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La cuisine collective centrée sur l'entraide et l'utilisation du groupe

DES CUISINES COLLECTIVES

2. UNE TYPOLOGIE DES CUISINES COLLECTIVES EN TROIS VOLETS

2.2. La cuisine collective centrée sur l'entraide et l'utilisation du groupe

Une seconde catégorie de cuisines collectives est centrée principalement sur l'entraide et sur l'utilisation psychosociale du groupe dans la réponse aux besoins des participantes. Le soutien à la personne et à son milieu de vie y est la stratégie dominante. La question de la sécurité alimentaire est diagnostiquée comme étant l'une parmi plusieurs des conséquences de l'appauvrissement ou de l'exclusion auxquelles l'intervention s'adresse. Dans ces cuisines, l'intervention est conçue, planifiée, organisée et animée d'abord en fonction de la réponse psychosociale à des besoins personnels et familiaux. Cuisiner collectivement y est une activité centrale répondant à un besoin de base (bien nourrir sa famille), mais aussi une activité tremplin vers d'autres interventions dont l'entraide est le moteur de l'action.

Dans les cuisines de cette catégorie, l'entraide est d'abord centrée sur les personnes et leurs besoins, que ce soit sur le plan de l'alimentation, des rapports entre parents et enfants, de l'estime de soi, de la santé, de la vie conjugale, de l'isolement social, etc. La cuisine collective devient un lieu où, à travers le fait de cuisiner ensemble, l'entraide interpersonnelle sous forme de soutien psychologique, de partage d'expériences et d'informations, de discussion devient l'activité primordiale. Elle devient un lieu ouvert et permissif auquel les membres s'identifient. Le sens d'appartenance au groupe est un élément central dans la dynamique de ces cuisines et crée le climat qui permet graduellement de s'ouvrir aux autres personnes et de s'aider mutuellement. On en vient à développer consciemment ou non une sorte d'engagement réciproque qui influence les interactions dans la cuisine et même parfois en dehors de la cuisine.

L'expérimentation progressive de l'assistance mutuelle est la stratégie d'intervention qui prévaut dans cette catégorie de cuisines. Les échanges de ressources, l'expression en paroles ou en gestes du soutien mutuel, les échanges de services personnels ou à un membre de la famille sont encou-ragés. La relation d'aide, celle qui accompagne le sentiment de réciprocité et non la relation d'aide au sens thérapeutique du terme, est un mécanisme d'action que l'on stimule dans le groupe à travers les activités de cuisine et la vie sociale du groupe. Parfois, on ira même jusqu'à travailler à résoudre

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Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.ca Tiré : Entraide et services de proximité : l’expérience des cuisines collectives, Lucie Fréchette, ISBN 2-7605-1078-6 • D1078N

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des problèmes communs à l'ensemble des membres ou qui affectent une partie des membres du groupe. Les situations ainsi abordées sont d'abord de l'ordre de la sécurité alimentaire, mais elles s'étendent peu à peu à d'autres sphères de la vie des personnes et de leur famille. On échangera ainsi des coupons de réduction pour les produits en épicerie selon les besoins de chacune, on échangera les portions de mets cuisinés selon les goûts particuliers de chaque famille, on échangera des trucs pour faire manger certains aliments aux enfants. Puis, la confiance devenant suffisante, on en viendra à discuter de la difficulté à assurer la discipline auprès des enfants, à offrir de garder les enfants d'une autre, à permettre à une voisine d'utiliser son téléphone, etc. La cuisine collective permet en effet que se construise progressivement un micro-espace social de confiance.

Parler de micro-espace de confiance signifie que la cuisine collective devient un milieu permissif qui offre les conditions stimulant à la fois l'autonomie et la socialisation, les conditions d'ouverture à l'expression subjective de la réalité des membres et les conditions pour que s'instaurent des rapports d'échange. L'entraide est à la fois moteur d'action et conséquence de la resocialisation qui s'opère par l'intermédiaire de la qualité des liens se tissant dans le groupe. Les membres sont considérés comme des personnes capables d'activer leurs ressources personnelles ou de leur donner de nouvelles façons de s'exprimer à travers la relation aux autres. Ils ne sont pas l'objet d'un regard négatif, peu importe la gravité des problèmes qu'ils doivent affronter, mais sont interpellés à partir de leur potentiel et de leur désir d'une meilleure qualité de vie.

Pour plusieurs personnes participant aux cuisines, il s'agit là d'une expérience différente de la relation d'aide. En effet, plusieurs d'entre elles sont épuisées par le recours constant à de multiples palliatifs à leur manque de ressources matérielles. Le recours aux services sociaux et à l'aide des services publics s'est le plus souvent traduit en expériences jugées humiliantes ou du moins frustrantes en raison du regard essentiellement négatif jeté sur elles et où une grande partie du processus de résolution de problèmes proposé leur échappait. À la cuisine collective, les participants, tout en se reconnaissant dans leurs difficultés, sont plutôt invités à prendre le temps et les moyens pour mettre en place des conditions enrichissant leur capital relationnel, technique et social. Les alliances et les complicités créées par l'expérience de l'entraide dans des activités associées à la vie quotidienne et aux conditions matérielles, même si elles sont fragiles, laissent entrevoir qu'il est possible d'améliorer son sort et de faire appel à d'autres dans une perspective d'entraide. La cuisine collective centrée sur l'entraide expose donc à des relations sociales renouvelées, à une socialisation étendue et à la possibilité de changer quelque chose pour soi ou les siens.

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L'entraide telle que préconisée dans les cuisines collectives du secteur communautaire participe de la reconstruction d'une dynamique de solidarité, reconstruction qui exige du temps, l'apprivoisement des uns et des autres et la mise en branle d'un rapport de confiance. Elle se distingue en cela du discours de la « prise en charge » qu'adoptent encore trop souvent les institutions publiques de services sociaux et de santé. La prescription de prise en charge sert souvent de prétexte pour développer des approches dites à court terme escamotant la démarche dans le temps qui crée un social de confiance, pierre angulaire essentielle sur laquelle peuvent se bâtir la solidarité et la croyance que l'on peut changer quelque chose autour de soi et chez soi. Nous avons rencontré des intervenants de CLSC qui déploraient le fait que la direction leur avait confié le mandat de démarrer une cuisine collective et de la rendre autonome en trois ou quatre mois sous prétexte d'éviter la dépendance et de forcer la prise en charge. On prescrit ici l'entraide comme on prescrirait un traitement de radiothérapie, comme si la cuisine collective pouvait effacer en trois mois les effets néfastes de la pauvreté en rendant les gens responsables de s'appliquer ensuite entre eux le traitement anti-pauvreté. On ne sera donc pas surpris de constater que les cuisines collectives centrées sur l'utilisation optimale du groupe et sur l'entraide se retrouvent plus souvent dans des organisations communautaires où elles sont elles-mêmes des cuisines autonomes du secteur communautaire.

Les intervenants dans les cuisines collectives centrées sur l'entraide et sur le développement psychosocial des membres jouent un rôle à multiples facettes.

Ils aident à la formation du groupe en évaluant les besoins dans leur ensemble.

Ils contribuent à développer des façons de travailler qui favorisent l'intégration de chacun avec son bagage personnel et familial et un niveau de participation progressif non menaçant qui satisfera les besoins primaires puis secondaires des membres. Ils travaillent à développer dans le groupe une cohésion perceptible et des conditions qui rendent l'entraide possible et souhaitable même en dehors de la cuisine collective. Travailleurs sociaux et nutritionnistes sont souvent mis à contribution en fonction de leur expertise respective et de leur capacité à entrer en relation empathique et sympathique avec les membres des groupes. Les autres intervenantes qui y sont le plus souvent actives sont des auxiliaires familiales et des travailleuses communautaires de la pastorale sociale ou des groupes communautaires qui intègrent une cuisine collective à leurs activités. Il arrive aussi dans ces groupes que des participantes aux cuisines acquièrent un leadership et des habiletés relationnelles qui en font des bénévoles actives dans le processus d'intervention.

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En résumé, cette deuxième catégorie de cuisines collectives investit dans le renforcement des compétences de soutien mutuel des personnes et dans la résolution des problèmes principalement sous le mode de l'aide situationnelle.

Ces cuisines favorisent l'impulsion réciprocitaire en l'exerçant d'abord au sein de l'activité que constitue la cuisine puis entre les membres de la cuisine dans différentes activités jalonnant leur vie familiale. Le saut vers le développement d'un travail de solidarité pour changer les conditions de vie de son environnement étendu ou de son quartier est en germe. Plusieurs des conditions sont mises en place pour que les membres se sentent un jour aptes à répondre à une sollicitation d'action collective ou, en d'autres mots, pour qu'ils s'engagent graduellement à résoudre collectivement des difficultés qui affectent leur vie et celle de leur famille. La cuisine centrée sur l'entraide participe à sa façon d'une démarche qui prédispose à quelque chose de plus large ou enclenche le changement social plus collectif. D'aucuns diraient de ces cuisines collectives qu'elles amorcent un travail d'empowerment.

L'empowerment- le sentiment d'auto-contrôle, de ne pas être ballotté par les événements - peut aussi s'étendre au-delà de sa propre situation personnelle. Les expériences d'assistance mutuelle rendent possible non seulement l'initiative auto-réflexe (penser qu'il est possible de faire quelque chose pour résoudre les problèmes de sa propre vie) mais aussi la possibilité d'investir des compétences accumulées dans un contexte plus large pour obtenir des résultats plus généraux, au profit de la collectivité comme, par exemple, la bonne conformité législative, la création de services indispensables, la sensibilisation communautaire, la prévention de difficultés vécues par la famille, etc. Les groupes d'assistance mutuelle constituent des laboratoires idéaux pour ce type d'actions (Folgheraiter, 1994, p. 143).

2.3. La cuisine collective intégrée dans une approche de

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