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Chapitre II – La notion de bonnes mœurs selon l’OEB : analyse de la jurisprudence

III.2 L’affaire Utilisation d’embryons/WARF : la décision de la GCR

Dans l’affaire Cellules souches/WARF que nous venons de présenter, la CRT avait soumis à la GCR un certain nombre de questions de droit. Nous nous limiterons ici à commenter l’examen par cette dernière instance de la question 2, la seule qui soit pertinente pour notre recherche car elle porte sur l’interprétation à donner à la règle 23quinquies c) de la CBE et, plus précisément, sur la question de savoir si cette disposition interdit la délivrance de brevets fondés sur des revendications portant sur des cultures de cellules souches embryonnaires humaines qui « ne pouvaient être obtenues qu’à l’aide d’une méthode impliquant nécessairement la destruction des embryons humains à l’origine desdits produits, si ladite méthode ne fait pas partie des revendications427 »

424 Affaire T 1374/04 Cellules souches/WARF, décision rendue le 7 avril 2006, J.O. O.E.B. 2007, p. 313.

425 Affaire G 2/06 Utilisation d’embryons/WARF, décision rendue le 25 novembre 2008, J.O. O.E.B. 2009, p. 306,

point III de l’exposé des faits et conclusions

426 Ibid., point IV de l’exposé des faits et conclusions 427 Ibid., point I.2 de l’exposé des faits et conclusions.

Dans son survol préliminaire de l’historique de l’affaire, la GCR rappelle le motif à la base du rejet de la demande de brevet par la Division d’examen que nous venons de citer428. L’inventeur fait valoir que l’approche appropriée pour appliquer la règle 23quinquies c) est de « déterminer le monopole revendiqué et de se demander s’il englobe l’utilisation d’embryons à des fins industrielles ou commerciales429 » et qu’il y a lieu de distinguer une revendication portant sur une cellule souche embryonnaire et un monopole portant sur « l’utilisation d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales », qui sous- entend la commercialisation de tels embryons. Il allègue également que si la Directive avait été censée exclure de la brevetabilité les « produits dérivés d’embryons humains », elle l’aurait fait de manière explicite, ce qui n’est pas le cas en l’espèce430.

Dans un premier temps, la GCR se penche sur les travaux préparatoires de l’article 6(2) de la Directive 98/44, puisque la règle 23quinquies a été introduite pour assurer l’alignement de la CBE sur les dispositions de ce texte, afin de déterminer ce qu’il faut entendre par « utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ». Tout en reconnaissant que ladite directive n’est pas un traité, elle annonce son intention d’appliquer les règles générales énoncées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités, c’est-à- dire d’examiner « le sens ordinaire à attribuer aux termes d’une disposition dans son contexte et à la lumière de son objet et de son but, en incluant les documents préparatoires431 ».

La GCR rappelle qu’aucune interdiction spécifique concernant les embryons humains ne figurait dans les premières versions de la Directive et qu’il était proposé « d’exclure spécifiquement l’embryon humain de la brevetabilité ». Dans la proposition modifiée de directive proposée à la Commission en 1997, on retrouve à l’article 6(2)c) la formulation « les méthodes dans le cadre desquelles des embryons humains sont utilisés432 », laquelle sera remplacée dans la version finale par « les utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ».

428 Supra, note 423.

429 G 2/06, op. cit., note 425, point VI de l’exposé des faits et conclusions, sous « Questions 2 et 3 ». 430 Ibid.

431 Ibid., point 16 de l’exposé des motifs de la décision. On remarquera qu’il s’agit d’une interprétation très libre des

règles générales d’interprétation de la Convention de Vienne.

Selon la GCR, cette disposition est « simple » et « interdit de breveter une invention lorsqu’un embryon humain est utilisé à des fins industrielles et commerciales433 ». La GCR cite ensuite une décision du Bundespatengericht (Tribunal fédéral des brevets allemand) pour affirmer que cette interprétation de l’article 6(2)c) de la Directive reflète la volonté du législateur d’empêcher le détournement de l’embryon humain à des fins mercantiles, en ne précisant pas vraiment à quel législateur, européen ou allemand, elle fait allusion, et qu’elle est également conforme à l’un des objectifs de la Directive, la protection de la dignité humaine. Elle invoque ensuite, à l’appui de ses affirmations, la politique sélective de l’UE en matière de financement de la recherche sur les cellules souches, qui ne finance que les étapes postérieures à celle du prélèvement des cellules embryonnaires humaines434. Ainsi se termine l’analyse de la GCR selon les règles de la Convention de Vienne.

La GCR répond ensuite à l’argument du requérant selon lequel le terme « embryon » devait être compris dans son acception en usage dans le milieu médical, c’est-à-dire celle de l’œuf fécondé depuis 14 jours ou plus. Elle affirme que dans le cas de la Directive et de la CBE, le législateur n’a pas jugé utile de définir le terme « embryon » et que ce choix délibéré a été fait en connaissance de cause, puisque plusieurs États membres en ont donné une définition législative. Constatant que l’objectif de la directive est la protection de la dignité humaine et la prévention de la commercialisation d’embryons, elle ne peut que conclure que ce terme ne doit pas être compris dans un sens restrictif435.

Vient ensuite la réfutation de l’argument du requérant selon lequel l’exclusion de la brevetabilité ne joue que si l’utilisation d’embryons humains est revendiquée. La GCR affirme de but en blanc que « cette règle ne se réfère pas aux "revendications", mais à une "invention" dans le contexte de son exploitation », sans préciser la distinction qu’elle souhaite introduire. Compte tenu du fait qu’avant d’utiliser les cellules souches, il faut les produire, fait-elle valoir, et comme on ne peut « mettre en œuvre l’invention en vue d’obtenir des cultures de souches embryonnaires humaines » qu’en détruisant des embryons humains, l’invention tombe sous le coup de l’exclusion prévue à la règle 28c) (ou 6(2)c)).

433 Ibid., point 18 de l’exposé des motifs. À notre avis, cette formulation très floue ne correspond pas à celle de la

disposition, qui interdit de breveter les utilisations d’embryons humains, ce qui est très différent et beaucoup plus précis.

434 Ibid.

En effet, affirme-t-elle sans motiver aucunement cette déclaration, l’examen ne doit pas se limiter au libellé explicite des revendications, mais doit porter sur l’ensemble de l’ « enseignement technique » qui permet la mise en œuvre de l’invention436.

En qui concerne l’interprétation à donner à l’expression « à des fins industrielles ou commerciales », la GCR commence par réaffirmer que tout produit nouveau revendiqué doit d’abord être obtenu, et ajoute que « l’obtention du produit revendiqué constitue une exploitation commerciale ou industrielle de l’invention, même s’il est envisagé d’utiliser le produit dans de nouvelles recherches ». Or, comme le produit revendiqué ne peut être obtenu que par la destruction d’embryons humains, celle-ci est donc « partie intégrante de l’exploitation industrielle ou commerciale de l’invention revendiquée »437.

Le dernier argument du requérant est que si la règle 23quinquies c) était interprétée comme excluant les inventions semblables à celle revendiquée en l’espèce, son champ d’application déborderait celui de l’article 53 a) CBE et elle serait donc ultra vires. À cela, la GCR répond qu’elle ne partage pas cette opinion en faisant valoir qu’elle a déjà expliqué pourquoi elle est d’avis que la réalisation ou l’obtention de l’invention fait partie intégrante de son exploitation commerciale et, par conséquent, du champ d’application de l’article 53 a)438.