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L'insécurité alimentaire : un révélateur de la pauvreté

INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET QUESTION SOCIALE

1.1. L'insécurité alimentaire : un révélateur de la pauvreté

Le problème de la faim a attiré l'attention à l'échelle mondiale dans des débats internationaux comme celui de la Conférence mondiale sur l'alimentation de 1974 mettant en évidence le concept de sécurité alimentaire.

1. Le terme insécurité alimentaire, qui n'est presque plus un néologisme, sera souvent employé dans le présent ouvrage plutôt que de parler des problèmes de la faim ou de la sécurité alimentaire. Il nous semble porteur d'une nuance qui l'apparente plus à la question de la précarité qu’aux questions plus larges de la sécurité alimentaire dans le monde.

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Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Entraide et services de proximité : l’expérience des cuisines collectives, Lucie Fréchette, ISBN 2-7605-1078-6 • D1078N

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2 Entraide et services de proximité

Le concept a ensuite évolué pour tenir compte non seulement des besoins nationaux, mais aussi des besoins familiaux et individuels dans le contexte de l'appauvrissement des familles tant dans les pays en développement que dans les pays développés. La sécurité alimentaire a ainsi épousé avec le temps différentes définitions2. Retenons, parmi celles-ci, celle énoncée par la Banque mondiale en 1986: « l'accès pour toute personne et à tout moment à une alimentation suffisante pour mener une vie active en pleine santé ». La façon de voir de l'Ordre professionnel des diététistes du Québec (OPDQ, 1996) se rapproche de cette définition en affirmant qu'« il y a sécurité alimentaire lorsque toute une population a accès en tout temps, en toute dignité, à un approvisionnement alimentaire suffisant et nutritif à coût raisonnable, et acceptable au point de vue social et culturel ».

Le problème de la faim n'est plus un problème qui affecte les seuls pays d'un tiers ou d'un quart monde. Les Restaurants du Coeur en France, les food bank canadiennes, les Magasins Partage du Québec, les food stamps et les free lunch programs américains sont des révélateurs de l'atteinte à la sécurité alimentaire en contexte de pays développés et des révélateurs de besoins arrimés à de nouvelles formes de pauvreté que la crise de l'emploi et de l'État providence ont exacerbées.

Dans le contexte des pays développés, le problème de la faim est étroitement associé à l'appauvrissement des familles. Les études démontrent que, lorsque le revenu des familles diminue, les dépenses d'alimentation sont de celles qui sont rapidement affectées (Legros, 1994). La question de l'alimentation est d'ailleurs depuis fort longtemps au coeur des indicateurs de pauvreté. Au Canada, Mercier (1995) rapporte qu'une personne sur six est recensée comme pauvre, considérant que plus de la moitié de son revenu brut doit être affecté à des dépenses essentielles dont celles destinées à l'alimentation. Au Canada et au Québec, parmi les mesures de pauvreté on retrouve fréquemment le SFR (Seuil de faible revenu). Le SFR varie selon la taille de la famille et selon la région de résidence. Il est déterminé en fonction des dépenses affectées par les ménages à l'achat de biens essentiels (54,7 %), à savoir l'alimentation, le logement et l'habillement.

Les dépenses alimentaires sont donc considérées comme un indicateur incontournable dans l'établissement des seuils de pauvreté (Gardes et Langlois, 1995). Au Québec, depuis les années 1990, l'alimentation est le besoin le plus générateur de dépenses après celui du logement dans les familles vivant avec des enfants de moins de 15 ans. Le rapport d'une famille ou

2. Voir à ce sujet l'encart dans Brunet et Léonard (1996) rapportant six définitions de la sécurité alimentaire

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Insécurité alimentaire et question sociale 3

d'une population à l'alimentation est donc un des révélateurs de la pauvreté même si la faim s'est avérée l'une des conséquences souvent tenues cachées de l'appauvrissement.

La faim n'est qu'un des éléments conséquents de la dynamique déstructurante associée à la pauvreté tant à l'échelle des familles qu'à celle des quartiers ou des régions. Le « crash » de 1929 et la crise des années 1930 qu'avait connue le continent nord-américain ont déjà tragiquement illustré le phénomène.

Aperçu de la condition sociale du début du siècle pendant la crise des années 1930

La pauvreté que connaissait une grande partie du monde ouvrier s'est sou-dainement accrue avec la crise de 1929, entraînant la faim et la souffrance chez un nombre grandissant de ménages. En effet, le début du vingtième siècle a connu une période de croissance économique reliée à une forte industrialisation. Sous le sceau d'un capitalisme fort, cette période a aussi été marquée par une hausse concomitante du coût de la vie affectant la condition ouvrière. L'alimentation et le logement absorbent alors près des trois quarts du revenu des familles ouvrières dont on peut dire qu'elles sont pauvres ou à la limite de la pauvreté. La crise des années 1930 étend subitement le phénomène de pauvreté à un nombre effarant de familles et d'individus qui sont aux prises avec le problème de la faim et des conditions de vie de moins en moins salubres et de plus en plus génératrices de désarroi intense. Le taux de chômage croît sans cesse pendant cinq ans, passant de 7,5 % en 1929 à 30 % en 1933 avec des taux allant jusqu'à 40 % dans certains quartiers de Montréal et 60 % dans des villes industrielles régionales. Il faut se rappeler que l'aide sociale et l'assurance-chômage n'existent pas encore. La faim s'affiche publiquement et ce sont les oeuvres de charité qui ont alors organisé des soupes populaires pour nourrir les démunis (CSN et CEQ, 1984).

La résurgence des problèmes alimentaires depuis déjà plus d'une décennie renvoie aujourd'hui au fait qu'ils ne touchent plus seulement des miséreux de longue date vivant de prestations d'aide sociale ou des marginaux, mais encore ceux que l'on nomme maintenant les nouveaux pauvres. Le phénomène des nouvelles formes de pauvreté a d'ailleurs pris une ampleur qui dépasse nos frontières.

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4 Entraide et services de proximité

Ce sont ces derniers, victimes de la crise économique et du chômage qui, dans les grandes villes surtout, connaissent les pires situations.

Contrairement aux marginaux endurcis, ils ne savent pas ou ne veulent pas avoir recours à l'aide alimentaire. La notion de « nouveaux pauvres » fait appel à celle des « groupes vulnérables », autrement dit les groupes les plus exposés à l'exclusion et par extension aux problèmes de mal-nutrition [...] quel que soit le pays développé considéré (Perrot, 1996, p. 14).

Le nouveau visage de la pauvreté dans les pays développés renvoie pour beaucoup à la pauvreté urbaine et frappe inégalement les différentes couches de la population. Chez nous, au Québec, elle affecte plus les femmes que les hommes et frappe durement les jeunes et les moins scolarisés. Elle atteint particulièrement les familles à chef unique et les jeunes familles et, par conséquent, les enfants en bas âge. Finalement, elle affecte les travailleurs plus âgés (45 ans et plus) et leur famille. Elle n'atteint pas seulement des personnes prises isolément. Elle frappe aussi des communautés presque entières lorsqu'elle découle de situations telles que des fermetures d'usine ou des licenciements massifs. La pauvreté urbaine est affaire de famille et de quartier. Le passage de la précarité vers la pauvreté consacre souvent un affaiblissement du réseau social des personnes et des familles affectées. Souvent la qualité du tissu social et les tensions liées à l'exclusion prennent une importance accrue. L'exclusion devient une longue pente vers un faible sentiment d'appartenance sociale et finalement une citoyenneté de seconde zone souvent concentrée dans des communautés locales en déclin. On peut même parler d'un cycle négatif de changement social qui s'observe à quelques nuances près en milieu rural comme en milieu urbain (Favreau et Fréchette 1995, p. 78).

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