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LES LEÇONS À TIRER D'EXPÉRIENCES DIFFICILES

Expériences novatrices

L'ITINÉRAIRE D'UNE CUISINE NOVATRICE

4. LES LEÇONS À TIRER D'EXPÉRIENCES DIFFICILES

Toutes les cuisines collectives ne sont pas des réussites. L'histoire de cuisines qui ont mis fin à leurs activités ou qui survivent dans une condition fort précaire est souvent une histoire jalonnée de difficultés qu'elles n'arrivent pas à surmonter ou de dynamiques conflictuelles ou contre-productives qui en minent le fonctionnement. Nous aborderons brièvement une de

© 2000– Presses de l’ niversité du Québec U

Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Entraide et services de proximité : l’expérience des cuisines collectives, Lucie Fréchette, ISBN 2-7605-1078-6 • D1078N

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ces histoires pour en tirer des leçons profitables pour l'ensemble du mouvement des cuisines collectives4. Nous y ajouterons des extraits d'entrevues qui illustrent d'autres difficultés pouvant aller jusqu'à mettre en péril des cuisines ou du moins à les fragiliser sérieusement.

4.1. À propos d'une cuisine qui n'a pas survécu â ses difficultés et a ses défis

Dans une petite ville d'une région à vocation rurale, l'idée de mettre sur pied une cuisine collective est lancée par la nutritionniste du CLSC. Quelques femmes du milieu répondent à l'invitation. Une communauté religieuse se montre intéressée à offrir des heures de bénévolat de la part de quelques-unes de ses retraitées pour aider au démarrage de la cuisine. Les activités débutent d'abord dans les locaux du sous-sol d'une paroisse locale. Le recrutement s'effectue par le bouche à oreille et à partir des réseaux de voisinage, de parenté ou d'amitié des quelques membres d'origine. Les comités de la Saint-Vincent de Paul des deux paroisses de la ville veulent tous deux que la cuisine s'installe dans leurs locaux. Dans l'optique de satisfaire tout le monde, il est décidé de démarrer deux groupes, un dans chaque paroisse. Déjà s'installe une certaine dynamique de compétition entre les groupes.

La nutritionniste du CLSC est convaincue de l'importante de la formation d'animatrices pour les cuisines afin d'en assurer un fonctionnement à long terme.

Des femmes se portent volontaires pour devenir animatrices et la communauté religieuse désigne des soeurs pour agir à titre de bénévoles animatrices. Deux difficultés pointent bientôt à l'horizon. D'une part, parmi les religieuses affectées à la cuisine, certaines y parti cipent par obéissance, sans grand enthousiasme.

Parmi les autres volontaires, certaines femmes s'avèrent des leaders naturelles, mais l'une d'entre elles se révèle rapidement une personne fort directive que les autres ont de la difficulté à tolérer.

La première année, les deux cuisines collectives fonctionnent comme la plupart des cuisines au Québec, avec une rencontre mensuelle de deux jours et quelques rencontres de structuration de la cuisine. Les demandes de financement sont acceptées. Une subvention de Centraide est complétée par des dons de sources diverses. On crée un conseil d'administration

4. Nous n'identifierons pas ces cuisines ainsi qu'il a été entendu avec les personnes qui nous ont accordé des entrevues en profondeur en exposant des situations mettant en cause des organismes ou des personnes dont elles souhaitent que nous préservions l'anonymat.

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chapeautant les deux cuisines et un comité social. Mais voilà qu'au terme d'un an le bilan indique que les groupes sont fort instables ; plusieurs femmes sont présentes une fois ou deux à la cuisine et ne reviennent plus. Au cours de la deuxième année, on constate aussi une très grande mobilité des bénévoles et des animatrices. Les deux professionnelles du CLSC qui apportent leur soutien à l'organisme jugent que la cuisine est engagée dans une impasse. Les membres du conseil d'administration sont divisés, ce qui se solde par la démission de la majorité des membres. Les activités de cuisine sont ensuite suspendues.

L'évaluation de l'évolution de la cuisine fait ressortir un certain nombre de difficultés qui ont contribué à son déclin. En effet, dès le départ, il était assez prévisible que s'enclencherait une dynamique conflictuelle entre les membres de la cuisine et cette femme très directive devenue animatrice d'un groupe. Il aurait fallu éviter que cette dernière se retrouve aussi dans l'exécutif du comité social et membre du conseil d'administration. En effet, très rapidement des femmes avaient indiqué qu'elles quittaient la cuisine parce qu'elles ne pouvaient plus la supporter. On a aussi pu rapidement identifier que plusieurs autres dépars de membres étaient dus au type d'animation de l'une des religieuses bénévoles.

Cette dernière animait la cuisine en centrant toute son animation sur la tâche à accomplir, à savoir préparer les plats prévus. Les femmes n'avaient plus de plaisir à fréquenter la cuisine.

La compétition entre les paroisses a de plus empêché que les cuisines de cette localité se multiplient, se regroupent et bénéficient de leurs propres locaux.

La séparation des groupes les confinait à des sous-sols d'église ou à des salles paroissiales peu propices au développement du sens d'appartenance à une cuisine. Le local d'une cuisine n'est pas qu'un lieu physique. Il donne de la visibilité à l'organisation dans la communauté locale et devient un pôle de référence chargé d'une symbolique qui suscite le sens de l'appartenance chez les membres.

Contrairement à ce qui s'est passé dans ce milieu, plusieurs cuisines collectives ont réussi à prendre plus de visibilité, à créer des lieux de rencontre attrayants et à devenir des foyers d'entraide en obtenant leurs propres locaux. De plus, en raison des difficultés éprouvées avec deux animatrices, il ne semble pas qu'il a été possible de développer de la complicité entre les membres des groupes ni même un climat convivial qui aurait pu exercer un pouvoir d'attraction sur les membres. Il arrive souvent que des cuisines soient aux prises avec des dynamiques interpersonnelles conflictuelles en raison de goûts différents, de personnalités peu compatibles, d'habitudes d'hygiène variées, etc. La question doit être abordée

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dès que s'amorcent les difficultés, sans quoi les tensions s'aggravent et deviennent difficiles à résoudre. C'est souvent grâce à une intervention appropriée et aux conseils d'animatrices communautaires chevronnées ou de professionnels du CLSC que s'instaure une dynamique de résolution ou d'amoindrissement des problèmes. Finalement, le conseil d'administration vivait des difficultés. Il n'est pas facile d'instaurer un fonctionnement démocratique en cuisine collective depuis la prise de décision liée aux activités culinaires jusqu'à la gestion de l'organisation par un conseil d'administration. Il faut y mettre le temps, pour former les gens et pour apprendre le fonctionnement démocratique.

En effet, le fonctionnement démocratique est un construit social qu'on ne doit pas considérer comme un acquis de départ dans les associations.

4.2. Des témoignages qui en disent long

Nous présentons ici quelques extraits d'entrevues tenues dans diverses régions qui illustrent des situations susceptibles d'engendrer des problèmes pour des cuisines collectives. C'est le cumul de ces difficultés qui devient facteur de fragilisation.

La professionnelle qui en fait trop

Des femmes jettent la nourriture préparée à la cuisine en sortant des locaux. Elles n osent pas contredire la nutritionniste qui planifie des menus santé avec elles. Les enfants n'aiment pas manger ce qui est préparé à la cuisine.

(Une bénévole animatrice d'une cuisine en Outaouais) Le localisme

Le CA a de la difficulté à comprendre qu'il est important que je (directrice) participe à des rencontres de la table de concertation sur la pauvreté régionale. On voudrait que je ne fasse qu'animer des sessions de cuisson et augmenter le nombre de groupes à la cuisine.

(Une responsable de cuisine en Estrie) Le piège de la stigmatisation

Il faudrait presque se nommer la cuisine des pauvres pour que Centraide de notre région nous finance un peu plus. Il conteste le fait qu'il n y a pas de critères de sélection des femmes et que des membres viennent de familles dont on peut dire qu'elles ne sont pas pauvres

(Une responsable de cuisine en Estrie)

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L'intervention contre-productive

Le directeur du CLSC m â donné six mois pour démarrer deux cuisines collectives dans la ville et faire en sorte qu'elles se prennent en charge pour que je puisse ensuite passer à autre chose.

L’autonomie des organismes est devenue un prétexte à ne pas investir de temps dans les dossiers du communautaire.

(Une travailleuse sociale en Outaouais) Le poids de la logique d'imputabilité des programmes publics

Je passe la moitié de mon temps de responsable de cuisine à chercher de l'argent, des subventions et à faire des rapports d’activités Chacun a ses critères et sa façon d'exiger des bilans. Ça devient épuisant et bien peu motivant comme travail.

(Une responsable de cuisine à Montréal) 5. VARIÉTÉ DES ACTIVITÉ PRÉVENTIVES ET DE

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