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Le respect des normes éthiques nationales dans le commerce transfrontière des inventions biotechnologiques : regards croisés sur l'interprétation des notions de moralité publique dans le GATT et de bonnes mœurs dans la convention sur le brevet européen

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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ANNE-CATHERINE HATTON

LE RESPECT DES NORMES ÉTHIQUES NATIONALES DANS LE COMMERCE TRANSFRONTIÈRE DES INVENTIONS BIOTECHNOLOGIQUES : REGARDS

CROISÉS SUR L’INTERPRÉTATION DES NOTIONS DE MORALITÉ PUBLIQUE DANS LE GATT ET DE BONNES MŒURS DANS LA CONVENTION

SUR LE BREVET EUROPÉEN

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en droit

pour l’obtention du grade de Maître en droit (LL.M.)

FACULTÉ DE DROIT UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

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Résumé

Nous avons examiné s’il existait des mécanismes juridiques permettant aux États de faire respecter, à l’étape du commerce transfrontière, les prescriptions d’ordre éthique auxquelles ils assujettissent certaines inventions biotechnologiques suscitant des préoccupations morales. Nous avons d’abord évalué si l'exception de moralité publique du GATT pouvait être invoquée à une telle fin. De notre étude historique poussée des sources de cette disposition, nous concluons que celle-ci proclame les droits souverains de l’État, dans les limites de sa compétence territoriale, relativement au champ d’application de la notion de moralité publique. Nous analysons ensuite l'interprétation faite de la notion de bonnes mœurs dans l'article 53a) de la Convention sur le brevet européen. Enfin, nous faisons ressortir, dans la jurisprudence pertinente, certaines irrégularités majeures dans l’interprétation de ces dispositions par les instances compétentes, que nous imputons en partie à la difficulté d’introduire une composante éthique dans un processus analytique de nature essentiellement juridique.

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Abstract

We examined the availability of legal mechanisms guaranteeing compliance with State-imposed ethical requirements applicable to morally questionable biotechnological inventions at the cross-border trade stage. First, we assessed whether GATT public morals exception could be invoked to that purpose. We conclude from our extensive historical study that this provision proclaims States sovereign rights, within their territorial jurisdiction, relative to determining the scope of public morals. We then analyze how the notion of morality has been construed under article 53a) of the European Patent Convention. Finally, we highlight major irregularities in the interpretation of these provisions in the relevant case law that can be explained in part by the challenge of introducing an ethical component in an analytical process of an essentially legal nature.

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Avant-propos

La Première Partie du présent mémoire a fait l’objet d’une publication, dont je suis la première auteure, dans la Revue belge de droit international. Les co-auteurs de l’article, les professeurs Lyne Létourneau et Richard Ouellet, ont contribué à l’élaboration des grandes lignes de l’étude et à la révision du manuscrit. Le format de la publication n’a fait l’objet que de très légères modifications (subdivision en deux chapitres) visant à l’intégrer plus harmonieusement au reste du mémoire.

J’exprime ma gratitude à mes co-directeurs de recherche, les professeurs Lyne Létourneau et Richard Ouellet. Grâce à leur ouverture d’esprit et à la conjugaison de leurs expertises, respectivement en bioéthique et en droit économique international, j’ai pu opter pour un sujet de recherche transversal et tisser ainsi des liens entre le droit et mes « premières amours », la biologie moléculaire. Leurs commentaires enrichissants, leurs encouragements et leur appui matériel ont été grandement appréciés.

Je suis également redevable au professeur Pierre Rainville d’avoir su, alors qu’il était directeur des programmes des cycles supérieurs à la Faculté, m’aiguiller vers ceux qui allaient diriger mes recherches.

Mes remerciements vont enfin au Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture, dont la généreuse contribution a grandement facilité le démarrage de ce projet.

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À la mémoire de mes arrière-grands-tantes, Marie et Valérie Fritz

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Table des matières

Résumé... i

Abstract ... ii

Avant-propos... iii

Table des matières... v

Liste des acronymes ... ix

Introduction ...1

PREMIÈRE PARTIE : LES ORIGINES DE LA CLAUSE DES EXCEPTIONS GÉNÉRALES DU GATT ...16

Avant-propos...16

DU RÔLE DE LA GENÈSE DANS L'EXÉGÈSE : POUR UNE INTERPRÉTATION HISTORIQUEMENT ÉCLAIRÉE DE L'EXCEPTION DE MORALITÉ PUBLIQUE DU GATT ...20

Résumé...20

Introduction ...21

Chapitre I – Les premiers pas vers le multilatéralisme commercial : les conférences de 1922 et de 1927 ...22

I.1 La Conférence économique et financière de Gênes (1922) : une première réflexion à l’échelle multilatérale sur la clause des exceptions générales ...22

I.1.1 Le « droit de prohibition » : une légitimité rattachée à l’exercice de la fonction étatique...24

I.1.2 Les intérêts visés par le « droit de prohibition » : une portée nationale ...25

I.1.3 Conclusion : une question de souveraineté ...27

I.2 La Conférence pour l’abolition des prohibitions et des restrictions à l’importation et à l’exportation de 1927 : les premières négociations multilatérales visant la levée des obstacles non tarifaires au commerce ...28

I.2.1 Pertinence de la Conférence de 1927 au regard de l'article XX du GATT ...29

I.2.2 Les « réserves générales » : une place légitime et incontournable dans un régime de libre-échange ...30

I.2.2.1 Un caractère indispensable et une acceptation unanime...31

I.2.2.2 Un droit d’origine coutumière...32

I.2.3 L’article 4 de la Convention de 1927 : une préfiguration de l'article XX du GATT 36 I.2.4 La détermination des objets visés par les « prohibitions édictées pour des raisons morales » : un pouvoir discrétionnaire de l’État...38

I.2.5 La clause juridictionnelle : un révélateur de l'intention des parties ...40

Chapitre II – Le programme américain d’accords commerciaux réciproques : du bilatéralisme au GATT...42

II.1 Les accords commerciaux bilatéraux entre les États-Unis et leurs partenaires entre 1934 et 1946 : l'élaboration de la trame du GATT ...43

II.2 Le GATT de 1947 : l’aboutissement des démarches antérieures ...46 II.2.1 Historique du GATT : du modèle d’accord bilatéral américain au projet de Charte 47

II.2.2 L’élaboration de l'article XX : une confirmation de la forme déjà adoptée 48

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Conclusion ...52

DEUXIÈME PARTIE : LA NOTION DE MORALITÉ PUBLIQUE EN DROIT INTERNATIONAL ÉCONOMIQUE POSITIF...54

Introduction ...54

Chapitre I – Le cadre d’interprétation du paragraphe XXa) du GATT ...55

I.1 Le cadre procédural et institutionnel régissant le règlement des différends portés devant l’OMC...55

I.1.1 Du GATT de 1947 au Mémorandum d’accord de 1994 ...55

I.1.2 Le cadre institutionnel : l’Organe de règlement des différends, les groupes spéciaux et l'Organe d’appel ...57

I.1.3 La procédure générale de règlement des différends...58

I.1.4 Les effets juridiques des rapports des groupes spéciaux et de l'Organe d’appel, et la formation de la jurisprudence de l'OMC ...60

I.2 Le cadre général d’interprétation : la Convention de Vienne sur le droit des traités 63 I.2.1 Remarques préliminaires...63

I.2.2 La règle générale d’interprétation : l'article 31 ...66

I.2.3 Les moyens « complémentaires » d’interprétation : l'article 32 ...69

I.2.3.1 Considérations générales...69

I.2.3.2 Le recours aux travaux préparatoires dans la jurisprudence de l'OMC 71 Chapitre II - L’interprétation de la notion de « moralité publique » dans la jurisprudence de l’OMC ...76

Introduction ...76

II.1 Règles de preuve et grille d’analyse applicables à la clause des exceptions générales...77

II.2 L’interprétation de la notion de moralité publique dans l’affaire États-Unis - Jeux 81 II.2.1 L’objet du différend ...81

II.2.2 Le recours à la défense de moralité publique...82

II.2.2.1 Des entorses à la procédure initiale...82

II.2.2.2 Les arguments des États-Unis en regard du paragraphe XIVa) ...85

II.2.3 Les constatations du Groupe spécial quant à la justification provisoire des mesures au titre du paragraphe XIVa) ...87

II.2.3.1 Définition de la norme juridique visée au paragraphe XIVa) ...87

II.2.3.2 Application de la norme juridique aux mesures en cause ...89

II.3 Les questionnements soulevés par le raisonnement du Groupe spécial dans l’affaire États-Unis – Jeux ...89

II.3.1 Les irrégularités quant au respect des règles d’interprétation...89

II.3.2 Les irrégularités quant à l’interprétation de la disposition...92

II.3.2.1 Confusion dans l’interprétation de la jurisprudence de l’OMC ...92

II.3.2.2 Circonscription de la marge de manœuvre qualitative des Membres ..94

II.3.2.3 Recherche de pratiques analogues par d’autres Membres ...96

II.3.2.4 Utilisation d’une référence historique hors de son contexte ...97

(8)

TROISIÈME PARTIE : LA NOTION DE BONNES MŒURS EN DROIT DES

BREVETS ...103

Introduction ...103

Chapitre I – La notion de bonnes mœurs en droit des brevets : le cadre normatif ...105

I.1 Le brevet d’invention : nature, raison d’être et principales caractéristiques ..105

I.2 La Convention sur la délivrance de brevets européens...107

I.2.1 Une procédure unique pour la délivrance de brevets en Europe...108

I.2.2 L’Office européen des brevets : structure et procédures...109

I.3 La notion de bonnes mœurs en droit des brevets européen ...110

I.3.1 L’article 53 a) de la Convention sur la délivrance de brevets européens ...111

I.3.2 La directive 98/44/CE ...112

I.4 La notion de bonnes mœurs et son interprétation en droit des brevets national 116 I.4.1 La France...117

I.4.2 La Grande-Bretagne ...118

I.4.3 Les États-Unis ...119

Chapitre II – La notion de bonnes mœurs selon l’OEB : analyse de la jurisprudence portant sur des inventions biotechnologiques non liées aux cellules souches ...123

Introduction ...123

II.1 Critères de conformité aux bonnes mœurs retenus par les instances supérieures de l'OEB ...124

II.1.1 Critères appliqués aux demandes de brevet portant sur des animaux transgéniques...124

II.1.1.1 Souris oncogène/HARVARD I ...124

II.1.1.2 Souris oncogène/HARVARD II ...126

II.1.2 Demandes de brevet portant sur des végétaux transgéniques ...128

II.1.3 Demandes de brevet portant sur d’autres catégories d’inventions...129

II.1.3.1 Relaxine/HOWARD FLOREY INSTITUTE...129

II.1.3.2 Euthanasia compositions/MICHIGAN STATE UNIVERSITY...130

II.2 Questionnements soulevés par le choix et l'application des critères...131

II.2.1 Questionnements suscités par le choix des critères ...131

II.2.1 Questionnements suscités par l'application des critères retenus ...134

Chapitre III – La notion de bonnes mœurs selon l’OEB : analyse de la jurisprudence portant sur les cellules souches ...139

Introduction ...139

III.1 L’affaire Cellules souches/WARF : une question de droit d’importance fondamentale ...139

III.2 L’affaire Utilisation d’embryons/WARF : la décision de la GCR ...140

III.3 Les questionnements soulevés par la décision G 2/06 ...143

III.3.1 Une nouvelle définition de l’invention non liée aux revendications?...144

III.3.2 Une application « hors champ » de l’article 53 a CBE)?...146

III.3.3 Une règle ou une décision ultra vires?...150

III.3.3.1 Le libellé de la règle 23quinquies c) laisse-t-il entendre que les « utilisations d’embryons humains » visées peuvent être indépendantes des revendications définissant l'objet de l'invention?...150 III.3.3.2 Le libellé de la règle 23quinquies c) laisse-t-il entendre que les

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brevetabilité en tant que telles, sans égard aux conséquences de l'utilisation

normale de l'invention? ...151

Conclusion ...155

Conclusion générale ...157

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Liste des acronymes

ADN Acide désoxyribonucléique

AGCS Accord général sur le commerce des services CBE Convention sur la délivrance de brevets européens CJCE Cour de Justice des Communautés Européennes CRT Chambre de recours technique

FIV Fécondation in vitro

GATT Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce GCR Grande chambre de recours

OCDE Organisation de coopération et de développement économiques OEB Office européen des brevets

OIC Organisation internationale du commerce OGM Organisme génétiquement modifié

OMC Organisation mondiale du commerce ORD Organe de règlement des différends RTAA Reciprocal Trade Agreements Act

UE Union européenne

USPTO United States Patent and Trademark Office WARF Wisconsin Alumni Research Society

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Introduction

« Science sans conscience n’est que ruine de l'âme1 ». Cette mise en garde de Rabelais, entendue dans le sens que lui a donné l'usage contemporain, fort éloigné d’ailleurs de celui qu’il avait à l'origine2, a dans l'ensemble été bien assimilée dans le milieu de la recherche scientifique du XXIème siècle, où l'importance et la place de l'éthique ne cessent d’être confortées. De fait, sans afficher un optimisme excessif, on peut dire que dans la plupart des pays du monde, la recherche scientifique avec des êtres humains ou des animaux est aujourd’hui encadrée par des textes normatifs relativement exhaustifs visant à faire en sorte qu’elle soit menée dans le respect de certaines valeurs morales, lesquelles peuvent varier en fonction des sensibilités nationales3. La recherche fondamentale ne faisant pas appel à des êtres vivants peut également être interpelée à cet égard, comme nous le verrons plus loin. Mais qu’en est-il, une fois la phase expérimentale terminée, du commerce international des éventuels fruits de ces travaux scientifiques? Les préoccupations éthiques qui ont été présentes à toutes les étapes du déroulement du protocole de recherche doivent-elles s’effacer une fois le produit mis en marché et offert à la vente à l'étranger? Quel rôle la « conscience » joue-t-elle au stade de la commercialisation? Telles sont les questions qui constituent le point de départ de notre recherche.

Au chapitre des questionnements d’ordre éthique suscités par la recherche scientifique, le secteur des biotechnologies est assurément celui qui a fait couler le plus d’encre au cours des dernières décennies. Mais avant de nous aventurer plus loin dans cette direction, il nous

1 F. RABELAIS, Pantagruel, traduit en français moderne par F. Joujousky, Paris, Honoré Champion, 1999, p. 244. 2 Le contexte originel de cette citation donne un éclairage très différent du sens à lui attribuer. Après avoir exhorté son fils

Pantagruel à se consacrer à l'étude afin de devenir « un abîme de science » (au sens de « savoir »), Gargantua lui donne le sage et pieux conseil suivant : « Mais parce que, selon le sage Salomon, la sagesse n'entre jamais dans une âme méchante, et que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer et craindre Dieu, et en Lui mettre toutes t es pensées et tout ton espoir, et, par une foi faite de charité, t'unir à Lui de manière à n'en être jamais séparé par le péché. ». On peut donc parler ici d’un véritable détournement sémantique de l'intention de l'auteur par la société contemporaine!

3 Par exemple, au Québec, la question du consentement des personnes à l'expérimentation est traitée aux articles 20 et

suivants du Code civil du Québec, tandis que l'Énoncé de politique des trois conseils encadre de manière plus générale tous les aspects éthiques de la recherche avec des êtres humains au Canada (CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES HUMAINES DU CANADA, CONSEIL DE RECHERCHES EN SCIENCES NATURELLES ET EN GÉNIE DU CANADA, INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA, Énoncé de politique des trois conseils : Éthique de la recherche avec des êtres

humains, 2e édition, décembre 2010, en ligne : http://www.pre.ethics.gc.ca/fra/policy

-politique/initiatives/tcps2-eptc2/Default/). La recherche sur les animaux est assujettie aux lignes directrices élaborées par le Conseil canadien de protection des animaux (en ligne : http://www.ccac.ca/fr_/normes/lignes_directrices).

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faut définir certains termes spécialisés, étrangers au domaine juridique, que nous allons côtoyer tout au long du présent document, à commencer par le terme « biotechnologie ». La difficulté de définir cette notion tient surtout à la vaste diversité des techniques, des types d’applications et des secteurs qu’elle englobe. Pour s’attaquer à cette tâche complexe et traduire cette diversité, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a opté pour une définition à la fois, selon ses propres termes, « unitaire » et « par liste ». Selon sa définition unitaire, la biotechnologie est « [l]’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non-vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services. »4. Une autre définition du terme, très proche de celle de l'OCDE, proposée dans la Convention sur la diversité biologique, est la suivante : « toute application technologique qui utilise des systèmes biologiques, des organismes vivants ou des dérivés de ceux-ci pour réaliser ou modifier des produits ou des procédés à usage spécifique5 ». Enfin, dans la Convention sur le brevet européen, dont nous parlerons amplement dans la Troisième Partie du présent mémoire, les « inventions biotechnologiques » sont des « inventions qui portent sur un produit composé de matière biologique ou en contenant, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique », la matière biologique étant définie comme étant « toute matière contenant des informations génétiques et qui est autoreproductible ou reproductible dans un système biologique6 ».

En pratique, si ces définitions larges recouvrent aussi les techniques traditionnelles d’exploitation de microorganismes pour la production de substances (p. ex. bière et fromage issus de la fermentation microbienne) utilisées depuis plusieurs siècles, le terme « biotechnologie » est aujourd’hui plus couramment employé pour désigner l'ensemble des

4 OCDE, Groupe de travail des experts nationaux sur les indicateurs de science et de technologie, Cadre pour les statistiques de biotechnologie, Paris, 19 décembre 2005, p. 8. En parallèle, à des fins d’interprétation de la définition

unitaire, est présentée une définition par liste des activités de biotechnologie en fonction de l'objet visé par lesdites techniques (ADN et ARN, protéines et autres molécules, culture et ingénierie des cellules et des tissus, techniques biotechnologiques des procédés, vecteurs de gènes et d’ARN, bioinformatique et nanobiotechnologies). En ligne : http://www.oecd.org/dataoecd/16/6/35878269.pdf.

5 Convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, 1760 R.T.N.U. 79. 6 Infra, note 353.

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techniques modernes faisant appel au génie génétique7, c’est-à-dire celles qui permettent de manipuler directement le génome d’un organisme, autrement dit ses gènes, en vue de le modifier. Ces nouvelles technologies, mises au point grâce aux avancées spectaculaires réalisées dans le domaine de la biologie moléculaire durant la seconde moitié du XXème siècle8, n’ont en fait que peu de points communs avec les méthodes de la biotechnologie traditionnelle, puisqu’elles permettent une « reprogrammation » génétique fine d’un organisme en vue, par exemple, de lui faire produire une substance comme l'insuline ou l'hormone de croissance qu’il ne synthétise pas dans son état normal, ou encore de modifier ses propriétés naturelles. Par conséquent, dans le présent document, nous utiliserons le terme « biotechnologies9 » dans son acception moderne, où la simple exploitation des fonctions naturelles des microorganismes a laissé la place au contrôle de leurs propriétés moléculaires. Enfin, par extension, les biotechnologies englobent également les techniques de manipulation de la cellule, même lorsque celles-ci n’opèrent aucune modification du patrimoine génétique10. Nous y reviendrons dans la dernière partie. Les controverses et les questionnements d’ordre éthique soulevés tant par les méthodes de génie génétique que par les produits qui en sont issus ont été et sont encore nombreux. Nous n’avons pas ici l'ambition de les recenser tous et nous contenterons de mentionner les principaux enjeux de l'application du génie génétique dont il sera question plus loin, à savoir la transgénèse11, c’est-à-dire la production de lignées d’organismes génétiquement

7 Gilbert HOTTOIS, Nouvelle encyclopédie de bioéthique : médecine, environnement, biotechnologie, Bruxelles, De Boeck

Université, 2001, p. 37, où le génie génétique est défini comme suit : « ensemble des techniques de recombinaison artificielle de l'acide désoxyribonucléique (ADN) permettant d’assembler des fragments d’ADN d’organismes les plus variés. Également appelé "ingénierie génétique" ou "techniques de l'ADN recombinant" ».

8 La première percée majeure est la détermination de la structure en double hélice de l’ADN (J.D. WATSON, F.H.C. CRICK,

« Molecular Structure of Nucleic Acids : A Structure for Deoxyribose Nucleic Acid », 25 avril 1953, Nature, vol. 171, p. 737) qui permet d’expliquer pour la première fois comment l'information génétique est conservée à l'intérieur des organismes et transmise d’une génération à l'autre. Parmi les autres jalons importants, on peut citer, par ordre chronologique, le décryptage du code génétique (voir notamment l'article de MATTHAEI, H.J., JONES, O.W., MARTIN, R.G.

et NIRENBERG, M.W. (1962). « Characteristics and Composition of RNA Coding Units », Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A 48

(4): 666–677), la première détermination de la séquence complète du génome d’un virus (SANGER F., NICKLEN S.,

COULSON A.R. (1977), « DNA sequencing with chain-terminating inhibitors », Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 74 (12):

5463–7) et enfin, le clonage de la brebis Dolly (CAMPBELL, K.H.S., MCWHIR, J., RITCHIE, W.A. et WILMUT, I. (1996),

« Sheep cloned by nuclear transfer from a cultured cell line », Nature 380 (6569): 64–66).

9 « Biotechnologie s'emploie au singulier, mais aussi au pluriel, les biotechnologies étant diversifiées. » (Dominique

LECOURT, dir., Dictionnaire de la pensée médicale, Paris, Quadrige/PUF, 2004, p. 179). 10 Voir la classification de l'OCDE supra, note 4.

11 Gilbert HOTTOIS, op. cit., note 7, p. 845, où le terme « transgénèse » est défini comme suit : « modification du génome

de plantes et d'animaux par addition de gènes étrangers. La transgénèse animale consiste à modifier génétiquement et héréditairement un animal par suppression d'un ou plusieurs gènes ou par addition d'un ou plusieurs gènes en provenance d'un organisme d'une espèce différente de celle de l'animal modifié ».

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modifiés (OGM)12, qui a d’importantes retombées dans les secteurs de l'agriculture, de l'agro-alimentaire et de la médecine13. Selon la Commission de l’éthique de la science et de la technologie du Québec, les questionnements suscités par le processus de transgénèse appliqué à l'agriculture tiennent principalement aux valeurs touchées par celui-ci, c’est-à-dire le respect de l'autre (les transformations qu’il apporte sont-elles de nature à nuire aux façons de faire traditionnelles, ou encore à porter atteinte à certaines pratiques alimentaires fondées sur certaines représentations culturelles ou spirituelles?), la participation démocratique à la prise de décision (les pays en développement et les membres de la société civile sont-ils partie prenante dans les processus décisionnels menant à la commercialisation d’OGM?) et le libre choix (le consommateur peut-il exercer un libre choix à l'égard de ce type de produit?)14. En ce qui concerne la présence d’OGM dans l'environnement, des questions se posent sur le plan des mécanismes d’évaluation, des risques potentiels, de l'accès à l'information pertinente et des mécanismes de suivi15. Chez l'animal, la transgénèse pose un dilemme éthique à deux niveaux puisqu’elle amène à s’interroger sur l'acceptabilité morale à la fois de l'utilisation de l'animal par l'humain pour son propre bénéfice et de la modification d’un animal par la manipulation directe de son patrimoine génétique dans un tel but16.

Cependant, de toutes les applications des biotechnologies, la plus controversée sur le plan éthique est celle de la production de lignées de cellules souches embryonnaires humaines. Comme ce secteur de la recherche sera à l'avant-plan dans la Troisième Partie du présent mémoire, nous allons nous y attarder plus longuement dans les paragraphes qui suivent. Les cellules souches sont des cellules non différenciées, présentes chez les animaux et les végétaux, qui possèdent l'extraordinaire et unique propriété de pouvoir se reproduire

12 Id., p. 625, où le terme « organisme génétiquement modifié » est défini comme suit : « un microorganisme, un végétal

ou un animal, dont le génome inclut un fragment d'ADN étranger qui a été inséré par un procédé expérimental ou industriel de recombinaison (ce qui exclut le transfert d'ADN viral par un processus infectieux naturel). L'ADN étranger acquis par un OGM fait partie intégrante du matériel génétique de son hôte, il est transmis à sa descendance qui constitue une nouvelle lignée d'organismes vivants. La transgénèse est donc une forme de mutation expérimentale ».

13 OCDE, supra, note 4.

14 Gouvernement du Québec, Pour une gestion éthique des OGM, Avis de la Commission de l'éthique de la science et de

la technologie, 2003.

En ligne : http://www.ethique.gouv.qc.ca/index.php?option=com_docman&Itemid=73.

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indéfiniment dans leur état « primitif », tout en conservant intacte leur capacité de former des lignées de cellules spécialisées (différenciées en tissus, par exemple cardiaques ou musculaires) dès qu’est opérée une modification de leurs conditions de culture en laboratoire17. La capacité d’exploiter les propriétés de ces cellules ouvre aux chercheurs les portes de la « médecine régénérative » et permet d'entrevoir de manière réaliste la possibilité de créer ou de recréer des tissus humains sains en vue de traiter efficacement une multitude de pathologies allant des maladies cardiovasculaires au cancer18, en passant par la régénération des cellules sanguines19. L’isolation des premières lignées de cellules souches, chez la souris, puis chez l'humain, a été saluée comme une avancée médicale majeure20. Il existe deux catégories de cellules souches selon leur origine : les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Les premières se retrouvent dans l'embryon jusqu’au stade de développement du blastomère, auquel cas elles sont qualifiées de « totipotentes » car chacune d'elles peut produire un être vivant complet, ou du blastocyste, auquel cas elles sont qualifiées de « pluripotentes » car elles peuvent se différencier en n’importe quel tissu du corps humain. Les cellules souches adultes sont présentes en petit nombre dans différents tissus du corps et ne sont que « multipotentes », en ce qu’elles sont programmées pour ne former que les types de cellules normalement produits par le tissu en question21. On comprend immédiatement que ce sont les cellules souches embryonnaires

16 Lyne LÉTOURNEAU, « The Regulation of Animal Technology: At the Crossroads of Law and Ethics », dans Edna

EINSIEDEL et Frank TIMMERMANS, dir., Crossing Over: Genomics in the Public Arena, Calgary, University of Calgary

Press, 2005, p. 175.

17 R.A. MUSINA, Ye.Ye. YEGOROV et A.V. BELYAVSKY, « Stem Cells: Properties and Prospective Medical Applications »

(2004) 38 Molecular Biology 469, p. 469. On consultera également avec profit les pages d’information détaillées des sites institutionnels suivants : http://www.stemcellnetwork.ca/index.php?page=what-are-stem-cells&hl=fra (Canada), http://www.eurostemcell.org/fr/stem-cell-factsheets (Europe), et http://stemcells.nih.gov/info/basics/ (États-Unis).

18 Voir notamment Riccardo FODDE, « Stem Cells and Metastatic Cancer: Fatal Attraction? » (2006) 3:12 PLoS Medicine

2182 (cancer), Charles E. MURRY, Hans REINECKE et Lil M. PABON, « Regeneration Gaps: Observations on Stem Cells

and Cardiac Repair » (2006) 47 Journal of the American College of Cardiology 1777 (maladies cardiovasculaires).

19 Voir plus généralement, par exemple, Anna M. Wobus et Kenneth R. Boheler, « Embryonic Stem Cells: Prospects for

Developmental Biology and Cell Therapy » (2005) 85 Physiological Reviews 635, p. 666. Les auteurs recensent quatre voies pour l'utilisation thérapeutique des cellules souches : administration directe, transplantation de cellules différenciées issues de cellules souches, génie tissulaire et autoréparation induite.

20 Martin EVANS et Matthew H. KAUFMAN, « Establishment in Culture of Pluripotential Cells from Mouse Embryos »

(1981) 292 Nature 154; James THOMPSON et al., « Embryonic Stem Cell Lines Derived from Human Blastocysts », 282

Sci. 1145–47 (1998). Michael J. SHAMBLOTT et al., « Derivation of Pluripotent Stem Cells from Cultured Human

Primordial Germ Cell » (1998) 95 Proc. Natl. Acad. Sci. 13726.

21 Un nouveau type de cellules souches, les cellules souches pluripotentes induites (CSPi), a vu le jour récemment. Il

s’agit de cellules somatiques adultes qui ont été reprogrammées par génie génétique afin d’induire l'expression de certains gènes. Cette technologie pourrait permettre d’obtenir des lignées de cellules souches sans détruire d’embryons, mais certaines difficultés doivent encore être surmontées. Voir par exemple TAKAHASHI, K.; et al., « Induction of Pluripotent

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qui offrent les perspectives les plus intéressantes du point de vue des applications thérapeutiques, d'où les enjeux éthiques dont il sera question plus loin.

L'obtention de cellules souches embryonnaires peut se faire par deux moyens : l'utilisation d'embryons existants ou la création d'embryons en laboratoire par la technique dite de clonage. Le moyen le plus conventionnel est l'utilisation aux fins de la recherche des embryons surnuméraires issus de la fécondation in vitro (FIV), qui ont été conservés dans l'azote liquide dans l'attente de faire l'objet d'un « projet parental », lequel ne s’est finalement pas concrétisé22. Le second moyen d'obtention des cellules souches embryonnaires est le clonage. Le clonage reproductif et le clonage thérapeutique23 ont en

commun la première étape, le remplacement du noyau d'un ovule par celui d'une cellule somatique (c’est-à-dire autre qu’une cellule sexuelle) provenant d'un animal adulte donneur; l'embryon ainsi obtenu est porteur du matériel génétique de l'animal donneur et lui est donc génétiquement identique. Dans la technique du clonage reproductif, cet embryon est réimplanté dans l'utérus. C’est ainsi qu’a été engendrée la célèbre brebis Dolly24. Par contre, dans la technique dite du clonage thérapeutique, l'embryon obtenu n’est pas réimplanté dans un utérus, mais est au contraire cultivé en laboratoire jusqu’au stade où il est détruit pout permettre de prélever les cellules souches embryonnaires qui s’y trouvent25. L’enthousiasme suscité par le formidable potentiel thérapeutique des cellules souches doit être tempéré par de nombreux questionnements d'ordre éthique que soulèvent tant la recherche dans ce domaine que les modalités de commercialisation future des produits issus de celle-ci. Ces enjeux éthiques, qui ont été recensés notamment par le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (France) sont de plusieurs ordres et touchent principalement le statut de l'embryon et son instrumentalisation (notamment

22 Voir par exemple James THOMPSON et al., loc. cit, note 20.

23 Voir notamment Lori P. KNOWLES, « What Are Stem Cells And Where Do They Come From? », publié par le Réseau

de cellules souches canadien. En ligne :

http://www.stemcellnetwork.ca/uploads/File/whitepapers/What-are-Stem-Cells-and-Where-do-They-Come-from.pdf

24 Supra, note 8.

25 L'avantage indéniable du clonage thérapeutique sur l'utilisation des embryons surnuméraires issus d'une FIV est que

dans le premier cas, les cellules souches étant génétiquement identiques à la cellule somatique de départ, il devient possible de créer des lignées cellulaires « sur mesure », à partir de n’importe quelle cellule d'un patient donné, ce qui permet de surmonter l'obstacle du rejet, advenant une éventuelle greffe au patient donneur. Le clonage thérapeutique permet donc la création de lignées de cellules souches non seulement pluripotentes, mais autologues, c’est-à-dire provenant de l'individu qui en bénéficiera, ce qui multiplie encore son potentiel sur le plan des applications thérapeutiques.

(17)

dans le cas du clonage), les droits de propriété matérielle ou intellectuelle sur un élément du corps humain et les risques de dérive commerciale qui en découlent, ou encore les modalités de consentement au don d'embryon ou de cellule. Quel est ou devrait être le statut de l'embryon dont le développement s’effectue ex utero? Un embryon qui a été conçu pour un « projet parental » peut-il faire l'objet d'un « détournement de finalité »? Le cas échéant, à qui est dévolu le droit de disposer d'un embryon comme d'un bien matériel et de l'aliéner à des fins expérimentales ou commerciales? La création et la destruction d'un embryon en vue d'obtenir des cellules souches constituent-elles une atteinte à l'intégrité de l'être humain d'une manière générale? La perspective d’utiliser des cellules souches adultes à des fins thérapeutiques pose elle aussi son lot de questionnements éthiques. Par exemple, le don de cellules adultes devrait-il être fait en contrepartie d'un dédommagement, d’une rémunération ou de redevances en cas de brevet, ou encore être gratuit? Quelles balises faudrait-il poser pour éviter les risques de dérive commerciale? Telles sont, entre autres, les questions qui se posent et auxquelles il faudra apporter des réponses concrètes dans les prochaines années26.

La gravité de tels enjeux a amené la plupart des États à exercer un contrôle législatif quant aux modalités de la recherche liée aux cellules souches autorisées sur leur territoire. À l'évidence, chaque État a légiféré de façon autonome sur cette question, selon les sensibilités éthiques, culturelles, religieuses et sociales de ses citoyens, ainsi que selon ses traditions juridiques et ses intérêts économiques27. On ne s’étonnera donc pas de constater des disparités marquées entre les balises législatives établies d'un État à l'autre, et même entre des nations qui apparaissent à plusieurs égards comme très semblables sur le plan du développement économique et industriel28. On notera que les mêmes divisions entre les États susmentionnés se retrouvent souvent sur le plan de la permissivité relative face aux techniques de procréation assistée29.

26 COMITÉ CONSULTATIF NATIONAL DÉTHIQUE POUR LES SCIENCES DE LA VIE ET DE LA SANTÉ. Avis n° 93 – Commercialisation des cellules souches humaines et autres lignées cellulaires, Paris, 2006. En ligne : http://www.ccne-ethique.fr/docs/fr/avis093.pdf.

27 Rosario M. ISASI et Bartha M. KNOPPERS, « Mind the Gap: Approaches to Embryonic Stem Cells and Cloning Research

in 50 Countries » (2006) 13 Eur. J. Health Law 9.

28 University of Wisconsin. World Stem Cell Map, en ligne : http://mbbnet.umn.edu/scmap.html.

29 Voir notamment John A. ROBERTSON, « Reproductive Technology in Germany and the United States: An Essay in

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Globalement, on distingue trois grandes catégories de politiques étatiques relatives à l'encadrement de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines. À une extrémité du spectre se retrouvent les États ayant mis en œuvre des politiques restrictives par une intervention gouvernementale soutenue. Ainsi, l'Autriche et l'Italie prohibent catégoriquement tant l'utilisation d’embryons surnuméraires pour produire des lignées de cellules souches que la recherche dans ce domaine30. En Allemagne, où la Loi sur la

protection de l'embryon31 rend impossible la création de lignées de cellules souches en interdisant l'existence même d’embryons surnuméraires32, la Loi sur les cellules souches33 offre cependant aux chercheurs la possibilité d’importer des lignées de cellules créées à l'étranger selon des modalités très strictes, qui ont été légèrement assouplies en 2008 en ce qui concerne la date de création des lignées34. Il en va de même en France, où la législation interdit la création d’un embryon humain35 et n’autorise par dérogation la recherche sur l’embryon, les cellules souches embryonnaires humaines et les lignées de cellules souches que dans des cas tout à fait exceptionnels36, tout en prévoyant la possibilité d’importer de telles lignées pour la recherche37. Les États-Unis n’appartiennent plus à cette catégorie depuis la levée, en mars 2009, de l'interdiction de financer par des subsides fédéraux la recherche avec des embryons38.

30 ISASI et KNOPPERS, loc. cit. note 27, p. 21.

31 Embryonenschutzgesetz (ESchG) adoptée le 13 décembre 1990, Bundesgesetzblatt 1990 Partie I p. 2746-2748,

modifiée par l’article 22 de la loi du 23 octobre 2001 (Bundesgesetzblatt 2001 Partie I p. 2702), en ligne : http://www.gesetze-im-internet.de/eschg/BJNR027460990.html.

32 L'article 1 interdit la fécondation de plus de trois ovules et l'implantation de plus de trois embryons au cours d’un cycle

de traitement de FIV, l.’article 6 interdit le clonage et l'article 20 prohibe l'utilisation d’embryons à d’autres fins que la procréation.

33 Stammzellgesetz, adoptée le 28 juin 2002, Bundesgesetzblatt Partie I p. 2277. Voir notamment, les commentaires à ce

sujet (en anglais) du Deutsche Referenzzentrum fur Ethik in den Biowissenschaften, en ligne : http://www.drze.de/in-focus/stem-cell-research/laws-and-regulations.

34 Alors qu’auparavant, la loi interdisait toute création de nouvelle lignée de cellules souches et toute importation de

lignées de cellules créées après le 1er janvier 2002, cette limite a été étendue au 1er mai 2007. Voir notamment le

communiqué du 26 juin 2008 d’EuroStemCell German parliament passes amendment to Stem Cell Act, en ligne : http://www.eurostemcell.org/commentanalysis/german-parliament-passes-amendment-stem-cell-act.

35 Code de la santé, art. L.2151-1 à 4, en ligne :

http://www.juridique-biomedecine.fr/code-de-la-sante/chapitre-unique-principes-conditions-d-autorisation-des-tudes-et-recherches.html.

36 Ibid., art. L.2151-5. Dans un tel cas, seuls peuvent utilisés pour la recherche des embryons surnuméraires issus de la

FIV qui ne « font plus l'objet d’un projet parental ».

37 Ibid., art. L.2151-6.

38 Alors qu’en 2001, le président Bush avait interdit l'utilisation de fonds fédéraux pour la création de nouvelles lignées de

cellules souches, une opération qui nécessite la destruction d’embryons, tout en autorisant les recherches sur 21 lignées déjà créées avant le 9 août 2001 (voir notamment The White House, Remarks by the President on Stem Cell Research, 9 août 2001, en ligne : http://www.whitehouse.gov/news/releases/2001/08/20010809-2.html), le président Obama a signé un décret levant ces restrictions le 9 mars 2009, moins de trois mois après son entrée en fonction (The White House, Office of the Press Secretary, Executive Order 13505, Removing the Barriers to Responsible Scientific Research Involving

(19)

La majorité des pays, comme le Canada, les Pays-Bas, l’Inde et la Nouvelle-Zélande39, ont adopté une position mitoyenne caractérisée par une réglementation d’intensité intermédiaire où, même si la création d’embryons à des fins autres que la procréation reste interdite, l'utilisation pour la recherche sur les cellules souches d’embryons surnuméraires issus de la FIV est autorisée à certaines conditions assujetties à un contrôle gouvernemental. Ainsi, au Canada, la Loi sur la procréation assistée, qui encadre à la fois les modalités de traitement faisant appel aux nouvelles techniques de reproduction et la recherche qui s’effectue sur ces technique prohibe notamment la création d’embryons à des fins autres que la procréation40 et encadre de manière stricte les recherches sur les embryons in vitro41 et les cellules souches42. Par ailleurs, l'ensemble de la recherche sur les cellules souches est assujetti à des mécanismes de surveillance des Instituts de recherche en santé du Canada, qui complètent ce cadre normatif43. Soulignons par ailleurs qu’au Canada, la contravention aux articles de la Loi sur la procréation assistée qui prohibent certains actes44 constitue une infraction passible de sanctions pénales pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement45.

Enfin, certains États comme le Japon, Singapour, la Corée du Sud, le Royaume-Uni, la Belgique et Israël optent pour une législation ou une réglementation autorisant expressément le clonage à des fins thérapeutiques ou de recherche, souvent assortie d’un encadrement minimal laissant la place à l'autoréglementation et au respect volontaire de

Human Stem Cells, en ligne : http://www.whitehouse.gov/the_press_office/Removing-Barriers-to-Responsible-Scientific-Research-Involving-Human-Stem-Cells). Par la suite, les National Institutes of Health, après avoir mené des consultations, ont élaboré de nouvelles lignes directrices pour la recherche sur les cellules souches, dont la teneur est très proche des lignes directrices canadiennes, qui ont été contestées par un regroupement de chercheurs. Cependant, le 27 juillet 2011, l'action a été rejetée par les tribunaux (United States District Court for the District of Columbia). Par ailleurs, la recherche financée par des fonds non fédéraux n’est assujettie à aucune restriction, ce qui explique l'essor de ce secteur notamment en Californie.

39 ISAI et KNOPPERS, loc. cit., note 27, p. 22.

40 Loi concernant la procréation assistée et la recherche connexe, L.C. 2004, ch. 2, par. 5(1). Il convient de noter que les

dispositions concernant l’utilisation des embryons à des fins autres que la procréation ne sont pas visées par la décision de la Cour suprême du Canada Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61.

41 Ibid., para. 40(2).

42 Ibid., para. 3(1). Les dispositions suivantes de cette loi prévoient les conditions d’utilisation d’un embryon surnuméraire

pour la création d’une lignée de cellules souches : par 40(2), par. 40(3.1), alinéa 5(1)b), art. 8, par. 7(2) et par. 10(2).

43 INSTITUTS DE RECHERCHE EN SANTÉ DU CANADA, Lignes directrices en matière de recherche sur les cellules souches pluripotentes humaines, mises à jour en juin 2010, en ligne : http://www.cihr-irsc.gc.ca/f/42071.html.

44 Il s’agit des articles 5 à 9, qui visent les « actes interdits », dont l'alinéa 5(1)b), qui interdit la production d’un embryon

dans le but prélever des cellules souches.

(20)

normes professionnelles46. Notons que le point commun entre tous les États est la prohibition du clonage reproductif47.

Dans cette sphère d’activité, compte tenu de l'importance des intérêts financiers et médicaux en jeu, on peut prévoir que les valeurs morales d'un État, affirmées au moyen d'un cadre législatif ou réglementaire, seront soumises à certaines tensions à l'étape de la commercialisation transfrontière des produits issus de la recherche sur les cellules souches48. Certes, cet horizon temporel apparaît encore assez éloigné, puisque les premiers essais cliniques de phase I des traitements à base de cellules souches viennent tout juste de débuter49. Cependant, la mondialisation est déjà à l'œuvre dans ce domaine, puisque la législation « défavorable » à la recherche dans certains États a donné naissance à une nouvelle forme de tourisme médical que l'on a appelée le stem cell tourism50 (tourisme lié

aux cellules souches). Déjà, des entreprises implantées notamment en Israël, en Chine ou à Singapour offrent aux citoyens du monde entier des thérapies par injection de cellules souches qui ne seraient pas légalement autorisées dans leur pays d’origine. Les pressions en faveur de la libre circulation des produits issus de cette technologie ne seront que la suite logique de ce processus.

Par ailleurs, même si, compte tenu de la nouveauté de ces techniques et de leur caractère encore expérimental, aucune confrontation entre le droit national applicable aux biotechnologies et le droit international économique n’a encore été portée devant un juge, certaines décisions rendues en droit européen dans un domaine connexe, celui de la procréation médicalement assistée, laissent croire à une telle possibilité. Ainsi, dans l'affaire Blood51, la Cour d’appel britannique a été appelée à se prononcer au sujet d’une tension entre la législation britannique, selon laquelle le consentement du donneur est l'exigence préalable à l'obtention d’une licence d’utilisation ou d’exportation de sperme aux

46 ISASI et KNOPPERS, loc. cit., note 27, p. 19. 47 Ibid., p. 17.

48 Voir par exemple.

49 Voir notamment l’article « First Clinical Trial of Human Embryonic Stem Cells Thrapy in the World Begins »,

11 octobre 2010, Neuroscience News, en ligne : http://neurosciencenews.com/first-clinical-trial-embryonic-stem-cell-therapy-begin/. Voir aussi « U.K. Approves Europe's First Embryonic Stem Cell Clinical Trial », 22 septembre 2011, ScienceInsider, en ligne :

http://news.sciencemag.org/scienceinsider/2011/09/uk-approves-europes-first-embryonic.html.

50 Voir par exemple Lesley N. DERENZO, « Stem cell tourism: the challenge and promise of international regulation of

embryonic stem cell-based therapies. » [hiver 2011] Case W. Res. J. Int’l Law 877.

(21)

fins d’une insémination artificielle, et le droit communautaire prévoyant le libre accès aux traitements médicaux dans tous les États membres de l'Union européenne(UE)52. De même, dans l'affaire U v W53, le juge britannique a été saisi de la question de savoir si la législation nationale, qui exige l'obtention du consentement du père non biologique dans le cas d’une insémination artificielle avec donneur, constituait une entrave à la libre circulation des services qui était cependant justifiée au regard de la jurisprudence européenne54. Il est tout à fait plausible que, de la même manière, la libre circulation de produits à base de cellules souches obtenues par exemple sans les consentements valables exigés par un grand nombre d’États puisse faire l'objet d’un litige en droit économique régional ou international.

Ces tensions à prévoir se traduisent par de nombreux questionnements. Dans le contexte du nouvel ordre économique mondial, un pays comme l’Autriche, qui bannit toute recherche sur les cellules souches embryonnaires, serait-il en droit d'interdire l'importation sur son territoire de produits thérapeutiques dérivés de cellules souches obtenues par des techniques qu’il prohibe, mais qui ont libre cours en Suède ou en Corée du Sud? Dispose-t-il d’outils lui permettant d’affirmer ses valeurs morales à l'encontre d’un tel commerce? Par ailleurs, vis-à-vis des chercheurs scientifiques auquel on a interdit, sous peine de sanctions pénales allant jusqu’à l'emprisonnement, la production de lignées de cellules souches embryonnaires humaines par clonage thérapeutique, qui ont donc été privés de la possibilité de participer à la mise au point de technologies potentiellement très prometteuses, serait-il éthique d’autoriser, dans quelques années, l'importation de produits obtenus par cette technique à l'étranger, sous la pression exercée par exemple par des groupes de défense des intérêts des patients?

Les réponses à ces questions sont loin d’être évidentes. En effet, il est incontestable que les lois nationales édictant des prohibitions à l'importation de produits issus de certaines techniques entrent en conflit avec l'esprit et la lettre des accords de l'Organisation mondiale

52 Dans cette affaire, Diane Blood voulait se faire inséminer avec le sperme de son mari, prélevé chez celui-ci peu avant

son décès survenu de manière foudroyante. Le consentement de son mari n’ayant pas été obtenu alors qu’il est requis par la loi au Royaume-Uni, l'insémination ne pouvait se faire dans ce pays. Elle souhaitait donc faire effectuer cette opération en Belgique, ce qui nécessitait l'exportation du sperme. La Human Fertilisation and Embryology Authority avait refusé d’octroyer la licence d’exportation requise.

53 U v W [1997] 2 FLR 282.

54 L'action visait à faire établir en Angleterre une filiation non biologique (après procréation médicalement assistée), alors

que l'insémination artificielle avec donneur avait été réalisée en Italie sans obtention du consentement éclairé du père non biologique, lequel est requis par la loi au Royaume-Uni.

(22)

du commerce (OMC), et notamment de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le

commerce (GATT)55. Ainsi, les éventuelles mesures mises en œuvre par un État pour interdire ou limiter l'importation de produits à base de cellules souches en provenance de certains pays n’ayant pas adopté le même cadre éthique que lui pourraient, selon le cas, être jugées incompatibles avec certaines obligations de fond faites aux Membres de l’OMC qui concernent plus précisément la non-discrimination dans les échanges commerciaux. En particulier, un État pourrait difficilement justifier l'interdiction totale d'importer ou d'exporter des lignées de cellules souches alors que le GATT proscrit toute barrière non tarifaire au commerce, y compris les prohibitions56.

Quelles pourraient être alors les avenues envisageables pour un pays soucieux de préserver sa souveraineté législative en matière d’éthique de la recherche biomédicale sans transgresser le cadre imposé par les règles du commerce multilatéral? Un début de solution pourrait se trouver dans le GATT lui-même, dont le paragraphe XXa) prévoit la possibilité pour un État de se soustraire à certaines de ses obligations au titre de cet instrument, à la condition que la mesure en cause soit « nécessaire à la protection de la moralité publique ». La possibilité que cette disposition, appelée « exception de moralité publique », serve de porte d’entrée de la bioéthique dans la sphère des échanges commerciaux multilatéraux est très intéressante, tout en restant pour l'heure théorique, car cette disposition n’a été que rarement invoquée et la jurisprudence à cet égard reste encore nébuleuse. Il nous a donc semblé pertinent d’explorer cette avenue.

Par ailleurs, dans un domaine juridique à certains égards connexe mais distinct, celui du droit européen des brevets, cette notion de protection de la moralité publique apparaît dans un autre instrument juridique multilatéral, la Convention sur la délivrance de brevets

européens, dont l'article 53a) prévoit une exception à la règle générale de la brevetabilité

dans le cas d'une invention « dont la publication ou la mise en œuvre serait contraire à l'ordre public ou aux bonnes mœurs ». Contrairement à l'exception de moralité publique prévue par le GATT, cette disposition a été invoquée à plusieurs reprises au cours des dernières années, en particulier à propos de la recherche sur les cellules souches, et fait

55 Infra, note 60.

(23)

l'objet d'une jurisprudence relativement fournie de la part des différentes instances de l'Office européen des brevets qui met en lumière les difficultés posées par son application. Dans le cadre de la présente recherche, nous poserons la question suivante : existe-t-il des mécanismes juridiques qui permettraient aux États de faire prévaloir leurs valeurs morales à l’étape de la commercialisation transfrontière des produits issus de la biotechnologie? Pour répondre à cette question, nous nous demanderons dans un premier temps si l'exception de moralité publique prévue au paragraphe XXa) du GATT est une avenue envisageable pour réguler le commerce international des inventions biotechnologiques assujetties à des prescriptions nationales d’ordre éthique. En second lieu, puisque l’obtention d’un brevet s’inscrit très souvent dans la stratégie de commercialisation internationale de telles inventions, nous nous pencherons sur l'interprétation qui a été donnée de la notion de bonnes mœurs dans l'article 53 a) de la Convention sur la délivrance de brevets européens. La jurisprudence à laquelle cet article a donné lieu présente en effet un grand intérêt dans le cadre de la présente recherche, car elle permet d’analyser la démarche suivie par un juge pour appliquer dans une situation concrète une disposition juridique dans laquelle doivent être prises en considération des valeurs morales. Aux fins de notre analyse, nous nous proposons de procéder en trois étapes.

Pour mieux cerner le sens à donner à la notion de moralité publique dans l'article XX du GATT, il nous a semblé important de déterminer en premier lieu dans quelles circonstances cette disposition est apparue en droit international économique et quelle était sa fonction dans l'esprit de ses négociateurs. Pour ce faire, nous avons donc opté pour une approche historique, une voie peu fréquentée en droit international économique, alors qu’elle présente l'avantage de permettre une distanciation objective, en particulier lorsque la jurisprudence à ce sujet est rare et imprécise, comme c’est le cas en l'espèce. Dans la Première Partie, nous allons donc pousser l'analyse historique plus loin que ce qui a été fait par d’autres auparavant, afin de remonter aux sources juridiques de l'article XX du GATT, qui ne sont pas les mêmes que celles des autres dispositions de cet accord, et de suivre l'évolution de cette disposition au fil des différents traités de commerce bilatéraux et multilatéraux qui jalonnent son histoire, afin de mieux caractériser sa nature, sa raison d’être et l'intention originelle des parties quant à son interprétation. Il convient de souligner

(24)

que cette première partie de l'étude a une portée générale, puisqu’elle concerne l'intégralité de l'article XX du GATT, et non pas simplement son paragraphe a). Les conclusions de cette analyse sont donc valables pour tous les cas d’application de la clause des exceptions générales.

Par la suite, dans la Deuxième Partie, nous nous intéresserons à la notion de moralité publique telle qu’elle a été reçue en droit positif, c’est-à-dire au sein de la procédure de règlement des différends du GATT. Nous présenterons d’abord le cadre juridique dans lequel s’effectue l'interprétation des dispositions des accords de l’OMC, qui se situe à deux niveaux, celui du régime procédural et institutionnel applicable au traitement des différends commerciaux au sein de l'OMC, et celui des règles générales d’interprétation des traités internationaux. Nous verrons ensuite comment les instances de l'OMC ont appliqué les règles générales d’interprétation susmentionnées en relation avec l'application de l'article XX du GATT, en particulier en ce qui concerne l'importance accordée aux sources historiques des dispositions. Finalement, nous passerons au peigne fin les rapports des instances de l'OMC concernant le seul différend dans lesquels a été examinée au fond l'exception de moralité publique, en nous attachant à analyser de manière critique la démarche adoptée par les juges pour définir et interpréter cette notion.

Dans la Troisième Partie, afin de jeter un éclairage plus concret sur les critères d’appréciation de l’acceptabilité morale d’une invention biotechnologique, nous nous tournerons vers le droit des brevets européen, où l’analyse d’une notion voisine, les bonnes mœurs, s’est retrouvée au cœur de plusieurs décisions récentes. Dans un premier temps, nous allons brosser à grands traits le cadre normatif dans lequel s’inscrit la disposition prévoyant une exception à la règle de brevetabilité pour atteinte aux bonnes mœurs, en nous intéressant à la place qu’elle occupe à la fois dans le droit national de certains États et dans le droit régional défini par la Convention sur la délivrance de brevets européens. Dans les deux chapitres suivants, nous nous pencherons sur l'interprétation donnée à la notion de bonnes mœurs dans la jurisprudence élaborée par les différents paliers de recours de l'Office européen des brevets, en nous arrêtant plus particulièrement aux critères retenus pour la définir et au champ d’application de celle-ci dans les décisions portant sur certaines « inventions biotechnologiques », dont les animaux et les végétaux transgéniques et les

(25)

lignées de cellules souches embryonnaires humaines. Ce faisant, nous ferons également ressortir les difficultés d'interprétation auxquelles ont été confrontées les instances décisionnelles dans cet exercice nécessairement subjectif.

Quelques précisions d’ordre méthodologique s’imposent en ce qui concerne les limites fixées pour notre champ de recherche. Dans la jurisprudence sur laquelle nous allons nous pencher, les notions de bonnes mœurs en droit européen des brevets et de moralité publique en droit international économique ne constituent qu’un volet de l'examen effectué par les juges. Ainsi, la notion de bonnes mœurs en droit européen des brevets est abordée dans des décisions portant sur la brevetabilité d'une invention scientifique, une question qui sous-entend en général l'analyse d'autres conditions non pertinentes dans le cadre de notre étude (p. ex. nouveauté, aspect inventif, application industrielle). De même, dans l'analyse de l'applicabilité du paragraphe XXa) du GATT à laquelle procèdent les instances de l'Organisation mondiale du commerce chargées du règlement des différends, la notion de

moralité publique n’est qu’un aspect parmi plusieurs autres conditions d'application de

l'article XX (p. ex. nécessité, mesure de rechange la moins incompatible, proportionnalité). Dans l'un et l'autre cas, nous entendons donc isoler de façon « chirurgicale » tous les critères objectifs pertinents pour l'appréhension de la notion, en apportant bien entendu les nuances qui s’imposent au sujet de leur contexte, sans débattre des conditions générales d'application du texte normatif visé. Pour les mêmes raisons, nous laisserons de côté, dans la jurisprudence, tout ce qui concerne la notion d’ordre public, qui figure également dans les deux dispositions, car elle déborde le cadre de notre étude.

(26)

PREMIÈRE PARTIE : LES ORIGINES DE LA CLAUSE DES

EXCEPTIONS GÉNÉRALES DU GATT

Avant-propos

Signé en 1947 par 23 États, le GATT57 est le premier accord multilatéral sur le commerce des marchandises prévoyant à la fois un ensemble de concessions tarifaires et certaines règles définissant les modalités des échanges commerciaux entre les parties contractantes destinées à protéger la valeur de ces concessions. Pendant près de cinquante ans, c’est le seul instrument multilatéral régissant le commerce mondial des marchandises, qui fait également office d’entité structurante à cet égard58. En 1994, plusieurs cycles de négociations sur les relations commerciales multilatérales tenues sous les auspices du GATT, dont le dernier est le Cycle d’Uruguay, débouchent sur la plus vaste réforme de l’ordre économique mondial jamais réalisée, concrétisée par la fondation d’une nouvelle organisation internationale dotée de pouvoirs juridiquement contraignants, l’OMC, et par l’adoption d’un certain nombre d’accords, outre le GATT de 1994 qui est la continuation du GATT de 1947, visant toutes les sphères des échanges commerciaux, notamment les services, avec l’Accord général sur le commerce des services59.

Outre les engagements à l’égard des droits de douane60, les principales obligations de fond au titre du GATT, qui visent à instaurer une concurrence loyale, transparente et non discriminatoire dans le commerce international des marchandises, sont au nombre de trois. Tout d’abord, aux termes du principe du traitement de la nation la plus favorisée61, qui constitue la pierre d’assise du régime multilatéral, un Membre ne peut établir de discrimination entre ses différents partenaires commerciaux; autrement dit, chaque État doit accorder automatiquement les mêmes avantages aux produits similaires originaires ou à destination de tous les autres Membres de l'OMC. Deuxièmement, aux termes du principe

57 Infra, note 72.

58 OMC, Comprendre l’OMC : Éléments essentiels, en ligne :

http://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact4_f.htm#GATT.

59 Infra, note 237.

60 Relatifs à l’abaissement des droits de douane (GATT, art. XXVIIIbis). 61 GATT, art. I.

(27)

du traitement national62, chaque Membre doit accorder une égalité de traitement à ses produits nationaux et aux produits similaires étrangers (importés), une fois que ces derniers ont été admis sur son marché intérieur. Enfin, le GATT proscrit les restrictions quantitatives, et notamment les prohibitions, à l’importation et à l’exportation63.

Si contraignant qu’il soit, le GATT prévoit cependant un mécanisme permettant aux Membres de se soustraire aux obligations susmentionnées dans certains cas particuliers, mis en œuvre dans son article XX, dont le libellé est le suivant64 :

Article XX

Exceptions générales

Sous réserve que ces mesures ne soient pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international, rien dans le présent Accord ne sera interprété comme empêchant l'adoption ou l'application par toute partie contractante des mesures

a) nécessaires à la protection de la moralité publique;

b) nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux;

c) se rapportant à l'importation ou à l'exportation de l'or ou de l'argent; d) nécessaires pour assurer le respect des lois et règlements qui ne sont pas incompatibles avec les dispositions du présent Accord, tels que, par exemple, les lois et règlements qui ont trait à l'application des mesures douanières, au maintien en vigueur des monopoles administrés conformément au paragraphe 4 de l'article II et à l'article XVII, à la protection des brevets, marques de fabrique et droits d'auteur et de reproduction et aux mesures propres à empêcher les pratiques de nature à induire en erreur;

e) se rapportant aux articles fabriqués dans les prisons;

f) imposées pour la protection de trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique;

62 Ibid., article III. 63 Ibid., article XI.

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