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Chapitre II – La notion de bonnes mœurs selon l’OEB : analyse de la jurisprudence

III.3 Les questionnements soulevés par la décision G 2/06

III.3.1 Une nouvelle définition de l’invention non liée aux revendications?

Un des aspects les plus étonnants de la décision G 2/06 est la nouvelle « définition » de l’invention indépendante des revendications qu’y adopte la GCR. En effet, celle-ci affirme que la règle contestée « ne se réfère pas aux "revendications", mais à une invention dans le contexte de son exploitation » et ajoute que l’examen ne doit pas se limiter au libellé explicite des revendications, mais doit porter sur l’ensemble de l’ « enseignement technique » qui permet la mise en œuvre de l’invention439, contrevenant ainsi à certaines dispositions de la CBE et à un principe fondamental du droit des brevets, comme nous allons le voir ci-après.

En premier lieu, il est antinomique de mettre en opposition les revendications et l’invention dans l’examen au titre de l’article 53 a) CBE ou de l’une de ses règles d’interprétation. Rappelons tout d’abord que la règle 23quinquies c) invoquée en l’espèce prévoit que « les brevets européens ne sont pas délivrés […] pour les inventions qui ont pour objet des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales ». Or, une invention ne peut être définie que par un ensemble de revendications. En effet, les revendications servent à définir « l’objet de la protection demandée », c’est-à-dire l’invention à proprement parler, aux termes de l’article 84 CBE, ainsi que « l’étendue de la protection conférée par le brevet ou la demande de brevet » aux termes de l’article 69(1) CBE. La Loi sur les brevets440 du Canada est un peu plus explicite au sujet du lien direct entre invention et revendications, puisqu’elle prévoit, au paragraphe 27(4), que « [l]e mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif. » De même, la règle 43(1) CBE prévoit que les revendications « doivent définir, en indiquant les caractéristiques techniques de l'invention, l'objet de la demande pour lequel la protection est recherchée ». On voit donc que les revendications ont pour principale fonction de définir l’étendue de la protection à accorder à l’inventeur pendant une période déterminée et, par conséquent, les droits conférés à celui-ci pour une invention donnée. Il s’agit là d’un principe fondamental

et universel du droit des brevets qui n’avait jamais été remis en cause jusqu’à présent. Il découle logiquement de ce principe que l’examen auquel procèdent les instances de l’OEB dans le cadre de la présentation d’une demande de brevet est circonscrit par les revendications contenues dans la demande et que l’article 53 a) CBE vise également l’invention telle qu’elle est examinée par l'OEB. Or, la GCR allègue qu’il faut aller plus loin que l’examen du libellé des revendications lorsqu’on applique l’article 53 a) et prendre en considération les autres étapes ou méthodes qui ne font pas partie de la demande de brevet et pour lesquelles il n’est pas demandé de protection, mais qui ont servi à la fabrication de l’invention, qu’elle assimile à la mise en œuvre de celle-ci441.

Avant de poursuivre, il convient de préciser que l’étape particulière à laquelle fait référence la GCR lorsqu’elle souhaite étendre son examen au-delà des revendications concerne l’obtention des cellules souches, qui passe nécessairement par la destruction d’embryons préimplantatoires humains surnuméraires. Cependant, il n’est pas contesté que la méthode permettant d’obtenir un tel résultat, loin de faire partie des revendications, avait déjà fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique signée par plusieurs auteurs, dont le requérant442, avant la demande de brevet et qu’elle appartient donc au domaine public. Elle ne pouvait donc faire partie des revendications car dans un tel cas, la demande aurait été rejetée pour cause de non-nouveauté443 et de non-inventivité444. Or, affirme l’OEB, un « principe général du droit veut que l’étendue du monopole conféré par le brevet, telle que définie par les revendications, corresponde à l’apport technique de l’invention445. ». Pour ces raisons, la méthode utilisée lors de cette étape et non revendiquée ne fait pas partie de l’apport technique de l’invention revendiquée et ne peut donc être incluse dans ce que la GCR appelle à tort l’enseignement technique de la demande. Sa prise en considération dans l’examen au titre de l’article 53 a) ne reposait donc sur aucun fondement juridique. De fait,

440Loi sur les brevets (L.R.C. (1985), ch. P-4)

441 G 2/06, op. cit., note 425, point 22 de l’exposé des motifs de la décision. Ce que la GCR appelle à tort l’enseignement

technique de la demande dans son ensemble, puisque la phase de préparation des cellules souches embryonnaires, et de destruction des embryons, ne fait pas partie des revendications, et n’est donc pas incluse dans l’enseignement technique de la demande. Nous reviendrons dans la section suivante à la définition de la « mise en œuvre » d’une invention.

442 T 1374/04, op. cit., note 424, point 13 de l’exposé des motifs.

443 Voir l’article 54 CBE (Nouveauté), et plus particulièrement les paragraphes (1) et (2), qui prévoient que pour être

considérée comme nouvelle, une invention ne doit pas avoir été rendue accessible au public avant la date de dép ôt de la demande, par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.

444 Voir l’article 56 CBE (Activité inventive).

445 OEB, La jurisprudence des chambres de recours de l’Office européen des brevets, p. 294, en ligne : www.epo.org/law-

comme nous le démontrerons dans la prochaine section, même si l’étape prévoyant la destruction d’embryons humains avait pu être incluse dans les revendications, selon la ligne jurisprudentielle constante qui prévalait avant la présente affaire, il n’y aurait pas eu lieu d’en tenir compte dans l’évaluation de la brevetabilité de l’invention au titre de cette disposition.

Cette nouvelle position de la GCR va également à l’encontre d’une jurisprudence constante des instances de l’OEB, dans la lignée des dispositions et des principes de droit que nous venons d’évoquer, où jamais n’ont été prises en considération des étapes externes aux revendications dans l’examen de la brevetabilité d’une invention. À titre d’exemple, il est intéressant de souligner que dans l’affaire Gene Trap/ARTEMIS, la CRT affirmait, au sujet de la descendance des souris transgéniques visées par la demande de brevet : « toutefois, ces souris "subséquentes" ne sont pas revendiquées et, par conséquent, ne font pas partie de l’invention et se situent à l’extérieur du pouvoir d’investigation de la Chambre446 » [Notre traduction]. Cette affirmation on ne peut plus claire est totalement irréconciliable avec la position de la GCR en l’espèce selon laquelle le pouvoir d’investigation de cette dernière est sans limite dans la mesure où il pourrait être question d’une utilisation d’embryons humains non revendiquée.

Le non-respect par la GCR du principe fondamental du droit des brevets que nous venons d’exposer et des dispositions de la CBE qui le consacrent est préoccupant à plusieurs égards. Si les revendications ne sont plus suffisantes pour protéger une invention, quelles sont alors les limites de l’examen d’une demande de brevet? Et qui les détermine? L’incursion de l’arbitraire à l’intérieur d’un ordre juridique hautement technique ne peut avoir pour effet que de fragiliser, voire bafouer la protection que le brevet est censé procurer à l’inventeur et les droits de ce dernier.