qu’à l’horizon se détachent les toitures des maisons et de la cathédrale de Châlons. Cette œuvre est à la fois la représentation d’un épisode militaire dont le lieu comportait une importance stratégique, et un prétexte pour représenter ce site proche de la ville natale de Navlet. La scène, tout comme le titre, montrent un épisode très en marge des grandes batailles.

L’intention de restreindre à un moment spécifique est parfois mise en évidence par une précision : il peut s’agir de charges (Hugues Fourau, Combat de Palestro, charge du 3e

zouaves, le 30 mai 1859, Salon de 1861, n° 1161), de scènes de siège (Henri Philippoteaux, Siège de Puebla, Salon de 1865, n° 1701) ou de combats localisés (Hippolyte Bellangé, Combat dans les rues de Magenta, Salon de 1861, n° 192 ; Auguste Bachelin, Bataille de Magenta, attaque du cimetière, Salon de 1861, n° 100).

Dans les œuvres comme dans leurs intitulés, les artistes montrent leur désaffection à l’égard de la grande bataille, ce qui jette le trouble dans le milieu des critiques d’art qui cherchent à classer les toiles dans un genre précis. L’exemple d’Isidore Pils le révèle bien. Pour sa Bataille de l'Alma (20 septembre 1854) (Paris, Salon de 1861, n° 2555 ; Versailles, musée national du Château), il donne un titre indiquant la figuration d’une bataille générale

mais choisit de figurer le passage de la rivière par les soldats : au premier plan, on aperçoit des officiers (le général Bosquet, Dampierre, aide de camp, et Varroquier, porte-fanion ; plus loin, le capitaine Fièvet et le lieutenant des Essarts, et plus loin encore, le général