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Chapitre I – La notion de bonnes mœurs en droit des brevets : le cadre normatif

I.1 Le brevet d’invention : nature, raison d’être et principales caractéristiques

Un brevet est un titre délivré par une autorité nationale ou internationale, qui a pour objet de décrire et de revendiquer une invention et pour effet de conférer à son titulaire un droit exclusif et temporaire d’exploitation de celle-ci311. Le monopole ainsi conféré constituant une atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie et au principe de libre concurrence, les droits afférents au brevet sont limités dans le temps (20 ans dans la plupart des cas) et le titulaire est assujetti en contrepartie à plusieurs obligations, dont les principales sont de porter l’invention à la connaissance du public par sa publication par l’office des brevets compétent, de payer des redevances annuelles et d’exploiter ou de faire exploiter son invention sous peine de sanctions (licences obligatoires, etc.)312. Par ailleurs, contrairement à l’auteur, l’inventeur ne jouit pas d’un droit sur son invention du seul fait de sa création et doit demander le titre en question à l’autorité compétente et remplir toutes les conditions pour l’obtenir.

Le régime des brevets est la solution de compromis la plus satisfaisante qu’ait trouvée notre société occidentale pour concilier l’encouragement sur le plan économique de l’innovation

311 Voir notamment D. GERVAIS, Droit de la propriété intellectuelle, Cowansville, Yvon Blais, 2006, p. 337 et suiv. B.

REMICHE et V. CASSIERS, Droit des brevets d’invention et du savoir-faire : Créer, protéger et partager les inventions au

XXIe siècle, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 12. Il s’agit d’une définition universelle du brevet.

dans les domaines techniques et le droit à l’information du public. Il trouve sa source dans les principes fondamentaux de la protection des droits de propriété intellectuelle, que l’Organisation de coopération et de développement économiques résumait en ces termes :

Le principe essentiel qui sous-tend toutes les formes de droits de la propriété intellectuelle est le fait qu’elles reconnaissent et récompensent le travail des inventeurs, concepteurs et auteurs, la société estimant en effet que la promotion des arts utilitaires et culturels ne peut que lui être profitable. Cette reconnaissance est concrétisée par l’octroi d’un certain degré de protection juridique, durant une période déterminée, contre l’utilisation et la reproduction non autorisées par d’autres personnes de l’invention, du dessin ou modèle, ou du travail jouissant d’une protection313.

Ce monopole ne donne pas à proprement parler à son titulaire le droit d’exploiter l’invention, puisque celui-ci reste assujetti à toutes les lois et à tous les règlements en vigueur dans l’État concerné, mais lui confère plutôt un jus prohibendi, en vertu duquel il lui est loisible d’interdire à un tiers de fabriquer, d’utiliser, de vendre ou d’importer l’invention pendant la durée de la protection314, à l’échéance de laquelle l’invention tombe dans le domaine public et peut être utilisée librement315.

Aujourd’hui, le brevet s’inscrit dans un contexte nouveau. À la faveur de la mondialisation des échanges commerciaux, de la place prépondérante occupée à présent par les nouvelles technologies et de l’extension du champ de la brevetabilité, son statut est passé de simple monopole d’exploitation exercé par un particulier à celui d’outil stratégique de premier ordre pour les entreprises, en particulier dans des secteurs comme les nouvelles technologies de l’information et des communications et les biotechnologies. C’est en effet aujourd’hui un élément important de l’actif immatériel des sociétés, qui peut faire l’objet de transactions d’un montant phénoménal et, également, entraver l’innovation et donner lieu à

313 OCDE, Inventions génétiques, droits de propriété intellctuelle et pratiques d’octroi de licences : éléments d’information et politiques, Paris, 2002, en ligne : http://www.oecd.org/pdf/M00038000/M00038463.pdf

314 Voir par exemple l’art. 42 de la Loi sur les brevets du Canada (L.R.C. (1985), ch. P-4) qui prévoit qu’un brevet confère

à son titulaire « le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent ».

315 Ce régime ne date pas d’hier puisque dès 1471, une loi de la République de Venise, la Parte Veneziana, consacre

l’octroi aux inventeurs de « privilèges » d’une durée de dix ans. On retrouve déjà dans ce texte les quatre piliers du régime actuel des brevets, à savoir l’utilité de l’invention pour la société, l’encouragement de l’activité inventive, l’amortissement des frais encourus par l’inventeur pour la mise au point de l’invention et la reconnaissance du lien entre l’inventeur et sa création. On y retrouve également les mêmes critères de brevetabilité qu’aujourd’hui : nouveauté, activité inventive et capacité d’utilisation opérationnelle. Voir plus précisément à ce sujet S. LAPOINTE, L’histoire des brevets, en ligne :

des pratiques anticoncurrentielles par le phénomène des « enchevêtrements de brevets » (patent thickets) et le jeu des « chasseurs de brevets » (patent trolls)316. C’est donc dire l’importance des répercussions que peut avoir la décision d’un office des brevets d’accepter ou de rejeter une demande.

Une caractéristique importante du brevet, en particulier pour notre recherche, est sa portée territoriale : un brevet est délivré par l’office des brevets d’un État et n’exerce ses effets qu’à l’intérieur des frontières de celui-ci317. En vertu du principe de territorialité, la demande de brevet doit être déposée auprès de l’office des brevets de chaque État dans lequel l’inventeur souhaite protéger son invention et jouir du monopole. Or, le droit des brevets, même s’il repose sur des principes fondamentaux communs, présente cependant certaines différences d’un pays à l’autre. Dans un contexte de libéralisation des échanges commerciaux et de libre circulation des biens et des services, il est de plus en plus nécessaire de créer un cadre conventionnel permettant l’harmonisation du droit des brevets et, partant, favorisant une meilleure protection des inventions à l’échelle internationale. Tel est l’objectif poursuivi, à l’échelle de l’Europe, par la Convention sur le brevet européen, que nous allons étudier dans la prochaine section.