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La question de la participation

DANS UNE PERSPECTIVE DE PRÉVENTION SOCIALE

UNE DYNAMIQUE DE PRÉVENTION ET DE PROMOTION

2. FACTEURS PSYCHOSOCIAUX LIÉS À LA VITALITÉ DES GROUPES COMMUNAUTAIRES D'ENTRAIDE

2.1. La question de la participation

La vitalité des organismes d'entraide est étroitement associée à la participation des membres aux activités de l'organisme. Il faut donc jeter un coup d'oeil attentif non seulement au cadre d'activité proposé par les cuisines collectives, mais encore à ce qui explique la participation des membres et à ce qui crée des échanges fructueux entre eux. Plusieurs milieux ont rapporté que la participation soutenue aux cuisines collectives constituait un défi de taille. En effet, dans certaines cuisines, plus de la moitié des participantes quittent le groupe à l'intérieur du premier trimestre de participation, tandis qu'en d'autres endroits on doit dresser une liste d'attente tant la participation est stable et la cuisine un lieu de rencontre populaire dans le milieu. On ne pouvait passer outre aux sujets tels que l'étude de la participation et du décrochage en cuisine collective.

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Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Entraide et services de proximité : l’expérience des cuisines collectives, Lucie Fréchette, ISBN 2-7605-1078-6 • D1078N

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Facteurs psychosociaux et développement de l'entraide 101

La question de la stabilité des membres dans les cuisines collectives est cruciale si l'on croit que la cuisine collective est une intervention qui dépasse la réponse immédiate au problème de l'insécurité alimentaire. En effet, une intervention sociale orientée plutôt dans le sens de l'empowerment des personnes et des collectivités s'opère dans la durée. De même, l'utilisation du groupe dans la perspective de l'entraide exige du temps. L'augmentation graduelle des facteurs de robustesse et la diminution des facteurs de risque chez les personnes, les familles et le quartier ne peuvent s'enclencher sans la participation régulière d'un certain nombre de personnes comme noyau moteur de l'action du groupe.

La motivation initiale des femmes à participer aux cuisines collectives est sensiblement la même pour la majorité d'entre elles et s'articule autour de l'idée de contrer leur isolement, de participer à une activité en dehors du foyer, de faire quelque chose d'agréable avec d'autres femmes. Comme le souligne Ogier (1999), le point commun et fondamental retrouvé dans chaque groupe ou' collectif féminin est celui de la relation et de la rencontre. Il prendra diverses formes selon les types de groupes et selon la situation des femmes concernées.

Les retombées de la rencontre dans le contexte de la participation telle que conçue dans les organisations de femmes dépasse de beaucoup l'effet escompté au départ. Par un effet d'estompage des images antérieures d'elles-mêmes souvent peu valorisantes, les usagères « reconstruisent une autre représentation de ce qu'elles sont ou de ce qu'elles peuvent être, de ce qu'elles font et de ce qu'elles peuvent faire, qui va permettre de s'appréhender et d'appréhender leur horizon autrement » (Ogier, 1999, p. 85). Bien sûr, cette mutation identitaire ne peut s'opérer dans l'instantanéité et exige du temps, le temps de la participation.

La participation comporte une dimension personnelle propre à chaque participant et une dimension collective propre à la dynamique particulière de chaque collectif. En effet, chaque femme effectue son propre parcours, tout en étant aussi tributaire de l'effet du groupe. L'alchimie propre à chaque groupe influe sur le développement de rapports nouveaux entre les participantes et agit comme un terreau facilitant la socialisation et l'ouverture à la nouveauté. C'est dans l'interaction avec le groupe que l'on expérimente de nouveaux rôles et c'est le groupe qui reflète la confirmation de la compétence nouvellement acquise. La participation des femmes et la responsabilisation des individus s'arrime à l'empowerment. C'est dans cette perspective qu'elles sont spécifiquement identifiées comme des dimensions à considérer dans l'évaluation des projets d'économie sociale (David, 1999), qu'ils soient conçus comme des services de proximité, des projets d'insertion par l'emploi ou des entreprises sociales.

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Nos études nous ont amenée à étudier la participation aux cuisines non seulement en portant attention à l'évolution de la participation aux cuisines, mais en analysant les facteurs pouvant expliquer le décrochage. Nous présentons les dix principaux facteurs qui se dégagent de nos observations, des échanges avec d'ex-membres de cuisines et avec des animatrices dans divers milieux. Par la suite, nous verrons comment des cuisines ont pu non seulement contrer le décrochage qu'affrontent d'autres milieux, mais encore faire en sorte que se développe dans leur milieu un dynamisme reconnu qui accrédite la cuisine dans la communauté locale et lui confère un pouvoir d'attraction.

Principaux facteurs de décrochage dans les cuisines collectives 1) Les difficultés reliées à la garde des enfants

2) La difficulté à se déplacer (transport) 3) La mobilité géographique

4) Un gain financier inattendu 5) Les conflits entre participantes 6) Le genre de nourriture proposée

7) Le faible sentiment d'appartenance au groupe ou à l'organisme 8) Le retour aux études ou sur le marché du travail

9) Les vulnérabilités personnelles des participantes

10) Des modes de vie peu compatibles avec le travail en groupe

• Les difficultés reliées à la garde des enfants des participantes Un bon nombre de participantes aux cuisines collectives sont des femmes qui ont des enfants en bas âge et des femmes dont les enfants fréquentant l'école primaire ne dînent pas à l'école. L'absence de la mère du domicile pour la journée entière pose le problème de la garde des enfants à un moment ou à un autre de la journée. La difficulté est double. D'une part, les coûts de la garde des enfants annulent les économies escomptées à la cuisine et, d'autre part, s'organiser pour faire garder les enfants de façon irrégulière pendant le jour est souvent compliqué.

• La difficulté à se lacer (moyen de transport convenable). Un pourcentage élevé de participantes aux cuisines ne disposent pas d'une voiture. Le problème est accentué dans les territoires où des gens demeurent

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loin des locaux de la cuisine, que ce soit en ville ou en milieu rural. Même si le domicile n'est pas éloigné de la cuisine au point qu'il exige un retour dans les transports publics, le déplacement avec les plats préparés n'est pas chose facile sans véhicule automobile.

• La mobilité géographique. La question des déménagements fréquents chez les membres de cuisines est rapportée dans plus du tiers des milieux comme facteur expliquant le décrochage. Le phénomène du déménagement fréquent est connu dans des quartiers urbains défavorisés où des familles passent d'un quartier à l'autre. Il en va de même dans les capitales régionales où les familles démunies se déplacent vers des villages environnants, espérant réaliser des économies au budget du logement.

• Un gain inattendu sur le plan financier. Nos recherches ont relevé un facteur de décrochage inusité. Il semble que les femmes ont tendance à faire relâche à la cuisine si elles gagnent un petit montant d'argent dans la quinzaine précédant la cuisine. Nous avons enquêté auprès des animatrices des cuisines pour identifier les sources de gain entraînant ce décrochage. Il s'agirait du bingo, de la loterie, du casino et d'un revenu le plus souvent au noir provenant d'un petit travail occasionnel.

• Les conflits entre participantes Des conflits à l'intérieur ou à l'extérieur de la cuisine incitent des femmes à quitter le groupe. À l'intérieur des cuisines, ces conflits relèvent la plupart du temps de la confrontation d'habitudes de vie différentes et de dynamiques relationnelles entre personnes peu habiles à gérer le conflit. Des différends émergent facilement autour de situations mettant en cause la propreté et l'hygiène, le choix d'un mode ou l'autre de cuisson des aliments, l'évaluation subjective de l'effort fourni par les unes et les autres. Les conflits peuvent aussi provenir de dynamiques relationnelles différentes. Demander la permission pour emprunter un ustensile utilisé par une autre, s'excuser lors d'un impair, employer un vocabulaire qui ne blesse pas ne sont pas toujours d'un usage naturel chez des participantes, ce qui exaspère les autres dont le seuil de tolérance est parfois fort peu élevé.

Les conflits entre participantes peuvent aussi être préexistants à l'arrivée d'une cuisine dans le village ou le quartier. En effet, les chicanes entre voisins, les rancunes familiales de longue date, les conflits antérieurs non réglés, des antagonismes culturels font que certaines femmes refusent de participer à la cuisine si certaines autres en sont membres.

• Le genre de nourriture proposée. Des femmes ont révélé avoir quitté les cuisines en raison du genre de nourriture proposée, nourriture qui

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n'entrait pas dans leurs goûts ni dans ceux de leur famille. Lorsque des ani-matrices insistent trop fortement ou trop rapidement sur la confection de mets bons pour la santé mais peu connus des participantes, la résistance s'installe et le décrochage est prévisible au cours du premier trimestre. La question des habitudes alimentaires fait partie de la culture familiale et renvoie à la subjectivité des participantes tout comme aux réactions de leur famille. Lors des premières années d'implantation des cuisines collectives dans certains milieux québécois, les nutritionnistes et des animatrices bien intentionnées ont tenté d'éduquer à la saine alimentation en proposant des menus conformes au guide alimentaire canadien ou encore des menus santé incluant des aliments tels le tofu, des fruits et légumes peu appréciés dans les milieux populaires et des légumineuses dont personne n'avait jamais entendu parler. L'effet fut contre-productif et ces milieux durent rectifier le tir pour éviter que la cuisine collective perde son pouvoir d'attraction dans le quartier ou le village.

• Le faible sentiment d'appartenance au groupe ou à l'organisme. Lors du démarrage des cuisines, l'animation et le discours véhiculent l'idée que la cuisine, c'est l'affaire des participantes. L'intention est celle de la responsabilisation des femmes. La pratique démontre toutefois des difficultés à créer et à entretenir le sentiment d'appartenance au groupe. Les

pressions exercées même subtilement sur les choix des menus, l'absence de locaux favorisant les échanges en dehors de la cuisine, la centration sur la préparation de repas, la mobilité des bénévoles sont des éléments qui ne favorisent pas la cohésion des groupes et le développement du sentiment d'appartenance.

• Le retour aux études ou le retour sur le nmarché du travail À quelques endroits, on rapporte que des femmes ont quitté la cuisine pour retourner aux études ou pour intégrer un emploi de façon temporaire ou permanente. Des femmes indiquent même parfois que la cuisine a été pour elles le déclencheur d'une démarche personnelle qui les a menées au travail ou aux études. Cette situation qui explique le décrochage est bien sûr considérée non pas comme un problème, mais comme l'indice de la contribution des cuisines collectives à l'insertion sociale et professionnelle de personnes temporairement en difficulté.

• Les vulnérabilités personnelles des participantes Une partie des participantes aux cuisines sont des personnes qui éprouvent des difficultés de santé mentale fragilisant leur participation. Des membres des cuisines affichent parfois des tendances dépressives, d'autres sont aux prises avec l'alcoolisme ou la consommation excessive de médicaments ou de drogues, des membres éprouvent des problèmes de santé mentale, etc. Ces

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vulnérabilités personnelles deviennent parfois un irritant pour d'autres participantes et entraînent un espacement de leur participation.

Il arrive aussi que le décrochage soit relié au poids qu'imposent des gens aux prises avec des difficultés personnelles, familiales ou conjugales qu'ils ont besoin d'exposer à d'autres. Le décrochage peut également être celui de personnes qui préfèrent cacher les difficultés qui les affligent. Des femmes subissant de la violence conjugale se retireront des cuisines si elles jugent les séquelles trop apparentes, d'autres taisent ainsi des ruptures.

• Des modes de vie peu compatibles avec le travail en groupe. Des personnes ont développé pour diverses raisons reliées à leur condition familiale, sociale ou socioéconomique des modes de vie peu compatibles avec le fonctionnement des cuisines. Arriver à l'heure, se présenter au jour prévu, respecter des règles d'hygiène, persévérer dans les tâches assignées représentent des contraintes difficiles à assumer au point où elles laissent tomber leur participation à la cuisine.

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