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Chapitre I – Le cadre d’interprétation du paragraphe XXa) du GATT

I.1 Le cadre procédural et institutionnel régissant le règlement des différends

I.1.4 Les effets juridiques des rapports des groupes spéciaux et de l'Organe

La question de savoir si les rapports des groupes spéciaux et de l'Organe d’appel exercent des effets juridiques sur les différends de même nature portés ultérieurement devant l'OMC suscite toujours de nombreux débats. En théorie, l’OMC affirme ne pas appliquer la règle du stare decisis191 en faisant valoir que puisque tout différend porte sur un problème concret qui oppose au moins deux Membres de l'OMC et que le rapport du groupe spécial ou de l'Organe d’appel concerne uniquement la résolution de celui-ci, il ne lie que ces dernières et n’exerce que des effets inter partes. Par conséquent, même s’ils ont été adoptés, les rapports des groupes spéciaux et de l'Organe d’appel ne peuvent avoir force de précédent pour une question différente opposant les mêmes parties, ou pour la même question opposant des parties différentes192. Plusieurs nuances doivent cependant être apportées à cette position théorique, à la lumière précisément de la jurisprudence de l'Organe d’appel.

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Ibid., art. 17.6.

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Ibid., art. 17.13. Cette règle du consensus inversé est une nouveauté procédurale introduite par le Mémorandum

d’accord.

191 La règle du stare decisis, une expression latine qui signifie « s'en tenir à ce qui a été décidé », également appelée

« doctrine du précédent », est un des piliers de la common law qui distinguent cet ordre juridique du droit civil. Selon cette règle, lorsqu’une cour de justice a résolu un litige en suivant un certain raisonnement juridique, elle doit trancher tout litige similaire ultérieur de la même manière; autrement dit, elle est liée par ses propres décisions. Dans les faits, cette règle connaît de nombreuses exceptions et son application est d’une extrême complexité.

192

Voir notamment ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Module de formation au système de règlement des

différends, Chapitre 7, section 7.2.

En effet, même si la règle du stare decisis n’est pas appliquée en droit économique international, ce qui est compréhensible compte tenu de ses sources193, certaines règles assurent cependant la cohérence et la stabilité du système de l’OMC. Ainsi, même si le rapport d’un groupe spécial n’a pas à proprement parler force de précédent, il doit être pris en considération dans l'examen d’une question de droit similaire dans un autre différend. En effet, comme l'a souligné l'Organe d’appel dans l'affaire Japon – Boissons alcoolique II, « les rapports de groupes spéciaux adoptés […] suscitent chez les Membres de l'OMC des attentes légitimes et devraient donc être pris en compte lorsqu’ils ont un rapport avec un autre différend194. » Ce principe s’applique également aux rapports de l'Organe d’appel adoptés, mais de manière plus contraignante que dans le cas des rapports des groupes spéciaux. En effet, selon cette instance, « Suivre les conclusions de l'Organe d’appel dans des différends précédents n’est pas seulement approprié, mais c’est ce que l'on attend des groupes spéciaux, en particulier dans les cas où les questions sont les mêmes »195. Le groupe spécial doit donc prendre en considération les interprétations du droit qui ont été faites avant lui sur la même question par d’autres groupes spéciaux, mais suivre les conclusions de l'Organe d’appel dans les différends antérieurs. Dans le premier cas, il dispose donc d’une certaine marge de manœuvre et n’est pas « li[é] juridiquement par les détails ni par le raisonnement figurant dans le rapport d’un groupe spécial antérieur196 ». Dans le deuxième cas, sa latitude par rapport aux conclusions de l'Organe d’appel est moindre. Toutefois, « un groupe spécial n’est pas tenu de suivre les précédents rapports de l'Organe d’appel, même si ces derniers donnent une certaine interprétation des dispositions mêmes qu’il est chargé d’examiner », s’il ne juge pas « convaincant le raisonnement avancé dans un rapport antérieur pour étayer l'interprétation d’une règle de l'OMC197 ». Cette

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La règle du stare decisis existe en common law parce que, dans ce système, la décision judiciaire est seule source de droit. Cette règle est le ciment obligé d’un ordre juridique pour l'essentiel non codifié dont elle assure la prévisibilité et la stabilité. Cette doctrine coexistant difficilement avec un ordre juridique fondé sur l'écrit, il est normal qu’elle ne s’applique pas aux instances de l'OMC. Soulignons également qu’elle ne s’applique qu’aux tribunaux inférieurs par rapport aux instances de rang plus élevé dans la hiérarchie judiciaire. De fait, les cours siégeant en appel s’octroient généralement une certaine marge de manœuvre par rapp ort à leurs propres décisions antérieures.

194 Japon – Taxes sur les boissons alcooliques, rapport de l'Organe d’appel, WT/DS8/AB/R, WT/DS10/AB/R,

WT/DS11/AB/R, adopté le 1er novembre 1996, p. 17.

195 États-Unis – Réexamens à l'extinction des mesures antidumping visant les produits tubulaires pour champs pétrolifères en provenance d'Argentine, rapport de l’Organe d’appel, WT/DS268/AB/R, adopté le 29 novembre 2004,

para. 188.

196 Voir en particulier ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE, Module de formation au système de règlement des différends, Section 7.2, Le statut juridique des rapports adoptés/non adoptés dans d’autres différends. En ligne :

http://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/disp_settlement_cbt_f/c7s2p1_f.htm

éventualité constitue plutôt l'exception que la règle, et le groupe spécial aura tout intérêt à bien motiver son choix de s’écarter de la position de l'Organe d’appel. De fait, dans un rapport récent, ce dernier critique sévèrement le groupe spécial en soulignant ce qui suit :

Nous sommes profondément préoccupés par la décision du groupe spécial de s’écarter de la jurisprudence bien établie de l’Organe d’appel qui clarifie l'interprétation des mêmes points de droit. L’approche choisie par le groupe spécial a des répercussions graves sur le bon fonctionnement du système de règlement des différends de l'OMC […]198.

Dans ce même rapport, l'Organe d’appel précise en ces termes la fonction de la règle du précédent dans le système de règlement des différends de l'OMC :

Assurer "la sécurité et la prévisibilité" du système de règlement des différends, comme il est prévu à l'article 3:2 du Mémorandum d’accord, suppose que, en l'absence de raisons impérieuses, un organisme juridictionnel tranchera la même question juridique de la même façon dans une affaire ultérieure199.

Ce faisant, l'Organe d’appel apporte certaines nuances découlant de ses fonctions. Il explique que « dans la structure hiérarchique prévue par le Mémorandum, les groupes spéciaux et l'Organe d’appel ont des rôles distincts à jouer ». Contrairement aux groupes spéciaux, comme nous l'avons vu plus haut, l’Organe d’appel est une instance permanente. Cette permanence a été souhaitée pour permettre à l'Organe d’appel d’être garant de l'uniformité et de la stabilité de l'interprétation des droits et obligations des Membres au titre des accords visés, c’est-à-dire de « la constitution d’une jurisprudence cohérente et prévisible », deux attributs essentiels pour atteindre les buts du Mémorandum d’accord. Ce faisant, les clarifications apportées par l'Organe d’appel ont une portée générale, qui ne se limite pas à « l’application d’une disposition particulière dans une affaire donnée »200. En résumé, en l'état actuel de la jurisprudence de l'OMC, on peut donc raisonnablement s’attendre à ce que l'interprétation d’un point de droit donnée par un groupe spécial et les

198 États-Unis – Mesures anti-dumping finales visant l’acier inoxydable en provenance du Mexique, rapport de l'Organe

d’appel WT/DS344/AB/R, adopté le 30 avril 2008, para. 162.

199 Ibid., para. 160. 200 Ibid., para. 161.

clarifications apportées par l'Organe d’appel soient suivies par les groupes spéciaux ultérieurs, sauf en présence de raisons impérieuses à l'effet contraire.

I.2 Le cadre général d’interprétation : la Convention de Vienne sur le