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La cuisine collective centrée sur la nutrition

DES CUISINES COLLECTIVES

2. UNE TYPOLOGIE DES CUISINES COLLECTIVES EN TROIS VOLETS

2.1. La cuisine collective centrée sur la nutrition

Un bon nombre de cuisines ont des visées d'intervention qui veulent contrer les effets de la pauvreté particulièrement en améliorant la santé physique.

Elles tentent de contrer la faim et d'augmenter la qualité de l'alimentation en utilisant l'entraide comme mode de relation d'aide. Dans ces cuisines, l'intervention est conçue, planifiée, organisée et animée d'abord en fonction de la nutrition. Les objectifs et les activités principales s'orientent

© 2000– Presses de l’ niversité du Québec U

Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Entraide et services de proximité : l’expérience des cuisines collectives, Lucie Fréchette, ISBN 2-7605-1078-6 • D1078N

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vers l'assurance d'une sécurité alimentaire pour les familles et une éducation à la saine alimentation.

Dans ce type de cuisine, les nutritionnistes des CSC jouent un rôle significatif prédominant. Par exemple, en Outaouais, les cuisines collectives doivent très souvent leur existence à l'initiative et au leadership de nutritionnistes de CLSC. Comme groupe professionnel, les nutritionnistes ont cru en cette forme d'intervention et ont démarré des cuisines avec des groupes de femmes en milieux défavorisés. On peut même avancer qu'elles ont contribué à sensibiliser leur profession à l'importance du rapprochement entre la santé et l'intervention de nature plus sociale. Il ne s'agit pas là d'une situation exceptionnelle : plusieurs cuisines de la ville de Québec et des villes avoisinantes et d'autres dans des quartiers de Montréal ont bénéficié d'une forte impulsion de départ et d'une animation soutenue de la part de nutritionnistes engagées dans la lutte contre la pauvreté. On retrouve aussi des cuisines centrées sur la nutrition dans des organismes communautaires d'entraide alimentaire plus traditionnels. Elles sont par exemple jumelées à des comptoirs d'aide alimentaire ou à des soupes populaires.

Les cuisines d'abord axées sur la nutrition fondent aussi leur action sur l'entraide dans sa dimension plus psychosociale comme mode d'intervention.

L'addition de forces des membres de la cuisine y est perçue comme un moyen de produire des repas de façon plus économique. La dimension psychosociale de l'intervention tourne autour de la création d'un climat de travail agréable et les animatrices sont encouragées à adopter des attitudes d'écoute active et des comportements empathiques. Elles jouent aussi un rôle important en régulant la dynamique du groupe de façon à limiter les conflits et les divergences entre les participantes et en favorisant au sein des groupes un processus de résolution de problèmes. Le trait dominant de l'intervention de relation d'aide y est l'immédiateté. Ainsi, une femme qui éprouve un problème particulier, dans sa vie personnelle ou avec ses enfants, trouvera une oreille attentive et des encouragements dans le groupe au moment où le groupe se trouve ensemble. Nos observations révèlent que la relation d'entraide entre les membres est présente dans ces cuisines de façon plutôt instrumentale et ponctuelle.

La stratégie d'intervention prédominante est l'acquisition de compétences. Il s'agit principalement de compétences en nutrition et en économie domestique. Les femmes apprennent à cuisiner des repas sains mieux équilibrés, de même qu'à utiliser des moyens pour réaliser des économies au budget familial (coupons-rabais en épicerie, recettes économiques, utilisation des restes, etc.). Ces compétences accrues ne sont pas anodines en retombées chez les participantes. Dans bien des cas, les participantes aux

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cuisines ont une faible estime d'elles-mêmes et se perçoivent comme des femmes et des mères de moindre qualité. Les compétences culinaires et domestiques acquises contribuent alors au développement d'une plus grande autonomie chez ces femmes. Elles viennent enrichir leur image d'elles-mêmes dans leur rôle de mère et de soutien de famille. Il s'agit là d'un apport important des cuisines qui vient contrer une dynamique parfois bien incrustée de dévalorisation de soi et des réflexes défaitistes face aux difficultés rencontrées dans les différentes sphères de la vie domestique et sociale.

L'apprentissage du fonctionnement en groupe fait aussi partie des stratégies déployées dans ces cuisines collectives. En effet, la centration sur la nutrition ne soustrait pas la cuisine à la dynamique de groupe inhérente au travail en commun. Apprendre à composer avec les goûts et la culture alimentaire des autres femmes, choisir des menus et des recettes, répartir les tâches dans le groupe, établir et gérer des règles minimales d'hygiène, résoudre des conflits, voilà autant d'occasions de faire l'apprentissage d'un fonctionnement en groupe.

Nos travaux révèlent que l'animation exercée dans les cuisines par des bénévoles ou des professionnelles n'est pas improvisée. On y tient compte de la dynamique des groupes en présence et du cheminement des personnes à l'intérieur de ces groupes. La vidéo Les chaudrons qui chantent, disponible au Regroupement des cuisines collectives du Québec, illustre bien cette dynamique reliée à l'apprentissage de la vie de groupe et l'animation qui la sous-tend.

Parmi les stratégies éducatives utilisées, celles centrées sur la nutrition sont prédominantes. L'éducation à la saine alimentation est un objectif central qui détermine le choix de nombreuses activités éducatives comme des ateliers thématiques sur l'alimentation, des bulletins d'information santé, des cours de cuisine. L'opération vise l'élargissement des connaissances en vue de la modification ultérieure des comportements et des habitudes alimentaires des familles. Des entrevues avec des participantes et des bénévoles dans les cuisines ont cependant soulevé des questions quant à l'adéquation de ces stratégies éducatives telles qu'elles sont appliquées dans certains milieux. Parmi les facteurs de décrochage relevés dans la partie de notre étude qui avait trait à l'Outaouais (Fréchette, 1997a), de même que dans des entrevues tant en Estrie que dans la grande région montréalaise, on retrouve l'écart entre les goûts alimentaires des familles et les menus proposés dans les cuisines. Nos observations indiquent aussi que l'éducation à la saine alimentation, lorsqu'elle devient la préoccupation la plus centrale, finit par occulter le processus plus social de l'intervention et son caractère plus structurel ou écologique. C'est l'intervention de type structurel ou écologique qui prend plus en compte la condition socioculturelle des participantes.

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La modification de comportements alimentaires ne peut provenir uniquement de stratégies éducatives classiques. Le fait que des femmes se débarrassent de certains mets préparés à la cuisine ou quittent la cuisine parce que le conjoint ou les enfants n'aiment pas ce qu'elles apportent confirme l'importance du caractère culturel et familial de l'alimentation. II ne s'agit pas de mettre de côté l'objectif d'améliorer la qualité de l'alimentation dans les familles concernées. Il s'agit plutôt d'aborder cette question dans une démarche plus large et à long terme liée à l'enrichissement du bagage culturel et social des membres et de leurs familles. On ne devient pas amateur d'artichauts, d'aubergines et d'abricots en quelques sessions de cuisine quand on a vécu en milieu défavorisé bétonné et nourri culturellement de beurre d'arachide et de steak haché accompagnés, au dessert, de Joe Louis ou de gâteaux demi-lune comme gâteries aux jours de fête.

Le fait que des femmes se défont de la nourriture préparée à la cuisine collective nous donne à réfléchir sur la motivation des femmes à y venir. Là où les femmes continuent de fréquenter la cuisine, celle-ci exerce un pouvoir d'attraction qui dépasse la simple mesure d'économie domestique ou l'apport en nourriture. Le lien social qui se développe dans les cuisines collectives prend ici tout son sens et indique que l'intervention peut aller bien au-delà de l'intervention en nutrition et s'engager dans le sens de l'intervention sociale de prévention et de la promotion de réseaux sociaux.

Dans un autre ordre d'idées, les cuisines centrées sur l'alimentation utilisent plus souvent qu'autrement des locaux qui ne servent qu'occasionnellement, et il est très rare que les femmes s'y rencontrent pour d'autres activités. Les locaux utilisés comptent un bon matériel de cuisine comme on en retrouve dans les cuisines des sous-sols de paroisses, des salles de couvents, ou dans des cuisines équipées par le CLSC. La cuisine collective de ce type est une activité ponctuelle qui revient chaque mois et qui ne s'arrime pas à une stratégie générale d'intervention centrée sur la famille en difficulté, ni à une stratégie de développement communautaire de revitalisation de quartier ou de réinsertion de personnes ou de groupes en difficulté. Le besoin d'un local permanent ne se fait pas sentir autant que dans d'autres cuisines. Le local n'a qu'une valeur fonctionnelle et plus immédiate. Il ne sert pas de lieu de socialisation à usage multiple.

Bref, la «cuisine collective nutrition » est centrée sur deux objectifs principaux, l'économie domestique et la saine alimentation, et sur un objectif secondaire, la rupture de l'isolement social. Outre le fait de cuisiner en groupe dans une perspective d'entraide, les stratégies d'intervention prédominantes sont des stratégies éducatives, l'acquisition de compétences

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personnelles, l'apprentissage du travail de groupe et la résolution de problèmes.

Les promotrices et principales animatrices sont des nutritionnistes et parfois des auxiliaires familiales de CLSC et des intervenantes du secteur communautaire.

2.2. La cuisine collective centrée sur l'entraide et

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