• Aucun résultat trouvé

La critique d’art et la peinture d'histoire

CHAPITRE I. Ce qu’on appelle « peinture d'histoire »

B. La critique d’art et la peinture d'histoire

La critique d’art, née au XVIIIe siècle avec Denis Diderot, est florissante sous le Second Empire. Elle joue au XIXe siècle un rôle majeur d’intermédiaire entre le public et la création artistique, en lien avec la progressive mise en place du système marchand-critique. Elle contribue à faire ou défaire la carrière et la réputation des artistes, en vantant ou non leur talent, en classant leurs œuvres dans un genre ou un autre239. Malgré cela on constate un

237

C’est en tout cas ce que pensent Sylvain Amic et Sylvie Patry qui disent que « Exactitude et renouvellement des sujets sont intimement liés dans l’esprit des auteurs [des recueils] ». Ils ont aussi évoqué l’enseignement par Heuzey du costume. Le maître, cité dans l’article, souhaitait rénover les études historiques, faire revivre le passé. Il a certainement contribué à donner ses lettres de noblesses à l’usage fidèle du costume dans la peinture d'histoire. AMIC Sylvain, PATRY Sylvie, « Les recueils de costumes à l’usage des peintres (XVIIIe-XIXe siècles) : un genre éditorial au service de la peinture d'histoire ? », Histoire de l’art, n° 46, juin 2000, respectivement p. 60 et 54.

238

GRÉARD Octave., Jean-Louis-Ernest Meissonier, ses souvenirs, ses entretiens, Paris, Hachette, 1897, p. 264-265.

239 Jean-Léon Gérôme est d’abord classé comme simple peintre de genre historique par la critique ; dès qu’il

acquiert un certain succès, cette dernière le qualifie alors de peintre d'histoire. Le cas n’est pas strictement français, et l’Allemand Adolf von Menzel connaît le même sort : auteur d’une série sur le roi Frédéric le Grand,

décalage, notamment après 1850, entre les aspirations du public et les jugements de certains critiques, qui semblent se scléroser autour d’un discours favorable à l’Académie ou du moins à la hiérarchie des genres et avec une tendance quelque peu passéiste. Les critiques ont entretenu (voire mis en place) un vocabulaire typologique, qu’il soit justifié ou non, qu’il ait induit des confusions ou pas. Il est nécessaire de prendre du recul vis-à-vis de leurs textes afin d’éviter des simplifications d’analyse qui pourraient être faussées par des écrits peu objectifs pour la plupart240. Dans l’ensemble, les critiques contribuent à entretenir une définition de la peinture d'histoire portée aux nues, qui est encore très marquée par des caractéristiques traditionnelles et ne correspond plus tout à fait à la réalité des créations. Nous verrons que certains salonniers s’en détachent, tout en conservant une prudence dans les caractérisations. En réalité, la peinture à sujet historique est prise entre les feux d’une critique qui réclame le retour au « style » et aux formes classiques, et une critique tournée vers la modernité qui s’écarte de la peinture d'histoire. Cette dernière fait donc l’objet de réflexions basées sur une certaine nostalgie, ou sur une recherche du style de l’époque, et ponctuellement sur des visions plus modernes.

Nous nous concentrerons sur la critique des Salons, où l’attention sur les questions de la peinture d'histoire est portée avec acuité241.

De la décadence de l’art

Nombreux sont les auteurs de comptes rendus des Salons entre 1860 et 1870. Malgré de notoires disparités d’opinions, on constate aussi certaines convergences, notamment au niveau du sentiment de médiocrité générale qui se dégage des expositions. Dans l’Illustration, Augustin-Joseph du Pays – comme tant d’autres – qualifie le Salon de 1864 de « cette

interminable revue d’ouvrages d’art, où il n’y a pas un seul chef-d’œuvre dans le genre

il est ignoré du gouvernement et de la critique qui considérait que ses œuvres n’étaient en rien historiques, car trop anecdotiques. Après 1871, Menzel gagne une notoriété qui le transforme en « laudateur de Frédéric le Grand et de son armée » (WOLF Norbert, L’art des Salons, Le triomphe de la peinture du XIXe siècle, Paris,

Citadelles et Mazenod, 2012, p. 164-165).

240 On pense notamment au travail de Patricia Mainardi qui, pour affirmer la mort de la peinture d'histoire en

1867 (MAINARDI Patricia, « The death of history painting…», art. cit., p. 219-226) se réfère à Théophile Thoré qui avait perçu cette date comme un carrefour. Pierre Vaisse, dans son article « Réflexions sur la fin du Salon

officiel », expose la faiblesse de cette analyse (VAISSE Pierre, KEARNS James, « Ce Salon à quoi tout se ramène », le Salon de peinture et de sculpture 1791-1890, Bern, Peter Lang, 2010, p. 123).

241 Nous nous sommes appuyée pour ces questions sur l’ouvrage collectif fondamental dirigé par BOUILLON

Jean-Paul, DUBREUIL-BLONDIN Nicole, ERHARD Antoinette et NAUBERT-RISER Constance, La

élevé »242. L’impression de décadence ressentie par les critiques semble être, aux yeux de la majorité, une conséquence de la diminution en quantité et qualité de la grande peinture, de la peinture « élevée » : « La solennelle peinture historique, telle qu’elle a été si longtemps

comprise et pratiquée en France, est allée rejoindre, dans le garde meuble des choses que le

goût déserte, le bagage des tragédies classiques »243. L’intendant puis surintendant des

beaux-arts Émilien de Nieuwerkerke244, dans un discours prononcé en 1863, fait aussi le constat que l’art national s’éloigne de la « grande peinture »245. Les raisons de la « décadence » de l’art sont multiples. La critique blâme notamment l’augmentation des genres inférieurs, peinture de genre et paysage : « La prédominance reste toujours aux genres

secondaires, aux sujets anecdotiques, aux scènes champêtres, aux paysages »246. À ce constat

s’ajoute une diminution en nombre de la « grande peinture », qui pousse les critiques à décrire la peinture d'histoire comme un genre « mort », et ce tout au long de la décennie 1860-1870. Antoine Etex (au sujet du Salon de 1863247) et Théodore Duret (pourtant défenseur de l’école moderne248) incriminent la bourgeoisie, dont les goûts orientent les créations vers un art social, démocratique, réaliste, en rien porteur de valeurs élevées. Le Salon de 1866 est décrit tristement par Jules-Antoine Castagnary : « C’est ainsi qu’au Salon de cette année les

mauvaises toiles abondent, et que, parmi ces mauvaises toiles, les plus détestables barbouillages viennent de gens décorés ou pour le moins médaillés ». Il ajoute encore qu’« il faut redire ces malheurs, raconter ces décadences puisque aussi bien telle est ma tâche et

l’esprit même du Salon de 1866 »249. Paul Mantz, qui assure les comptes rendus des Salons de

la Gazette des beaux-arts entre 1859 et 1872 évoque la peinture d'histoire comme une « forme

d’art plus ou moins morte »250, ce qui s’explique selon lui par la médiocrité et le manque

d’imagination des artistes ; il refuse l’idée de décadence et croit en l’idée de progrès, mais il maintient son attachement pour la tradition et blâme ceux qui s’en écartent251. Pour le partisan de la tradition Charles Blanc, la désertion des membres de l’Institut parmi les exposants est la

242 DU PAYS Augustin-Joseph, « Salon de 1864 », L’Illustration, tome XLIII, janv.-juin 1864, p. 378. 243 Idem, p. 378.

244

MAISON Françoise, LUEZ Philippe, PEROT Jacques (dir.), Le Comte de Nieuwerkerke, art et pouvoir sous

Napoléon III, cat. exp. Musée national du Château de Compiègne (6 octobre 2000-8 janvier 2001), Paris, RMN,

2001.

245

BOIME Albert, art. cit., p. 104.

246 Ibidem, p. 378

247 ETEX Antoine, À propos de l’exposition des beaux-arts de 1863, Paris, 1863.

248 DURET Théodore, Les peintres français en 1867, Paris, Dentu, 1867 ; chapitre sur « l’art bourgeois ». 249

CASTAGNARY Jules-Antoine, Salons (1857-1870), Paris, Charpentier et Fasquelle éditeurs, 1892, p. 222 et 226.

250 L’Illustration, tome LI, janv.-juin 1868, p. 349-350.

251 BOUILLON Jean-Paul, DUBREUIL-BLONDIN Nicole, ERHARD Antoinette et NAUBERT-

cause de la pauvreté des expositions : « De tous les membres de l’Institut, M. Lehmann est le

seul, avec M. Gérôme, qui ait exposé, et cela explique pourquoi le Salon est assez pauvre en

tableaux d’un certain ordre »252. Pour d’autres, c’est à la fois l’annualité de l’exposition et le

jury qui expliquent la baisse de niveau à partir de 1864 :

« Le Salon de 1864 est inférieur à ses aînés, et le plus faible que nous ayons eu

depuis l’exposition universelle de 1855. Ce résultat n’a rien qui doive surprendre. Il tient à diverses causes, dont les premières qui se présentent à l’esprit sont : la fréquence des Salons, qui crée des abstentions forcées et la bienveillance extrême

du jury, qui a ouvert la porte à des médiocrités sans nom »253.

Un autre argument qui revient fréquemment est l’absence de recherche de l’idéal, notamment sous la plume de Paul Mantz pour le Salon de 1863 au sujet duquel il évoque une école française « médiocrement inspirée, de moins en moins éprise d’idéal »254. Léon Lagrange, dans son Salon de 1861, juge la peinture d'histoire au détour d’un commentaire sur l’Académie, qu’il qualifie de « partisan forcé d’un art éteint »255. Il achève toutefois son compte rendu par la reconnaissance de l’existence d’une nouvelle forme de peinture d'histoire, admettant qu’elle a élargi ses critères de définition :

« Aujourd’hui, la peinture d'histoire a agrandi ses cadres. Le romantisme lui

avait ouvert le moyen âge et les temps modernes ; le réalisme l’a introduite dans le monde contemporain ; la science étend chaque jour son domaine. Quelques fidèles s’obstinent encore à feuilleter Plutarque, Tite-Live ou Tacite ; les inspirations qu’ils y puisent ne sont ni les mieux goûtées du public ni les plus

favorables au déploiement du talent. »256

Malgré ce constat en faveur d’une certaine évolution, Lagrange réaffirme dans la suite de son texte la prééminence de l’idéal, que l’histoire récente ne permet pas d’atteindre :

« La peinture d’histoire, sous peine de perdre son nom, doit s’élever jusqu’à

l’idéal. C’est là le grand écueil des sujets empruntés à l’histoire contemporaine ; nous nous trouvons encore tout près des faits. Le procédé de généralisation nécessaire pour arriver à l’idée mère de ces faits, à l’idéal, devient une difficulté véritable sous laquelle il est rare que l’artiste ne succombe pas. Tout l’empêche

252 BLANC Charles, « Salon de 1866 », Gazette des beaux-arts, (p. 497-520, 1e juin, 6e livraison, p. 28-71, 1e

juillet, 1e livraison), p. 513.

253

CASTAGNARY Jules-Antoine, op. cit., 1892, p. 183.

254

MANTZ Paul, « Salon de 1863 », Gazette des beaux-arts, (tome XIV, p. 481-506, 1e juin, 6e livraison ; tome XV p. 32- 64, 1e juillet, 1ère livraison), p. 481.

255 LAGRANGE Léon, « Salon de 1861 », art. cit., p. 99. 256 Idem, p. 274.

de s’élever, tout le retient terre à terre. Non-seulement les événements le touchent, mais les objets mêmes, témoins de ces événements. Rien d’étonnant alors qu’il s’amuse à les peindre et qu’il fasse consister dans la reproduction littérale des

objets la peinture de faits historiques. »257

On voit bien que la définition de la peinture d'histoire reste dictée par les critères classiques. La difficulté à admettre les changements et le pessimisme des critiques découlent d’une réflexion structurée depuis le début du XIXe siècle autour de la hiérarchie des genres, perpétuant la tradition en place. La volonté de trouver un terme pour qualifier la peinture de genre historique en 1824, qui emprunte les codes de la peinture de genre et de la peinture d'histoire, révèle un système de pensée qui place la peinture d'histoire au sommet de la hiérarchie en tant que garante de la plus haute valeur artistique. Dans une telle conception, le développement d’une peinture figurant l’histoire nationale qui emprunte, – variablement selon les peintres – au genre comme à l’histoire ou l’allégorie, ne pouvait être pas être considérée autrement que comme une décadence du « grand genre ».

On remarque toutefois des fluctuations dans les critères de définition de la peinture d'histoire revendiqués par les critiques, tour à tour stylistiques, thématiques, ou centrés sur le format. Pour les uns, c’est avant tout l’imagination, la représentation mentale d’un épisode que l’on n’a pas vécu, suivant le sens donné par Denis Diderot et que Théodore Duret reprend : « un tableau d’histoire, [c’est un] de ces tableaux où le peintre reproduit des figures

qu’il doit imaginer ou voir par l’esprit avant de prendre le pinceau »258. Le critère de

l’exactitude de la représentation est variablement revendiqué, selon les critiques ou selon les œuvres. Ainsi pour Léon Lagrange, Meissonier réalise avec Campagne de France, 1814 (1864, Paris, musée d’Orsay) une retranscription précise qui permet de caractériser l’œuvre comme peinture d'histoire : « Que demandons-nous à la peinture d'histoire ? Non seulement

la représentation exacte d’un fait, mais surtout l’esprit, l’âme, le caractère de ce fait »259.

Cette exigence disparaît presque lorsqu’il parle de la Bataille de l’Alma d’Isidore Pils (1861, Versailles, musée national du château), qu’il qualifie ainsi : « Il a sur chaque visage accusé

profondément le caractère individuel, et donné pour ainsi dire à chaque tête la valeur d’un type. Par là son tableau, s’il n’est pas la représentation exacte d’un fait historique, est

cependant une véritable peinture d’histoire »260. On remarque que le terme « exactitude »

257

LAGRANGE Léon, « Salon de 1861 », art. cit., p. 281.

258

DURET Théodore, op. cit., p. 90.

259 LAGRANGE Léon, « Salon de 1864 », Gazette des beaux-arts, (tome XVI, p. 501-536 ; 1e juin, 6e livraison,

tome XVII p. 5-44 ; 1e juillet, 1e livraison), p. 520.

remplace celui de vraisemblance, montrant par là que les mentalités évoluent vers une scientificité accrue, bien qu’elle reste une caractéristique arbitraire. Pour d’autres critiques, comme Louis Auvray, la peinture d'histoire se définit par le sujet : « Et par grande peinture

historique nous entendons non-seulement les sujets grecs et romains, mais encore ceux de

sainteté et surtout les faits de l’histoire contemporaine »261. Les avis divergent sur une même

œuvre, même lorsqu’il s’agit d’une peinture réalisée dans un contexte académique : la toile de Félix-Auguste Clément, Mort de César (1862, musée de Valence), est jugée parfaitement conforme à la tradition de la peinture d’histoire par Théophile Gautier fils dans son Salon de 1867262. Pourtant, l’Académie la critique et reproche au peintre un trop grand manque de vraisemblance dans le choix du torse nu, contraire aux usages antiques263. Les critères de définition de la peinture d'histoire semblent donc flous, et se cristallisent autour de quelques éléments tels que le style, le sujet antique et le format. Ce dernier point est une préoccupation régulière, et un élément de trouble pour les critiques qui regrettent fréquemment que les peintures de genre soient traitées dans des dimensions trop imposantes, tandis que les peintures d'histoire n’ont pas le format qui leur convient. Celles-ci devraient toujours être de grande taille puisqu’elles développent de grandes idées : « Un poète dramatique a besoin de

cinq actes pour dérouler à nos yeux toutes les péripéties d’une action intéressante. […] Un

peintre riche d’idées demandera de grandes surfaces » 264 . Ces remarques sont

symptomatiques de la difficulté des critiques à s’affranchir des classifications traditionnelles. Ferdinand de Lasteyrie, en 1867, l’admet volontiers : « On n’ose pas classer dans la peinture

d’histoire un tableau dont les personnages n’ont que six pouces de haut, et l’on hésite à

traiter de tableau de genre une toile de vingt pieds, quel qu’en soit le sujet »265. Sur ce point,

certains critiques acceptent une petite peinture d'histoire, mais refusent que le vulgaire soit peint sur de grandes surfaces : « On peut faire de la grande peinture sur une petite toile ; mais

il faut bien se garder de conclure à la réciproque »266. Pour Théophile Gautier, partisan de la

recherche d’idéal mais qui réfléchit dans les années 1850 à l’évolution de la peinture d'histoire, l’augmentation des formats permet d’élever une scène pittoresque au niveau de la

261 AUVRAY Louis, op. cit., p. 132.

262 GAUTIER Théophile (fils), « Salon de 1867 » L’Illustration, tome XLIX, janv.-juin 1867, p. 259-262. 263

SÉRIÉ Pierre, La peinture d'histoire en France (1867-1900), thèse de doctorat sous la direction de Bruno Foucart, université Paris IV, vol. 1, 2008, p. 57, et note 174.

264 LAGRANGE Léon, « Salon de 1864 », art. cit., p. 504.

265 DE LASTEYRIE Ferdinand, La peinture à l’Exposition universelle, Paris, Castel, 1863, p. 150. 266 TILLOT C., « voyage au Salon de 1852 », Revue des voyages, mai 1852, p. 12.

peinture d'histoire267. De manière générale, on considère communément que chaque sujet possède son propre format, ce qui revient à affirmer une gradation entre ces mêmes sujets, quand bien même cette hiérarchie des genres n’a plus vraiment de réalité. Seuls certains salonniers à l’esprit moderne préfèrent parler de « proportion adéquate » ; Théophile Thoré268, dans son Salon de 1864, déplore que le principe d’adaptation du format ne soit pas suffisamment pris en compte par les peintres : « Les artistes qui ont su donner aux figures et

aux objets leur proportion véritable, indépendamment de la dimension de l’œuvre, sont

extrêmement rares »269. Gautier semble aller plus loin dès 1851, se laissant séduire par les

figures rustiques que Gustave Courbet peint dans le format de la peinture d'histoire :

« Cette idée d’élever à la dimension historique des sujets de la vie familière […] a

un côté humain qui séduit. En effet pourquoi Andromaque aurait-elle le privilège de pleurer Hector, de grandeur naturelle, lorsqu’une veuve moderne est obligée

de restreindre sa douleur à une hauteur de quelques pouces ? […] Un

Enterrement à Ornans occupe tout un pan du grand Salon, donnant ainsi à un

deuil obscur le développement d’une scène historique ayant marqué les annales

de l’humanité. »270

Bien qu’adepte de la conception classique de la hiérarchie des genres, Gautier prouve là qu’il ne rejette pas complètement l’utilisation du grand format pour un sujet trivial, percevant la capacité de l’art à représenter son temps. Gautier s’est révélé plus moderne dans ses Salons des années 1850-1860, influencé sans doute par Charles Baudelaire271. Cette modernité touche les plus fidèles aux principes académiques, comme Charles Blanc, qui se révèle étonnamment souple sur la question du format de la toile d’Ernest Meissonier, la Campagne

de France, 1814 (1864, Paris, musée d’Orsay). Il la complimente malgré ses petites

dimensions : « Voilà un tableau d’histoire, s’il en fut, et Meissonier y a fait voir qu’il savait

au besoin s’élever de l’imitation rigoureuse du réel à l’interprétation poétique du vrai, à la beauté idéale. Il a prouvé que la grandeur n’est pas une mesure dimensionnelle, mais une

267

C’est prégnant dans son analyse des Jeunes pâtres espagnols d’Adolphe Leleux (1847), à qui il reconnaît d’avoir su donner à une scène pittoresque une densité émotionnelle qui prouve sa capacité à s’engager désormais dans la voie de la peinture d'histoire. GUÉGAN Stéphane, YON Jean-Claude, Théophile Gautier…op. cit., p. 51.

268 Pour une présentation de Théophile Thoré critique d’art, voir BOUILLON Jean-Paul, DUBREUIL-

BLONDIN Nicole, ERHARD Antoinette et NAUBERT-RISER Constance, op. cit., p. 131.

269

THORÉ Théophile, « Salon de 1864 », Salons de W. Bürger, 1861-1868, Paris, Renouard, 1870, p. 49.

270 GAUTIER Théophile, « Salon de 1851 », La Presse, 15 février 1851.

271 Voir sur ce point l’analyse de Stéphane Guégan dans l’article « Modernités », in GUÉGAN Stéphane, YON

qualité de l’esprit »272. Cette dernière idée n’est sans doute valable que dans ce sens, à en juger par ce qu’il écrivait l’année précédente : « Combien de peintures épisodiques ou

anecdotiques occupent une étendue scandaleuse ! »273. Sur un point tous les critiques sont

d’accord : les formats de la peinture d'histoire tendent à diminuer. Certains le déplorent plus que d’autres, tel Théophile Gautier en 1848 qui présente cette réduction comme bénéfique, et nécessaire d’un point de vue des commanditaires : « Il fallait d’ailleurs trop de place à ces

héros et à ces héroïnes pour déployer leurs torses cotonneux, leurs contours vides et leurs draperies étriquées. Nul aujourd’hui n’est assez bien logé pour céder vingt pieds de muraille

à la mythologie »274.

Un autre critère de référence de la peinture d'histoire est le « style ». Dès 1861, la critique évoque la disparition de la peinture de « haut style » et accuse la modernisation de la société275. En effet, la peinture de « style » ne correspond pas à la société mais à l’idéal classique prôné par l’Académie. Charles Blanc dit en 1866 que le « style » n’existerait plus sans l’École de Rome qui encourage l’élévation au général au détriment du particulier, trivial : « Le style, d’ailleurs, c’est aussi la vie, mais la vie à cent pieds au-dessus du passant,

la vie à cette hauteur où l’on respire les essences, où l’espèce éclipse l’individu, où le type