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Chapitre I – Le cadre d’interprétation du paragraphe XXa) du GATT

II.1 Règles de preuve et grille d’analyse applicables à la clause des exceptions

Une des particularités de l’article XX est que, contrairement à la plupart des autres dispositions du GATT, il ne s’agit pas d’une règle positive, source d’obligations pour les parties contractantes, mais plutôt de ce qu’on appelle un « moyen de défense affirmatif240 ». Cette notion, empruntée à la common law241, désigne une défense par laquelle la partie

défenderesse, tout en ne niant pas avoir commis l’acte reproché, fait valoir des faits et des arguments visant à prouver qu’elle était en droit d’agir de la sorte au titre d’une exception242 à la règle générale de droit. Si la partie défenderesse s’acquitte de son fardeau de preuve, elle est exonérée de toute responsabilité, même si toutes les allégations de la

240 ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE,Comité du commerce et de l'environnement, Pratique du GATT/de l’OMC en matière de règlement des différends se rapportant à l'article XX, paragraphes b), d) et g) du GATT de 1994, Note du Secrétariat, WT/CTE/W/203, 8 mars 2002, p. 6.

241 Voir par exemple le Black’s Law Dictionary, 8e édition, Bryan A. Garner dir., St.Paul, Thomson West, 2004, p. 451

(« affirmative defense »).

242 Précisons que le terme « exception » doit être entendu ici dans son sens général, et non pas dans l’acception de ce

terme qui a cours en droit civil, où il désigne toujours un moyen de défense de nature exclusivement procédurale, c’est -à- dire un obstacle temporaire à la procédure (Voir par exemple le Lexique des termes juridiques, 15e édition, Lyon, Dalloz,

plainte sont avérées. Un exemple de moyen de défense « affirmatif » est la défense d’aliénation mentale en droit criminel243.

Dans ce type de situation, c’est donc à la partie défenderesse d'invoquer la défense affirmative pertinente et de prouver qu’elle remplit les conditions requises pour s’en prévaloir244. Dans le contexte d’un différend entre Membres de l'OMC, cela signifie que si le fardeau de la preuve d’une violation incombe à la partie plaignante, qui doit établir prima

facie qu'il y a eu violation des dispositions pertinentes de l'Accord sur l'OMC, il revient par

la suite à la partie défenderesse d’invoquer la défense affirmative pertinente, comme l’a rappelé l’Organe d’appel dans l’affaire Inde – Chemisiers et blouses de laine :

Les articles XX et XI:2 c) i) constituent des exceptions limitées aux obligations découlant de certaines autres dispositions du GATT de 1994 et non des règles positives imposant des obligations en soi. Ils concernent, par définition, des moyens de défense affirmatifs. Il est tout simplement normal qu'il incombe d'établir ce moyen de défense à la partie qui s'en prévaut.245

Plus précisément, la partie qui invoque une défense affirmative doit fournir des éléments de preuve suffisants pour établir une présomption que ce qui est allégué est vrai, c’est-à-dire que son moyen de défense est justifié ; le cas échéant, le fardeau de la preuve se déplace alors et incombe à l'autre partie, qui n'aura gain de cause que si elle fournit des preuves suffisantes pour réfuter la présomption246. Lorsqu'une partie défenderesse s'est acquittée de cette obligation en matière de fardeau de preuve, un groupe spécial peut par la suite se prononcer sur la question de savoir si la mesure contestée est justifiée au titre du moyen de défense invoqué, en s'appuyant sur les arguments avancés par les parties ou en élaborant son propre argumentaire247. Par contre, le groupe spécial ne peut se pencher d’office sur la

243 Voir notamment le Black’s Law Dictionary, op. cit., note 241, p. 810 (« insanity defense »)

244 Curieusement, dans l’affaire États-Unis – Jeux, c’est Antigua, la partie plaignante qui en a fait mention la première. Infra, section II.2.2

245 États-Unis – Mesures affectant les importations de chemises, chemisiers et blouses de laine tissés en provenance d’Inde, rapport de l’Organe d’appel adopté le 23 mai 1997, WT/DS33/AB/R, p. 18.

246 ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, op. cit., note 240, para. 6. Voir également Brésil – Mesures visant l’importation de pneumatiques rechapés, rapport de l’Organe d’appel, WT/DS332/AB/R, para. 7.36.

validité d’une défense affirmative : il ne peut examiner cette question que si le moyen a été invoqué expressément par une des parties248.

Dans l'affaire États-Unis – Essence, l'Organe d'appel a souligné que la partie qui invoque un des paragraphes de l'article XX à titre de moyen de défense affirmatif se voit imposer un double fardeau de preuve. En effet, elle doit établir à la fois que la mesure visée249 :

1) Relève d’au moins une des exceptions de l’article XX (c’est-à-dire entre dans le champ d’application d’un de ses paragraphes);

2) Est appliquée d’une manière compatible avec le texte introductif de l’article XX250.

L’ordre de cette séquence n’a rien d’arbitraire ou d’aléatoire et découle de « la structure et la logique fondamentales de l’article XX »251; par conséquent, il doit être impérativement respecté. En ce qui concerne la première étape, celle dite de la « justification provisoire » d’une mesure au titre de l’article XX, pour démontrer que la mesure visée entre dans le champ d’application d’un des paragraphes de l'article XX, il incombe à la partie qui a invoqué ce moyen de défense d’établir ce qui suit :

a) La politique nationale sous-tendant la mesure a pour objectif la protection de l’élément visé dans le paragraphe invoqué, par exemple, la protection de la moralité publique dans le cas du paragraphe a).

b) La mesure jugée incompatible pour laquelle l’exception est invoquée est nécessaire pour atteindre cet objectif de ladite politique252.

248 Ibid. Voir également États-Unis – Importations de sucre en provenance du Nicaragua, rapport adopté le

13 mars 1984, IBDD, S31/79, para. 4.4. Voir aussi Communauté économique européenne – Règlement relatif aux

importations de pièces détachées et de composants, rapport adopté le 16 mai 1990, IBDD, S37/142, para. 5.11.

249 C’est-à-dire la mesure de mise en œuvre d’une politique générale de la partie défenderesse qui est jugée incompatible

avec les obligations de cette dernière au titre d’une ou de plusieurs dispositions du GATT ou du GATS, selon la partie plaignante et qui, de manière générale, prohibe l'importation d’un bien ou d’un service.

250 États-Unis – Essence, op. cit., note 206, p. 2. Voir également États-Unis – Crevettes, op. cit., note 114,

para. 115 à 119, et Corée – Diverses mesures affectant la viande de bœuf, op. cit., note 217, para. 156.

251 États-Unis – Crevettes, op. cit., note 114, para. 119. 252 États-Unis – Essence, op. cit., note 206, para. 6.20.

La deuxième condition de l'étape de la justification provisoire, la nécessité d’une mesure en regard de l’objectif en question, s’évalue en fonction de plusieurs facteurs, dont les principaux sont l'importance relative des intérêts ou des valeurs en jeu, l'étendue de la contribution à la réalisation de l'objectif de la mesure et le caractère restrictif de celle-ci pour le commerce international253. Par la suite, dans le cadre de la deuxième étape, il convient d’établir que la mesure « provisoirement justifiée » au titre d’un des paragraphes de l’article XX respecte les prescriptions du texte introductif. Autrement dit, il incombe à la partie qui invoque le moyen de défense de prouver que la mesure n’est pas appliquée de façon à constituer une « discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent » ou une « restriction déguisée au commerce international ». Ce deuxième volet du fardeau de preuve porte non plus sur la nature de la mesure comme le premier, mais sur les modalités d’application de celle-ci, et a pour but de garantir qu’elle est utilisée de bonne foi, et non pas dans le but de contourner les obligations du Membre au titre d’un des Accords de l’OMC.

C’est lors de l'analyse par le Groupe spécial ou l'Organe d’appel de la conformité à la première condition de l’étape de la justification provisoire, c’est-à-dire l’étape 1a), qu’intervient une opération cruciale, la détermination de la portée de la disposition invoquée. Dans le cas du paragraphe XXa), il s’agit alors d’énoncer les critères permettant de déterminer quels intérêts sont susceptibles d’être visés au titre de la protection de la moralité publique, ce qui passe nécessairement par la proposition d’une définition de cette notion. C’est aussi à ce niveau que se situe notre principale interrogation, celle de l'interprétation que devrait précisément recevoir la notion de moralité publique. Nous laisserons donc de côté la question du critère de nécessité pour cette dernière raison, mais aussi parce que celui-ci ne peut être évalué que par rapport à une mesure gouvernementale donnée dans une situation concrète, alors que nous recherchons la définition la plus large possible d’une notion. C’est donc à la partie des rapports du Groupe spécial et de l'Organe d’appel dans l'affaire États-Unis – Jeux concernant la première étape de la justification provisoire que nous nous intéresserons exclusivement dans les pages qui suivent.